lundi 19 juillet 2010

Haiti : L'urgence permanente qui dit tout....

L'urgence permanente

Gil Courtemanche

LE DEVOIR (Montréal)
17 juillet 2010

Actualités internationales

Il y a de ces expressions qui résument tout. C'est le cas de l'expression employée par un représentant de la Croix-Rouge française qui faisait le bilan de six mois de travail en Haïti: «Nous sommes encore dans l'urgence permanente.»

Certes, le séisme fut énorme, les dégâts, difficiles à imaginer, le défi de l'urgence et de la
reconstruction, probablement sans précédent. Mais que nous soyons encore dans l'«urgence permanente», cela constitue une sorte d'aveu. Les Haïtiens ne sont pas encore sortis des lendemains du séisme et la reconstruction demeure pour le moment plus un avenir lointain qu'une réalité qu'on voit poindre à l'horizon.

Quel bilan font les principaux acteurs? Le 12 juillet, le président Préval s'est félicité du fait qu'on avait réussi à éviter les épidémies et les désordres sociaux. Il a aussi annoncé qu'on entrait dans la phase de reconstruction. Il a tout simplement oublié de mentionner qu'il n'existait pas l'ombre d'un plan d'ensemble d'action globale pour la reconstruction. Pensée magique encore, fuite en avant toujours; spécialité de la classe politique haïtienne. Comment peut-on reconstruire quand seulement 10 % des débris qui jonchent la capitale ont été ramassés? Mais voilà, quelques jours auparavant, le président avait annoncé la tenue des élections le 28 novembre et la priorité, c'est de se maintenir au pouvoir. Jusqu'à quand l'avenir meilleur qu'on peint résistera-t-il aux assauts de la réalité?

Les ONG se situent dans une position ambiguë. Elles sont malheureusement prises entre l'écorce des donateurs et l'arbre du gouvernement. Les donateurs espèrent des résultats tangibles et les ONG, pour expliquer la lenteur des progrès, ne peuvent partir en guerre contre les vrais responsables des dysfonctionnements avec lesquels elles doivent composer quotidiennement, c'est-à-dire les autorités haïtiennes. Elles insistent sur les petites victoires, mais ne dénoncent pas. On vient de découvrir que tous les matériaux et toutes les denrées qui entraient en Haïti depuis le 12 janvier faisaient l'objet d'une taxe à l'importation de 20 % et qu'elles reposaient, bureaucratie oblige, durant des semaines dans les entrepôts de la douane. Aux 20 % de taxe s'ajoutaient donc de lourds frais d'entreposage. On pourrait dire que les douanes haïtiennes ont inventé toutes les formes de la corruption et de l'extorsion légales. Politique de l'État pour renflouer ses coffres ou initiatives personnelles de ces douaniers pourris? Probablement un consensuel mélange des deux. Pour que cette situation soit mise au jour et dénoncée, il a fallu qu'une équipe de CNN qui transportait avec elle une cargaison humanitaire d'une valeur de 5000 $ se voie imposer un droit d'entrée de 1000 $. Confronté par le réseau américain, le président a exprimé son étonnement et s'est engagé à faire cesser cette pratique qui durait au vu et au su de tous les acteurs depuis six mois.

Après six mois, la communauté internationale n'est pas fière, mais elle ne désespère pas. Le secrétaire général de l'ONU se plaint de la lenteur des progrès. L'ex-président Bill Clinton, coprésident de la Commission internationale chargée de gérer les 5 milliards de dollars promis en mars par la communauté internationale, regrette poliment que les pays retiennent les sommes promises. Cet organisme, maître d'oeuvre de la reconstruction, ne dispose actuellement que de 90 millions en fonds propres. Le Canada, malgré les habituelles arguties et demi-mensonges de Lawrence Cannon, n'a pas déboursé un sou. Mais aussi, parmi les retardataires, ce grand révolutionnaire bavard, Hugo Chávez, qui avait promis 1,2 milliard de dollars. La France, soucieuse de redorer son image dans son ancienne colonie, préfère, pour sa part, des arrangements directs avec le gouvernement haïtien plutôt que de voir ses précieux euros noyés dans la masse anonyme de la communauté internationale. Par contre, on peut comprendre les réticences des bailleurs de fonds devant l'incapacité du gouvernement à développer une politique globale et crédible et aussi devant l'incertitude quant aux résultats de l'élection.

Pendant ce temps, pour les 1,6 million de réfugiés qui languissent dans 1300 campements temporaires, s'annonce la saison des cyclones. Il existe bien un plan et des fonds pour construire 125 000 abris plus solides, en bois ou en tôle, mais seulement 3700 de ces abris ont été construits. Et malheureusement, le gouvernement ne parvient pas à fournir les terrains nécessaires. Pas question évidemment d'exproprier les propriétaires terriens qui soutiennent ce gouvernement. La transformation de ces campements d'urgence en sites semi-permanents, dotés de services comme l'eau, les soins de santé et la distribution d'aliments, entraîne aussi des effets pervers. Des gens démunis dont la maison n'a pas été détruite vont s'installer dans ces camps pour profiter de cette manne providentielle.

Le bilan le plus éloquent, je l'ai trouvé dans une anecdote recueillie par un journaliste du quotidien Le Monde. C'est le témoignage d'une jeune femme, Nadine Beaujour, qui vit sous une tente. Nadine est enceinte et dit: «Je suis arrivée au terme, mais le bébé ne veut pas sortir, sans doute parce qu'il sait que je n'ai rien à lui donner à manger.» Haïti, le pays qui a des enfants qui refusent de naître. Voilà le véritable bilan six mois plus tard.
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Olivier
Bertoni
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