jeudi 1 juillet 2010

Le système carcéral haïtien 150 jours après le séisme du 12 janvier 2010.


Rapport du Service d'Assistance Juridique du Secrétariat National Justice et Paix

Le système carcéral haïtien 150 jours après le séisme du 12 janvier 2010

Préparé: Par Vincent Joseph Michel

Port-au-Prince, 18 juin 2010

Introduction

Attention à la détention préventive prolongée

La Commission Episcopale Nationale Justice et Paix, institution de l'Eglise catholique œuvrant dans le domaine de la défense de la dignité et des droits humains tient à souligner à l'attention des autorités judiciaires, la réalité de la détention préventive prolongée qui refait surface après les événements du 12 janvier 2010. Il est vrai que ce tremblement de terre a tout remis en question, même les infrastructures judiciaires n'y échappent pas. Il montre en quelques sortes la démission, le manque de gouvernance réel et efficace de l'Etat dans la gestion de l'environnement haïtien. Et, si on a enregistré autant de victimes durant le passage du séisme, ceci est dû à la négligence, l'incivisme, la corruption du système politique et des dirigeants. Ce même constat est valable au niveau judiciaire marqué par l'inapplication des lois pénales, l'irrespect des délais de la garde-à-vue, et le système de faveurs qui approfondissaient le clivage social au niveau des prisons. Tout cela a conduit à la détention préventive prolongée parfois débouchée sur des évasions en cascades comme cela a été le cas après le 12 janvier 2010. Cette situation de détention prolongée tend à réapparaître.

L'objectif de ce rapport est de montrer la situation du système carcéral haïtien, cent cinquante (150) jours après le séisme du 12 janvier 2010, avec une attention spéciale à la détention préventive prolongée qui refait surface. Il convient d'analyser cette question département par département et prison par prison pour l'analyser bien et de faire des recommandations aux autorités compétentes.

1. Département du Nord-est

La Prison civile de Fort Liberté

La Commission Justice et Paix de Fort Liberté a visité le 11 mars 2010 la grande prison de cette ville vers 1 :00 PM, accompagné du Directeur national de la Commission. Elle a pu constater la population carcérale est passée à deux cent huit (208) détenus, deux cent deux (202) hommes et six (6) femmes.

Constat : Près de dix huit (18) détenus n'avaient pas encore été appelés devant leur juge naturel, alors que certains d'entre eux ont déjà passé à peu près six (6) à douze (12) mois en détention.

Voici quelques noms des détenus qui se trouvent dans cette situation :

· Joslin Adonis demeurant à Dupiti, il a passé plus de sept mois sans juger.

· Jean Jonas, demeurant à Caracol, détenu plus d'un mois sans voir son juge naturel,

· St Hilaire Mackenson toujours détenus depuis huit (8) mois.

Garde-à-vue de Fort-Liberté

Pour la garde-à-vue, le 25 février 2010, la Commission de Fort Liberté a visité plusieurs commissariats et sous commissariats. Elle a observé le cas de cinq (5) personnes retenues dans le commissariat de Fort liberté. Parmi lesquelles, un mineur de douze (12) ans.

· On cite encore le cas de Francilot Ivner arrêté le 22 février 2010 pour implication dans une affaire de calebasse. Il a passé plus de cinq (5) jours en garde-à-vue sans être jugé.

· Vient ensuite le cas de Jean Jules demeurant à Trou du Nord, détenus pour voies de fait. Il a passé environ six (6) jours dans le sous-commissariat et son dossier n'a jamais été déféré devant le parquet de Fort-Liberté pour être transmis par devant son juge.

2. Département du Centre

La Prison civile de Hinche

Le 12 mars 2010, la prison de Hinche a été visitée par une équipe de la Commission diocésaine Justice et Paix de ce département. Il y avait au moins cent soixante et un (161) personnes dans la prison de Hinche ; soixante quatorze (74) sont en détention préventive prolongée et deux (2) mineurs.

