lundi 3 août 2009

ERREURS JUDICIAIRES ou ERREMENTS … ?

COUR DE CASSATION : UNE ETUDE DE CAS

Par : Me Thierry MAYARD-PAUL

ERREURS JUDICIAIRES ou ERREMENTS … ?

Le 26 juillet 2007, la 1ère section de la Cour de Cassation de la République a rendu, dans un procès en diffamation entre M. Yves Germain JOSEPH (partie civile) et les sieurs André DAUPHIN et François Yves JOSEPH, directeur et contrôleur de la BPH (partie prévenue) et la Banque de la République d'Haïti, (partie civilement responsable), l'arrêt suivant: « Par ces motifs, la Cour, le ministère public entendu, écarte la fin de non-recevoir de ce dernier ; casse et annule l'arrêt de la cour d'Appel de Port-au-Prince rendu entre les parties, le 31 juillet 2006… renvoie la cause et les parties par devant la Cour d'Appel des Gonaïves pour y être statué ce que de droit ; condamne le défendeur aux dépens… ».

Disons d'emblée qu'en tant que cour de renvoi, la Cour d'Appel des Gonaïves est radicalement incompétente pour connaître de la cause qui lui est renvoyée. L'espèce à débattre, traitée par l'article 317 (319) du CIC, est, comme on le verra plus loin, de la compétence exclusive de la Cour de Cassation. La compétence des Cours et tribunaux étant d'ordre public, la Cour de Cassation ne peut déléguer sa propre compétence à une Cour d'appel.

Bref rappel : l'arrêt cassé par la Cour de Cassation, le 26 juillet 2007, a été rendu par la Cour d'Appel de Port-au-Prince, le 31 juillet 2006, dans un procès en diffamation intenté contre deux dirigeants de la BPH qui, suite à une saisie pratiquée sur les fonds de la dite banque par M. Yves Germain JOSEPH, s'étaient arrogé le droit de publier dans deux quotidiens de la capitale, une note de presse jugée offensante par l'intéressé qui porta l'affaire devant le Tribunal Correctionnel, pour diffamation et violation de secret bancaire.

Après avoir été établi qu'il y avait eu propos diffamatoires à l'encontre du plaignant, désigné nommément les diffamateurs, le juge Eddy Darang, du Tribunal Correctionnel, s'est contredit dans ses dispositifs en condamnant plutôt la victime à des dommages intérêts au profit des diffamateurs.

La Cour d'Appel de Port-au-Prince, jugeant à nouveau, par voie dévolutive, déclara constants les délits de diffamation et de violation du secret bancaire, cassa la décision du Tribunal Correctionnel, condamna les prévenus à six mois d'emprisonnement et la partie civilement responsable, à des dommages intérêts.

Contre cet arrêt, les condamnés, Emmanuel André DAUPHIN et François Yves JOSEPH et la partie civilement responsable (en l'occurrence la BRH) se sont pourvus en Cassation en proposant un double moyen, tiré de l'article 6 de la loi du 26 juillet 1979 et de l'article 317 (319) du Code d'Instruction Criminelle, qui a été retenu, le 26 juillet 2007, par la 1ère section de cette Cour pour faire casser et annuler l'arrêt de la Cour d'Appel.

Or, aucun des deux articles invoqués n'a d'existence légale … !

En effet, dans la requête adressée à la Cour, le premier moyen des pourvoyants, prétendument tiré de l'article 6 de la loi du 26 juillet 1979 pour faire annuler la peine d'emprisonnement, se lit comme suit,: « Elle (la Cour) ne peut, sur le seul appel de la partie civile, modifier le jugement dans un sens favorable à celle-ci » (à la partie civile).

Ce texte de loi, tel que reproduit, est une fabrication malhonnête. Il n'existe pas !

Nous avons procédé à sa vérification dans le journal officiel « Le Moniteur » (réf : Moniteur # 65 du jeudi 16 août 1979). Il se lit ainsi : « La Cour ne peut, sur le seul appel de la partie civile, modifier le jugement dans un sens défavorable à celle-ci ».

Les pourvoyants ont donc, intentionnellement, subtilisé du texte original le préfixe « » qui a changé complètement le sens de la phrase. Le vrai texte disposant tout à fait du contraire, ce premier moyen tombe de lui-même. Des magistrats chevronnés de la Cour de Cassation ne sauraient se laisser prendre à des subterfuges d'avocats qui vont jusqu'à falsifier un texte de loi pour faire triompher leur cause ! Dans ce cas, à moins d'en retenir un autre, le principe : « pas de moyen, pas de pourvoi » s'applique.

