lundi 10 mai 2010

Il nous faut maintenant affronter l’hydre dans son antre

Thèmes de l'Emission de la semaine

Orlando le 07 mai, 2010

Actualités Politiques : Grandes Lignes

D'octobre 2007 à nos jours, la stratégie du maintien du pouvoir de Préval a connu plusieurs mutations. Cependant deux éléments, la constitution et le contrôle des élections, demeurent jusqu'à présent les deux constantes, les axes principaux, des différentes versions de cette stratégie. Incapable de saisir et d'assimiler les notions relationnelles du pouvoir, Préval s'y accroche comme à un objet tangible qui lui soit propre, un bien qu'il possède, un doit qu'il exerce. Dans un tel état d'esprit, se succéder est indubitablement son choix préférentiel. Cependant l'une des deux options qu'offre la constitution, entre l'amendement et le remplacement, l'amendement aurait pour conséquence l'obligation pour Préval de se nommer un successeur, mais pas de se succéder. Si la constitution offre à Préval le choix entre deux options, les élections n'en offre qu'une. Quant le chef d'état jouit des pleins pouvoirs, les élections faites avec ou sans le CEP qu'il contrôle, constituent une distinction sans différence. Nonobstant les pleins pouvoirs, l'omnipotence présidentielle étant déjà par lui-même un levier politique formidable, elle lui donne automatiquement le contrôle de la machine étatique. Si le CEP administre et gère le processus électoral à travers ses instances BED, BEC, BI et BV. Les autorités territoriales, qui font partie de cette machine étatique, organisent de fait les élections au niveau de la base tant dans le milieu rural que dans le milieu urbain. Sans le contrôle du CEP, mais avec les pleins pouvoirs, la confiscation des élections, si elles se font sous Préval, reste et demeure une certitude pour Préval.


L'interprétation des déclarations d'Edmond Mulet chef civil de la Minustah, du Département d'état, et des autorités de l'OEA, font croire au public que l'internationale soit prête à refinancer la confiscation par Préval des prochaines élections, comme en avril et en juin 2009. Certes, le traditionnel «the devil I know » est de fait ce qui sous-tend et justifie ces appréhensions. Cependant, si l'on prend en considération l'organisation d'élections pour ce qu'elle est de fait, un acte de souveraineté. On se rend compte immédiatement qu'une opposition directe, par une autorité étrangère à l'intention exprimée par un chef d'état d'organiser des élections dans son pays, équivaux à un déni de souveraineté. L'apparence de quoi l'internationale, pour le moment, veut éviter à tout prix en Haïti.


Le lundi 26 avril au Brésil, Préval a demandé à Lula de financer les prochaines élections. Sans réponse, le jeudi de la même semaine, le 29 avril, son ministre des affaires étrangères a réitéré la même demande au Département d'état. Ceci devrait suffire pour nous faire comprendre que même quand l'internationale évite de porter atteinte au principe de souveraineté, en s'opposant ouvertement à la volonté de Préval de faire des élections. Elle est absolument consciente du fait qu'elle est en possession de la bourse et en contrôle des courroies de la bourse.


Il y a un autre fait qui peut paraître banal, mais qui est très significatif. A la promesse faite par Lula de financer un groupe de médecins cubains qui viendront donner des services de santé en Haïti. La mission militaire américaine, en contrepartie, s'est créée immédiatement un projet de soin de santé et d'ingénierie pour les villes autres que Port-au-Prince et particulièrement les Gonaïves. Cette surenchère est à noter ! Cette rivalité apparente à première vue, est-elle entre Cuba et les Etats-Unis, ou entre le Brésil et les Etats-Unis ? Cuba a pris l'initiative d'offrir le service. Le Brésil a accepté de la supporter. Dans le cadre de cette rivalité apparente, Préval pourra-t-il jouer à la fois le Brésil et les Etats-Unis pour se trouver le financement qu'il convoite ? Le besoin de s'affirmer comme nouveau pôle de l'Amérique latine et l'ambition de se rallier la Caraïbe, suffiront-ils pour porter Lula à miser à tort sur un gouvernement qui est à son crépuscule et en train de battre de l'aile ? Si la convocation des citoyens à leurs comices, est un acte de souveraineté. Qu'en est-il du fait de ne pas pouvoir la financer ? Cette souveraineté n'est que symbolique. Elle n'est pas réelle !


Est-il de l'intérêt du Brésil de retenir au pouvoir un régime qui continue à contribuer, par corruption et par incompétence depuis plus de 4 ans, à l'échec de la Minustah dont le Brésil assume le leadership ? Est-il de l'intérêt des Etats-Unis de permettre à Préval de se succéder, quant à sa dernière visite à Washington, le Département d'état a choisi de publier le même jour un rapport dénonçant ouvertement l'ampleur et la profondeur de la corruption de son gouvernement ? Préval en faisant la demande de prolongation de mandat, n'a-t-il pas provoqué mercredi l'humiliation dont sa femme a été victime quand la première dame française a refusé de la recevoir ? Le torchon brûle !


