mardi 15 avril 2014

DGl du CONATEL/Entretien: « Je comprends l’inquiétude des médias

Directeur Général du CONATEL/Entretien
« Je comprends l'inquiétude des médias »

Le Nouvelliste | Publié le : 14 avril 2014

Jean-Marie Guillaume, directeur général du Conseil national des télécommunications, en marge de la 6e conférence mondiale sur le développement des télécommunications de Dubaï, a accordé le 11 mars 2014 un entretien au Nouvelliste. Il y fait le point sur certains sujets du secteur comme le Service universel, le cas de la Haitel, la portabilité des numéros de téléphone, la protection des consommateurs face aux opérateurs télécom, la transition vers la télévision numérique et particulièrement sur la dernière note du Conatel menaçant de sanctions certains médias. Dans cet entretien, M. Guillaume précise sa cible, Radio Zénith. Il élargit les compétences du Conatel au contrôle sur l'exercice de la liberté d'expression dans les médias au-delà de l'aspect technique de son rôle de régulateur prévu par la loi de 1977. Ses esquives comme ses silences sont aussi éloquents que ses argumentations. 
Jean Marie Guillaume 

Le Nouvelliste : La conférence sur le développement des télécommunications s'achève à Dubaï, vu d'Haïti quels sont les chantiers de l'avenir? Nous maintenons le Cap. Dubaï nous confirme que nous sommes dans la bonne direction. La vision qui se dégage en ce moment à Dubaï, pour les quatre années à venir, est de susciter une société de l'information où les technologies de l'information et de la communication accélèrent un développement socio-économique durable pour tous. Le mot d'ordre est clair : Promotion et réalisation de l'accès universel aux services et applications des technologies de l'information et de la communication (TIC) au service du développement durable ! Les buts fixés pour matérialiser cette vision s'inscrivent dans une utilisation croissante de ces technologies mises à la portée de tous au travers de partenariats innovants.

Le Service universel devient le CHANTIER par excellence. Vous comprenez l'importance pour le Conatel du projet scolaritech qui, dans le cadre de ce service universel, essaie de doter les écoles du pays de laboratoires d'informatique et d'une connexion à l'Internet. Nous travaillons avec les opérateurs afin que les provisions en matière de service universel dans leurs contrats soient respectées. Vous voyez donc que nous sommes dans la ligne de Dubaï. Mettre les TIC au service des écoles de la République est un pas de géant vers le développement de la société de l'information.

Le Nouvelliste : Allons-nous voir l'arrivée de nouveaux opérateurs? Dans de nouveaux champs de services? La question est à l'étude. Il y a d'abord un processus d'évaluation et un processus de passation de marchés à mettre en œuvre.

Le Nouvelliste : Plus précisément, le cas de la Haitel est-il définitivement évacué? Y aura-t-il un nouvel opérateur pour la téléphonie dans les mois ou dans les années à venir? Le cas Haitel, comme vous le dites, relève maintenant de la Direction générale des impôts. Le Conatel n'a plus rien à voir avec la Haitel.

Le Nouvelliste : Le dossier de la portabilité des numéros est l'une de vos préoccupations ; concrètement où en sommes-nous? Le processus de passation de marchés a pris un peu de temps. Mais il est entièrement bouclé en ce moment, et ce, conformément aux lois. Depuis janvier, une interaction régulière se fait avec les opérateurs pour la mise en œuvre de la plate-forme. Donnons-nous rendez-vous au dernier trimestre 2014.  

Le Nouvelliste : Les compagnies mobiles continuent d'offrir un service de qualité aléatoire, des fois médiocres, que propose le Conatel pour les pousser à faire mieux? Les responsables des compagnies de téléphone sont déjà montés au créneau pour faire le point sur cette situation. Quant au Conatel, il apprécie les règles, les standards et les normes en la matière pour comprendre ce qu'il y a lieu de rectifier. Pour la première fois, le Conatel a fait l'acquisition des équipements nécessaires au contrôle de qualité. Un service spécial, créé à cet effet, se déploie en ce moment à travers le pays. Nous informerons le public au fur et à mesure. 

