lundi 20 juillet 2009

Haïti : Touriste en Larmes.


Par Cyrus Sibert
Radio Souvenir FM, 106.1 :
souvenirfm@yahoo.fr
Le Ré.Cit. :
www.reseaucitadelle.blogspot.com/

Cap-Haïtien, le 20 Juillet 2009

Ce dimanche 19 juillet 2009, rien n’a été plus dur pour nous que de consoler une dame de la diaspora en larme. Dans un hôtel de la place, Jeannette, 51 ans, résidant à New York, était inconsolable. Elle n’a jamais vu autant de misère durant toute sa vie. Toutefois, elle ne regrette pas d’avoir décidé de visiter son pays natal. Après nous avoir parlé, elle garde l’espoir de voir changer la situation. Elle peut maintenant comprendre l’offrande de quelqu’un qui décide de revenir en Haïti pour mettre ses connaissances et ses relations au service du peuple. Elle promet de revenir au pays. Elle compte nous aider à promouvoir le mot d’ordre de boycott de l’Aéroport de Port-au-Prince, en vue de pressurer les forces d’inertie de la capitale de construire l’Aéroport du Cap-Haïtien, une infrastructure indispensable au développement touristique de la Cote Atlantique d’Haïti.


Tout a commencé dans la salle de réunion d’un hôtel de la place. Coïncidence heureuse, Tourinord/USA rencontrait des responsables de la région, le Maire de Limonade, son équipe et le délégué du département du Nord. Réseau Citadelle était invité à couvrir l’événement qui vous sera rapporté dans un autre texte avec plus de détails. A cinq (5) mètres de nous, une dame était attablée. Elle nous paraissait triste, les yeux irrités : on dirait une dame au bord de la dépression. Malgré notre travail de journaliste affairé dans le reportage du lancement du projet écotourisme du Rév. Daniel Ulysse, nous l’avons abordé, nous présentant tout en lui demandant si tout allait bien. Nous nous attendions à un dossier sentimental. Nous avions agi dans l’intention de voir s’il n’y avait pas un projet de suicide. Nous étions armés d’arguments en ce sens pour la réconforter un peu et éviter un drame.


Grand était notre étonnement quand notre interlocuteur s’est effondrée en larmes, choquée par la misère qui frappe le pays. Nous étions embarrassés. Car, elle pleurait la vie quotidienne de la majorité des haïtiens. Certes nous savons que la situation est inhumaine en Haïti. Nous avons voulu pleurer avec elle, mais nous sommes trop immunisés par la misère pour être choqués au point de pleurer. Elle était inconsolable. Nous voulions pleurer aussi, car au fond elle avait raison, de plus ne pas pleurer signifierait de l’insensibilité, mais pas une goutte d’eau. Nous étions très embarrassés par la situation.


Elle nous a expliqué qu’elle n’a pas de problème avec la cuisine haïtienne. C’est son pays natal. Elle n’a pas peur d’Haïti. A ceux qui la déconseillaient de rentrer au pays, elle avait répondu que dans les années 80, quand elle devait résider aux États-Unis, de mauvaises nouvelles venaient de l’étranger. Tous ceux qui aujourd’hui refusent de visiter leur pays en prétextant l’insécurité ont accepté d’immigrer à New York, alors que cette ville américaine était réputée violente et peuplée de gangsters. Si aujourd’hui, ils ne veulent pas voyager en Haïti, c’est parce qu’ils ne voient aucun moyen d’y faire fortune. La preuve quand ils ont l’assurance d’être casés à la tête de l’Etat, ils s’y rendent. Ce n’est pas ça son problème, pas l’absence de modernité, pas l’absence de luxe. On doit pouvoir arrêter sa vie ultra luxueuse pour visiter sa famille là où elle est. Son problème, elle ne croyait pas que les gens étaient aussi misérables. Elle a vu trop de misère. Et cela l’a rendu triste et inconsolable : Je ne pouvais pas imaginer que mon peuple vivait dans cet état. J’ai passée environ 31 ans aux Etats-Unis. Avant, les gens vivaient en Haïti. Les familles recevaient les invités dans de bonnes conditions. Même quand le lit était en bois avec des matelas construits de façon artisanale, on vous recevait. On était fier de défaire la malle familiale pour recevoir un visiteur avec des draps propres. On mangeait du mais moulu, du petit mil, de la patate, des ignames, etc., mais, il y avait quelque chose à manger. Aujourd’hui, les gens résident dans des taudis, des trous à rats, au voisinage d’un canal aux eaux usées, avec les latrines, la cuisine, les détritus, tout au même endroit et cela crée la promiscuité pour des fillettes qui n’arrivent pas à avoir un peu d’intimité. C’est écœurant ! A l’aéroport François Duvalier on pleurait le fait d’abandonner son pays. Même dans la pauvreté, la famille existait. Il y avait une vie privée. Aujourd’hui tout se fait dans la rue : la lessive, la toilette, la cuisine, l’amour… Même mon petit chien ne vit pas dans cette situation.


