dimanche 15 août 2010

Wyclef : Cette Tornade Qui Vient Du Nord /radiokiskeya

Haïti-Élections : Cette tornade qui vient du nord…

Par Liliane PIERRE PAUL

samedi 14 août 2010,

Radio Kiskeya

Il y a moins d'un an dans une interview exclusive à Radio Kiskeya, la star du hip-hop Wyclef Jean se refusait à admettre qu'il se préparait à se porter candidat à la Présidence. Aujourd'hui, c'est fait. Il en a fait l'annonce sur le puissant réseau américain CNN et le jeudi 5 août 2010, il a présenté officiellement sa candidature à la direction des opérations électorales du CEP. Il ne fait aucun doute que cette candidature est venue donner une dimension inattendue à ces élections qui jusque-là semblaient opposer d'une part le pouvoir à la recherche d'une formule de continuité et d'autre part, les ténors de l'opposition qui contestaient d'avance le processus électoral sans vraiment démontrer la capacité d'en empêcher la réalisation.

Comme une tornade, l'annonce de la candidature de Wyclef Jean a donné l'impression de tout balayer : Inite, la plateforme au pouvoir, a perdu son apparente cohérence interne et l'opposition semble encore en quête d'une nouvelle formule de mobilisation. Si Wyclef Jean arrive à franchir sans difficultés le saut à obstacles que constituent les critères d'admission du CEP (17 documents obligatoires dans son cas) sa candidature marquera certainement un tournant dans une dynamique électorale dominée jusque-là par le clan au pouvoir.

Cette candidature n'est pas sans rappeler celle de Jean Bertrand Aristide en 1990, même s'il faut éviter le piège de la comparaison abusive. Comme Aristide, il y a vingt ans, Wyclef Jean est un outsider sans réel programme et porteur d'un discours populiste et messianique qui mobilise les couches les plus défavorisées et la jeunesse nombreuse et marginalisée des bidonvilles du pays. Ce discours effraie, ou tout au moins, dérange l'establishment. Car, comme avec Aristide en 1990, la présence de Wyclef Jean dans la course électorale est vécue comme une remise en cause des élites politique et économique qui ont échoué à faire d'Haïti un pays viable pour ses ressortissants.

Mais, contrairement à Aristide qui disposait en 1990 d'un solide réseau d'appuis au sein de l'église catholique (TKL), d'une frange importante de la bourgeoisie d'affaires, des médias indépendants, des organisations socio-professionnelles et des intellectuels progressistes, on n'est pas du tout sûr en 2010 que Wyclef Jean dispose de tels appuis. Ses soutiens les plus évidents viennent du mouvement rap créole dont il est le parrain. Il s'agit d'un mouvement contestataire très prisé au sein de la jeunesse marginalisée des quartiers pauvres de nos villes que Wyclef Jean désigne sous le nom de ghettos. Ce mouvement qui a ses propres règles, ses rituels et ses propres codes de communication saura-t-il mobiliser l'ensemble de la jeunesse haïtienne aujourd'hui déboussolée, sans repère dans une société en crise ? L'appui de la jeunesse des ghettos aura-t-il une expression électorale dans un pays où les jeunes de moins de 30 ans représentent plus de la moitié de la population ? On ne saurait le dire pour le moment. Ce qui est certain, c'est que l'effet Wyclef dans l'opinion publique haïtienne et internationale est sans conteste. Son nom est sur toutes les lèvres en bien ou en mal et son statut de mégastar du hip-hop mobilise la grande presse internationale replaçant ainsi Haïti sous les feux de la rampe pour des raisons différentes que celles d'il y a 7 mois, lors du séisme dévastateur du 12 janvier.

Par ailleurs, dans une société aussi complexe que la nôtre, son statut de mégastar venue de la diaspora peut tout aussi bien lui être profitable que nuisible. Depuis la candidature ratée de l'industriel Dumarsais Siméus, débarqué du Texas, c'est la première fois que le pays est ainsi confronté à sa diaspora. Car, quoi que dise l'ex-leader des Fugees, il est un candidat venu de la diaspora. Il est un modèle de réussite dans la logique du grand rêve américain. Cela fascine et fait peur en même temps. Tant que Wyclef Jean associait le drapeau haïtien à ses succès internationaux, il faisait l'unanimité. Mais, les réactions ne sont plus les mêmes quand il sollicite le suffrage des citoyens pour la magistrature suprême. Tous ses handicaps sociaux sont alors propulsés au premier plan, à commencer par ses problèmes linguistiques. Il ne parle pas le français au grand dam des francophones et francophiles et il parle un créole de ghetto qui préoccupe, sinon agace la majorité silencieuse. Tout cela complique encore davantage sa méconnaissance avérée du pays dans ses codes sociaux, ses us et coutumes.

Mais, il n'est pas à une contradiction près. Son mouvement « Fas a Fas » apparaît comme une proposition de huis-clos haïtiano/haïtien opposant riches et pauvres, jeunes et vieux, mulâtres et noirs, citadins et paysans, haïtiens du dedans et haïtiens du dehors. Cependant, peut-il y avoir huis-clos haïtiano-haitien sous la protection de la MINUSTAH et des ambassades « amies » ? D'un autre côté, il s'est fait inscrire sous la bannière du mouvement « Vivre Ensemble », une toute petite rigole du mouvement lavalas déjà sérieusement morcelé. Saura-t-il refaire l'unité de cet électorat de plus en plus atomisé ? S'il ne passe pas à la trappe du CEP le 17 août prochain, l'un des problèmes majeurs qu'il aura à confronter sera de prouver qu'il a autant de talent pour réussir dans le showbiz international que dans la politique locale. La bataille sera rude. Il devra abattre toutes ses cartes dont certaines demeurent encore de grandes inconnues : Quelle sera l'attitude de la diaspora ? Surtout celle très puissante des Etats-Unis ? Quel sera le comportement du gouvernement américain ? Quelle sera la position de l'élite noire américaine ? Le monde des superstars : des Oprah, 50 Cent, Puff Daddy, Beyonce, Danny Glover, etc. ? Et la très musicale communauté évangélique afro-américaine ?

En faisant fi de la contestation de la légitimité du CEP par des partis politiques parmi les plus importants du pays, contestation relayée par des organisations de la société civile, Wyclef Jean ainsi que certains candidats du camp démocratique, cautionnent une institution discréditée totalement et à la solde de l'exécutif. Ils jouent gros, à leurs risques et périls. Wyclef Jean ne sera-t-il qu'une tornade soudaine, puissante, dévastatrice et éphémère ? RK/LPP

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