Thèmes de l’Emission de la semaine
Orlando le 9 janvier, 2009
Actualités Politiques : Grandes Lignes
Killick Ray 404-431-0801cel 770-754-0874h
Bonsoir chers auditeurs. Vous écoutez sur les ondes de Radio Classique Inter, l’émission Actualités Politiques, Grandes lignes, animée par Robert Bénodin.
Nous avons avec nous, sur les ondes de Radio Classique inter, L’analyste politique Ray Killick, opinant sur le constat des éléments de blocage d’intégration nationale.
Ray Killick, nous vous souhaitons la bienvenue les ondes de Radio Classique Inter.
RB : Le régime populiste des Duvalier tendait vers sa fin, quand Leslie Manigat avait dénoncé des facteurs de blocage d’intégration nationale. Voilà que 25 ans plus tard vous êtes entrain de faire le même constat sous le régime populiste lavalassien.
Comment se fait-il qu’après plus d’un demi-siècle de régimes populistes de droite et de gauche qui ont confisqué le pouvoir au nom de la défense des intérêts des masses et de leur intégration nationale, qu’on ait exactement le résultat contraire, la régression sociale des masses et l’exode des masses abusées et appauvries ?
RK : Avant de répondre à cette question, parce que vous avez touché à des points très importants. Vous avez parlé de régimes populistes de droite et de gauche. Il me faut définir ce que j’entends par populisme. Le populisme c’est un mouvement politique qui a à sa tête un leader charismatique qui s’engage à exploiter une situation de crise dans une société. Le leader populiste voit et comprend les problèmes. Cependant, il y a deux types de leader. Un qui veut prendre avantage de la crise par le biais de la démagogie pure et simple. Arrivé au pouvoir ce type de poppulisme ne va vraiment défendre les intérêts du peuple. Et l’autre qui fait le même constat, identifie les mêmes problèmes, avec la nuance qu’il s’engage à défendre vraiment les intérêts du peuple. Comme second type de leader, on peut citer Fidel Castro par exemple. Il est un communiste qui a pris le pouvoir pour renverser l’ordre établi par Batista. Cuba, il fut un temps, était le bordel de l’Amérique. Il a pris le pouvoir en tant que populiste et s’est converti au communiste. En tant que tel il a défendu les intérêts de son peuple. On voit aujourd’hui les résultats de ses efforts.
Tandis qu’en Haïti on a des populistes du premier type, qui prennent le pouvoir au nom de la défense des intérêts des masses, le gardent, mais ne font rien. Au pouvoir ils exploitent, exacerbent et intensifient la crise par le biais de laquelle ils confisquent le pouvoir. Au lieu d’y apporter des solutions, ils s’expriment dans un langage qui incite le peuple à la mobilisation, sans offrir de solution. Les 50 ans de populisme qu’on a eu en Haïti, n’a été qu’un demi-siècle de démagogie. C’est le même message qui passe continuellement d’un régime à l’autre et le peuple se fait piéger à chaque fois, de 1957 à 2008. Est-ce que ce peuple comprend de quoi il est victime ?
L’un et l’autre types de populisme exploitent les situations de crise aigues dans une société. Comme Jean Marie Lepain en France avait voulu exploiter une série de conditions pour accéder au pouvoir. L’objectif de François Duvalier ce n’était pas de résoudre les problèmes du peuple, mais la pérennisation de son pouvoir. Jean Claude Duvalier héritant du pouvoir populiste de son père, a choisi pour base de son pouvoir, la jeunesse.
A la chute de Jean Claude, il n’y a pas eu de progrès social réel après 30 ans de pouvoir. Mais de plus, à cause du caractère totalitaire du régime, il a laissé un vide politique faute d’émergence de leadership même à l’intérieur du régime lui-même. A tous les niveaux d’autorités locales, nationales, parlementaires et judiciaires, ce sont les Duvalier qui nomment et révoquent. Toute velléité de leadership qui n’est pas consacrée par le chef suprême est automatiquement suspecte et détruite immédiatement, peu importe les liens de parenté ou autres. Il n’y avait pas de parti politique coexistant sur le territoire. Même le parti de François Duvalier lui-même a dû disparaître après l’émergence de la milice devenue l’élément de base du régime.
