jeudi 24 avril 2008

Préval veut bâillonner l’Assemblée Nationale


Par Eddy Pierre-Paul

Le président René Préval traîne les pieds pour ne pas nommer un nouveau premier ministre. Il veut laisser passer le temps pour que le groupe des 16 sénateurs qui a renvoyé le gouvernement d’Alexis se désagrège. 6 sénateurs seront en fin de mandat le 8 mai prochain, théoriquement après le vote de la loi électorale. Il restera donc 10 sénateurs qui n’auront pas la majorité pour agir.


En effet, le Sénat se compose de 30 membres. Si on tient compte des sénateurs morts et démissionnaires, il ne reste que 21 sénateurs. Devant la fermeté de l’opinion publique et des bailleurs de fonds, Préval se sent le dos au mur et essaie de faire passer ses idées pour la formation d’un gouvernement fort (dictatorial ?) avec le faux sourire de la concertation au Palais national. Il croit avoir tous les atouts pour chloroformer tout le monde, s’appliquant à consulter des gens pour lesquels il n’a aucun respect. Des observateurs crédibles pensent qu’il aurait voulu gouverner sans un nouveau premier ministre, comme il l’avait fait au cours de son premier mandat, après la démission du premier ministre Rosny Smart, en 1998. D’aucuns estiment que la situation calamiteuse de l’économie et de la politique nationale sous Préval II s’explique aussi par le silence de ce Premier ministre qui a caché les outrances les plus cavalières qu’il a dû subir sous ce gouvernement au nom de la solidarité idéologique.

L’État contre le peuple

Les résultats de l’administration Préval sont mauvais. La levée de boucliers du mois d’Avril 2008 a eu des répercussions internationales. La péjoration de l’effondrement de l’économie haïtienne est dangereuse. Après le prix du riz, ce sont ceux de l’huile de cuisine, des pois, de la farine, etc. qui grimpent dans tous les marchés. Le sac de mais importé se vend à 200 dollars, et est donc plus cher que celui du riz. Les mesures annoncées par le président Préval pour faire baisser le prix du riz sont appliquées de manière inégale, créant ainsi la confusion. Les employés de l’Electricité d’Haïti (EDH) rentrent en grève. Ils ne sont pas payés car l’Etat accapare 50% des recettes de la compagnie.


Pourtant, il faut le reconnaître, cette situation était programmée. Il faut le reconnaître. Avant même que les étoiles pâlissent dans le firmament politique et économique haïtien, Raoul Peck a eu de l’avance. Ayant été Ministre de la culture sous le premier gouvernement Préval, Raoul Peck a démissionné pour dire non à la politique de l’absurde. Son témoignage dans son très beau livre «Monsieur le Ministre ….Jusqu’au bout de la patience » garde toute sa pertinence aujourd’hui. L’abêtissement des citoyens orchestré par la dictature des Duvalier a contribué à un abaissement de la personnalité de la classe politique. Les citoyens ne sont plus eux-mêmes devant le président, le directeur, le patron, etc. Nombre de ceux qui ont refusé d’être des ombres (zombis) ont été tués ou sont partis en exil. Et les jeunes qui sont en majorité aujourd’hui sur le terrain politique n’ont pas reçu une formation adéquate pour faire face aux impératifs de l’heure.
Rares son ceux comme Raoul Peck qui ont refusé de rester au gouvernement pour le plaisir de la mystification. Il a constaté comment les responsables politiques et économiques font partie d’un réseau de relations où l’on se protège mutuellement. Cette machine de malheurs sous le contrôle du président de la république est une nuisance tant à l’économie qu’à la politique. La démission de Raoul Peck après 20 mois au gouvernement est une exception.


Depuis le renversement du gouvernement de Jacques Edouard Alexis par un vote de censure, Préval se démène pour trouver un Premier Ministre à travers de multiples consultations avec les partis politiques et la société civile dans le but de tromper tout le monde, fait-on remarquer dans les milieux politiques haïtiens. En effet, Préval déclare « Nou té chita ansamb, nou pat vanse ansamb » (on était assis ensemble mais on n’avançait pas ensemble) pour expliquer l’échec cuisant de son gouvernement sanctionné par les émeutes de la faim de la première semaine d’Avril 2008. Chaque ministre du cabinet Préval/Alexis ignorait ce que faisait l’Exécutif. C’est à la radio qu’il apprenait les décisions arrêtées par le gouvernement. Pour pouvoir gouverner sans un programme et sans des objectifs clairs et précis, M. Préval avait recouru à la tactique d’acheter les consciences des ministres mais aussi des dirigeants des autres partis politiques tels que Lespwa, Fusion, OPL, Pont, Alliance, etc. composant le gouvernement pluriel dirigé par Jacques Edouard Alexis. Le Président a donc donné à manger aux représentants de ces différents partis politiques et ayant la bouche pleine, ils n’ont pas pu parler contre cette politique qui a abouti à ces émeutes. Non seulement ils n’ont pas pu parler, mais les responsables des partis politiques alliés au pouvoir ont également accepté de jouer le jeu du président Préval en déclarant qu’Alexis est le responsable des émeutes de la faim.

