jeudi 1 avril 2010

Haïti : Qu’avons-nous fait de notre souveraineté ?

Cyrus Sibert, Radio Souvenir F.M., Cap-Haïtien, Haïti.
10 juin 2006

La proposition du nouveau représentant du secrétaire général des nations unies entraîne des réactions négatives. Le souhait d'Edmond Mulet de voir des magistrats étrangers siéger au côté des juges haïtiens a été mal accueilli par les dirigeants haïtiens qui n'ont pas manqué de scander des propos nationalistes. Les intellectuels haïtiens y voient le spectre du projet de mise sous tutelle d'Haïti. Le barreau de Port-au-prince appelle à la vigilance patriotique. Il invite les autres barreaux du pays à se joindre à lui dans un projet de pétition en vue de signifier au conseil de sécurité leurs objections.

C'est sûr que tout haïtien digne souffre de la situation actuelle du pays. Haïti vit en état de tutelle de fait. Il faut s'en sortir. Cependant, l’élite dirigeante haïtienne et les fonctionnaires de l'appareil étatique ne se sont jamais demandés : comment sommes-nous arrivés là ?

Parce que nous ne sommes pas des adeptes de la pensée unique, nous ne nous laisserons pas entraîner dans le jeu des irresponsables et/ou corrompus haïtiens, ces immoraux qui par leur attitudes vénales entraînent Haïti dans la faillite.

Si les Dominicains ont tiré les leçons de l’occupation américaine de 1964 pour moderniser leur pays, gérer leur crise et ne plus connaître d'occupation humiliante, nous autres haïtiens, nous continuons comme l'autruche à ignorer la réalité en enfonçant notre tête dans un nationalisme hypocrite.

Un nationalisme de sot, vu que la communauté internationale nous a pratiquement mis sous tutelle. À chaque fois que nous faisons du bruit dans les médias, ses diplomates nous entraînent dans un jeu sémantique avant de continuer à appliquer les dispositions prises d'en haut. Nous nous laissons traiter comme nos ancêtres des tribus africaines auxquels les européens offraient des présents ridicules comme des morceaux de verroterie pour mieux les enchaîner à destination de Saint-Domingue.

On se souvient encore de ce fameux article du Devoir annonçant la tenue d'une réunion secrète au Canada "Initiative d'Ottawa sur Haïti", et la décision de mettre Haïti sous tutelle vu que l'élite de ce pays traite ses concitoyens pire que les canadiens auraient traité leurs animaux domestiques. Depuis lors, on a beau démenti l'information ; le secrétaire d'État canadien pour l'Amérique latine Denis Paradis a utilisé les mêmes techniques sémantiques pour nous rassurer ; cependant il n'en reste pas moins vrai qu'Haïti est de plus en plus sous contrôle international. Comme on dit chez nous : pas de fumée sans feu.

Alors, au moins pour une fois posons les problèmes de ce pays sans passion ni stupidité. Nous savons qu'en Haïti les blancophiles sont les premiers à brandir le nationalisme. Par leurs singeries nationalistes, ils cachent leur incapacité et donnent raison à tous ceux qui font d’eux l'élite la plus répugnante de l'Amérique.

Alors, posons le problème sérieusement. La justice haïtienne est décriée. Elle est en faillite. Elle n'arrive pas à jouer sa fonction sociale qu'est la gestion des conflits à partir des institutions légalement constituées. Elle est frappée d'immoralité. Elle se comporte en délinquant. Comme disait Montesquieu ses décisions ne sont plus conformes à l'Esprit des lois de la République. Des valeurs universelles telle que la liberté, le droit de propriété sont piétinées. La majorité des hommes de lois se comportent comme des bandits de grand chemin. On dirait que la justice haïtienne n’a plus de repères.

L'emprisonnement précipité du Directeur de l'organe de renseignement financier de l'État haïtien en est une preuve. Aucun juge ne peut justifier une telle décision, même quand le haut fonctionnaire de l'UCREF n'est pas au-dessus de la loi. Règlement de compte ou corruption, le juge d'instruction utilise la loi pour régler autre chose que la consolidation de la justice haïtienne. De son comportement, tout comme par cette décision des juges de la Cour de cassation sur la double nationalité, l'État haïtien est sorti affaibli. Ils n'ont pas compris la dimension étatique de leur décision. Malgré tout, ne soyez pas étonnés, si aujourd’hui, ces irresponsables brandissent le nationalisme pour défendre le statu quo.

