lundi 25 février 2013

Lettre ouverte de Jerry Tardieu au Sénateur Steven Benoit

Monsieur le Sénateur,

De retour de voyage, ce samedi 16 février 2013, je suis accueilli, comme à l'accoutumée, par de nombreux employés de l'aéroport Toussaint Louverture - communément appelés red cap. Certains sont d'anciens employés de mes entreprises. D'autres, sont des connaissances, glanées ça et là, au hasard des matchs de football livrés à travers le pays, du temps où j'étais joueur du Violette Athlétique Club. J'ai eu au cours de cette période, le plaisir de côtoyer sur les terrains de sport, des générations de compatriotes des couches sociales humbles avec qui je continue d'entretenir des relations privilégiées.
L'un d'entre eux m'annonce avec la rage d'un homme indigné, que ce matin même, intervenant sur les ondes de Radio Caraïbe à la très écoutée émission ranmanse, le premier Sénateur de l'Ouest, Steven Benoît, a déclaré péremptoirement et sans ambages que « l'argent de la reconstruction », destiné à relocaliser les victimes du tremblement de terre vivant encore sous les tentes, avait servi « entre autres », à financer la construction de l'Hôtel Royal Oasis.
Je tente, en dépit de ma stupéfaction, de le calmer, me persuadant qu'il devait s'agir d'une blague de mauvais goût. D'abord parce que je ne pouvais admettre qu'un Sénateur de la République de si grande notoriété, de surcroit ce condisciple de classe à Saint-Louis de Gonzague avec qui j'ai partagé tant d'idées généreuses et de grande portée morale, pouvait donner dans de telles divagations. Jusque-là, Steven Benoît était resté pour moi le « Steven » national à la verve admirable défendant la vérité et la bonne gouvernance. De plus, le Sénateur n'est pas connu pour être un délateur, ni un adepte de coups-bas en dessous de la ceinture, et encore moins comme un parlementaire pour lequel la démocratie, c'est aussi la liberté de salir.
Hélas, dans l'heure qui suit, l'information va se révéler vraie. Je reçois en boucle des messages d'autres amis me confirmant la déclaration du parlementaire. Pour m'en convaincre, je cherche à obtenir la bande sonore de l'émission. Je réalise alors que le Sénateur Benoît n'a servi que de caisse de résonnance à bon marché d'une information déjà véhiculée depuis quelques mois par des journalistes étrangers en quête de sensationnalisme. Selon eux, Royal Oasis aurait été financé ou sponsorisé par des fonds recueillis pour les sinistrés du 12 janvier 2010 par le Fonds Clinton Bush pour Haïti. Aussi simple que cela. Sans aucune autre forme de procès. Quelle aberration !
J'avais choisi, sur avis de mon Conseil d'Administration et de mes avocats, de ne pas répondre à ces calomnies. Cependant quand elles sont relayées par le premier Sénateur de l'Ouest, mon représentant au Parlement que j'ai voté en complète confiance et en solidarité à son historique combat pour le développement économique de la commune où je vis, je me dois de rétablir la vérité une fois pour toutes. Je le fais ici (aussi) au nom des actionnaires de Royal Oasis. Un projet national. Une fierté haïtienne.
Monsieur le Sénateur, pour votre gouverne et celle de ceux qui ne se soucient pas de vérifier la justesse de leurs propos, je rappelle ici que le projet Oasis est un projet national, financé à 100% par des fonds nationaux privés appartenant à des ressortissants nationaux et des institutions locales. Des US $ 40 millions investis, US $ 25 millions ont été apportés par des Haïtiens « natif natal » qui croient dans l'avenir de leur pays, et les US $ 15 millions restants, proviennent d'un financement bancaire octroyé conjointement par la Banque Nationale de Crédit (BNC) et la Sogebank. Les fonds propres de Royal Oasis viennent d'actionnaires individuels et institutionnels nationaux au nombre de 195. Nos registres vous sont d'ailleurs ouverts pour vérification à l'heure et au jour de votre convenance.