La visite a été portée sur les conditions sanitaires, l'état physique ainsi que l'état juridique des détenus. L'équipe a constaté les conditions d'insalubrité de la prison avec de l'eau stagnante qui s'y trouvait. En même temps, il y a une certaine pénurie de l'eau potable dans cette prison. La douche est en mauvais état et il n'y a pas d'électricité. De nombreux détenus souffrent des maladies de la peau : boutons, grattèles ; d'autres souffrent du mal aux dents. Il n'y avait pas de médicaments disponibles pour les malades. Quatre (4) d'entre eux sont atteint du VIH/SIDA, et deux autres sont placés sous médicaments (ARV).

La Commission recommande

· Qu'il y ait une séparation entre les personnes condamnées et les détenus

· Que la direction améliore les conditions sanitaires en commençant par rendre disponible de l'eau, des soins appropriés en cas de maladie, et que les détenus bénéficient d'un matelas pour se coucher.

3. Département de l'Ouest

A) Les Prisons de la zone métropolitaine

1) La prison de Delmas 33 ou Fort Dimanche

La prison de Delmas 33, communément appelée « Fort Dimanche » a été visitée par un membre de l'assistance juridique du Secrétariat national le 21 Avril 2010. Il a constaté que cette prison est presque déserte sans présence des agents de l'APENA. La prison est en réparation et on commence à faire venir des matériaux pour la reconstruction de celle-ci saccagée par les détenus lors du séisme du 12 janvier 2010. Les détenus mineurs ont été transférés au Pénitencier national. Ils étaient entre quarante (40) et cinquante (50) recensés à la prison civile et hébergés dans la cellule Brick 7 du Pénitencier national actuellement. Le fait de garder les enfants dans la même prison avec des adultes est contraire aux normes internationales sur la gestion des détenus.

2) La Prison civile de Pétion Ville dite « prison des femmes »

La prison de Pétion Ville a été visitée par l'un des membres de l'équipe d'assistance juridique du Secrétariat national de Justice et Paix le mardi 27 avril 2010. Pendant cette visite, il a pu constater que la population carcérale de cette prison s'évalue à deux cent quatre vingt dix huit (298) prévenues alors qu'en réalité, elle est construite pour trente six (36) détenus. Parmi les 298 prévenues, on compte: deux cent cinquante (250) femmes adultes dont vingt deux (22) femmes condamnées, et vingt six (26) fillettes. Deux cent cinquante quatre (254) de ces femmes sont en détention préventive prolongée.

La Commission a constaté que les agents de l'APENA sont généralement très cléments face aux détenues. Certaines femmes souffrent d'une maladie mentale. La Justice doit se pencher sur leur cas, comme réclame les règles minima pour le traitement des détenus, section « aliénés mentaux et anormaux », art 82. Donc, elle demande à la Justice de faire le nécessaire pour les détenues.

Suivant la déclaration d'un agent de l'APENA qui veut rester dans l'anonymat, aucune détenue de la prison ne s'est évadée lors du tremblement de terre. Le bâtiment montre de légères fissures dans certaines cellules. Cependant, la situation des détenus ne s'est pas amélioré cent cinquante (150) jours après le tremblement de terre du 12 janvier. La Justice ne les appelle pas à comparaître ; les femmes sont entassées dans des cellules comme des sardines emboîtées. Un autre agent de l'APENA qui aussi veut garder anonymat, déclare que : « plusieurs personnes sont mortes par manque de soins ».

Nous attirons l'attention sur la présence des mineures parmi les femmes adultes.

Voici quelques cas :

Loresia Doresca a été arrêtée le 28 août 2008 ; elle est avancée en âge soixante dix (70) ans. Selon les informations recueillies, sa fille Rose Mâte Petit (décédée en prison) aurait été impliquée dans une affaire de kidnapping. Loresia a été entendue une seule fois par le juge Yves Altidor, et accusée de complicité d'enlèvement avec Nicole ainsi connue.