De fait le régime qui a accédé au pouvoir, après Duvalier, n’a fait qu’émuler, que copier Duvalier. L’objectif principal est la pérennisation et l’omnipotence du pouvoir. Les discours simplistes prononcés, tel que « Timtim bois sèche » etc. n’ont eu comme objectif que d’infantiliser les masses. Pris au piège, en deux fois par le populisme, les masses ne peuvent pas discerner la cause réelle de leur misère et de leur pauvreté. Elles se laissent prendre par l’incitation à la violence, par l’articulation des revendications, par l’exploitation des ressentiments et par la propagation de la haine. Ces régimes incitent les masses à ventiler leurs frustrations, sans leur offrir de solution réelle. On a l’impression et même la certitude que ces régimes ont intérêt à maintenir leur clientèle, en maintenant les conditions de vie qui entretiennent leurs frustrations.
En fait, même avec un semblant de Démocratie représentative, on ne voit pas les masses questionner la performance de leurs représentants, de leurs mandataires, au moment du renouvellement de leurs mandats. La frustration des masses confuses est fixée plutôt sur d’autres cibles, dans le cadre d’une lutte de classes fictive. Paradoxalement, c’est avec les classes ciblées par les masses que les autorités populistes font copieusement leur beurre.
Tant qu’on aura au pouvoir ce genre de régime populiste démagogique, on n’aura aucun progrès. C’est pour cela qu’après un demi-siècle de populisme, on a exactement le résultat contraire, la régression sociale des masses et l’exode des masses abusées et appauvries.
Il faut d’une initiative qui vient des masses haïtiennes et d’un leadership qui doit contrecarrer le message démagogique et simpliste du populisme. Après 204 ans d’indépendance du premier pays noir, où l’esclave a clamé son humanité, pris sa liberté, déclaré son indépendance et établi une république, plus de la moitié de la population est analphabète et vie dans des conditions abjectes.
RB : Qu’est-ce qui explique le fait qu’après 3 décennies de pouvoir populiste de droite fasciste, reversé le 7 février 1986, que le peuple haïtien ait pu replacer au pouvoir, le 16 décembre 1990, un autre régime anarchopopuliste de gauche et le maintenir en place jusqu'à présent pendant 18 ans ?
RK : C’est un peuple qui, en 1990, avait soif de changement, de justice sociale et de liberté. Il faut comprendre qu’après la forte répression du régime déchu, les masses n’ont pas été les seules à éprouver cette soif. C’est une soif multi-classiste. Après la participation avec succès à l’avant-scène politique du mouvement religieux charismatique, le prêtre Aristide a incité le peuple à le percevoir, comme un sauveur. Il est devenu le champion de la cause populaire. Ayant fait un constat précis de la situation de crise, il s’est décidé de l’exploiter. Il est donc catapulté au pouvoir avec l’espoir qu’il sera le champion de la justice sociale. Qu’il sera celui qui viendra finalement émanciper les masses de la pauvreté, de la misère, de la maladie et de l’ignorance.