Le Nouvelliste : Défendez-vous au Conatel les consommateurs de services de télécommunications? Internet, téléphone, données, le consommateur haïtien peut-il recourir au Conatel s'il se sent abusé, volé? Le rôle du Conatel est de défendre les intérêts de la société haïtienne en s'assurant qu'un service de qualité soit donné à tous dans la concurrence libre et loyale. Les consommateurs doivent trouver une oreille au Conatel. C'est ce qui a conduit le Conatel à monter un service de doléances pour pouvoir les entendre. Ils nous aident aussi à évaluer la qualité du service. Mais attention, certaines plaintes des utilisateurs de téléphonie relèvent du code du commerce et certaines plaintes des auditeurs de radio et de télévision relèvent du code pénal. Ils doivent aller directement les porter devant les tribunaux. Il y a une parfaite corrélation entre le système régulatoire et le système judiciaire.

Le Nouvelliste : Dans le secteur de la télévision, comment avance le passage vers le numérique? La transition est une affaire nationale. Elle est donc intrinsèquement inclusive et participative. C'est pourquoi nous sommes en train de collecter, à travers le pays, les préoccupations et les points de vue des opérateurs concernés. Beaucoup de questions doivent entraîner des réponses. Pendant que nous traitons l'information collectée, nous continuons le travail de planification et de structuration.

Le Nouvelliste : Allons-nous être prêts? Haïti peut-elle retarder l'entrée dans le numérique? Quelles seront les conséquences d'un retard? Le principal enjeu pour Haïti est de tirer profit du dividende numérique et des opportunités en termes de qualité de son et l'image et de services de la télévision numérique. Et puis, s'arranger pour ne pas se mettre en retard par rapport aux autres pays de la région. Nous allons maîtriser notre calendrier strictement autour de ces paramètres.

Le Nouvelliste : Dans un récent communiqué le Conatel menace certaines stations de radio. Pour ceux qui ont lu la loi, ce n'est pas le job du Conatel. Qu'en dites-vous? D'abord, soyons précis dans le choix des termes utilisés. Un rappel n'est pas et n'a jamais été une menace. Le Conatel n'a jamais menacé les stations. Le Conatel leur a fait injonction de respecter la loi. Rien d'autre. Ce que le Conatel a fait, c'est ce que la FCC qui est l'instance de régulation des Etats-Unis d'Amérique fait quotidiennement, c'est ce que font tous les régulateurs à travers le monde. Et c'est même ce que fait régulièrement le Conatel, le régulateur haïtien, avec les opérateurs de télécommunications. 

Maintenant, j'aimerais dire publiquement que je comprends l'inquiétude des médias. L'histoire de mon pays pourrait même donner une certaine justification aux craintes des uns et des autres. Nous sommes tous conscients de la permanence du combat pour la démocratie. Je comprends que la liberté d'expression s'acquière et se défende. Lorsque les institutions publiques interviennent dans le jeu dans le respect des lois, cela ne peut que renforcer la lutte démocratique et non l'affaiblir. A mon poste, j'ai toujours défendu d'abord les principes et ensuite les principes. La lutte démocratique se mène d'abord sur le terrain de la loi.

Dans un premier temps, essayons de répondre à cette question élémentaire : à quelle loi sont soumises les stations de radio ou alors y aurait-il une option où elles ne seraient soumises à aucune loi ?

La régulation se fait avec les lois. Un régulateur est l'instance qui, pour un secteur donné, veille à l'application des lois, et, le cas échéant, les complète ou les précise en prenant des règlements. Sans loi, il n'y a ni régulateur, ni régulation, ni régulé. Ce serait le désordre absolu. Les télécommunications en Haïti sont régies par deux textes majeurs : le décret du 12 octobre 1977, en dépit de ses faiblesses, qui constitue la loi cadre du secteur des télécommunications et le décret du 10 juin 1987 qui représente la loi organique du Conatel. Après cela, nous avons plusieurs autres textes mineurs. Les stations de radio refusent l'application du décret de 1977 alors qu'il s'impose déjà à tous les autres opérateurs de télécommunications en Haïti. Déclarer qu'il est désuet ne tient pas. Tout le monde sait que les lois restent en vigueur tant qu'elles n'ont pas été abrogées par une autre. C'est un principe. Ensuite, dire que cette loi ne devrait pas être appliquée parce que c'est un héritage de l'époque des Duvalier est un mauvais argument. Le code pénal haïtien est truffé de textes datant des Duvalier. Pourtant, ce code pénal régit la vie de nos tribunaux au moment où je vous parle.