Pourtant, faisant fi de ce principe, la Cour de Cassation retint ce dit moyen qu'elle remania comme suit : « Attendu qu'il est de règle que l'exercice de l'action publique appartenant au Ministère public, il est le seul, en cas de relaxe d'un prévenu, à pouvoir, par son recours, remettre en cause la décision qui a renvoyé ledit prévenu des liens de la prévention ; que la partie civile ne peut appeler du jugement que pour ses intérêts civils ».

« Attendu qu'il se constate que le ministère public n'avait pas interjeté appel du jugement correctionnel qui avait absous les prévenus Emmanuel André DAUPHIN et François Yves JOSEPH ; que l'appelant étant la partie civile, en l'occurrence le sieur Yves Germain JOSEPH, la Cour d'Appel de Port-au-Prince n'avait pas à statuer sur les délits en question pour prononcer des peines d'emprisonnement et d'amende contre les intimés ; ce faisant, elle a commis un excès de pouvoir et verra son œuvre cassée » (fin de citation). .

Cette prétendue « règle », invoquée dans ces motifs, fait référence directe aux articles 41 et 45 de la loi sur l'appel pénal de 1918 (chapitre IV) modifié, comme suit, par la loi du 5 septembre 1951, qui prescrivait :

a) « La faculté d'appeler appartiendra 1o) aux parties prévenues ou responsables ; 2o) à la partie civile quant à ses intérêts civils seulement ; 3o) au ministère public près le tribunal de première instance ; 4o) au ministère public près le tribunal d'Appel » ; (Art. 41)

b) « Le ministère public près le tribunal d'appel devra notifier son recours soit au prévenu, soit à la personne civilement responsable du délit, dans les trente jours, à compter du jour de la prononciation du jugement, ou si le jugement lui a été légalement notifié par l'une des parties, dans les quinze jours de cette notification, SINON IL SERA DECHU »; (Art. 45, Id. Réf : CIC par Jean VANDAL, pp 346 - 347, Ed. 2006).

Ces deux articles tirés des textes de 1918 et de 1951 sont abrogés par la loi du 26 juillet 1979, en son article 1er qui se lit ainsi : « Le chapitre 4 de la loi du 5 septembre 1951 sur l'appel en matière pénale est modifié par les dispositions ci-dessous prescrites au présent Titre ». Référence faite au Titre I qui comporte six articles traitant exclusivement de l'appel des jugements correctionnels (qui se fait désormais par assignation donnée aux parties ou par déclaration faite au greffe).

La « règle », évoquée par la Cour de Cassation pour casser l'arrêt de la cour d'Appel, subsiste dans la loi du 26 juillet 1979 mais figure actuellement au Titre II (article 10), qui traite de l'appel des ordonnances des juges d'Instruction et non de l'appel des jugements correctionnels, traité, lui, au Titre I de cette dite loi.

Cette « règle » n'est donc PLUS d'application en matière correctionnelle, depuis la nouvelle loi sur l'appel pénal du 26 juillet 1979.

Trente ans après la promulgation de cette loi de 1979, la Cour de Cassation, se référant toujours à celles de 1918 et 1951, abrogées, continue de casser des décisions rendues, en application de cette nouvelle loi (1979), par nos cours d'appel.

Notre Cour régulatrice ne devrait pas se trouver au centre d'une telle controverse, surtout en matière pénale où, le plus souvent, elle juge seule, en l'absence de toute partie défenderesse. Ce sont de très mauvais signaux envoyés aux justiciables, quant à la capacité d'appréciation des difficultés qui sont posées au cours de l'application des lois par nos juges…!

