mercredi 9 juin 2010

La nécessité d’une réforme du droit haïtien applicable à la détention préventive prolongée.

La nécessité d'une réforme du droit haïtien applicable à la détention préventive prolongée

Par Alfred Reynolds, LL.M.


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Selon plusieurs conférenciers et participants à un atelier de travail sur la justice en Haïti, « le plus grand obstacle au bon fonctionnement de la justice [haïtienne] demeure la détention préventive prolongée[1] ». En fait, le droit définit la détention provisoire ou préventive comme étant « l'incarcération d'un inculpé (…) pendant tout ou partie de l'instruction préparatoire jusqu'au jugement définitif sur le fond de l'affaire[2] ». En effet, cet inculpé ou accusé – pour être plus précis – est en détention préventive lorsqu'il est accusé d'une infraction pénale et il est mis en prison sous les ordres de la justice en attendant d'être jugé par un tribunal dans un délai ne dépassant quatre (4) mois ; mais, lorsque ce délai excède quatre (4) mois, l'inculpé est considéré en détention préventive prolongée[3]. Cependant, si l'inculpé doit être incarcéré, le droit prévoit « la protection de l'individu contre les arrestations arbitraires et contre la détention illégale[4] » et il exige aussi que cette mesure privative de liberté – dont la détention préventive prolongée – doit être seulement prise à titre exceptionnel.


En effet, cette exigence exceptionnelle du droit – par rapport à la détention préventive prolongée – est basée seulement sur deux tests ou deux catégories de nécessités : d'une part, les nécessités de l'instruction ; et, d'autre part, les nécessités de l'ordre public. En ce qui concerne les nécessités de l'instruction, le juge d'instruction ou le commissaire du gouvernement doit démontrer au moins une de ces nécessités pour incarcérer l'accusé ou l'inculpé : la conservation des preuves et indices matériels ; l'interdiction de toute concertation entre personnes mises en examen et complices ; et, finalement, l'empêchement de tout genre de pression sur les témoins ou les victimes. Par contre, en matière de nécessités de l'ordre public et de la sécurité publique, le juge d'instruction ou le commissaire du gouvernement doit être sûre et certain de l'acte posé par l'accusé ou l'inculpé tout en démontrant à la cour ou au tribunal que cette mesure préventive est nécessaire pour prévenir de nouvelles infractions ; de mettre fin à une infraction ou d'empêcher le renouvellement de cette infraction; de maintenirl'accusé ou l'inculp é mise en examen sous le contrôle ou la disponibilité immédiate de la justice ; et, enfin, de préserver l'ordre public qui était déjà troublé par cette même infraction.


En étudiant la problématique de la détention préventive prolongée, en Haïti, on perçoit fort souvent et assez rapidement que cette exigence exceptionnelle du droit n'est pas liée aux deux tests ou aux deux catégories susmentionnées. En fait, Danièle Saada – responsable de la section droit de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) – pense que le problème de la détention préventive prolongée a plusieurs causes : il y a les procédures qui trainent, les dossiers qui se perdent et les délais impartis par la loi qui ne sont pas respectés[5]. Elle affirme que « si le code d'instruction criminelle était suivi à la lettre (…) nous n'en serions pas là au niveau de la détention préventive[6] ».


Cependant, beaucoup pensent que cette exigence exceptionnelle est liée de préférence à trois causes fondamentales[7]. Premièrement, les gens sont accusés, arrêtés ou inculpés illégalement pour des infractions mineures ou des cas pour lesquels la loi ne prévoit pas de peine d'emprisonnement ou de prison préventive. Deuxièmement, le non-respect des délais pour boucler les enquêtes. Sur ce, les juges d'instruction ont ordinairement un délai de deux (2) mois pour faire leurs enquêtes et communiquer les pièces de l'information au ministère public et un mois (1) pour l'émission de l'ordonnance de clôture. Cependant, ces juges n'ont pas pu respecter ces délais du fait qu'ils n'ont pas assez d'information pour le traitement du dossier. Dans ce cas, on y voit d'autres problèmes, particulièrement ceux-là qui sont liés à la mauvaise infrastructure haïtienne, tels que les problèmes de transportation, l'espace réservé aux juges pour pouvoir travailler tranquillement sur ces dossiers, l'absence d'équipements ou de capacités logistiques, etc. Et, troisièmement, il y a aussi le manque de ressources humaines au niveau des tribunaux et le système judiciaire en général. En effet, le ministère de la justice n'embauche pas assez de magistrats ou de personnes qualifiées ; la Police Nationale d'Haïti (PNH) est incapable de respecter le délai de 48 heures pour la garde à vue de l'accusé ou de l'inculpé; l'ancienneté des lois qui ne répondent pas aux exigences de l'heure ; l'absence d'un programme de caution ou de libération conditionnelle ; et, enfin, la non existence d'une instance judicaire capable d'évaluer ou de contrôler la nécessité ou non du système de détention provisoire ou préventive[8].