Cette structure actionnariale qui fait l'originalité du projet est peu coutumière en Haïti. Elle est novatrice, puisque les actionnaires du projet sont issus de diverses catégories sociales. Ce ne sont pas seulement des nantis qui ont investi à Royal Oasis mais aussi et surtout des professionnels et cadres issus des classes moyennes laborieuses. A coté de grands industriels, banquiers et commerçants ayant pignon sur rue, l'actionnariat du projet comprend aussi et surtout des professeurs, des infirmières, des ingénieurs, des étudiants, des notaires, des micro-entrepreneurs, des avocats, des consultants, des employés et cadres moyens de l'administration publique et du secteur privé... A ce titre, le projet Oasis est un exemple d'actionnariat inclusif et progressiste que vous devriez protéger et encourager plutôt que de vous faire l'écho de nouvelles fausses et tendancieuses. C'est un modèle qui peut aider Haïti à trouver le chemin du développement économique et la voie de la modernité que vous prônez à longueur de discours.
En outre, Royal Oasis, c'est 400 emplois directs à plein temps. En considérant l'effet multiplicateur, ce sont 1,500 à 2,000 personnes qui en dépendent. Sans compter les emplois à temps partiel. C'est un débouché pour de nombreux fournisseurs de services et de produits dont les pêcheurs de Luly, les paysans de Kenskoff, les musiciens, artistes, peintres, artisans, petits commerçants, épiceries, boulangeries, ... Ce sont aussi des taxes perçues quotidiennement pour l'État. C'est un client sûr pour la DINEPA, l'EDH et autres institutions publiques de service. Bref, Royal Oasis anime une chaîne économique importante touchant diverses catégories d'acteurs dans le commerce, la finance, l'agriculture, le tourisme, le transport.... Et j'en passe. Monsieur le Sénateur, ce qui vous pousse à de si dangereux amalgames est un apport en cash-flow de US $ 2 millions consentis pour une période limitée par le Clinton Bush Haïti Fund (CBHF), apport d'ailleurs déjà entièrement remboursé par le groupe Oasis depuis 2012 ! Qu'en est-il exactement ? Pour venir en aide à Haïti, après le tremblement de terre, le Clinton Bush Haïti Fund avait décidé (judicieusement) d'investir rapidement une partie de ses ressources dans des actions à portée humanitaire (donc le court terme) et une deuxième tranche dans les projets économiquement viables et créateurs d'emplois à long terme. Ayant identifié le projet Oasis comme une initiative porteuse de modernité dans le tourisme, le fonds a consenti en 2010 d'y faire un placement temporaire de US $ 2 millions mais pour une période strictement limitée dans le temps. L'une des conditions sine qua non de ce placement temporaire sous forme d'investissement était que Royal Oasis, une fois son montage financier bouclé, rachèterait les actions détenues en garantie par le fonds. Le produit de la rétrocession servirait alors à être investi par le fonds dans un projet de reconstruction touchant le domaine du social ou de l'éducation. Chose dite, chose faite. En 2012, comme convenu dans l'accord arrêté entre le groupe Oasis et le Clinton Bush Haïti Fund, Royal Oasis a versé US $ 2 millions au fonds, somme que le fonds a immédiatement investi dans la reconstruction de la Faculté des Sciences d'Haïti. Rien de plus noble, patriotique, clair, limpide et transparent. Le CBHF n'est donc ni actionnaire ni financier de Royal Oasis. Pas un dollar destiné aux sans abris n'est placé dans l'hôtel Royal Oasis. Au contraire, par le biais d'un mécanisme financier novateur, l'hôtel a contribué incidemment à la reconstruction de la Faculté de Sciences à hauteur de US $ 2 millions. Ce n'est d'ailleurs pas la seule action à portée citoyenne de notre groupe. Je rappelle ici au Sénateur que le groupe Oasis a été le chef de file de l'effort de réouverture de l'Ecole Hôtelière d'Haïti qui avait disparu sous les décombres du tremblement de terre. Et puis, Sénateur, pourquoi devrions-nous toujours voir une main étrangère, un financement étranger, un intérêt étranger...à tout ce qui se fait de bien et de beau en Haïti ? Serions-nous aussi incapables d'être les forgerons de notre destin d'exception amorcé par les héros de l'indépendance.