Hermilise Guerrier est une malade mentale selon les déclarations. Son cas mériterait d'être pris en main par un médecin spécialiste. Elle a quatre vingt onze (91) ans ; accusée d'assassinat ; arrêtée le 25 septembre 2009 et elle a été auditionnée par le substitut Commissaire du Gouvernement Jean Claude Dabresil.

Hilaire Hélène a été arrêtée le 13 septembre 2006 à Delmas 75. Son no d'écrou 09-06-032, déposée le 18 septembre 2006. Elle est accusée de trafic illicite de stupéfiant et entendue par le Commissaire du Gouvernement Carolle P. Aimable.

Georgèle Jean a été arrêtée le 24 mars 2005 à Frères et écrouée le 21 juillet 2005 sous accusation d'association de malfaiteurs, tentative d'assassinat, frères dossier Hubert Nixon # 874/05, Juge d'instruction : Durin Duret Junior.

Saint Cyr Stana: Arrêtée le 27 juillet 2006 lors d'un arrimage, présentée au parquet le 9 août 2006, accusée d'association de malfaiteurs. Elle a été entendue par le Commissaire du Gouvernement Eddy Cherubin.

Joseph Nadelsia: Date de dépôt le 3 juillet 2006, accusée d'association de malfaiteurs, enlèvement, séquestration et détention d'armes illégales ; elle a été entendue par le Substitut Commissaire du Gouvernement Fred Heck Leny, # écrou: 07-06-001. Elle n'a pas encore jugée.

Bonne Année Julie: Ecrouée le 16 août 2006, accusée d'assassinat et de vol à main armée sur les sœurs du dossier : Johanne Clermont, Johanne Jean : Juge d'instruction Mimose Janvier.

Elista Joseph: Arrêtée en mars 2005 à Sarthe, elle est accusée de meurtre, les frères du dossier : Claude Mathurin et St Fort Wilner, Juge d'instruction : Bernard St Vil.

Lamy Augusta: Arrêtée le 12 mars 2007, accusée de kidnapping, elle est arrêtée seule, elle n'a pas encore été présentée devant aucun juge d'instruction.

Joseph Nathalie: Arrêtée le 31 octobre 2007 à Kenscoff par la DCPJ, accusée d'enlèvement, présentée devant le Parquet le 13 novembre 2007. Elle a été entendue par le Commissaire du Gouvernement Sonel Jean François. Elle a été retenue pour enquête ; jusqu'à date l'enquête se poursuit d'après elle.

Chrismé Marie Carmel: Arrêtée le 1er novembre 2008, présentée au parquet le 8 novembre 2008, accusée de kidnapping. Elle n'est encore pas comparue par devant aucun juge d'instruction.

3) La prison civile de Carrefour, dite « Omega »

La prison a été visitée en date du 14 avril 2010 par un membre de l'assistance juridique de la Commission Justice et Paix. Cette prison compte environ cent trente (130) détenus, dont trente trois (33) condamnés et trois (3) mineurs qui viennent de la prison de Delmas 33. Un responsable de la prison nous a fait comprendre qu'il y a des fissures dans les murs, qui ne mettent pas en danger la vie des détenus. Il y a au moins sept (7) cellules dans la prison, mais la cellule qui se trouve près du réservoir d'eau est en mauvais état, parce que suite au séisme, l'eau du réservoir pénètre dans la cellule. Les agents travaillent dans de mauvaises conditions ; plusieurs sont logés dans les centres d'hébergement chez les Sœurs Salésiennes à Thorland. Un agent a déclaré : « Nous vivons presque la même situation que les détenus, sauf que nous avons un salaire. »

4) Pénitencier national

Le 28 avril 2010, un des juristes du service d'Assistance Juridique du Secrétariat a effectué une visite au Pénitencier national. Il a eu le privilège de pouvoir visiter presque toute la prison en passant dans les différentes cellules: Carré Garde, Brick, Hall, Isolement, Dispensaire, Titanic, Bois Verna, Wock, Admission et l'administration. Il était sur les lieux à 11 heures AM, au moment où les détenus prenaient la douche. Il a pu observer que le compartiment de la prison où se trouvent Carré-Garde, Hall 1 et HAll 2 sont complètement détruites par le séisme tandis que toute l'administration ainsi que le greffe ont été complètement saccagés par le feu.