Vu que le dysfonctionnement de la justice est l'une des causes de l'instabilité que connaît Haïti, logiquement, il faut remédier à la situation.
L’immoralité au niveau de l'État et l'inapplication des lois étant des handicaps majeurs à la stabilité de toute démocratie, l'internationale dans le cadre de sa MINUSTHA (Mission des Nations Unies pour Stabiliser Haïti) peut-elle abandonner la justice à des irresponsables ''nationalistes''?

C'est à ce niveau que la proposition d'Edmond Mulet trouve sa place. Ce dernier propose des magistrats étrangers pour la justice haïtienne. Cette proposition est sans doute inacceptable, toutefois on peut à partir d’elle explorer d'autres pistes de solution.

Paradoxalement, le Ministre de la justice Henry Marge Dorléans, appuyé de plusieurs juristes, dans sa réplique, au lieu d'affaiblir la position d'Edmond Mulet, l'a renforcée. En justifiant la situation par les conditions de vie et de travail des magistrats, nous démontrons que nous ne comprenons pas la dimension morale du problème de la justice haïtienne. Semble-t il, nous n’avons pas les valeurs requises pour corriger le système.

Sans rejeter l'idée d'améliorer la vie des magistrats, nous pensons que cette façon d'aborder le problème est identique à celle de ceux qui justifient le kidnapping par la misère et la pauvreté des masses. Cela explique pourquoi les magistrats libèrent sans regrets les kidnappeurs appréhendés par la police. Tous, ils participent de la morale pragmatique qui trouve sa source dans la précarité des conditions de vie et la misère qui gangrène le pays. Peut-on justifier la corruption d'un journaliste par le niveau de son salaire? Avec de telles valeurs nous allons tout accepter, vu qu'à tous les niveaux les salaires ne répondent pas. Le professeur aura raison de vendre ses examens aux élèves qui peuvent payer ; le policier aura raison quand il loue son arme à feu à des gangs ; les fonctionnaires de l'État seront dans leur droit quand ils organisent toutes sortes de rackets au niveau de l'administration publique, etc. Un juge insatisfait ne doit avoir d'autre issu que sa démission. Rester dans le système pour améliorer sa situation matérielle à partir de rackets, est inexcusable.

Le représentant du secrétaire général des Nations unies n’a-t-il pas raison de proposer une intervention d'agents externes dans la justice haïtienne ?

On peut discuter la formule. Observateurs judiciaires internationaux en Haïti - comme durant les élections -, consultants en vue de renforcer l'« Ecole de la magistrature » et le « Conseil supérieur de la Magistrature » ou juges étrangers, en toute logique, y a-t-il une possibilité de voir le changement venir de l'intérieur ? Avons-nous le niveau moral, les guides et/ou leadership nécessaires pour résoudre le problème de la justice haïtienne ?

Les avocats haïtiens qui ne laissent passer aucune occasion pour réciter des adages latins ne diront-ils pas que ces citations sont d'origine haïtienne ? Les romains ont été chez les grecs pour parfaire leur civilisation. La révolution française a beaucoup appris de la révolution italienne. Alors pourquoi tant de litanie nationaliste quand nous avons envoyé en Afrique, des juristes et juges comme Maître Pierre Gonzalez ? Nos frères africains sont ils inférieurs à nous ?

Qu’avons-nous fait de notre souveraineté ?

Encore une fois, pour renforcer la justice, nous demandons de l'aide. L'international doit financer pour nous, la réforme de la justice. Alors, comment avons-nous utilisé l'Ecole de la Magistrature, créée par l'Etat haïtien, avec l'aide de la coopération internationale, justement pour répondre à ce besoin de magistrats professionnels ? On a bouffé les fonds, voyagé chaque semaine, détourné les bourses d'étude et continué à improviser en nommant n'importe qui magistrat. Des ''patatistes'' du droit, avocats corrompus, souvent ''sans lecture ni écriture,'' sont devenus magistrats au nom de la souveraineté nationale. Quand allons-nous établir une différence claire entre niveau de formation et niveau moral ?

Qu’avons-nous fait de notre souveraineté ?

Les généraux haïtiens l'ont utilisée pour accéder au pouvoir. Chaque semaine un coup d'Etat est orchestré. On a même vu des officiers au « garde à vous » devant le représentant des ''petits soldats'', le Sergent Hébreux. En conséquence nous n'avons pas d'armée. La défense d’Haïti dépend des Nations Unies et de soldats étrangers.