De plus l'article 22, inséré au Titre III de la loi du 26 juillet 1979 sur l'appel correctionnel, est formel et ne laisse aucune possibilité de se tromper. L'article 352 de la loi du 17 septembre 1963, instituant le nouveau Code de Procédure Civile, est et demeure abrogé, mais seulement sur le chef de l'appel des jugements rendus au criminel sans l'assistance du jury. C'est donc cet article 352 du CPC qui reste d'application en matière d'appel des jugements correctionnels ! Il prescrit : « les cours d'appel connaitront à nouveau de toutes contestations déjà décidées en premier ressort par les tribunaux civils en leurs attributions civiles, commerciales, correctionnelles …». En matière correctionnelle, l'appel devient dévolutif (ce qui n'était pas le cas en 1918 et en 1951). Cette mesure a été édictée pour alléger la procédure pénale et combattre l'inertie des Parquets. Avant la loi du 26 juillet 1979, en cause d'appel, les prévenus étaient à l'abri de toutes peines - la Cour devant se borner à prononcer des condamnations civiles toutes les fois que le ministère public n'avait pas interjeté appel. Les fonctionnaires des Parquets, en dehors des cas politisés ou médiatisés, omettaient souvent de le faire, d'autant qu'ils n'encouraient aucune sanction. Et, de ce fait, les prévenus bénéficiaient de leur clémence implicite sans encourir un quelconque châtiment pour des délits trouvés constants par la Cour d'Appel. La loi du 26 juillet 1979 sur l'appel pénal est donc venue redresser le tir en permettant à toutes les parties en cause d'interjeter appel, avec les seules restrictions prévues à l'article 6 qui fait obligation à la Cour d'Appel de ne pas aggraver le sort de l'appelant (prévenu ou civilement responsable) qui interjette appel seul.

L'article 32 du décret de 1995 sur l'organisation judiciaire est venu en renforcement de la nouvelle loi sur l'appel pénal. Il fait d'office, du commissaire du gouvernement, tant en première instance qu'en appel, l'autorité de poursuite dans toutes les affaires intéressant la société en général, les mineurs, les absents et les interdits. « Ils (les commissaires du gouvernement) sont chargés de poursuivre et de défendre dans toutes les causes qui intéressent l'Etat. Ils procèdent d'office dans toutes les affaires qui intéressent la société en général ».

La notion selon laquelle le ministère public, pour exercer sa fonction de partie poursuivante doit, lui-même, interjeter appel en matière correctionnelle, est erronée et ne correspond ni à la lettre ni à l'esprit de l'article 22 de la loi du 26 juillet 1979 et encore moins à ceux de l'article 32 de la loi du 22 août 1995 sur l'organisation judiciaire.

Errare humanum est, nous en convenons ; même chez les juges ! Cependant, comment comprendre qu'après avoir, en premier lieu, annulé la peine d'emprisonnement, et, en second lieu, déclaré que la partie civile a fait appel pour ses intérêts civils, la Cour de Cassation, en dépit de cette affirmation, ait annulé aussi les dommages-intérêts octroyés à titre de réparation pour des délits que la Cour d'Appel avait déclaré constants, et, in fine, renvoyé les parties devant la Cour d'Appel des Gonaïves pour y être statué ce qu'il appartiendra, en vertu de l'article 317 (319) ?

Que dit cet article 319 ? « Dans aucun cas, la partie civile ne pourra poursuivre l'annulation d'une ordonnance d'acquittement ou d'un jugement d'absolution ; mais si le jugement a prononcé contre elle des condamnations civiles, supérieures aux demandes de la partie acquittée ou absoute, cette disposition du jugement pourra être annulée, sur demande de la partie civile ».

Dans son Code d'Instruction Criminelle annoté, au bas de cet article 319, Me Menan Pierre-Louis, (Juge à la Cour de Cassation) porte l'annotation suivante : « L'article 319 du CIC est spécial aux affaires criminelles et ne s'applique PAS en matière correctionnelle ». (Cass. 19 juillet 1972). Cette jurisprudence est constante en Haïti depuis 1841, au moins.

Or, ici, il s'agit bien d'une affaire correctionnelle et le même juge Menan Pierre-Louis, cosignataire de l'arrêt, fait application d'un article qui n'est pas d'application en matière correctionnelle avec d'autres juges chevronnés tels que Georges Moise, Reynold Jean-Baptiste Pierre, Josué Pierre, Bien-Aimé Jean… Que se passe-t-il donc à la Cour de Cassation ?

Autres errements graves de la Cour : l'article 319, contenu dans la Loi No 5 du Code d'Instruction Criminelle intitulé : « Sur les manières de se pourvoir contre les arrêts ou jugements », concerne uniquement les recours en annulation devant la Cour de Cassation soit des jugements rendus au correctionnel, soit des arrêts de la Cour de Cassation elle-même. Il faut se rappeler qu'en 1835, à l'époque de la promulgation du CIC, il n'existait pas de cours d'appel. Ce texte est donc spécifique à la Cour de Cassation. Dès lors, comment la Cour de Cassation de la République peut-elle déléguer sa compétence à une Cour d'Appel ?