Lors de la visite, les détenus étaient au nombre de huit cent treize (813) ; ils se trouvaient sur une cour de recréation à Brick I. On a observé que seulement les cellules Brick I et le dispensaire avaient des détenus ; toutes les autres cellules, Titanic, Hall 1 et 2, Bois Verna, Isolement, Carré-Garde et Work étaient vides. Nous avons constaté aussi tous les effets laissés par les évadés se trouvaient toujours sur la cour de Titanic (3, 4, 5, 6). Il y a trois (3) étages dans le bâtiment dit Titanic et chaque étage contient huit (8) cellules. On remarque à Titanic 3 et 4 des traces de feu et des morceaux de briques jetés par terre et les objets laissés par les évadés servent aux agents de réserves d'objets pour aider les autres détenus. Selon la déclaration d'un agent de l'APENA, les détenus se sont servis des bancs d'école pour faire des marches pieds accolés avec les murs du Collège Bird pour s'évader.

Un agent qui surveillait les détenus, a laissé entendre que les conditions de travail des policiers au Pénitencier national sont très pénibles. Ils se sentent maltraités par rapport aux détenus qu'ils surveillent. Il n'y a pas un espace réservé aux agents même pour garder des matériels et équipement destinés pour le service de la sécurité de la prison. La nouvelle entrée utilisée par les agents dans la prison, mérite d'être restaurée parce qu'elle est vétuste et endommagée par le séisme, ce qui met la vie des agents en danger. A notre avis, il n'y a pas de raison valable pour que la plus grande prison du pays ne soit pas restaurée et nettoyée, afin d'y loger décemment les détenus.

N.B : A signaler que certains détenus sont morts récemment en prisons, tels que:

· Jean Hérold, décédé le 21 avril 2010

· Guy Junior, décédé le 22 avril 2010.

· Darline Etienne, décédée le 20 avril 2010

· Fritz Ismé, décédé le 18 mai 2010

B) Les gardes à vue du département de l'Ouest

La Commission Archidiocésaine Justice et Paix de Port-au-Prince a visité plus de seize (16) commissariats et sous commissariat entre le 1er et le 5 mai 2010.

Voici les listes des commissariats et sous commissariats visités

1. Sous commissariat de Portail Léogâne

2. Sous commissariat de Marché Salomon

3. Commissariat d'Omega / Carrefour

4. Sous commissariat de St Charles (Fissuré)

5. Sous commissariat de Gressier (Détruit)

6. Sous commissariat de Léogâne

7. Commissariat de Léogâne Dufort (fissuré)

8. Sous commissariat de Carrefour Dufort (Fissuré)

9. Sous commissariat de Bon Repos

10. Commissariat de la Crois des Bouquets (Fissuré)

11. Commissariat de Cité Soleil (Fissuré)

12. Commissariat De Grand Goâve

13. Sous commissariat Vialet (Fissuré)

14. Commissariat de l'Arcahaie

15. Sous commissariat de Cabaret

16. Commissariat de Delmas 33 (détruit)

Les constats au niveau des garde-à-vues

L'équipe de visite des prisons et des garde-à-vues de l'Archidiocèse de Port-au-Prince a pu constater que les personnes arrêtées ne sont pas déférées à temps devant leur juge naturel. Et le plus grand défi constaté : le non respect des délais de la garde-à-vue. Prenons comme exemple le cas de Randriche Renette qui a été arrêtée depuis un mois par le sous commissariat du Marché Salomon. Selon ses déclarations, elle a été arrêtée à cause d'une dispute avec un certain Moise Junior. Au moment de la visite, son dossier n'avait pas encore été déféré devant aucun juge.

