samedi 5 juin 2010

Analyse de Robert Benodin: Thèmes de l’Emission de la semaine

Thèmes de l'Emission de la semaine 

Orlando le 4 juin, 2010

Actualités Politiques : Grandes Lignes

On est en train de manière sporadique de passer graduellement à une autre phase, de l'acte politique à l'action politique. Est-il recommandable à ce carrefour, pour l'internationale d'être liée directement ou indirectement à la répression des revendications légitimes d'un peuple qui a perdu totalement confiance dans la capacité de ses gouvernants de faire des élections démocratiques, libres, honnêtes et crédibles, garantissant les possibilités d'alternance démocratique ? Peut-elle le faire pour le seul et unique besoin conjoncturel de stabilité militaire ? Le patrimoine légué par Préval dans le domaine électoral, au cours de ses deux mandats, n'offre absolument aucune garantie, même avec un nouveau CEP.

 

A ce carrefour, où il est impératif pour le peuple haïtien non-seulement de reconstruire physiquement le pays, mais surtout de refonder l'État, d'établir un nouveau régime, de prendre une nouvelle voie et d'adopter de nouvelle direction. Il est évident que la gestion délicate de cette rupture avec ce passé cauchemardesque, ne peut pas être confiée ou laissée à la merci de ceux qui ont intérêt dans la continuité. S'il s'agit pour nous aujourd'hui d'opter pour la construction d'un État moderne, il est illogique de s'en remettre à un gouvernement anarchopopuliste qui préconise la continuité, et a déjà contribué manifestement à sa destruction et sa faillite. La qualité des prochaines élections est cruciale pour la gestion de cette transition. On est littéralement dans une situation manichéenne, la continuité versus le changement.

 

Le compromis, qui paraît être la création d'un nouveau CEP, suffira-t-il pour garantir la qualité des élections, quand en face se trouve, Préval avec l'omnipotence présidentielle, les pleins pouvoirs, le contrôle de la machine étatique et de la caisse publique ? Posez-vous bien la question, pourquoi au moment où en République dominicaine, les attentions étaient fixées sur la création et l'établissement de la CIRH, Préval n'a fait que réitérer obstinément le besoin pour lui de combler le déficit budgétaire ? Si c'était un coq-à-l'âne, n'était-il pas aussi une preuve qu'il n'avait encore rien reçu, d'une part et de l'autre, que la caisse publique étant vide, qu'il s'inquiétait de sa gestion du maintien du pouvoir, par le biais d'élections confisquées ?

 

Force est de constater et surtout de comprendre, qu'après un demi-siècle de populisme, qu'une culture populiste se soit développée, établie et ancrée au pouvoir. Le populisme, souffrant d'une carence doctrinale et idéologique, s'est forgé cependant une clientèle. Avec la nuance ou peut être l'avantage qu'aux plus hauts sommets, ses gouvernants sont interchangeables d'un extrême à l'autre. Il y a, malgré le slogan « macoute pas ladan », de ces acteurs politiques qui ont réussi cette mutation. Qui maintenant, inquiétés par le besoin de changement, sont en train de faire des efforts considérables pour forcer le fusionnement des deux extrêmes en vue du maintien du pouvoir. La difficulté impossible à surmonter, vient du fait de la xénophobie viscérale que cultivent et partagent les bases de ces deux extrêmes. Mais ne vous trompez-pas cette clientèle et ses gouvernants vont se battre du bec et des ongles pour maintenir le statu quo, camouflé sous un terme moins péjoratif, la continuité. La différence n'est que sémantiques. Il n'y a pas que René Garcia Préval et Jacque Edouard Alexis, à avoir intérêt dans la continuité. Cette caste, dont deux générations ont œuvré pendant un demi-siècle au maintien du pouvoir populiste, n'est pas prête à faire lâcher-prise non plus. Non seulement par instinct de conservation, mais surtout par convoitise pour les opportunités juteuses qu'offriront les projets de reconstruction et la relance économique d'Haïti. Cette clientèle n'existe et ne respire que par la corruption, la démagogie et le népotisme de la médiocrité. Dans les deux camps populistes (fasciste et anarchique), la capillarité sociale n'est garantie que par le biais de la corruption et du népotisme. L'accès au pouvoir ne s'obtient que par la capacité de violence, le radicalisme et la militance. Cette clientèle et ses gouvernants seront prêts à livrer un combat sans trêve, contre la rupture, contre le changement, et contre la modernité. Bien qu'une bonne partie de cette clientèle soit d'origine populaire. Il ne faut pas pour autant confondre ses intérêts avec ceux des masses. Cette clientèle est une minorité bruyante, un cercle fermé, limité, népotique, qui utilise ses origines de masse pour exploiter les masses, en les maintenant intentionnellement dans la pauvreté, l'ignorance, la misère et la dépendance ! Le populisme gère le maintien de sa clientèle populaire en faisant croire aux masses que le népotisme de la médiocrité soit l'équivalent de l'égalité de chance. Il y a des gens qui sont prêt à défendre au péril de leur vie cette duperie !

