jeudi 24 février 2011

Les  médias, la déontologie de la profession de journaliste  et la pédagogie d’une campagne inédite Par Gesler Jean-Gilles, Montréal,  le 22 février 201.

Les médias, la déontologie de la profession de journaliste et la pédagogie d'une campagne inédite Par Gesler Jean-Gilles, Montréal, le 22 février 2011

Nous sommes en train de vivre une expérience inédite dans l'histoire politique du pays. C'est la première fois qu'il nous est donné de connaître une vraie campagne électorale à la faveur de laquelle le président de la République, à travers le Conseil électoral provisoire, son instrument politique, ne peut plus, cette fois, imposer son choix à la Nation. C'est la première fois que les électeurs auront à choisir, librement, entre deux candidats, celui dont le projet, et surtout l'équipe qui le mettra en œuvre, sera à même de créer les conditions d'un renouveau politique, économique et social d'Haïti.

Cette situation, jusque-là inconnue dans les mœurs politiques haïtiennes, crée une atmosphère chargée d'émotions où la morale religieuse se mêle ouvertement de la politique pour provoquer des comportements inappropriés dans les divers groupes de la société haïtienne.

La raison ou du moins le raisonnement n'ayant jamais compté dans les prises de décisions de nos compatriotes, chacun en va selon ses humeurs, donnant libre cours à ses émotions, à ses croyances religieuses ou morales. Cette campagne devient une lutte entre le bien et le mal. Par voie de conséquence, les attaques ad hominem, la chasse aux sorcières, le lynchage politique sur fond d'insanités prennent le pas sur les projets , sur la vision et le programme proposés, si on peut parler en ces termes-là.

Nous aurions perdu notre temps si cette situation devait se poursuivre. Nous aurions encore raté ainsi l'occasion de poser les vrais problèmes qui entravent le démarrage d'Haïti. Cette situation n'est pas propre à notre pays, évidemment. Ce genre de comportement est propre aux pays soumis à la dictature et où le débat politique est exclu en raison de la faiblesse des acteurs politiques et de l'incapacité d'une société civile à se construire à défaut d'un État fonctionnel.

Dans cette atmosphère survoltée, en proie aux dérapages de toutes sortes, la conjonction de la morale religieuse et la politique ne peut conduire qu'au talibanisme, au Tea Party, à l'extrémisme, à la haine et à l'exclusion. Les médias ont la responsabilité de recentrer le débat en prenant l'initiative de présenter de préférence les projets, de les expliquer à l'électorat, au lieu de se constituer en caisse de résonance des humeurs des uns et des autres ou en colporteurs de rumeurs ou autres voye monte

Nous avons remarqué que la plupart des médias de Port-au-Prince, grossièrement ou subtilement, ont déjà fait le choix de leur candidat. Ce qui est tout à fait normal. Cependant, dans toute société démocratique, le medium en question (presse écrite et électronique) explique clairement sa préférence dans un éditorial qui ne remet pas toutefois en cause l'indépendance de la rédaction. D'ailleurs, le syndicat ou l'association des journalistes y veille. En clair, cela signifie que si le New-York Times, par exemple, décide d'endosser la candidature du démocrate, cela ne veut pas dire que l'adversaire se voit automatiquement interdites les colonnes du journal. Le choix politique de la direction n'est pas obligatoirement celui de l'ensemble des journalistes. En revanche, l'adversaire de l'endossé sera tenu, contraint d'expliquer, de clarifier un peu plus son programme, le bien-fondé de ses propositions et surtout le coût de ses promesses. Dans ce contexte, un candidat peut se sentir victime d'un marquage à la culotte alors qu'il est en droit de soupçonner son adversaire de bénéficier outrageusement d'une certaine complaisance, voire d'une réelle complicité de la part du medium concerné. Aucun journaliste ne peut contrevenir aux règlements de la rédaction en prenant publiquement position pour un candidat. Même si le lecteur ou l'auditeur averti devine aisément la préférence politique de celui-ci dans le traitement biaisé de la nouvelle ou de certains thèmes précis.

Pouvons-nous, actuellement, en attendre autant de nos media ou de nos journalistes ? Pas si sûr. La précarité dans laquelle vit la majorité des journalistes haïtiens, la cupidité de propriétaires de media qui confondent leur entreprise avec un bazar, exposent le travailleur de la presse à toutes sortes de gymnastique de survie qui ternissent son image et pervertissent son rôle nécessaire au bon fonctionnement de la société.

Il est évident que dans ce contexte économique particulièrement difficile, l'Association des Journalistes Haïtiens (AJH) ne saurait faire respecter méticuleusement les principes fondamentaux de la profession. La position d'un propriétaire de medium qui défend ses intérêts immédiats ne saurait se substituer aucunement à la position de principe d'un syndicat intègre dont la responsabilité première est de défendre non seulement les droits des journalistes, mais surtout de veiller au respect de l'éthique et de la déontologie de la profession.

Dans le contexte animé du moment où la passion défie la raison, nous attendons de notre presse ce rôle de maître d'œuvre du débat politique. Elle doit se muer en animatrice de la pensée critique en faisant un travail comparatif des programmes des uns et des autres, en vue de permettre à l'électorat de se faire un choix éclairé. À ce stade de la campagne, il est encore temps pour les médias de se ressaisir, en accordant aux compétiteurs et compétitrices une couverture équilibrée, afin que personne ne se sente lésé par le comportement partisan d'un journaliste ou d'un medium. Cette attitude que nous exigeons du quatrième pouvoir, en dehors, bien sûr, de son droit légitime de diffuser de la publicité électorale payante, enverrait un signal clair montrant que même si tout va mal dans ce pays, il reste encore une institution, la Presse, qui se bat avec les moyens dont elle dispose pour faire triompher au moins un des principes cardinaux régissant un État de droit : la libre circulation des idées et une information honnête.

Gesler Jean-Gilles

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