La deuxième phase de la question, pourquoi après 18 ans, on soit toujours au même point, le point de départ ? Que l’on aille d’Aristide à Préval, de Préval à Aristide et enfin d’Aristide à Préval, il n’y a rien de changer. C’est pour cela que j’ai écrit un article intitulé « La déshumanisation du peuple haïtien ». Nous avons deux nations dans le pays. Une nation de nantis, tous ceux qui appartiennent à cette nation de nantis, ne sont pas forcément riches. Ce sont ceux qui sont instruits, des professionnels, qui ont accès à l’éducation, qui sont des privilégiés de la société. Ils constituent une caste. Ils vivent à part. Ils appartiennent à une autre nation. De l’autre, on a un autre peuple démuni, dépourvu de tout. C’est le peuple des restavec, des gérants de cour, des bonnes, des madansaras des paysans etc. qui n’ont aucun accès, aucune opportunité. On a donc deux nations qui coexistent dans un même Etat. Quand un leader entreprend de jouer le rôle de défenseur des intérêts de la nation méprisée, elle devient réceptive à son message démagogique ou pas. Dans une situation de crise, le langage populiste devient la bactérie qui se nourrit de l’infection. Les prises de pouvoir qui ont eu lieu en 1991, 1996, 2001 et en 2006 au non de la défense des intérêts des masses, n’ont offert aucune solution, mais seulement que des revendications. Ils n’ont eu aucune vision, que la pérennisation et l’omnipotence du pouvoir. Or on ne peut pas changer Haïti sans les masses haïtiennes. Avec une majorité d’analphabètes, une majorité de chaumeurs, une majorité de sans métier, on ne peut pas développer un pays. On est obligé d’investir un minimum dans les ressources humaines.
Pour répondre à la question, il est plus facile pour l’anarchopopuliste de jouer le rôle de la bactérie dans l’infection, que de la guérir. La présence de l’infection demeure le milieu ambiant favori pour la survie de la bactérie.
RB : La production agricole ayant virtuellement disparu avec la faillite de l’Etat, n’y a-t-il pas lieu de redéfinir les models socioéconomiques avec la disparition ou l’affaiblissement du model autonome du paysan ?
RK : Absolument, dans un pays dévasté par l’érosion, qui n’a que 2% de terre arable, peut-on miser sur l’agriculture ? C’est un pays qui a besoin de nouveaux models socioéconomiques. Pas avec ceux qui sont là, mais des dirigeants avec une certaine vision, qui devront s’engager dans la voie de la conception et de la matérialisation de nouveaux models socioéconomiques, avec un plan stratégique étalé sur 20 à 25 ans. Il faut repenser l’Etat. Sans un tel effort, il n’y aura pas de changement. Il n’y aura pas de model socioéconomique viable qui peut amener au développement à court, moyen et long terme avec un Etat populiste en faillite, avec des institutions en pleine déliquescence, à l’ère de la mondialisation. L’éducation des masses, qui rend possible le transfère technologique à tous les niveau, est un pré-requis indispensable dans n’importe quel model socioéconomique. Il faut ouvrir des perspectives pour que le citoyen haïtien devienne fonctionnel dans le cadre de la mondialisation. Il lui faut être capable d’entrer en compétition dans le cadre du marché mondial, pour attirer l’investissement. Ce n’est pas seulement la domination de la corruption et la drogue qui repousse l’investissement. L’ignorance n’attire pas.
RB : Si la République se défini par un Etat où ses citoyens élisent leurs dirigeants directement ou indirectement, comment le manque d’intégration nationale en Haïti suffit-il pour déclarer qu’Haïti n’est pas une République ?
RK : Je n’ai pas dit que le manque d’intégration national suffit pour déclarer que Haïti ne soit pas une république. Qu’est-ce que c’est qu’une république ? On nous dit que les héros de l’indépendance, Dessalines, Pétion, Christophe, ont jeté les base d’une république, pour garantir à toute la nation une vie meilleur. Dans la république, la liberté des citoyens est garantie. C’est un régime qui organise l’Etat, avec des dirigeants dont les pouvoirs sont limités. Ce sont des gouvernants qui sont au service de la population de la république. Une république est un Etat de loi, un Etat de droit, qui protège les droits de la majorité aussi bien que ceux de la minorité. Haïti n’est pas une république parce qu’il n’y a pas le respect de la loi. La constitution n’est pas respectée. Les institutions ne fonctionnent pas. Le pillage des biens publics est toléré. L’abus de l’autorité politique est non-seulement toléré, même encouragé. Haïti n’est pas une république parce que les principes de liberté et du respect de la loi ne sont pas mis en pratique. La république que voulaient créer les héros de l’indépendance, n’existe pas.