Allons encore plus loin. Toutes les licences, concessions, autorisations sont données en vertu du décret du 12 octobre 1977. La gestion des fréquences se fait en fonction des prescrits de ce décret. Puisque le décret date du temps des Duvalier, pourquoi les opérateurs ont-ils accepté de mener leurs démarches et de signer des contrats pour des stations de télévision ou de radio sous l'égide de ce décret ? C'est un décret à tiroir. Quand c'est dans notre intérêt, on oublie qu'il a été adopté sous la dictature. Et quand ce n'est plus dans notre intérêt, on ne veut plus entendre parler de ce décret. Près de trente ans après le départ de Duvalier, dire qu'une loi d'usage courante n'est pas applicable uniquement parce qu'elle date de Duvalier sans se croire obliger de démontrer les dispositions qui seraient contraires à la Constitution de 1987 me paraît un peu surprenant. On ne peut plus continuer à crier en même temps « Vive le décret du 12 octobre 1977 ! A bas le décret du 12 octobre 1977 ». Faut-il moderniser le cadre juridico-règlementaire actuel ? La réponse est un grand OUI. Et le CONATEL a tout fait pour l'adoption d'un nouveau cadre. Les propriétaires de stations de radio peuvent en témoigner. Maintenant, répondons à la question, était-ce le JOB du Conatel ?

Parlons des attributions du Conatel et, plus précisément, de son organe exécutif qui a la personnalité juridique et constitue la composante de cette instance pouvant prendre des décisions imposables aux tiers. L'article 7 alinéa g du décret du 10 juin 1987, fait de lui l'instance en charge de veiller à l'application des prescriptions de la loi sur les télécommunications. En conséquence, c'est bien le job du CONATEL d'appliquer les dispositions du décret du 12 octobre 1977 dont fait partie l'article 139 qui règle les problèmes de gestion du contrat passé entre l'Etat haïtien et les propriétaires de station, et non les délits de presse relevant du droit pénal. Venons-en à la raison d'être de ce communiqué. Vous savez comme moi que Radio Zénith, depuis quelques temps, diffuse systématiquement sur les ondes de fausses informations ou des informations privées protégées par la loi. Laissez-moi, par exemple, évoquer le cas de ces malheureuses marchandes qui ont été se plaindre de la radio Zénith dans une émission de Télé Ginen. Après des prêts obtenus, leurs noms et le montant des prêts ont été diffusés sur les ondes, ce qui aurait pu avoir des conséquences néfastes pour ces combattantes de l'économie nationale. Parlons de cette annonce de la démission du Premier ministre la veille du carnaval. Ensuite, cette même radio a annoncé que le chef de la Police a été battu au palais national. Remarquez que le Conatel a attendu plus de deux mois avant de réagir. Le Conatel a confirmé qu'il s'agissait bien là d'une tendance et non d'un accident. Toute personne responsable comprend que le communiqué du Conatel est un rappel aux droits et aux devoirs des citoyens. Encore une fois, je comprends les réactions des uns et des autres. Mais personne n'a osé condamner publiquement les faits reprochés à Radio Zénith. Au contraire, tous ont été lui montrer leur solidarité. Or, les faits sont là. Le directeur de la Police a publié une lettre relatant les faits le concernant. On peut avoir sur youtube la plainte des marchandes. Je vous donne l'adresse du site : https://www.youtube.com/watch?v=IvVWm4a_Dd4 Ces marchandes auraient pu être nos sœurs, nos tantes, nos femmes. La société leur droit protection.

Je ne peux aujourd'hui que regretter les entraves mises par les uns et les autres à la régulation du secteur de la radiodiffusion. Je terminerai en disant que je viens de lire l'analyse succincte de l'état de la radiodiffusion haïtienne du journaliste Daly Valet. Je salue tout simplement son courage car je sais ce que c'est que d'oser dans le sens du bien de tous. Au moins, cette situation a le mérite de lancer un véritable débat sur la radiodiffusion en Haïti. Ayons le courage d'y participer après l'engagement de certains.

Propos receuillis par Frantz Duval

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