Dans le sous-commissariat de Gressier, les policiers fonctionnent sous des tentes ; ce même constat est valable pour Léogâne. Les policiers à Gressier nous ont déclaré que les membres de cette communauté considèrent la Police comme des ennemis ; ils ne comprennent pas si « la PNH est là pour les protéger et servir ». Les prévenus de Léogâne sont gardés en garde-à-vue à Carrefour Dufort. Les infrastructures minimales y manquent, les prévenus sont obligés de faire tous leurs besoins dans la petite espace qui leur est réservée.

Les divers lieux de détention sont en mauvais état. Parfois, la fameuse question de ''Bokit dit King'' où les prévenus avaient fait leurs besoins se trouvaient toujours sur les lieux et dégageaient des odeurs nauséabondes.

Beaucoup des sous-commissariats visités dans l'aire métropolitaine sont fissurés, ou bien complètement détruits. Les sous-commissariats fissurés sont : sous-commissariat de St Charles Carrefour, sous-commissariat de Carrefour Dufort, sous-commissariat de Vialet. Les commissariats fissurés sont : Le commissariat de Delmas, le commissariat de Léogâne, le commissariat de la Croix des Bouquets, le commissariat de Cité Soleil. Le sous commissariat de Gressier est détruit. En général, les commissariats et sous-commissariat ne sont pas électrifiés. Le soir, les agents se servent de bougies.

4. Département du Sud-est

Le comité de la visite prison diocésaine a effectué deux visites pour cette période dans la prison de Jacmel. L'une le 26 janvier et l'autre le 31 mars 2010.

La Prison civile de Jacmel

Lors de la première visite le 26 janvier 2010, la population carcérale comptait deux cent quatre vingt onze (291) détenus et le 31 mars 2010, elle avait déjà passé à deux cent quatre vingt quinze (295). L'équipe note que cent quatre vingt un (181) personnes de ce nombre étaient en détention préventive prolongée.

Selon certaines informations reçues des agents de l'APENA, au moment du séisme environ cent (100) détenus se sont évadés. Ils ont démonté les portes des cellules, cassé les cadenas, rentré dans le bureau du Directeur, saccagé et pillé tout ce qu'ils trouvaient sur leur passage. Pendant trois jours, les agents avaient perdu le contrôle de la prison parce que l'événement les dépassait. Parmi les cent (100) détenus évadés, un nombre de quarante (40) ont été repris. En ce qui concerne la nourriture des détenus, pendant les quatre (4) semaines qui suivaient le séisme, c'est le Programme Alimentaire Mondial (PAM) qui était responsable de la nourriture dans la prison. Ce n'est qu'après ce temps, la Direction a repris la distribution de nourriture dans cette prison. L'endommagement du bâtiment du tribunal civil de Jacmel a occasionné une lenteur dans le déroulement de la Justice correctionnelle.

Depuis le séisme, les conditions de travail des agents de l'APENA sont très difficiles. Pour dormir, les agents sont obligés de s'allonger sur des morceaux de planche et de portes sur la cour à coté du greffe, tombés lors du séisme.

5. Département du Sud

Le comité de visites des prisons des Cayes a effectué trois (3) visites d'observation aux prisons des Cayes, de Damassin et d'Aquin, en date du 6, 8 et 9 avril 2010. En plus, il a effectué une visite de la garde-à-vue dans la commune de Camp Perrin.

La Prison civile des Cayes

Dans la prison des Cayes, le comité a observé en date du 6 avril 2010 une situation très précaire avec trois cent quatre vingt sept (387) détenus en total. Les détenus sont entassés dans les cellules. Ils ne peuvent pas respirer convenablement, voir dormir et manger correctement. Plusieurs sont tombés malades et leurs dossiers juridiques n'avancent pas. La situation s'est aggravée avec l'arrivé de quatre vingt huit (88) prévenus de la prison de Damassin

Concernant le massacre qui a été perpétré dans la prison des Cayes en date du 19 janvier 2010, selon le rapport d'une enquête conduite par une équipe de la Commission Justice et Paix des Cayes, plus de treize (13) personnes auraient perdu leurs vies et quarante (40) autres seraient blessées. La Commission a reçu cette confirmation des ex-détenus. Selon ces informations, les détenus se sont laissé prendre dans un piège tendu par des agents de l'APENA de cette prison, qui avaient laissé ouverts les cadenas des portes des cellules ; chaque détenu qui s'est évadé, les agents auraient tiré dessus. Ce fait du massacre a été repris par Le Nouvelliste du 24 et 25 mai 2010, qui cite un article du New York Times.

