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"Ne doutez jamais qu'un petit nombre de citoyens volontaires et réfléchis peut changer le monde. En fait, cela se passe toujours ainsi" Margaret Mead (1901-1978)
Hugo Chávez, l'Agence France-Presse et le rôle des médias
La visite du Président iranien Mahmoud Ahmadinejad au Venezuela, le 9 janvier 2012, a fait l'objet d'une couverture médiatique internationale. L'Agence France-Presse (AFP) a également couvert l'événement par le biais, entre autres, de sa chaîne de télévision AFPTV. Néanmoins, l'AFPTV s'est rendue coupable d'une grave dérive en publiant et en manipulant une vidéo tronquée du discours du Président vénézuélien Hugo Chávez, contrevenant à l'éthique journalistique qui impose à la presse de transmettre une information véridique et non biaisée à l'opinion publique. Cette affaire conduit inévitablement à se questionner sur le rôle des médias dans nos sociétés.
L'Agence France-Presse (AFP)
L'AFP est la toute première agence mondiale d'information puisque son histoire remonte à la création en 1835 de l'agence Havas, « pionnière des agences de presse internationales ». En 1944, un groupe de journalistes résistants reprit le contrôle de l'Office Français d'Information – alors sous contrôle du régime de Vichy pendant l'occupation nazie – et le rebaptisa Agence France-Presse [1].
L'institution se qualifie d'« agence de presse indépendante », même si une partie substantielle de son budget dépend des abonnements des services publics, c'est-à-dire de l'Etat. Ses principes fondamentaux, définis dans le statut de 1957, sont néanmoins censés garantir « l'indépendance de l'agence et la liberté d'action de ses journalistes ». D'après son article 2, « l'Agence France-Presse ne peut en aucune circonstance tenir compte d'influences ou de considérations de nature à compromettre l'exactitude ou l'objectivité de l'information ; elle ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d'un groupement idéologique, politique ou économique ». Ainsi, l'AFP revendique son impartialité et son objectivité [2].
L'AFP dispose d'un réseau conséquent de 2 900 collaborateurs de 80 nationalités différentes, répartis dans 165 pays, lesquels rendent compte en six langues différentes (français, anglais, espagnol, allemand, portugais et arabe) « de la marche de la planète, 24 heures sur 24, en vidéo, texte, photo, multimédia et infographie [3] ». L'agence diffuse ainsi 5 000 dépêches par jour dans tous les domaines de l'actualité et dispose, en plus du texte, d'un service photo international (2 000 photos par jour et 8 millions de photos d'archives), d'une chaîne de télévision AFPTV (500 vidéos par mois) et d'une palette multimédia [4].
L'AFP revendique une marque de fabrique qui fait, selon elle, sa renommée dans le monde entier : la crédibilité. Elle est illustrée par la maxime suivante : « La fiabilité est notre absolue priorité ». L'organisme est composé de « journalistes professionnels expérimentés » qui « exercent leur métier dans la plus grande rigueur », « trient, hiérarchisent les informations, vérifient les faits pour les mettre en perspective ». Selon l'entité de presse, elle fournit « une information rapide, vérifiée et complète sur les événements qui font l'actualité internationale [5] ».
La visite du Président Ahmadinejad au Venezuela
Lors de la visite officielle du Président iranien Mahmoud Ahmadinejad au Venezuela, l'AFPTV a publié une vidéo de 58 secondes sous le titre « Ahmadinejad et Chávez 'attaqueront Washington' », dans lequel les journalistes L. Ramirez et L. de Suremain retranscrivent un extrait du discours du Président Hugo Chávez sur le perron du Palais présidentiel. Les deux présidents se trouvent côte à côte, entourés d'officiers militaires. La voix off traduit donc les propos de Chávez et l'extrait se lit comme suit : « Ahmadinejad et moi, depuis le perron du Palais présidentiel, viserons Washington avec des canons et des missiles. Parce que nous allons attaquer Washington [6] ».
Ainsi, dans le reportage réalisé par l'AFPTV, il semble que le Président Chávez menace les Etats-Unis d'une attaque militaire. Les propos semblent assez étranges et surprennent l'opinion publique. S'agit-il d'une déclaration de guerre à l'encontre de la puissance américaine, sachant que les relations entre les deux nations sont conflictuelles depuis plus d'une décennie ? Impossible d'en savoir davantage en raison du caractère succinct de l'extrait.
Une analyse de l'ensemble du discours de Chávez permet néanmoins de découvrir une toute autre réalité. En effet, le discours a été délibérément tronqué par l'AFPTV, qui en a sélectionné un passage afin de faire croire à l'opinion publique que Chávez menaçait explicitement les Etats-Unis. En réalité, les propos du président vénézuélien stigmatisaient la diabolisation de l'Iran et du Venezuela par les Etats-Unis et une grande partie de la presse occidentale. La déclaration complète est totalement différente :
« Les porte-paroles de l'impérialisme disent, les médias de l'impérialisme affirment, et leurs laquais présents dans ce pays le répètent tels des perroquets, que l'Iran se trouve au Venezuela, qu'Ahmadinejad est à Caracas, car en ce moment même, à 2h30 de l'après-midi, comme si nous allions, Ahmadinejad et moi, depuis les sous-sols [du palais présidentiel] de Miraflores, ajuster notre tir en direction de Washington, et que vont sortir de là de grands canons et des missiles car nous allons attaquer Washington. C'est quasiment ce qu'ils disent. Ou que la colline où se trouvent les journalistes, là, va s'ouvrir, et qu'une grande bombe atomique va en sortir. C'est quasiment ce qu'ils affirment. Il faut en rire mais il faut également être attentifs [7] ».