Préval a déjà fait son choix malheureusement. Au cours de la semaine il a organisé une réunion pour désigner les membres de la constituante. Entre-temps, Préval a présenté par-devant le parlement une demande de prolongation de mandat qui a été adoptée aujourd'hui par la 48e législature. Préval propose ce qui suit, un amendement de l'article 232 de la loi électorale du 9 juillet 2008 :

« a) La durée des mandats des élus des années 2006 et 2007 est fixée de la manière suivante : Le président de la république est élu pour cinq (5) et est en fonction jusqu'au 7 février 2011, au cas où les élections auraient lieu au plus tard le dernier dimanche du mois de novembre 2010. Dans le cas contraire, il reste en fonction jusqu'à l'installation de son successeur élu ou au plus tard jusqu'à la fin de son mandat de cinq (5) ans, soit le 14 mai 2011 ».


Bien que Préval ait réitéré en mainte fois en public et en présence d'autorités étrangères, son intention de laisser le pouvoir à la date prévue par la loi, le 7 février 2011. Des autorités étrangères et pas des moindres, telles qu'Edmond Mulet, Hillary Clinton, ont jugé bon de répéter ce que Préval leur avait garanti, pour calmer les inquiétudes et les appréhensions du public. Aujourd'hui Préval fait un revirement à 1800. Pourquoi change-t-il de discours ? Il est en train de se rétracter et de se dédire. En train de perdre les pédales, est-ce une réaction de panique ? N'ayant reçu aucune réponse rassurante de financement des prochaines élections, ni des Etats-Unis, ni du Brésil, se rappelle-t-il soudainement que, jusqu'au 12 janvier 2010, il n'avait pas reçu non-plus les 25 millions de dollars US pour le financement des élections du 28 février 2010 ? Il est évident que cette manœuvre n'a d'autre but, qu'un chantage contre les projets de reconstruction. Après 2 mandats et un patrimoine aussi exécrable que crapuleux, qu'est-ce Préval espère-t-il faire en 96 jours pour le réparer ? Espère-t-il entre-temps un miracle ou un Deus-ex-machina ? Non ! Préval croit que la menace d'un chambardement que sa présence au pouvoir après le 7 février provoquera, au moment où les projets de reconstruction seront mis en branle, forcera l'internationale à financer les élections qu'il veut à tous prix confisquer. L'internationale acceptera-t- elle à fléchir l'échine ? Ou va-t-elle empêcher à un chef d'état egocentrique et suicidaire de compromettre l'avenir d'un pays dévasté et d'un peuple à bout de souffle et aux abois ?


Il est évident que le fait de n'avoir pas identifié les victimes avant de les enterrer en masse, rend impossible la mise à jour du registre électoral, même s'il est récupéré dans son intégralité après le séisme. Le danger de faire des élections avec un registre inexact est incalculable. On ne peut pas exposer le pays à de tel danger au moment où il se prépare à renaître de ses cendres, et à sa réflexion sur la refondation de l'Etat. Le pays doit repartir, si on se soucie en vérité de son avenir, sur des bases solides dans le respect des normes, des règles et des principes. Dans ce cas, il faut après cette hécatombe où le chiffre exacte de ceux qui y ont péri est inconnu, refaire l'inscription électorale. C'est la solution la plus facile, la plus précise et la plus raisonnable. Il nous faut dans cette conjoncture, faire la distinction entre vitesse et précipitation. « Rien ne sert de courir. Il faut partir à point. » C'est aussi simple que ça !


Le remplacement de la constitution, voilà vraiment le moyen que Préval convoite depuis octobre 2007 ! Se succéder à la présidence voilà son ambition et sa détermination ! Alors que réciproquement, aujourd'hui il s'agit, pour nous Haïtiens, de rompre avec 53 ans de régime populiste, une condition sine qua non, pour que nous nous engagions dans cette réflexion sur la refondation de l'Etat et pour qu'Haïti puisse renaître de ses cendres après ce cataclysme. Certes, la communauté internationale veut, dans ces circonstances, nous offrir une opportunité, nous prêter main-forte, en nous accompagnant dans cet effort de reconstruction. Cependant, la refondation de l'Etat, c'est à nous de l'assumer.


Allons-nous permettre que les ambitions d'un seul homme puissent compromettre cette opportunité et l'avenir de toute une nation ? Allons-nous permettre que dans ce dialogue avec la communauté internationale, le seul interlocuteur valable et écouté soit seulement le tandem Préval/Bellerive ? Allons-nous accepter que seuls les intérêts politiques de Préval et de Bellerive soient la priorité des priorités ?


Il faut que nous nous fassions entendre collectivement à haute et intelligible voix, en tant que nation, aussi bien sur le béton, que partout ailleurs où se tient ce dialogue, pour défendre les intérêts de la nation ! Il ne faut pas que nous acceptions que Préval et Bellerive nous amènent, pieds et poings liés, à la boucherie ! Nous ne voulons ni de la présidence à vie duvaliérienne, ni du pouvoir à vie avec alternance présidentielle lavalassienne ! La continuité selon Préval.


Si dans nos consciences le ras-le-bol est réel et général, son extériorisation ne peut plus être sporadique. Elle doit devenir plus convaincante, en faisant ce saut qualitatif pour se transformer en expression de la volonté nationale. Un gouvernement qui ne possède ni le monopole de la force de coercition, ni une base politique qui lui soit propre, sur quoi se repose donc son autorité ? Quel est son point d'ancrage ? Certes, ce gouvernement est constitutionnel. Mais, a-t-il jamais eu à aucun moment de la durée aucune légitimité diffuse ou spécifique ? Il est absolument impossible à Préval de donner une réplique quelconque à aucune mobilisation nationale. Les rapports de forces, voilà où se forgent les décisions politiques. Il nous faut maintenant affronter l'hydre dans son antre !

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