En pointant du doigt l'hôtel Royal Oasis, accusé inconsidérément d'avoir été construit avec l'argent destiné aux sans-abris, le Sénateur Benoît s'attaque à l'un des rares projets privés ayant émergé des décombres du 12 janvier dans le département de l'Ouest. Le Sénateur se rend-t-il compte qu'en expliquant aux sans-abris de Port-au-Prince, vivant encore dans des conditions infrahumaines sous les tentes que les sommes réservées à leur construire un abri décent ont « plutôt » servi à construire l'Hôtel Royal Oasis, il risque de désigner déjà l'hôtel comme cible privilégiée d'un éventuel dechoukaj ou la victime expiatoire d'une possible émeute sociale urbaine. Depuis 200 ans, notre histoire en jalonne... En épinglant une initiative aussi louable, entreprise par des investisseurs locaux honnêtes et patriotes, le Sénateur ne lance-il pas un signal dangereux à celles et ceux qui ont encore la velléité de prendre des risques chez eux et de créer des emplois dont nous avons tant besoin ? Quelles que soient les circonstances particulières qui ont amené le Sénateur à de telles déclarations, il doit savoir qu'il est de sa responsabilité d'en vérifier la véracité. Il en va de son honneur personnel et de sa crédibilité, bien sûr, mais aussi du prestige du grand corps auquel il appartient, et dont les membres sont appelés - de par leur statut et stature -à plus de réserve et de prudence sur des thèmes aussi sensibles. Au delà du goût amer que laisse une accusation aussi erronée, lancée avec tant de légèreté par un des gardiens du temple de la sagesse, se pose ici la question de la responsabilité de nos élites et du problème récurrent de la délation qui aujourd'hui fait rage dans notre société. Pour un oui ou pour un non, on accuse. De tout et de rien. Avec ou sans preuves. Pour le bon vouloir de nuire ou de plaire... et souvent de détruire. De tous les faits chiffrés et documentés que nous venons d'énumérer, le Sénateur était-il au courant ? Quand nos autorités morales se laissent aller à des excès de langage, ont-elles vraiment conscience du fait qu'elles alimentent un processus de dégradation de notre vie publique ? Servir n'est plus l'apanage des tenants du savoir mais plutôt de ceux qui peuvent - plus allègrement que les autres - médire et détruire avec autant de facilité que de désinvolture. Heureusement que le corps législatif - on ne le dit pas assez - rassemble des sénateurs et députés le plus souvent pondérés et mesurés, qui malgré les clivages idéologiques et les luttes politiques ardues, font preuve de grandeur et de maitrise de soi même dans les débats les plus féroces livrés dans l'arène parlementaire, véritable socle de notre système démocratique. En Haïti, il est temps de rompre avec cette culture de banalisation des investisseurs - micro, petits, moyens ou grands. L'investissement privé n'est pas un mal mais plutôt une impérieuse nécessité capable de changer le cours des choses en Haïti ; Sénateur Benoît, nous nous connaissons depuis 30 ans. Ce qui nous a toujours unis reste et restera toujours « Haïti ». Vous avez choisi la noble voie du service public et moi celle d'oeuvrer dans le privé. Nous sommes condamnés à cohabiter dans le respect mutuel. Historiquement, la modernité prônée par les Haïtiens avant-gardistes a toujours été combattue par des forces du statu quo et de l'archaïsme et par l'inénarrable méchanceté de ceux qui veulent ternir toute initiative porteuse de changement. Pourquoi notre futur ne nous interpellerait-il pas dans le sens d'un changement de nos pratiques séculaires du chen manje chen... Nous sommes à un carrefour historique où nos élites doivent se tendre la main pour tracer le chemin de l'avenir qui depuis un demi siècle a cessé d'être une promesse pour devenir une menace ! A force d'être bafoués, les rares investisseurs haïtiens finiront par placer leur capital là où ils se sentiront mieux accueillis, plus appréciés voire honorés. Il serait alors plus facile aux ennemis de la patrie de convaincre qu'Haïti ne peut plus avoir ce destin d'exception dont vous et moi, depuis les bancs de l'école, nous rêvions pour elle.

Jerry Tardieu PDG de Royal Oasis 22 Février 2013

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