La volonté de manipulation et de tromperie est manifestement évidente, sans compter les erreurs – délibérées ? – de traduction. Face au tollé suscité sur Internet, l'AFP a modifié le titre initial et l'a remplace par « Chávez ironise en disant qu'il va attaquer les USA [8] ». L'Agence a également publié le commentaire suivant sur son compte Facebook :
« L'AFP a publié une version corrigée d'une vidéo sur des déclarations du président vénézuélien Hugo Chavez lors de la récente visite à Caracas de son homologue iranien Mahmoud Ahmadinejad. Sur les six versions de cette vidéo AFP, la version en français comportait une erreur par défaut de mise en contexte d'une déclaration de M. Chavez. Une nouvelle version de cette vidéo, avec mise en contexte, a été diffusée [9] ».
Mais là encore, le nouveau titre – seul changement dans la nouvelle vidéo – est trompeur. En effet, le Président Chávez n'ironise pas sur une éventuelle attaque contre les Etats-Unis mais fustige les déclarations des médias qui prétendent que le Venezuela et l'Iran sont sur le point de déclarer la guerre à Washington. Ainsi, l'AFP transforme une critique de la presse occidentale en un discours belliqueux anti-américain.
Par ailleurs, cet ajustement n'a guère convaincu les internautes, outrés par le comportement de l'agence de presse comme l'illustrent certains commentaires : « C'est l'AFP qui envoie des missiles sur l'information et sur l'opinion publique ! », « La vidéo originale est une preuve irréfutable de calomnie et de manipulation du peuple Français », « agence de propagande », « À croire que le monde veut vraiment la guerre contre l'Iran et le Venezuela », « C'est la nouvelle PRAVDA [10] », « Ce que vous faites est d'une extrême gravité. Vous faites une propagande de guerre », « Comment les 'journalistes' de l'AFP ont-ils osé, avec un ce grotesque mensonge prendre un tel risque, surtout à l'ère d'internet où tout peut être contrôlé et vérifié [11] ? ».
En réalité, le discours du président Chávez, qui a duré près d'une demi-heure et qui a été réduit à ces 58 secondes par l'AFP, était davantage un plaidoyer pour la paix mondiale qu'une déclaration de guerre contre les États-Unis comme l'illustrent ces extraits :
- Chávez : « La plus grande aspiration de nos peuples est la paix et on nous accuse de belliqueux ou de va-t-en-guerre. Nous ne sommes pas des va-t-en-guerre. L'Iran n'a envahi personne. La révolution islamique d'Iran n'a envahi personne. La révolution bolivarienne n'a envahi personne. Nous n'avons jamais bombardé quiconque. Qui a envahi des pays et des peuples entiers depuis plus de 100 ans ? Qui a jeté des milliers de bombes sur des peuples sans défense, y compris des bombes atomiques ? Qui a favorisé des coups d'Etat, des massacres et des génocides ? Qui a utilisé la guerre chimique, la guerre biologique et la guerre bactériologique contre des peuples entiers ? Ce n'est pas nous. Nous autres faisons partie des peuples qui ont été agressés. Et nous continuons à être agressés. Et on prétend nous présenter comme étant les agresseurs. Comme le dit Eduardo Galeano : « C'est l'histoire du monde à l'envers ».
De la même manière, le discours du président iranien n'était pas forcément hostile aux Etats-Unis :
- Ahmadinejad : « Nous aimons tous les peuples, y compris le peuple américain qui souffre sous la domination des arrogants. Nous sommes aux côtés de tous les peuples pour qu'ils parviennent à conquérir leurs droits inaliénables. Notre arme est la logique, notre arme est la culture, nos armes sont les valeurs humaines. Nos armes sont l'effort et le travail qui permettront de conquérir les droits de ceux qui souffrent. Notre arme est l'amour, la tendresse et l'amitié pour lesquels nous serons unis à jamais [12] ».
Conclusion
Le cas d'AFPTV est emblématique des dérives journalistiques de plus en plus fréquentes. En effet, de nombreux médias ne jouent plus leur rôle d'informateurs et d'analystes, mais se contentent d'un rôle de propagandiste au service de l'idéologie dominante et de l'ordre établi. La concentration des médias au sein de grands groupes économiques et financiers porte gravement atteinte à l'impartialité et l'indépendance de cette même presse qui répond à un agenda politique bien précis, au détriment de la diffusion d'une information fiable.
Pourtant, la Charte d'éthique professionnelle des journalistes « tient l'esprit critique, la véracité, l'exactitude, l'intégrité, l'équité, l'impartialité, pour les piliers de l'action journalistique ; tient l'accusation sans preuve, l'intention de nuire, l'altération des documents, la déformation des faits, le détournement d'images, le mensonge, la manipulation, la censure et l'autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles [13] ».
Au lieu de respecter cette profession de foi, l'AFP s'est rendue coupable d'une dramatique faute professionnelle, trompant l'opinion publique et bafouant les principes fondamentaux de la profession journalistique, en particulier son propre statut. Dans ce cas précis, l'agence s'est comportée comme une officine de propagande destinée à diaboliser le président vénézuélien Hugo Chávez, outrageant ainsi la mémoire de ses pères fondateurs, qui eux avaient choisi, sous le joug nazi, de lutter contre la désinformation, « de passer la vérité en contrebande » si cela était nécessaire – pour reprendre les propos de Robespierre –, afin de la faire parvenir aux citoyens.
Salim Lamrani
Le Monde Diplomatique en español
Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l'Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l'Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s'intitule État de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba , Paris, Éditions Estrella, 2011 (prologue de Wayne S. Smith et préface de Paul Estrade).
Contact : lamranisalim@yahoo.fr
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