Relevons encore deux autres controverses dans cet arrêt :

1.- In limine litis, le ministère public près cette cour, avait soulevé une fin de non recevoir du pourvoi au motif que l'article 305 CIC accorde un délai de trois jours pour le recours en cassation, à compter du prononcé de l'arrêt de la cour d'appel. Le pourvoi avait été interjeté plus d'un mois après le prononcé de l'arrêt de la Cour d'Appel.

La Cour a rejeté cette fin de non recevoir en ces termes : « Attendu que les dispositions dudit article 305 ne s'appliquent qu'en matière criminelle ; que s'agissant, comme en l'espèce, d'un jugement correctionnel, il faut se référer de préférence à l'article 175 CIC qui fait courir ce délai de trois jours francs à partir de la signification de la décision » (sic).

Encore une fois, consultons le Juge Menan Pierre-Louis, dans son Code d'Instruction Criminelle annoté, sur l'application de l'article 175. A la page 80 de cet ouvrage, il dit : « l'article 175 (dont il fait pourtant usage) est abrogé par la loi du 26 juillet 1979 ». Quelle controverse !

2.- Le second point de procédure, plus subtil mais très sérieux, concerne l'exploit de signification.

Aucun pourvoi en cassation n'est recevable si le jugement ou l'arrêt attaqué n'a fait l'objet de signification par les parties en cause. Or, l'arrêt de la Cour d'appel que la Cour de Cassation a cassé, a été signifié par le ministère public !

Ayant jugé que le ministère public N'ETAIT PAS partie au procès, la Cour de Cassation se devait de refuser d'accueillir le pourvoi exercé contre un arrêt qui n'avait pas été signifié par une des parties en cause. Simple bon sens !

De deux choses l'une : ou bien le ministère public était partie au procès, en tant que représentant d'office de la société et autorité de poursuite, comme le prescrit l'article 32 de la loi organique et, dans ce cas, l'arrêt de la cour d'appel cassé, sur ce chef, par la Cour de Cassation ne méritait pas le reproche qui lui a été adressé ; ou alors, le ministère public n'était pas partie principale au procès mais partie jointe et, à ce titre, n'avait aucune qualité pour signifier l'arrêt de la cour d'appel. Ainsi donc, le pourvoi exercé par les condamnés DAUPHIN et FRANCOIS JOSEPH était irrecevable pour défaut de signification. Ici, nous restons strictement dans le raisonnement de la Cour de Cassation. C'est l'une ou l'autre de ces deux hypothèses qui doit être retenue et non les deux à la fois.

Donc, que ce soit :

1o.- dans le cas de l'article 6 de la loi du 26 juillet 1979, FALSIFIE ;

2o.- dans le cas des articles 41 et 45 de la loi de 1951, ABROGES ;

3o.- dans le cas de l'article 32 de la loi du 22 août 1995 sur l'organisation judiciaire qui fait, d'office, du Ministère public, l'autorité de poursuite ;

4o.- dans le cas de l'article 317 ou 319 du CIC qui n'est PAS d'application en matière correctionnelle ;

5o.- dans le cas de l'article 175, ABROGE selon le Juge Menan Pierre Louis ;

6o.- dans le cas de l'exploit de signification du Ministère Public, NON PARTIE au procès (en retenant l'hypothèse de départ de la Cour de Cassation) ;

(et sans même tenir compte des moyens nouveaux, présentés par la partie civilement responsable et admis par la Cour), force est de constater que notre Cour Suprême, placée par la Constitution pour dire le mot final du droit, a lamentablement erré, en appliquant des « principes » TIRES DE TEXTES DE LOIS FALSIFIES, ABROGES ou QUI NE SONT PAS D'APPLICATION EN L'ESPECE !

Quoi qu'il en soit, même en lui concédant ses errements dans ce dossier, la Cour de Cassation est sortie de sa propre hypothèse de départ.

Quand on se rappelle, avec nostalgie, que les arrêts de la Cour de Cassation d'Haïti servaient autrefois de jurisprudence pour trancher des affaires en France et en Belgique… !

Thierry MAYARD-PAUL, Avocat

Ref: Journal le Matin # 34108, pp. 3 et 4; (http://www.lematinhaiti.com/Journal/34108.pdf)


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