La Prison civile de Damassin

L'équipe dépêchée sur place a constaté que le centre de détention est fermé. Et selon la déclaration d'un responsable de la prison: « on est bien obligé de fermer la prison parce que les détenus bénéficiant l'appui des bandits venant de Port-au-Prince, ont saccagé, pillé la prison et ensuite pris la fuite. Ils ont mis le feu dans les matelas et les lits ». Avant l'évasion, ils étaient quatre vingt huit (88) personnes dans ce centre : soixante deux (62) condamnés, vingt trois (23) en détentions et trois (3) mineurs. Par la suite, la police est arrivée à récupérer vingt quatre (24) évadés dont un est mort. On a transféré les autres à la prison des Cayes. La prison de Damassin est fermée pour réparation et restructuration.

La Prison civile d'Aquin

Le 9 avril 2010, la prison d'Aquin a été visitée par une équipe de Justice et Paix. Elle a visité les trois (3) cellules du Commissariat d'Aquin où se trouvaient les détenus. Le jour de la visite, l'effectif était de soixante (60) prévenus : cinquante cinq (55) hommes et cinq (5) femmes. Parmi les soixante (60) prévenus, quinze (15) sont condamnés et quarante cinq (45) font de la prison préventive. Beaucoup de prisonniers d'Aquin avaient été transférés à la prison civile des Cayes. Cette situation crée de sérieuses difficultés pour les justiciables de cette zone lorsque le juge veut entendre un détenu. Cela est encore plus pénible pour les visites familiales.

6. Département de la Grande Anse

La Prison civile de Jérémie

Une équipe de la Commission diocésaine a visité la prison de Jérémie en date du 25 février et le 18 mars 2010. Elle a constaté le surpeuplement carcéral, des personnes condamnées sans dispositifs de jugement, une carence de lits pour les détenus et des matelas en mauvais état. Les détenus signalent le manque de nourriture ; ils ont dénoncé la mauvaise cuisson des aliments ; ils manquent de l'eau buvable, plusieurs d'entre eux sont tombés malades avec la diarrhée, la grattelle, l'écoulement ou blennorragie.

Plus de cent quatre vingt neuf (189) personnes sont en condition de détention préventive prolongée ; un mineur se trouvant parmi eux. On a compté deux cent soixante quatre (264) détenus pour seulement sept (7) cellules, soit une moyenne de trente sept (37) détenus par cellule.

L'équipe a constaté que certains détenus condamnés à l'emprisonnement et à l'amande étaient arrivés à terme du délai de l'emprisonnement, et ils ont compensé un nombre de temps pour l'amande, mais on les garde toujours en prison.

7. Département des Nippes

La prison civile de Miragoâne

L'équipe de la commission diocésaine n'a pas fait de visite de prison pour cette période, mais elle a assisté trois cas de personnes détenues :

· Un cas d'assassinat qui s'est soldé par l'émission de soixante sept (67) mandats d'arrestation, dont seulement huit (8) personnes ont été arrêtées. La cause en était un conflit terrien à la Petite Rivière des Nippes, depuis 1989, entre le propriétaire Nacius Augustin et les héritiers Leblanc. Jusqu' à maintenant aucune solution n'est portée au dossier d'Augustin Nacius.

· Les deux autres cas pour usage de faux.