RB : La notion d’Etat-nation remontant au xe siècle, a évolué pendant des siècles avec des clivages beaucoup plus profonds que ceux qui existent aujourd’hui dans notre société. Et pourtant le sens d’appartenance nationale a perduré chez ces nations, maintenant cette reconfiguration géographique et démographique pendant plus d’un millénaire.
Qu’est-ce qui vous fait croire qu’Haïti ne soit pas une nation ?
RK : Je ne dis pas qu’Haïti n’est pas une nation, mais qu’il y a deux nations cohabitant ou coexistant dans un même Etat. La Suisse par exemple, malgré la diversité ethnique et de langue, la nation Suisse est une.
Ernest Renan en France a déclaré à la Sorbonne en 1882, que la nation est un principe spirituel, une solidarité. Il y a des mémoires, des gloires et des valeurs communes que l’on partage dans le présent et que nous voulons continuer à vivre ensemble. Or en Haïti après 204 ans d’indépendance et plus précisément après 50 ans de destruction des régimes populistes, que l’Haïtien est prêt à abandonner son pays si on lui ouvre les portes de la Floride. Ceci est clair que le leadership populiste n’a rien fait pour donner à l’Haïtien l’envi de rester chez lui, de vivre sur sa terre natale. On a une majorité qui est une nation marginalisée et une minorité de privilégiée, dont le clivage n’est ni ethnique, ni racial, mais l’absence d’accès à l’éducation, aux opportunités, aux soins de santé, à l’eau potable, à l’information etc.
RB : Il suffit de constater les allocations de fonds du budget de fonctionnement, pour se rendre compte que l’éducation n’est pas une priorité dans ce pays d’analphabètes.
Malgré le fait que la majorité des Haïtiens vivent dans le milieu rural, pourquoi l’allocation de fonds pour l’éducation rurale, soit proportionnellement inférieure à celle du milieu urbain ?
RK : Avec des gouvernements démissionnaires, des gouvernements qui se comportent en monarchie, c’est le pouvoir du plus fort. Bien que ces gouvernants soient élus, ils ne représentent pas vraiment le peuple, parce qu’ils savent que les élections sont frauduleuses. Que leurs pouvoirs ne relèvent pas vraiment des résultats des élections. Que ces élections ne sont pas vraiment l’expression de la volonté générale. Que le renouvellement de leurs mandats dépend plutôt de la volonté du pouvoir ou du régime en place, que celle du peuple. Les autorités sont plus loyales au pouvoir, au régime qu’au peuple qu’elles sont sensées représenter. De plus le gouvernement dépend de l’aide internationale à 65% pour son budget de fonctionnement. Il n’y a rien qui lie le pouvoir en place à la volonté générale du peuple et des contribuables. Ce ne sont pas des gouvernements qui ont aucun intérêt dans la restauration de la dignité d’un peuple. Leurs pouvoirs n’en dépendent pas.
Quel intérêt de tels gouvernements peuvent-ils avoir pour investir dans l’éducation d’un peuple dont son pouvoir ne dépend pas de lui. La présence de ces autorités au pouvoir dépend beaucoup plus des tuteurs étrangers qui les supportent en vérité et en réalité, que du peuple qu’ils gouvernent. Le maintien de l’analphabétisme en Haïti, n’est pas l’effet du hasard. Le secteur privé subit cette handicape. Castro a éduqué son peuple. Cuba, avec 60 milles médecins, envoie des médecins à travers le monde. Haïti n’est pas prêt pour entrer dans la compétition dans le marché de la mondialisation, le XXIe, le siècle de l’information et de la 3e révolution industrielle.
RB : L’élite commerciale et industrielle, certainement a non seulement intérêt, mais le devoir de participation au projet d’éducation, de donner des bourses, de contribuer au financement d’université etc. comme cela se fait partout ailleurs. Elle est de fait le premier secteur bénéficiaire d’une population éduquée.
Mais l’Etat qui gère ce système, ne participe-t-il pas seulement qu’à 20% avec une efficacité qui laisse beaucoup à désirer ?