En plus de ces trois causes susmentionnées, il y a une quatrième cause qui est autant considérée tabou par les membres de l'appareil judicaire haïtien, les travailleurs du droit, les victimes tant bien que les accusés, que par la société haïtienne en général. En fait, il y a le problème de corruption au niveau de la justice en Haïti. En effet, suivant les conclusions d'un rapport sur la prison civile de Port-au-Prince, les autorités haïtiennes devraient se pencher sur les vraies causes du faible taux de condamnation en matière pénale versus le pourcentage élevé de cas de détentions préventives liées à des infractions graves[9]. Selon plusieurs, certains juges reçoivent de gros pots-de-vin pour libérer des prisonniers sous forme d'habeas corpus ad subjiciendum[10] particulièrement ceux-là qui sont inculpés à des infractions graves telles que le trafic de la drogue, le blanchiment d'argent et le détournement de fonds. Par ailleurs, il y a des juges qui trainent des procédures d'instruction pour jusqu'à perdre les dossiers de ces inculpés qui sont encore gardés en détention préventive prolongée parce qu'ils ne peuvent pas payer pour avoir leur liberté. Regardant ce problème majeur dans la justice haïtienne, ce n'est pas étonnant que « des Juges et des Commissaires du Gouvernement sont constamment décriés et dénoncés, en raison de leur implication dans des actes de corruption et de malversation. Si bien que le système judiciaire est, à nos jours, assimilé à un lieu de transactions commerciales où la Justice est vendue au plus offrant[11] ». En effet, si « la détention préventive prolongée est l'une des tares du système judiciaire haïtien, elle est aujourd'hui plus préoccupante que jamais[12] ». D'une manière générale, non seulement « le taux de détention préventive prolongée atteint les 90% et dans certaines prisons près de 98% des détenus n'ont pas encore été jugés[13] », « certains magistrats affichent des signes extérieurs d'opulence et mènent visiblement un train de vie supérieure à leurs traitements et salaires[14] ».


Devant le fait accompli de cette situation très complexe, il est important de dire que « la détention préventive ne peut être prolongée indéfinitivement[15] ». Sur ce, le gouvernement haïtien avait mis sur pieds des programmes et avait entamé le processus de réforme dans l'appareil judiciaire afin de trouver une solution adéquate aux problèmes. En effet, le gouvernement intérimaire de Gérard Latortue avait mis sur pieds des commissions de magistrats pour siéger au Pénitencier national. En fait, avec son mouvman li jou, le ministre de la justice, Me Henry Marge Dorléans, avait entamé « une visite dans plusieurs villes de province pour s'enquérir de la situation des tribunaux et des commissariats[16] ». De cette visite, il y avait un projet de création d'annexes pour les commissariats des communes telles que celles de Jean Rabel et de Pignon. Ensuite, il y avait « la décision du tribunal de première instance de Port-au-Prince de siéger en deux vacations dans le but de passer de cinq à vingt audiences correctionnelles par semaine et des audiences criminelles sans assistance de jury tout au cours de l'année judicaire[17] ».


Quelque temps plus tard, on avait assisté aux importantes initiatives télévisées du Parquet de Port-au-Prince en vue de libérer certains détenus pour des raisons humanitaires. Il y avait aussi sous le gouvernement de Préval/Alexis la commission sur la détention préventive prolongée. Actuellement, de concert avec la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH), le gouvernement haïtien – par le biais du Ministère de la justice et de la sécurité publique – a conçu le projet des Commissions de détention. Ces commissions, qui sont des groupuscules formées d'employés du ministère, devront « trier les dossiers et faire en sorte que les personnes emprisonnées depuis un certain temps, sans avoir été jugées, soient priorisées, ceci à Port-au-Prince et dans les tribunaux des provinces[18] ».


