Jean Sénat Fleury Aujourd'hui tout le monde est dévasté par les malheurs d'Haïti suite au tragique tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a détruit en grande partie la capitale Port-au-Prince et plusieurs autres endroits notamment dans le Sud: Delmas, Carrefour, Léogâne, Petit-Goâve, Jacmel…Reconstruire le pays est le discours entendu dans tous les débats à la radio, à la télévision, dans les colloques internationaux et les assemblées des nations mobilisées un peu partout au Canada, à Paris, à Santo-Domingo, à New-York pour réfléchir sur un plan de reconstruction d'Haïti. Mais la question qui reste et demeure en suspens. Comment reconstruire Haïti sans réconcilier les Haïtiens eux-mêmes sur l'avenir de leur pays ? Sans être un prophète de malheur, je me borne seulement à dire si le projet de reconstruction d'Haïti est centré uniquement sur une question de milliards à investir dans les infrastructures pour rebâtir les administrations de l'État, créer des logements pour les sinistrés etc. le pays restera toujours dans la liste des pays les plus instables, les plus pauvres de la planète. En effet, le mal est plus profond. Il réside dans les divisions dont le pays a toujours trainé derrière lui depuis l'indépendance jusqu'à nos jours. Prise en otage dans une guerre de clans entre les diverses couches de la société (riches/pauvres, mulâtres/noirs, paysans/citadins, ouvriers/patrons, travailleurs/chômeurs, intellectuels/illettrés, gouvernants/gouvernés, politiciens/électeurs etc.) la société haïtienne a toujours été une société divisée, marginalisée, torturée. Se déclarant une nation libre et indépendante après 1804, Haïti ne s'est jamais arrivée à se créer comme nation. Les bases de la société ont été sapées au lendemain même de la déclaration de l'indépendance. Le partage des biens après 1804 a été fait au détriment de la grande majorité des noirs devenus libres sur papier mais esclaves à l'intérieur d'une structure rétrograde, archaïque, corrompue. La situation n'a pas évolué depuis la mort de Dessalines jusqu'à date. Luttant contre la plus grande nation colonialiste de l'époque, la victoire de Vertières nous a laissé un pays avec des infrastructures incendiées avec la tactique de guerre de l'armée indigène « koupe tèt, boule kay ». Menacé par un perpétuel retour des Français, le nouvel Etat n'a fait que consacrer toutes ses ressources à défendre son indépendance. Les Français assassinées, partis du territoire haïtien avec leurs avoirs, il n'y avait aucune élite pour éduquer la jeune génération issue de l'esclavage. Le paiement de la dette de l'indépendance est un autre important dommage fait à l'économie nationale. En effet, l'économie haïtienne ne s'est jamais relevée de la forte indemnité payée à Charles X. La France reconnut notre indépendance qu'en échange d'une indemnité de 150 millions de franc-or (la somme sera ramenée en 1838 à 90 millions de francs).Un embargo international imposé sur des décennies par les puissances impérialistes et esclavagistes de l'époque a empêché au pays de négocier avec le monde extérieur. Haïti pendant des années fut isolée sur la scène internationale. Le pays fut exclu dans le concert des nations parce que son action vers l'indépendance fut considérée comme une menace allant à l'encontre des intérêts des puissances impérialistes et esclavagistes. Cette mesure imposée de force par les Français a fragilisé pour toujours la vie économique, sociale, politique de la nouvelle nation. Le gouvernement haïtien s'est acquitté de cette dette injuste, et pendant près de 80 ans, il s'est endetté pour la payer jusqu'aux derniers francs. Ce qui a empêché à la nation de se construire après plus de 200 ans d'indépendance. Victime de coups d'État en coups d'État pour préserver les acquis d'un statu quo rétrograde, archaïque, Haïti ne s'est jamais arrivée à bâtir un environnement social, écologique, économique et politique stables pour le développement durable de la nation. La société divisée, fragmentée, se déchirait perpétuellement pour défendre les intérêts de groupes, de clans, de familles au détriment des intérêts nationaux. Comme conséquences, le pays allait de révoltes en révoltes, de coups d'État en coups d'État. Duvalier, Cédras, Aristide, Groupe 184, Convergence…la polémique des partis entretenait un combat de « chen manje chen » encouragé par plusieurs pays étrangers, plusieurs organismes internationaux, et plusieurs ONG profitant de la fragilité structurelle du pays pour se faire passer utiles et nécessaires sur le terrain. Des milliards de dollars d'aide sont octoyés depuis des decennies chaque année au pays, Haiti est toujours demeurée le pays le plus pauvre de la planète. Des centaines d'ONG sont deployés un peu partout à travers le territoire, on n'a jamais trouvé une solution aux problèmes de santé primaire, d'eau potable, de logement etc. Au contraire plus le pays est appauvri plus cette situation arrange ces ONG. La MINUSTHA a été déployée depuis 6 ans sous le territoire avec un budget de plus de 500.000.000 de dollars par année. On voit très peu de résultat. Que dire des milliards de dollars en transfert envoyés par les Haitiens dans la diapora. Aujourd'hui, la question à l'ordre du jour est comment arriver à concilier la société haïtienne sur un plan de développement national. Comment bâtir une nation à la place d'un pays pour un nouveau départ plus équitable, plus humain et plus démocratique. Trouver la solution à cette équation, c'est là l'unique chance de reconstruire Haïti. |
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