Elle fait une pause pour pleurer. Et moi, j’étais très gêné. Car en plus du fait pour moi de ne pas pouvoir verser des larmes, les passants risquent de croire autre chose…

Puis, elle recommence ! Je pleure pour avoir été égoïste. Je n’ai pas fait assez. On ne devait pas abandonner nos familles à ces dirigeants insensibles et irresponsables. On n’avait pas donné assez ! Même quand, chaque année, je fais des transferts d’argent pour supporter ma famille qui réside dans le Sud du pays, cela ne suffit pas. Les malheureux que j’ai vus dans le Nord sont aussi des haïtiens. Ils sont aussi mes frères. Je me sens coupable de leur sort.


Pour mettre un terme à cette situation embarrassante, nous avons utilisé les premiers arguments venus ; nous avions tenté de la consoler :


Un argument biblique : Joseph a été vendu comme esclave en Egypte afin de supporter son peuple durant la famine. Dieu a fait réserve de vous, en vous permettant de résider aux Etats-Unis pour pouvoir sauver votre peuple en situation difficile. Il suffit d’être consciente de la mission.


Un argument politique : Il ne faut plus supporter les démagogues, car ils vous manipulent et vous empêchent de les pressurer faisant de vous les complices de leur méchanceté contre le peuple haïtien. Pour combattre les duvaliéristes, vous avez supporté sans retenue des hommes politiques haïtiens. Vous avez dépensé beaucoup d’énergie sous la neige pour les aider à faire pression sur les dirigeants américains et obtenir le support de Washington. Vous avez fait tout cela sans exiger des comptes. Conséquence, quand le train a déraillé vous n’avez pas pu voir à tant. Le pire, beaucoup d’entre vous continuent de supporter ces dirigeants avec un esprit fanatisé. Vous n’avez pas pris le recul nécessaire pour évaluer la situation. Finalement beaucoup d’entre vous, font d’un mouvement pour le progrès en Haïti un culte personnel. Il faut supporter ceux qui par leurs œuvres en Haïti prouvent leur bonne foi, leur amour, leur crédibilité et leur engagement en faveur du peuple haïtien, non ceux qui ne voient leur action sur le terrain que seulement en devenant Président d’Haïti. Il faut aussi évaluer sans relâche. Plus de chèque en blanc à « Ti nèg, aysyen ti zorèy », car chaque haïtien – pour ne pas dire chaque homme - est un dictateur potentiel. La seule façon de protéger le peuple contre ces gens est d’évaluer leur situation. Pour ne pas se retrouver prisonnier de leur machine de propagande, il faut toujours investiguer.


Un argument pratique : Nous lui avons présenté le projet écotouriste. Un projet qui prévoit des villages touristiques dans différentes communes de la Côte Atlantique du Pays (Nord-ouest, Nord, Nord-est) pour accueillir d’abord les amis de la diaspora dans un cadre normal- pas trop luxueux mais dans des maisons offrant le maximum pour un séjour confortable au pays natal, sécurisé et avec des visites guidées. Aussi, lui avions-nous présenté la possibilité, la facilité et les avantages de visiter le Nord d’Haïti en transitant par la République Dominicaine.


Le sourire retrouvé, nous échangeons nos coordonnées. Elle fut joyeuse d’entendre qu’il y avait des initiatives pour remédier à la situation. Elle promet de revenir au pays l’année prochaine avec ses enfants, en transitant bien sûr par la République Dominicaine. Elle compte nous aider dans notre campagne de boycott de l’Aéroport de Port-au-Prince en vue de faire échec aux monopoles qui font obstacle à la construction de l’Aéroport du Cap-Haitien. Nous lui avons dit clairement que le salut du peuple passe par le développement du tourisme qui est une locomotive capable de tirer d’autres secteurs et de créer des emplois. ‘‘Des emplois’’, c’est ce qu’il faut en Haïti. Cela passe par le tourisme. C’est ce qui nous pousse à appeler au boycott, l’arme des non-violents comme Martin Luther King et Mahatma Gandhi. Ainsi, il faut conseiller aux amis de la diaspora de ne plus jeter le bébé avec son bain. Ils doivent établir une différence entre le gouvernant et le pays, entre l’Etat et la Nation. Souvent, à force de critiquer les gouvernants, on finit par dénigrer son pays et ne plus vouloir entendre parler de la terre natale. On continue de visiter des pays plus violents qu’Haïti, des pays de la Caraïbe comme la Jamaïque, de l’Amérique latine comme le Mexique, le Brésil, la Colombie… Le pire, on s’accroche aux Etats-Unis malgré les scènes de tuerie dans les Universités, la destruction de World Trade Center et les incessantes alertes de Homeland Security et de la CIA aux éventuelles attaques de l’organisation terroriste Al Qaeda.


RESEAU CITADELLE (Le Ré.Cit), le 20 Juillet 2009, 17 heures 37.

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