En analysant ces différents programmes du ministère de la justice, on voit bien que les autorités judiciaires ont la volonté d'améliorer et de changer l'une des tares du système judiciaire haïtien. Mais, comment peut-on améliorer ou changer une situation qui est maintenant considérée comme étant « le plus grand obstacle au bon fonctionnement de la justice ?[19] » En fait, pour résoudre ce problème de détention préventive prolongée, il faut que l'État haïtien pense à une certaine réforme au niveau de l'appareil judiciaire. Si les autorités judicaires ont vraiment la volonté d'apporter un changement à la problématique de la détention préventive prolongée, leurs manières de procéder à cette réforme est très préoccupante du fait qu'ils n'y aient jamais eu d'améliorations malgré leurs efforts et leurs investissements. Sur ce, peut-on dire que « les responsables sont en train d'errer dans leur approche parce qu'ils ne sont pas des professionnels (…) et qu'Haïti est l'un des rares pays ne disposant pas d'une politique criminelle[20] » ?


En effet, selon certains, « avant même qu'elle ne commence, la réforme judicaire va déjà dans le mur[21] ». Et, selon d'autres, « le dépassement de la crise exige que l'on considère non seulement les questions liées à l'efficacité [du droit], mais aussi celles liées à la qualité du procès et du système pénal[22] ». En d'autres mots, il faut qu'il y ait un changement en profondeur dans le système judicaire haïtien. Il faut qu'il y ait une réforme qui devrait répondre aux exigences de l'heure parce que « le système inquisitorial qui est celui basé sur le Code d'instruction criminelle de 1835 a fait ses preuves et il a échoué (…) du fait de son incapacité de rechercher les infractions et leurs auteurs [23] ». En effet, l'État haïtien ne peut pas continuer à pérenniser la défaite d'un système qui échoue ses fils et ses filles. L'État haïtien doit prendre en main ses obligations. Il doit entreprendre ce genre de réforme dans le système pénal et cette réforme doit nécessairement revenir de son pleine autorité (auctoritas facit legem[24]) qui n'est autre que la connaissance (la théorie) et l'expérience (la pratique ou le savoir-faire) du droit. Or, le problème en Haïti – comme on le perçoit depuis quelques années – ne revient pas du non coexistence de la connaissance et de l'expérience. C'est avant tout un problème d'évolution qui est inextricablement lié avec l'espace et le temps. En effet, à ce carrefour du 21ème siècle où l'avancement technologique et les grandes découvertes scientifiques sont devenus monnaie courante dans le monde, toute société doit avoir une certaine évolution à tous les niveaux. Une société ne peut pas évoluer si son système juridique n'est pas dynamique. En fait, être dynamique – du mot grec dunamikos – c'est d'être actif ou avoir de l'énergie. C'est encore le pouvoir de « manifester une grande vitalité, de la décision et de l'entrain[25] ». En d'autres mots, c'est de la force qui est orientée vers le progrès et le développement. Or, le dynamisme du droit vient ipso facto de l'action gouvernementale qui met en relief les acquis des éléments de la société en question. Le droit, osons le dire, doit être synonyme de changement, de progrès et d'évolution ; mais, il doit surtout être imbibé de la tradition, de la culture, des mœurs au sens étroit et des manières de vivre du peuple haïtien.


Une chose certaine, quand le droit évolue, il crée – d'une manière générale – de nouvelles opportunités (échanges commerciales, investissements, épanouissements du tourisme national, transnational et international, etc.) dans une société et rassure les éléments de cette même société de la nécessité de jouir pleinement de ses droits et de ses privilèges (se promener dans les rues sans crainte, aller à la plage avec sa famille, participer à des festivités publiques, etc.) tout en faisant confiance à l'État. Par ailleurs, en faisant confiance à l'État, ces éléments créent à leur tour d'autres opportunités (embauchages de chômeurs et de marginaux, créations de nouvelles structures de développement durable tels que la décentralisation de la main d'œuvre, la répartition de l'électricité à long terme, le traitement d'eau et la construction de routes) que les autres éléments de la société vont bénéficier à leur tour incluant l'État lui-même (la stabilité politique, la diminution de la corruption et de la criminalité, le respect de l'autorité, la collection d'impôts, le renforcement du système éducatif, etc.).