RK : Il y a deux aspects, le rôle de l’Etat et celui du secteur privé. Il faut qu’il y ait un écosystème pour permettre le développement. Qui a le pouvoir coercitif dans le pays qui peut dicter ce qui doit se faire, et œuvrer à sa matérialisation ? C’est seulement l’Etat qui détient ce pouvoir. Nous avons en Haïti un état autoritaire qui aurait pu à son gré dicter et œuvrer à la matérialisation de l’écosystème, avec pour base l’éducation, une éducation adéquate pour les exigences du XXIe siècle.
Bien qu’Haïti soit un pays pauvre, elle a une ressource puissante, la Diaspora qu’elle doit exploiter. L’écosystème doit être établi par l’état. Mais il y a d’autres acteurs qui peuvent y contribuer. Quel est le rôle du secteur privé ? Le secteur privé a un rôle à jouer étant le premier secteur bénéficiaire d’une population éduquer pour faire croître l’économie par ses innovations, par sa compétitivité. Une population éduquée est le cadre idéal pour l’investissement étranger et national.
RB : N’est-on pas aujourd’hui dans une situation où le chef d’état absolument inconscient de ses responsabilités envers les gouvernés, ne se soucie ni de leur bien-être, ni de leur intégration nationale ?
RK : C’est un chef d’état qui au cour de sa campagne électorale n’a rien promis, n’a présenté aucune vision. Il a été un candidat muet. Est-ce que le peuple doit deviner ce que vous aviez l’intention de dire quand vous n’aviez rien dit ? Ça a été une exploitation flagrante de l’ignorance du peuple. Un tel comportement, c’est un manque de respect irréfutable pour le peuple. Mais il nous faut constater aussi qu’il n’y a aucun sens de responsabilité. Le pouvoir présidentiel, ce n’est pas un bien que l’on hérite, sans obligation. Le président assume une responsabilité morale envers ceux qu’il va gouverner. Le chef de l’état a l’obligation d’assurer le bien être de la nation qu’il gouverne. A cause de l’existence de cette nation de délaissé, de démuni, qu’il perçoit à distance et avec qui, il n’a aucun intérêt commun, il est plus intéressé à défendre les intérêts de sa clic, de son entourage qui supporte loyalement son pouvoir. Alors que cette nation de démuni est en train d’attendre et d’espérer l’avènement d’un leadership capable d’agir à son profit, de l’intégrer et de lui donner accès, la priorité pour ce genre de gouvernement que nous avons aujourd’hui, n’est pas dans ce domaine. Plus le peuple est ignorent mieux ça vaut. Il ne connaît pas ses droits. Il fait moins d’exigence. Il est plus facilement manipulable. Il est plus facilement infantilisé.
RB : Après l’indépendance, les anciens esclaves ont voulu être maîtres et propriétaires de la terre. Les bossales ont voulu recréer le model tribal africain. Les deux capillarités sociales qui leur ont été disponibles, quand ils peuvent y avoir accès, sont l’éducation et l’enrôlement dans l’armée.
Connaissez-vous un exemple d’intégration sociale dans les pays pauvres ?
RK : Bien sûr, je l’appelle le phénomène de la mondialisation. C’est un phénomène qui interpelle votre conscience et votre présence d’esprit, dans le sens que c’est un catalyseur indirect. Quand on voit l’insertion des autres pays dans ce cadre, on se rend compte que l’intégration ne peut se faire que part l’éducation, facilitant, conditionnant le transfère de technologie. Il faut que le terrain humain soit préparé, éduqué, pour recevoir les bénéfices de l’intégration dans le marché mondial. Il faut avoir quelque chose à offrir pour pouvoir en bénéficier. Le saut qualitatif honnête, passant du prolétariat à la classe moyenne, passe par l’éducation. L’éducation est une valeur universelle. L’absence d’éducation est un élément de blocage à la mobilité sociale et à l’intégration sociale. Est-ce que le peuple haïtien n’a pas l’obligation d’exiger son droit à l’éducation ?