On se souvient encore de la reprise sur la TNH de cette déclaration du Roi Christophe : Je ne rendrai la ville que lorsqu'elle sera réduite en cendres et sur ces cendres je combattrai encore. Elle était diffusée sur demande du Général Namphy dans une situation de crise. Le Général président voulait, par ce message, signifier aux diplomates qui lui demandaient d’organiser des élections qu'il n'entendait pas céder aux pressions et cela au nom de la souveraineté nationale d'Haïti.

Les politiciens du mouvement lavalas ont tellement politisé la PNH (Police Nationale d’Haïti), qu'il nous faut actuellement des policiers de l'ONU pour remettre l'institution sur les rails, la rendre professionnelle.

Qu’avons-nous fait de notre souveraineté ?

Notre diplomatie est assurée par les employés de la MINUSTHA. On se frotte les mains quand Gabriel Valdez intervient en notre faveur par devant les bailleurs de fonds internationaux. Il jouait à la place du Général Hérard Abraam le rôle de Ministre des Affaires Etrangères en demandant aux Sud-américains d’envoyer des troupes, aux dominicains de comprendre notre situation économique et de bien traiter nos ressortissants et réclamait aux bailleurs de fonds des millions additionnels pour l'organisation des élections tout en nous imposant un président en violation du décret électoral en vigueur.

Qu’avons nous fait de notre souveraineté ?

Au lieu d'exiger le rétablissement de l'armée constitutionnelle, la société civile organisée d'Haïti a été manifester devant les locaux de la MINUSTHA à Bourdon pour exiger sécurité. De ce côté, le premier Ministre Latortue a demandé aux soldats de l’ONU d'attaquer les soldats haïtiens qui n'exigeaient que le respect de la constitution par le rétablissement de l'armée.

Alors qu’avons-nous fait de notre souveraineté quand nous nous félicitons des opérations des forces de la MINUSTHA à Cité Soleil contre le gangster Dread Wilmé en lieu et place de la Police nationale ?

Quand au lieu de renforcer l’appareil judiciaire, un pouvoir souverain, nous nous contentons de l'utiliser pour asservir nos adversaires, humilier nos compatriotes et/ou déposséder des propriétaires, qu'avons-nous fait de notre souveraineté ?

Au Cap-Haïtien, on nous relate des cas d'agressions sexuelles sur les femmes de détenus. Si elles ne coopèrent pas leurs maris seront battus et/ou privés de certains privilèges.

Qu'avons-nous fait de notre souveraineté ? Sommes-nous assez grands pour l'exercer ? Nos réflexes d’affamés, ne donnent-ils pas aux étrangers la ferme assurance que tout ira bien : Haïti sera finalement une colonie des Nations Unies en vue d'expérimenter les programmes de l'organisation ?

Le vendredi 3 juin, Edmond Mulet est entré en Haïti. Dans un point de presse l'ambassadeur des Nations Unies a qualifié de « dysfonctionnement », la situation de la justice haïtienne. Ce terme dysfonctionnement est significatif. Il met en évidence la gravité de la situation. La stabilisation d'Haïti n'est pas possible avec des pouvoirs étatiques dysfonctionnels. Et, l’instabilité en Haïti menace la région.

Alors détrompez-vous ! L'internationale ne vous prend plus au sérieux. Elle finira par nous imposer une formule pour réformer la justice. Puisque durant les 2 ans de la transition nous n’avons fait qu'accumuler richesses et pouvoir, au mépris des militants tombés pour le changement et le progrès, puisque aujourd'hui tout le monde se contente de brandir son trophée de transition : une entreprise solide, un compte en banque, une maison en Floride ou à Pernier, un poste au parlement, plus d'influence politique, plus de visibilité, etc. , le blanc va s'occuper de nous.

En bon irresponsables, nous avons tout fait, sauf réformer l'État et renforcer les institutions. En conséquence nous n'avons rien fait de notre souveraineté.
Dégénérescence nationale ! La souveraineté, si nous ancêtres l’avaient forgée, nous ne sommes plus dignes d'elle.

Au 21ème siècle, comme des armes de destruction massive, la souveraineté est l'affaire des nations responsables. Pour Haïti, après ces deux ans de transition, la communauté internationale a sa solution. Souhaitons que dans sa solution, elle nous envoie, pour la justice, des juges différents de ses touristes des droits de l’homme.

Cyrus Sibert
Cap-Haïtien, Haïti
10 juin 2006

«Nous n'avons pas d'orgueil parce que nous n'avons pas de souvenirs » disait Henri Christophe.

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