La détention prolongée continue

Le plus grand constat fait par la Commission Episcopale Nationale Justice et Paix est la montée rapide de la population carcérale après l'événement du 12 janvier 2010 au niveau des prisons des départements, malgré l'évasion de plus de quatre mille (4000) détenus. Avec cette montée revient en force la question de la détention préventive prolongée, que le système judiciaire, affaibli par les événements du 12 janvier, ne semble pas en mesure de maîtriser: Le palais de Justice à Port-au-Prince et d'autres bâtiments sont tombés, des archives détruites, il y a des pertes en ressources humaines et matérielles. Déjà avant le séisme, cette situation de détention prolongée était considérée comme une violation grave des droits des détenus, auquel l'Etat n'a pas su ou pas voulu répondre.

En certains endroits, les agents de l'APENA vivent sous des tentes parfois dans les mêmes campements ou hébergements avec les évadés de prisons, des délinquants recherchés par la Justice.

Au Pénitencier national, les détenus sont logés dans deux espaces (Brick et dispensaire) alors que toutes les autres cellules ne sont pas encore nettoyées et équipées pour les loger. Les détenus mineurs de Delmas 33 sont gardés en Brick 7 au Pénitencier national.

A Pétion Ville, beaucoup de détenues femmes sont tombées malades. Certaines d'entre elles sont mortes en détention. Par exemple : Darline Etienne, décédée le 20 avril 2010 à Pétion Ville. Malgré la clémence des agents de l'APENA envers les femmes détenues, cela n'empêche pas que deux cent cinquante quatre (254) femmes font de la prison préventive prolongée. Le cas le plus frappant est celui de Lorésia Doresca, une vieille dame de soixante dix (70) ans, arrêtés aux Cayes à cause de sa fille Rose-Mate Petit qui était impliquée dans un dossier de kidnapping et qui est décédée en prison ; on l'accuse de complicité parce qu'elle venait prendre refuge chez elle.

A Jérémie des personnes qui ont fini de purger leurs peines soit d'emprisonnement, soit d'amande, sont retenus encore en prison. Et ceci allonge la liste du surpeuplement carcéral au niveau de cette prison.

Dans plusieurs prisons les équipes de Justice et Paix ont observé la présence de mineurs (mineures à Pétionville) dans un lieu de détention destiné à des adultes. Ceci est une situation inacceptable et constitue une violation des droits des enfants. Cette situation demande d'être corrigée.

Le manque de structure pénitentiaire engendre la délocalisation des détenus, augmentation du dilemme dans la famille des détenus pour la visite, vient ensuite le problème dans la procédure judiciaire (pas de protection judiciaire pour les détenus). Ce qui favorise la violation du droit à la garantie judiciaire. La question de la détention préventive prolongée que le Ministre de la Justice, lors de son investiture, avait promis d'éradiquer dans les cent (100) premiers jours de son mandat, semble retourner pour la plus belle. Le phénomène d'évasion des détenus dans les prisons particulièrement celle du Pénitencier national, montre l'affaiblissement du système judiciaire, qui n'a jamais réussi à adresser la question de façon juste et avec détermination. En effet, trop d'intérêts semblent jouer pour conserver le statu quo.

Recommandations

Aujourd'hui, après le séisme du 12 janvier 2010, un nombre de questions qui se posent fait oublier d'autres questions et défis. Ainsi, on parle de la reconstruction du pays, la relocalisation des personnes qui ont perdu leur maison par le séisme, et même simplement de l'arrestation des personnes évadées. Beaucoup de gens semblent oublier ce grand mal qui rongeait le système judiciaire haïtien et qui s'appelle « la détention préventive prolongée, ainsi que les conditions inhumaines des détenus ». Des conditions qu'on ne souhaiterait à personne. Dans la reconstruction du pays il faut donc que :

· La réforme du système judiciaire trouve sa place ;

· La réforme du système carcéral soit prise au sérieux.

Les raisons sont simples :

· Il s'agit du respect de la dignité et des droits des personnes, même s'il y a des suspicions ou accusations contre elles.

· Il s'agit de l'intérêt de la société que les prisons soient des centres de réinsertion et de socialisation pour les condamnés, parce qu'un jour ils reviendront comme personnes libres parmi leurs concitoyens et citoyennes.

