samedi 26 juillet 2008

Analyse hebdomadaire du Doyen Gérard Etienne


LA RÉVOLUTION (TRANQUILLE) HAÏTIENNE (188)
L’HAITIANOPHOBIE.


HAÏTI OBSERVATEUR. SEMAINE DU 23 juillet 08

Dr Gérard Etienne.

Haitianophobie! Encore un nouveau terme dans le champ de la psychiatrie sociale haïtienne. Appliqué à quelque déviation, ce terme risque de créer des controverses puisqu’il connoterait non pas seulement l’état psychologique d’un individu, mais la haine répulsive d’un peuple, d’une communauté, d’un groupe ethnique contre son contraire morphologique et/ou culturel. Aussi de la même façon qu’on peut parler de La haine de Goliath contre David, de la répulsion des Philistins contre les Hébreux, on peut aussi décrire les Rwandais, les Soudanais, les Serbes, les Chiites, les Nazis comme les prédateurs du genre humain et démontrer que seul le mal absolu peut pousser des peuples à pratiquer le génocide de ceux qui partagent avec eux un même territoire, que l’affrontement des groupes sociaux ne date pas d’hier. D’accord.

Sauf que la sociologie politique nous fournit un instrument d’analyse dont la fonction réside dans la détermination des causes à la base des conflits sous forme de génocides, de guerres civiles, des affrontements armés bref d’une série de luttes sanglantes qui aboutissent finalement `a la disparition d’un groupe ethnique. Ainsi si nous opposons la haitianophobie au nazisme il est évident que nous trouverions dans cette opposition ou des éléments parallèles ou des éléments qui se contredisent ou même ceux pour lesquels on peut trouver des termes d’analyse qui ont entre eux un certain rapport. Sauf qu’intégrés dans la matière sociologique ces termes révèlent d’autres signifiants.

Bien sur que l’antisémitisme demeure la base du génocide des juifs. Mais le massacre des résidants de Raboteau et de la Scierie renvoie à d’autres déterminants que sont la répulsion d’un groupe contre un autre groupe et si l’on veut la haine qui fait perdre tout esprit critique. Mais il y a plus dans l’haitianophobie il y a cette dimension séculaire de notre culture. Tout se passe en effet dans nos conduites comme si les affrontements sanglants ou des guerres civiles qui prolongent l’expérience douloureuse de Toussaint et de Rigaud avaient disparu de notre milieu génétique ; tout se passe comme si depuis des décennies nous avons recouru aux infrastructures de civilisation mises en place pour la disparition complète des crimes du colonialisme de l’esclavagisme et ceci dans le but de confier le pouvoir à un homme. Or c’est justement le contraire qui régit notre vie sous son double aspect psychologique et physique.

En effet en explorant l’histoire on remarque dès les premiers moments de nos luttes sanglantes la manifestation d’une haine diabolique de l’autre et la mise au rancart de la notion de l’identité. .Cette identité, est pour soi ou une arme d’affirmation, (la négritude, le tribalisme, le pouvoir au noir.) ou une arme de destruction physique d’une ethnie (guerre civile contre les Métis massacre des Métis à Jérémie). De sorte que même en nous, l’identité ne sert pas à grand-chose ou plutôt on s’en sert pour s’asseoir autour de la table du grand chef ou pour occuper une fonction prestigieuse.
Maintenant parvenue au stade de sublimation l’identité s’affirme dans le rejet, l’oppression et l’exclusion de tous les variables typiques qui semblent la menacer. Pour les noiristes haïtiens les Métis doivent être considérés comme la négation de la société globale, d’où leur expulsion de l’état féodal. Il en est de même des syro-libanais ségrégés par la bourgeoisie traditionnelle haïtienne; et cette ségrégation se poursuit sous des formes tellement hypocrites que même les grands bâtisseurs de la cité ne s’en aperçoivent pas.

Mais qu’à cela ne tienne l’haitianophobie fonctionne sur deux moments complémentaires c’est, à n’en pas douter, une maladie mentale caractérielle (MMC) mais cette maladie tout en demeurant une blessure psychique peut revêtir d’autres formes axées sur la haine des autres et par extension la haine de soi. Nous touchons là une variable du racisme haïtien car le refus de l’identité haïtienne, la répulsion contre la société haïtienne tout cela nous renvoie à la non acceptation de soi, au refus systématique identitaire (note 1). La problématique est encore plus complexe quand l’identité tient lieu de croyance religieuse et d’obéissance passive au chef. En un mot dans la haitionophobie l’être se trouve en perpétuel mouvement de rejet et de reconstruction; .il ne s’accepte pas cependant il compense ses faiblesses par une identification aux valeurs occidentales.

On pourrait soutenir la thèse à savoir que l’haitianophobie n’est pas une constellation de crimes ou une école dont le programme est axé sur l’organisation du meurtre. Question délicate qui prouverait la légitimité de la violence de l’armée indigène et des cacos. Alors nous aurons une constante qui nous permettrait de classifier l’haitianophobie. C’est tout simplement une déviation par rapport au décodage de la réalité; Cette interprétation de la haitianophobie nous fait éviter une erreur monumentale : lire un monde sous un angle manichéen : le bon d’ un coté les méchants de l’autre.