Mais, quand le droit n'évolue pas, la société régresse à son plus bas niveau et les problèmes que confrontent l'État et les éléments de la société se multiplient (le kidnapping aux yeux de tous, le vol à mains armées en plein jour et le viol), deviennent complexes (l'importation et l'exportation de la drogue, les règlements de compte et les assassinats politiques) et très fragiles (la corruption des travailleurs et des défenseurs de la justice, etc.). Certains éléments de la société, en acceptant ouvertement cette régression du droit – tant au niveau de l'administration publique que dans les secteurs formels et informels de la société – sans essayer d'apporter un changement adéquat à la défaillance du système juridique, deviennent indirectement complices de ce disfonctionnement de l'État. La complaisance de ces éléments de la société avec le status quo engendre un système de non droit dans lequel la balance de la justice se penche beaucoup plus vers ceux-là qui ont des moyens économiques et des liens politiques. Par contre, ceux-là qui sont dépourvus des ressources nécessaires pour manipuler le système à leur avantage, peuvent devenir contre leur gré un grand obstacle au bon fonctionnement de la justice. De ce fait, on ne peut pas entreprendre une réforme réelle quand le processus de cette réforme est basé sur « des aménagements superficiels et cosmétiques[26] », quand « les mêmes méthodes, les mêmes habitudes, les mêmes connivences sont là[27] » et, finalement, quand « le droit haïtien reste tout aussi archaïque que féodal[28] ». Enfin, il est important de penser à la nécessité de cette réforme qui soit applicable à la détention préventive prolongée. Cette réforme doit être considérée sérieusement par l'État à cause de sa responsabilité immesurable par rapport à la société. On sait bien quand l'État existe dans ses prises de position, « c'est le juridique qui fait figure de phénomène particulier au regard de l'ensemble social[29] ». Cette réforme doit être aussi une sorte de contrainte aux mœurs et au droit et « elle peut se définir comme une action venant de l'extérieur et tendant à l'exécution d'une norme[30] ». Cette réforme ou contrainte spécifique du droit doit tenir compte de ces trois points fondamentaux : l'origine des problèmes ou les causes de la détention préventive prolongée, le but de cette réforme qui doit être présenté en référence aux notions d'ordre et de désordre dans le système pénal et le mécanisme utilisé par cette réforme pour changer une fois pour toute la plus grande tare du système juridique haïtien.


[1] Atelier de travail du Bureau de la Secrétairerie d'État aux Affaires Judiciaires, Hôtel Karibe, 28 et 29 avril 2010 (Source : Alerte Haïti, 2 mai 2010).


[2] Jean PRADEL, L'instruction préparatoire, Cujas, 1990, P. 587.


[3] Réforme carcérale et droits des personnes incarcérées, Centre International des Droits de la Personne et du Développement Démocratique - Droits et Démocratie, Juin 2009.


[4] Oumar KONE, « La problématique de la détention provisoire », Mémoire, Université Nancy II, 27 juin 1989.


[5] « Le problème de la détention préventive prolongée : un souci majeur », Haïti Culture, 1er octobre 2007.


[6] Idem.


[7] Jean Robert FLEURY, « Détention préventive prolongée : responsabilités des magistrats », Le Blog du Juriste, Info-Solidarité, 31 janvier 2008.


[8] Idem.


[9] « Lancement du rapport sur la détention préventive prolongée en Haïti », HaitiPress Network, 18 novembre 2006.


[10] Du latin : « Que tu aies le corps pour le produire (devant la cour) ». Cette loi anglaise, datée de 1679, a été prise en vue d'assurer le respect de la liberté individuelle contre les arrestations illégales. Dans ce cas, le juge demande aux autorités concernées d'amener l'inculpé par devant le tribunal en vue de savoir s'il est détenu en prison illégalement. Si oui, le juge ordonne aux autorités de le relâcher dans l'immédiat.


[11] « Résolution sur la situation des droits de l'homme en Haïti », adoptée par le Congrès de la Fédération Internationale des Ligues de Droits de l'Homme (FIDH), Erevan (Arménie), 5 mai 2010.


[12] « RNDDH à la Commission Inter-Américaine des Droits Humains : Présentation sur la situation générale des droits humain en Haïti », Réseau National de Défense des Droits Humains, 3 mars 2006.