RB : Ceux qui ont été les fondateurs de la nation ont-ils jamais eu aucune notion de ce qu’est l’Etat-nation ? Après l’indépendance n’a-t-on pas eu des chefs d’état et des ministres illettrés ?
RK : Je ne peux pas dire qu’ils n’ont pas eu une notion de l’Etat-nation. Ils ont fondé une république. Ils ont manifesté cette volonté. Ils l’ont rédigé. On a une Constitution qui définit clairement les principes universels de droits de l’Homme et du citoyen. Pétion a montré des tendances républicaines, la coexistence du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, le libéralisme du XIXe siècle, les grandes idées de l’époque. Il s’est aussi débarrassé du Sénat. Dessalines a établi un empire et Christophe un royaume. Ces formes de gouvernement n’ont aucun conflit avec la notion d’Etat-nation. Mais la volonté d’intégration nationale n’a pas été manifeste dès le début. Il n’y a pas eu d’effort d’intégration nationale par nos gouvernements. Ils se sont battus entre eux, avant et après la guerre de l’indépendance. La répartition des terres, les dettes de Boyer sont des choses catastrophiques qui ont eu lieux dès le début. C’est un manque de volonté, au départ, d’imposer et de vivre selon les valeurs républicaines universelles, les idéaux de liberté et d’égalité, établies par la première Constitution.
RB : Leslie Manigat n’a pas pu accéder au pouvoir en 2006 certes. Mais comment expliquer que pendant 30 ans on a eu Duvalier père et fils et pendant près de 20 ans, on a eu Aristide et Préval avec l’alternance de deux mandats chacun. Il est évident qu’ils ne se sont pas propulsés et maintenus au pouvoir tout seul.
Quel groupe d’intérêt multi-classistes a pu réaliser cette performance avec la complicité de la communauté internationale ?
RK : Manigat est un leader d’envergure. Il y a 25 ans, il a fait le constat du blocage d’intégration nationale. Il a eu un discours peut être trop élevé pour la population. Il n’a pas articulé un message qui aurait pu inciter cette majorité de démunis à faire de lui le champion de leur cause. Car il faut le reconnaître, il a mis le doit dans la plaie, en dénonçant les éléments de blocage. Mais c’est Aristide qui a délivré le message, avec l’antagonisme nécessaire, auquel les masses ont réagi évoquant le même sujet. Manigat n’a pas eu le langage, le verbe populiste. Le langage qui incite le peuple à la mobilisation et à l’action, ce n’est, ni la raison, ni l’analyse. C’est un discours, sans substance, simpliste, infantilisant. Ça peut expliquer pourquoi il n’a pas pu prendre le pouvoir.
Il nous faut reconnaître que le discours populiste est pour beaucoup dans le succès de Duvalier et d’Aristide pour accéder au pouvoir et s’y maintenir en dépit de leurs échecs manifestes. Il y a aussi le fait que les partis de gauche socialistes, communistes et autres ont reconnu en Aristide un leader autour duquel ils pouvaient s’unifier pour la prise de pouvoir.
Leur présence au pouvoir malgré 50 ans de situations de crise utilisant la force et exploitant l’ignorance des masses démunies, montre qu’il n’y a pas encore une alternative qui soit offerte dans un langage compréhensible aux masses démunies, pour les convaincre d’une alternative dans laquelle, elles se reconnaissent. Certes, avec des masses analphabètes, c’est une question de langage, d’oralité. Mais ce n’est pas une question d’expression savante, d’analyse, de raison et de didactique académique. Ces masses vont persister à suivre, même vers l’abîme, le langage de ceux qui les font vibrer au diapason et à leurs fréquences. C’est une simple question plutôt d’affinité que de raison.