 

Après un demi-siècle, la majorité des Haïtiens n'a connu que cette réalité, que cette culture. Certes, elle est consciente du laxisme rétrograde, de la dégradation accélérée de ses conditions de vie, de celles des sans abris et des sinistrés. Elle est consciente de l'inadéquation des dispositions prise par le gouvernement envers les besoins réels de la population. Elle est consciente de l'insouciance scandaleuse des dirigeants envers sa misère. Elle est néanmoins consciente aussi de son ignorance, de sa pauvreté, de ses besoins et aspire à un mieux être. Elle proteste. Mais est-elle prête à s'engager dans une lutte vraiment insurrectionnelle, qui dépasse les mouvements de chapelle, pour à la fois rompre et s'émanciper ? S'émanciper vers quoi ? Voilà où l'on constate l'effet négatif du tort que Kofi Annan, Juan Gabriel Valdès et Gérard Latortue, ont causé au peuple haïtien au lendemain du 29 février 2004, en forçant paradoxalement le retour au statu quo ante en 2006. Ce peuple avait investi lourdement en vies et en biens pendant les 3 ans de lutte insurrectionnelle sanglante qui a abouti et aussi pendant les 2 ans qui ont suivi. Certes, les protestations constantes de différentes intensités qui font irruption maintenant et se répètent çà et là dans les villes à travers le pays, sont symptomatiques d'un ras-le-bol général.

 

Avec l'octroi des pleins pouvoirs, la prolongation de son mandat présidentiel et particulièrement le patrimoine qu'a légué Préval dans le domaine électoral, des élections qui se feront sous sa houlette, peu importe leur qualité, elles seront soupçonnées, contestées et rejetées sans appel. Préval a lui-même sapé et détruit toute confiance qu'un peuple aurait dû avoir, dans une situation de fin de règne, en un chef d'état pour lui confier la gestion d'une opération dont les résultats vont directement affecter son avenir et sa destinée ! Cela ne peut pas être étonnant pour personne «Que chat échaudé ait peur de l'eau froide ! »

 

Comment la communauté internationale peut-elle ignorer cet état de fait ? N'a-t-elle pas toléré et entériné le scandale des deux dernières élections de l'an dernier ? Certains ambassadeurs n'ont-ils pas publiquement exprimé leur satisfaction et complimenté le gouvernement pour faire taire les contestations au profit d'une stabilité militaire fausse et artificielle ? C'est un peuple qui a vécu et qui a été témoin de la collaboration de la communauté internationale, pour satisfaire ses propres intérêts, avec ses bourreaux pendant plus d'un demi-siècle. Sous Duvalier pour empêcher l'expansion du communisme dans la Caraïbe. Sous Aristide pour mettre fin au coup d'état militaire. Sous Préval pour satisfaire les intérêts idéologiques et doctrinaux de Kofi Annan et de Juan Gabriel Valdés. L'aveu, certes véridique mais arrogant, de Jane Kirkpatrick en parlant des dictateurs Marcos, Duvalier et Somoza « They are my sons of bitches ! », est très significatif. Aujourd'hui, il est évident qu'il n'y ait pas d'acteur du milieu international à avoir le culot ou la candeur de Jane Kirkpatrick. Cependant à partir de ce que l'on observe comme comportement envers Préval, n'a-t-on pas l'impression, jusqu'à preuve du contraire, que certains acteurs du milieu international, dans cette conjoncture, partagent la même opinion et éprouvent les mêmes sentiments envers Préval que Jane Kirkpatrick a éprouvé dans le temps envers Marcos, Duvalier et Somoza ? Dans ces conditions, peut-on décemment une fois de plus inciter le peuple haïtien à la résignation ?

 

Si les projets de reconstruction exigent au préalable une certaine stabilité, il faudrait plutôt se débarrasser de la cause de l'instabilité, au lieu de faire taire les protestataires. Il est absolument clair que le peuple haïtien ne veut pas que ce soit Préval qui fasse les élections. On n'a plus confiance en lui. Ce n'est pas une impulsion instinctive, une attitude incohérente, spontanée, vague et indéterminée. L'expérience des élections avec Préval remontant à avril 1997 jusqu'à juin 2009, a été invariablement exécrable. Si ce palmarès de Préval paraît futile à l'internationale, qui ne se soucie que des exigences de stabilité pour l'exécution de ses projets de reconstruction. Pour l'Haïtien cependant, qui aura à en subir les conséquences pour des années à venir, c'est une calamité intolérable ! Si d'une part, la Minustah pour des raisons qui lui conviennent, ne voudrait pas que Préval s'en aille avant le 7 février 2011, par respect pour les termes constitutionnels ; on pourra avoir alors, dans le calme et la sérénité, des élections à la fin de l'année 2011, sans Préval. Mais d'autre part, vous admettrez qu'il soit inacceptable de vouloir imposer à un peuple qui a perdu totalement confiance dans un chef d'état, maintenu artificiellement au pouvoir par une armée multinationale, d'aller aux élections avec ce chef d'état là. Si vous êtes seulement concerné par le maintien de la stabilité pour l'exécution des projets de reconstruction, cette imposition est contre-productive ! Ce comportement est illogique ! Cette imposition ne parviendra pas à faire taire les protestations et rétablir la confiance ! C'est la confiance en tant que condition qui aura pour corollaire la stabilité. Mais pas l'inverse !


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