[13] Supra, note 5.


[14] Supra, note 11.


[15] Comité contre la torture : Réponses de la délégation estonienne, Comité des droits humains des Nations Unies, 14 novembre 2007.


[16] « Haïti : La détention préventive prolongée à l'ordre du jour de l'exercice judiciaire 2005-2006 », Alter-Presse, 3 octobre 2005.


[17] Supra, note 7.


[18] Supra, note 5.


[19] Supra, note 1.


[20] « Clifford Larose plaide pour la définition d'une politique criminelle », metropolehaiti.com, 29 octobre 2008.


[21] Heidi FORTUNÉ, « Échec d'un réforme », blogspot.com, Cap-Haitien, 15 mai 2010.


[22] « La détention provisoire prolongée et le choix d'un modèle de système pénal pour Haïti », Symposium AFPEC – Amicale des Juristes – CHECCHI, 9 au 11 décembre 1996.


[23] Idem.


[24] Du latin : Le droit vient de l'autorité.


[25] Le Petit Robert Grand Format, Éditions 1993.


[26] Supra, note 21.


[27] Idem.


[28] Idem.


[29] Jean CARBONNIER, Sociologie juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. 318.


[30] Idem, p. 322.


--- On Tue, 6/8/10, Reseau Citadelle - Cyrus Sibert <reseaucitadelle@yahoo.fr>

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From: Reseau Citadelle - Cyrus Sibert <reseaucitadelle@yahoo.fr>
Subject: [www.haiti-nation.com] Haïti-Justice : Et si Jean Saint-Fleur n'était pas inspecteur de police?
To: "Cyrus Sibert" <reseaucitadelle@yahoo.fr>
Date: Tuesday, June 8, 2010, 8:19 PM

Haïti-Justice : Et si Jean Saint-Fleur n'était pas inspecteur de police?


Par : Cyrus Sibert, souvenirfm@yahoo.fr
Le Ré.Cit.- Réseau Citadelle, Cap-Haïtien, Haïti.
www.reseaucitadelle.blogspot.com


Le lundi 31 mai 2010, sur les ondes de Radio Vision 2000, l'opinion publique avait droit à une bataille médiatique entre le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Maitre Manès Louis et son supérieur hiérarchique Paul Denis, ministre de la justice. Il s'agissait d'analyser la libération de Jean Saint-Fleur, un inspecteur de la Police Nationale d'Haïti, emprisonné pour coups et blessures sur la personne de Eglanès JEAN, un pompiste de la capitale, et le bien-fondé de la révocation du Chef du Parquet pour insubordination. L'Officier de Police en question a été emprisonné durant environ un mois au pénitencier national. Finalement, il a bénéficié d'une décision de justice. Dans le jugement, il a été déclaré non coupable.


Non content de la décision du juge, Maitre Manès Louis a interjeté appel. Un comportement, plutôt non-protocolaire, vu que le commissaire du gouvernement, aussi bien que l'officier de police relèvent tous les deux du Ministère de la Justice. En conséquence, l'appel devrait être une initiative du plaignant. Ce dernier a aussi le droit d'exiger des réparations pour les sévices corporels subis.


Me Manès Louis a ainsi laissé apparaitre ses sentiments contre l'Officier de police. Il a tenté d'utiliser l'appel pour le punir, malgré un jugement affranchissant l'accusé hors des liens de la détention. Sa décision parait, pour le moins, intéressée.


Dans la matinée du 31 mai, sur les ondes de Radio Vision 2000, le Commissaire du gouvernement avait utilisé tous les artifices procéduraux pour expliquer sa décision et justifier son acte de bouder une convocation du Doyen du Tribunal Civil qui comptait statuer sur la requête de l'avocat du détenu protestant contre la détention de son client. La liberté étant le principe, la détention l'exception, on ne saurait emprisonner une personne sans une décision de justice. Tandis que, dans l'après-midi du même jour, le ministre de la justice Paul Denis, à son tour, essayait de démontrer que le commissaire du gouvernement Manès Louis avait tort.