Voici nos recommandations :

1. Nous recommandons au Ministère de la justice

· De permettre que les ordonnances ou décisions judiciaires soient exécutées dans des délais légaux.

· De libérer les voies de recours en habeas corpus dans le souci de combattre le phénomène de la détention préventive prolongée.

· D'inviter les juges de paix à faire les informations préliminaires à temps lorsque les infractions ne relèvent pas de leurs compétences.

· D'augmenter le nombre des juges d'Instruction pour faciliter un meilleur traitement des dossiers dans les délais impartis par la loi.

· De prendre les mesures pour restaurer et décongestionner les centres de détentions afin d'éviter le surpeuplement carcéral.

· D'envisager la relocalisation du pénitencier national.

· Obliger les commissaires de Gouvernement à visiter une fois par mois les centres de détentions qui dépendent de leurs juridictions, comme exigé par la loi (art 447 CIC).

· D'appliquer et faire appliquer les mesures légales qui font injonction aux magistrats de visiter les prisons.

· D'extirper la corruption qui ronge le système judiciaire.

2. Nous recommandons aux Doyens et aux Juges

· Aux Doyens et aux Juges, de fixer un horaire de travail et une méthode appropriée pouvant permettre à examiner plus de dossiers possibles.

· De redistribuer les dossiers à temps afin que la détention d'une personne se dépasse en aucun cas le temps prévu par la loi.

3. A la Direction générale des prisons

· De professionnaliser les agents de l'APENA afin d'éviter l'usage d'armes à feu.

· Permettre une meilleure gestion des espaces pénitentiaires en érigeant plus de centres de détentions.

· D'assurer de meilleures conditions de vie en détention: comme des soins de santé adéquats, eau, nourriture convenable des lits pour dormir etc.

· D'augmenter le nombre d'agents au niveau des centres de détention, surtout au Pénitencier national.

· De renforcer la sécurité autour des prisons.

· De donner plus de moyens aux agents Pénitentiaire pour alléger leur tâche, ceux qui travaillent le soir pour qu'ils ne recourent pas à des moyens forts (l'usage des armes) au moment des problèmes.

· De séparer les personnes condamnées des personnes en détention, séparer les mineurs (garçons ou filles) des personnes adultes.

· D'aménager les centres de santé afin que chaque détenu puisse trouver des soins convenables. en cas de maladie.

· D'assurer un traitement plus digne aux dépouilles mortelles des détenus décédés en milieu carcéral.

4. A la Direction Générale de la Police Nationale d'Haïti (DGPNH)

· D'intervenir et passer les instructions au niveau des commissariats ou sous-commissariats (milieu des gardes à vue) pour les électrifier, d'alimenter en eau potable, afin de mieux accueillir et loger les membres de la PNH et les personnes arrêtés.

· D'inviter et obliger les policiers à respecter le délai de la garde-à-vue. Les former dans ce sens.

· De former les policiers afin de bien préparer les rapports et éviter tous ennuis aux personnes arrêtées dans la poursuite de l'enquête.

Conclusion

La Commission Justice et Paix attire l'attention des autorités judiciaires sur la montée de la population carcérale et le manque d'infrastructure judiciaire qui existe surtout à Port-au-Prince. Une situation qui pourrait aggraver le flux de la détention préventive prolongée, source d'insécurité judiciaire et d'impunité.

Elle conseille à l'Etat de repenser le système carcéral pour le bien être de la communauté haïtienne. Les conditions de détention ne préparent pas les détenus et encore moins les personnes condamnées à leur réintégration dans la société. Ceci démontre l'échec du système pénitencier, et de l'Etat qui en est le responsable. La reconstruction du système carcéral devrait être au menu du Plan de la reconstruction nationale d'Haïti. Le système carcéral est le reflet de la société dans lequel nous évoluons ; le système carcéral doit également garantir la sanction du crime et la réintégration des délinquants dans la société.

Port-au-Prince, 18 juin 2010
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