Bien sûr, il y a une complicité internationale. Duvalier a bénéficié de la guerre froide. L’Ouest n’a pas voulu que Castro exporte le communiste dans les Caraïbes. Le retour d’Aristide au pouvoir en 1994, vient du fait que les pays sud-américains ont voulu mettre fin au coup d’état militaire. Mais Aristide en 2003 a menacé l’Américain en disant, qu’il allait faire une invasion des cotes de la Floride par les boat-poeples. Cette menace a tout chambardé. La décision est prise pour mettre Haïti en quarantaine. Ils ont voulu démanteler Aristide, mais pas le régime lavalas. Lavalas étant un mouvement populiste qui parle le langage du peuple pour le tenir en laisse, l’opium du peuple. C’est ainsi que Préval est retourné au pouvoir littéralement sans mot dire. Ils ont bloqué le deuxième tour pour donner le pouvoir à Préval, malgré une violation constitutionnelle flagrante.
RB : Pour ce que vous avez fait comme constat concernant le comportement du régime en place, est-il capable de gérer un projet d’intégration nationale ?
RK : Quand un problème est créé par une entité, la même entité ne peut pas le résoudre. De l’indépendance à nos jours deux nations ont évolué dans le temps séparément. Une qui n’a connu que la souffrance, la marginalisation et l’autre qui vit dans de meilleur condition. On ne peut pas demander à ces populistes de penser à la gestion de l’intégration nationale, ils ont contribué au maintien de cette séparation. Un leadership qui a échoué ne peut pas reconstruire ce qu’il a lui-même détruit, que ce soit dans le domaine politique ou privé. Quand un leadership échoue, il faut le remplacer par un leadership nouveau. Comme vous avez l’habitude d’écrire « Il faut des hommes neufs pour créer un monde nouveau. » Il faut pour gérer le projet d’intégration nationale ou de transformation nationale, un leadership nouveau, avec une culture d’exécution, avec des apports du peuple et de tous les secteurs de la société. C’est un projet républicain, basé sur la liberté individuelle, la suprématie de la loi, l’Etat de droit, la limitation des pouvoirs des gouvernants, le contrôle de la gestion des gouvernants. Pour que l’on accomplisse cette transformation, tous les secteurs de la société doivent participer et jouer leur rôle. Un parti politique par exemple, doit avoir accès à la radio pour former et informer le public. Il faut au pouvoir un régime qui ne soit pas démagogique, mais qui parle le langage qui mobilise et incite le peuple à défendre sa cause.
RB : Quels sont les bénéfices à court, moyen et long terme qui peuvent inciter un gouvernement à envisager un tel projet ?
RK : Haïti, étant un pays qui au temps de la colonie représentait les 2/3 du commerce extérieur de la France, est devenu un pays qui a perdu en 204 ans tout son potentiel agricole. On a un pays sans ressource, un peuple analphabète, en plein dans la mondialisation, ayant le besoin de rejoindre le XXIe siècle. Ce n’est certainement pas un projet à court terme. C’est un projet à long terme, qui exige un investissement sérieux dans l’éducation, pour augmenter la compétitivité de l’économie nationale. On a l’exemple du model chinois et du model indien qui ont fait de tels investissements, et qui sont en train d’en tirer profit aujourd’hui. La Chine est en train de développer une classe moyenne qui sera le double de celle des Etats-Unis. La Chine, les Indes, les Etats-Unis vont se chercher des pays émergeant pour ouvrir de nouveaux marchés. Ils vont investir dans des pays qui sont préparés à recevoir ces investissements. C’est dans les pays en voie de développement qui se sont préparés que l’une des prochaines vagues de la mondialisation va s’épandre. Voilà ce qui peut changer Haïti.
RB : Quels sont les pré-requis et les conditions qu’il faut avoir pour pouvoir entamer un projet d’intégration nationale ?