Par ailleurs il convient maintenant de poser une question pertinente. La fonction de l’haitianophobie dans le mal haïtien. Cette fonction est si fondamentale qu’elle se manifeste sous forme de mythologie qui structure notre vie collective : mythologie du pouvoir de l’identité, mythologie du vaudou, des sorcelleries, de toutes les religions qu’en Haïti nous pratiquons. Sous cet angle on pourrait poser l’haitianophobie comme l’axe de notre culture. D’où la question est-il possible de nous libérer de l’état féodal sans la remise dans le même temps en question d’une maladie qui affecte notre développement.

LA HAINE MALADIVE.

J’entends par haine maladive cette maladie que traîne l’haitianophobe depuis les premiers moments de l’indépendance haïtienne. Autant les nègres créoles réalisaient que l’indépendance de Saint Domingue dépendait de leur union, autant les nègres Métis comprenaient qu’il fallait se rallier aux noirs pour abolir la servitude. Ce fut le premier moment de la manifestation de l’identité haïtienne; c’est pourquoi l’haitianophobie n’a pas été en mesure d’influer sur le compromis historique des créoles et des Métis.

Toutes les typologies du pouvoir (quel qu’il soit depuis celui d’Aristote jusqu'à celui de Max Weber comportent une théorie générale de la puissance partagée par des groupes subordonnés à l’autorité. Nous avons noté l’union des Métis et des Noirs dans la guerre de l’indépendance sauf qu’il faut tout de suite affirmer qu’avant leur union avec les esclaves noirs ces Métis étaient aussi maltraités que ces derniers si bien que la révolution apparaissait comme le seul dénominateur commun de la liberté.

Mais la société esclavagiste de Saint-Domingue comportait une typologie sociale dont le traitement inhumain infligé aux Métis les ramenait à celui des Noirs (non commandeurs) mais si nous allons plus loin dans cette optique il faudrait inclure dans cette typologie sociale les petits blancs liés aux propriétaires d’esclaves par un contrat de trois ans. Là encore ces petits blancs étaient traités comme des esclaves sur certaines habitations

Sauf qu’il nous reste une dernière question il s’agirait de savoir si l’haitianophobie est une maladie mentale. La manière dont les crimes commis par les bossales sont rapportés et décrit, la manière dont les victimes de ces crimes sont présentées au public nous ramène à toute une série de maladie par la perte de contact avec la réalité. A cette perte de contact faut-il ajouter l’empoisonnement, la mort surnaturelle, l’obsession provoquée par une communication tel le pouvoir absolu, l’autorité diabolique. Il n’est plus exagéré d’inclure ici l’haitianophobie dans la classe des troubles provoquant la mort des autres ce qu’on appelle la mort surnaturelle même si les deux crimes se démarquent l’un de l’autre par une série de procédés.

PEUT-ON COMBATTRE L’HAITIANOPHOBIE?

Ou Haïti disparaît dans le crime ou nous orientons le pouvoir vers le bien-être des masses. Il faut appliquer à notre société une série de fonctions que seule une société libérale peut se donner et c’est là, le nœud gordien de notre développement. Tout le monde s’entend pour affirmer que la société haïtienne connaît un certain blocage en matière sociopolitique que ce blocage fait du pays un cercle qui tourne sur lui-même ,qu’ il n existe aucune solution aux multiples problèmes haïtiens; tout le monde s’entend pour se demander jusqu'à quand durera la catastrophe qui s’abat sur le pays et s’il y a quelque part un DIEU de la bienveillance qui sauvera de l’enfer un peuple qui ne sait où donner de la tête afin d’échapper aux affrontements diaboliques.

CONCLUSION

L’haitianophobie ce mal qui ne parvient plus à nous fournir quelques instruments de libération, qui commandent plutôt les masses au lieu de les transformer en forces productives et dans ce cas il faut se demander si les révolutions sont possibles dans une société où n’existent plus des situations révolutionnaires c'est-à-dire des situations qui génèrent des prises de conscience et qui ébranlent des traditions conservatrices. .
Car soumis au machiavélisme il nous est impossible de changer notre société puisque plus ca semble changer plus les loups-garous nous ramènent au même point c est à dire à cette espèce de régime politique qu’est le féodalisme qui lui-même s’était substitué à l’esclavagisme. Et pourtant des signes annonciateurs de changements se manifestent à l’horizon ce qui ne doit pas nous surprendre. Nous l’avons en maintes fois formulé des régimes politiques finissent par s’écrouler sous le poids de leurs contradictions. Or le régime lavalassien se définit par un tas de contradictions, contradictions inter lavalassiennes, contradictions aristidoprevalienne s, contradictions Minustha-PLN, contradictions dans la fonction publique. Il ne sera pas surprenant qu’à un moment donné ces contradictions éclatent, d’où l’émergence d’un nouveau régime. La seule question à se poser sommes-nous prêts pour un nouveau régime politique et quels en seront les nouveaux leaders?

Dr Gérard Étienne.

Note 1 : C’est ce que j’appelle le racisme à rebours dans mes essais.

NOTE Gérard Etienne n’est pas encore rétabli. Mais depuis des mois le sujet de cette chronique le travaille. Alors de son lit d’hôpital il a écrit ce texte et je suis devenue sa dactylographe, respectant son article à une virgule. Bonne lecture.
NATANIA ETIENNE
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This article was first published on
guardian.co. uk on Sunday July 20 2008. It was last updated at 00:00 on July 20 2008.

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