En tentant de garder l'officier de police en prison, sous prétexte qu'il avait interjeté appel, tout en refusant de répondre à une convocation du Doyen du tribunal civil pour étudier la requête de la défense, Me Louis fait du dossier une affaire personnelle. Il a fait montre d'une volonté de punir l'Officier de police pour des raisons que nous ignorons. Une situation qui n'est pas nouvelle, car il y a toujours lutte entre la justice et la police. De plus, l'inspecteur Saint-Fleur est connu pour son comportement cavalier. Il avait bastonné un député en exercice. Le comportement de l'homme semble avoir donné ras le bol au Commissaire de Port-au-Prince.


Toutefois, même dans notre contexte de confusion sur la démocratie, confusion qui tend à banaliser toute chose, à niveler par le bas et à affaiblir la société, un officier supérieur de la Police n'est pas n'importe qui. Généralement, c'est un personnage important qui, certes n'est pas au dessus des lois, mais quand même, un homme qui mérite un traitement particulier. L'emprisonner, pour un délit mineur, alors que normalement quand il n'y a pas « crime de sang » l'accusé peut toujours rester en liberté en attendant la sentence, est une mesure extrême qui montre que nos gouvernants n'ont pas encore saisi la dimension étatique de leur décision. Ils ont exposé un homme qui tous les jours prend des risques pour notre sécurité aux vendettas des criminels condamnés du Pénitencier National. Les préjugés et l'orgueil du Chef du Parquet ont ainsi primé sur le moral de l'unique force publique, sur la sécurité publique. Cette tendance exhibitionniste qui domine le parquet de Port-au-Prince depuis l'arrivée de Me Claudy Gassant affaiblit la justice haïtienne au point que certains observateurs parlent déjà de ''dictature du parquet'' : c'est une menace pour les libertés civiles.


Face à cette situation, le simple citoyen se pose la question suivante : Et si Saint-Fleur n'était pas un inspecteur de police ? S'il était un simple citoyen anonyme comme moi, ignoré des membres du gouvernement, de la presse et de l'opinion publique ?


Ce dossier nous rappelle l'effet contre productif des cas comme l'emprisonnement des responsables de services de renseignement en Haïti. Les Directeur de l'UCG (Unité Centrale de Gestion) Bureau étatique responsable du renseignement financier a été emprisonné à partir d'artifices du système juridico-légal, Michael Lucius en poste à la DCPJ (Direction Centrale de la Police Judiciaire), le service de renseignement de la PNH, a été persécuté par la justice. Aussi, devons nous renouveler la nécessité de la réforme de la justice. Dominé par les visions des régimes dictatoriaux qui se sont succédé, le système pénal haïtien porte trop sur l'emprisonnement ou la privation des libertés. Il laisse au Commissaire du gouvernement trop de marge de manœuvre sur la liberté des citoyens, il existe trop de possibilités pour garder illégalement un citoyen en prison.


A partir des tractations de Me Manès Louis pour maintenir en détention l'inspecteur Jean Saint-Fleur, on peut facilement comprendre pourquoi les prisons haïtiennes sont ainsi remplies.


Nous sommes sûrs que la moitié des détenus sont emprisonnés à partir des caprices du parquet. Si dans le cas du Commissaire Saint-Fleur, il y a tout l'air de règlement de compte pour une raison inconnue du grand public, dans d'autres cas, des magistrats du parquet utilisent ces tactiques pour remplir les prisons et faire fortune en termes de pots de vin pour la libération des détenus. Quand il n'y a rien chez le Magistrat, il y a un détenu à libérer en échange de quelques milliers de ''dollars américains''. Une pratique qui ressemble étrangement au kidnapping.


Quel investisseu serait assez fou pour s'aventurer dans un pays, où sa liberté et ses biens ne dépendent que de l'humeur et/ou du bon vouloir d'un homme exhibitionniste et animé d'une intention de nuire qu'on appelle MAITRE ? Pourra-t-on reconstruire ou refonder Haïti sans investisseurs, donc sans emplois ? N'est-il pas urgent de réformer en profondeur le système judiciaire haïtien ?


L'inspecteur Jean Saint-Fleur, pourrait-il jouir de sa liberté, s'il n'était pas un Haut-gradé de la Police? Si on interroge les faits, l'histoire de la justice haïtienne et les pratiques procédurales en cours, la réponse ne se fait pas attendre.


RÉSEAU CITADELLE (Ré.Cit.), le 08 Juin 2010, 16hres 23.

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