RK : Premièrement, il faut avoir la volonté politique. La structure ne suffit pas. Il faut avoir le leadership. Il faut des hommes neufs pour créer un monde nouveau. Il faut un leadership avec la culture d’exécution, déterminé à vivre les valeurs universelles, honnêteté, probité, sens de responsabilité, sens de suivi. Un leadership prêt à collaborer avec les deux nations, pour les rapprocher et les intégrer dans une même nation. Le leadership est fondamental comme pré-requis. Il faut que ce soit un leadership qui peut s’adresser aux masses, pas pour diviser mais pour unir. Pour déloger la culture de destruction, il y a un travail de conscientisation qui doit se faire. Il faut obligatoirement que les masses jouent un rôle dans leur intégration, pour avoir un sens d’appartenance, et défendre ce qui lui revient de droit.
Il faut se trouver des alliés internationaux. On ne peut pas faire cette transformation dans l’isolement. La partie réactionnaire du milieu international qui ne veut pas de changement, va se lier aux réactionnaires nationaux pour vous faire échouer. Ce leadership comme pré-requis doit prendre le pouvoir, pour exécuter un tel plan. Il ne peut pas le faire en dehors du pouvoir.
RB : Quels sont les facteurs de réticence auxquels on doit s’attendre ?
RK : Après 50 ans de populisme, il faut croire qu’il y a un établissement politique de cette faune de rétrograde et de réfractaire. Ils constituent une force dans ce pays, qui veut maintenir le monopole du pouvoir. Ils ne vont pas vous rendre la vie facile. Ils sont contre tout changement. Peu importe le changement, il dérange ceux qui sont déjà établis dans leur confort, dans leur culture. Il faut que ce nouveau leadership soit prêt à vaincre cette réticence. Il faut qu’il se donne les moyens pour le faire.
Le projet d’intégration nationale en soi, est une révolution. Il y a des classes d’individus qui ne sont pas des citoyens à part entière. Il y a des classes d’individus qui vont s’opposer naturellement à leur intégration. Il ne faut pas se faire d’illusion.
RB : Quels sont les signes indicateurs du succès du projet d’intégration ? En d’autres termes qu’est-ce qui peut indiquer que l’on est sur la bonne voie, ou le contraire ?
RK : Le premier signe de succès se manifestera dans les représentants que le peuple se choisi pour défendre ses intérêts. Il se cherche des représentants qui donnent des résultats. Le deuxième indicateur de succès c’est le progrès des éléments de base du projet d’intégration, tel que l’éducation. Il faut évaluer sur tous les angles la qualité de l’éducation et la transformation quelle opère. Il faut évaluer la mobilité sociale des démunis, l’effet de l’intégration sur l’économie. Il faut observer l’augmentation graduelle de la classe moyenne.
RB : Un régime populiste a-t-il intérêt à s’engager dans un tel projet ?
RK : Pas du tout, les régimes populistes que nous avons vécus depuis 50 ans en Haïti, sont démagogiques. Ils disent des choses. Mais ils n’ont aucune compétence. Ils n’ont aucune volonté pour opérer aucune transformation. C’est comme une bactérie qui se nourrit d’une plaie. Ils vivent des divisions sociales et des clivages sociaux. Ils sont en train d’exploiter et d’exacerber la colère du peuple. Les régimes populistes du genre que nous avons connu en Haïti, ne peuvent offrir aucune solution aux crises qu’ils exploitent. Le populisme de Castro ne répond pas non plus aux exigences du XXIe siècle dans les conditions géopolitiques actuelles. On peut avoir des gouvernements de gauche et de droite en Haïti, mais la monopolisation du pouvoir à vie est inacceptable. Il nous faut établir une vraie république, un Etat de droit. Cela exige un nouveau leadership. Je ne crois pas qu’un leadership populiste soit capable d’entreprendre un projet d’intégration nationale. Ce serait se réinventer. Ce serait altérer sa vision du monde. Ce serait réinventer sa culture. Ce qui est impossible.
RB : Je te remercie pour ta participation brillante à cette émission. J’espère pouvoir t’inviter pour une prochaine fois.
RK : Ça a été un plaisir pour moi de te parler et de participer à l’émission. Tu m’as posé des questions assez difficiles, mais pertinentes. J’espère que l’audience les apprécie. Ça a été un plaisir.