L’impossible chirurgie reconstructive de l’État

Maintenant, Préval continue dans sa politique de supercherie. S’étant rendu compte que le parlement constitue un obstacle à sa politique de faillite, il prétend vouloir créer cette fois un gouvernement de coalition. Quelle mystification ! On n’a pas besoin d’être grand clerc pour reconstituer le fil des décisions qui ont mené à la débâcle des émeutes. Le budget du gouvernement haïtien a toujours rimé avec gâchis. Dans le budget 2007-2008, sur 257 millions de gourdes demandés par l’ODVA pour relancer la culture du riz dans la vallée de l’Artibonite, le gouvernement n’a donné que 30 millions de gourdes. Sur un budget total de 77 milliards de gourdes cela représente moins de 1 pour cent. C’est justement à ce niveau que Préval veut avoir les mains libres. Il veut un parlement qui ne soit qu’une chambre d’enregistrement de ses décisions. Un parlement bidon. Il demande aux formations politiques et aux parlementaires d’appuyer la politique de son gouvernement au Parlement avant de nommer un premier ministre. Pour ne pas avoir de contestation parmi les pères conscrits, il introduit la dictature du pouvoir exécutif par la petite porte. Le désordre qui existe au parlement est encouragé en sous main. Tout est fait pour ne pas prendre le balai et faire le ménage.


En effet, le problème fondamental est que Préval n’a aucune vision. Il s’isole dans un style de gouvernement où il met à côté de lui uniquement des gens sans caractère qui n’osent pas lui dire non, quand il avance des bêtises. Avec sa présence au timon des affaires pour prendre les décisions, le problème reste entier. Aucun exercice de chirurgie reconstructive de l’Etat et de son autorité n’est possible avec lui. S’il veut être roi, qu’il le soit, mais qu’il laisse d’autres gouverner. Or justement, c’est là que le bat blesse. Il veut contrôler les moindres détails. Et c’est ainsi qu’il se tire chaque fois une balle dans le pied. Que ce soit lors de la réception au Palais national des bandits et kidnappeurs qui recommencent leurs actions criminelles une fois qu’ils ont consommé l’argent que leur a donné le pouvoir pour rester tranquille. Que ce soit lors de l’arrestation d’entrepreneurs accusés de fraude. Que ce soit avec ses déclarations ou avec son silence. C’est attristant, même pour ceux qui, comme Marc Bazin, n’ont pas épargné leur peine pour que Préval ait du succès en lui indiquant la marche à suivre. La vérité est que le citoyen qui dirige les destinées du peuple haïtien n’a aucune connaissance spécifique ni de vue d’ensemble sur la voie à suivre pour le développement en Haïti. En équilibriste hétéroclite, il n’accepte pas de travail d’équipe et se préoccupe beaucoup plus de se venger des dirigeants plus expérimentés que lui parce qu’il les trouve plus dérangeants. C’est, en tous cas, la perception des observateurs.

Motion de censure et vote de ratification


Mais la lenteur calculée de Préval dans le choix d’un nouveau Premier Ministre a aussi pour objectif de semer la confusion sur les rapports existant entre motion de censure et vote de ratification. Ce sont deux choses différentes. Certains prétendent que le nouveau premier ministre qui sera choisi par le président Préval devra être accepté automatiquement par le Parlement, une fois ses documents vérifiés. Selon ces gens, étant donné que le gouvernement de Jacques Edouard Alexis a reçu un vote de censure le 12 avril 2008, le Parlement ne peut donner aucun autre vote de censure en une année, soit pas avant le 12 avril 2009. Guyler C. Delva qui fait la promotion de Préval, et qui fait figure de son homme lige, défend cette conception bizarre contre les points de vue exprimés par Micha Gaillard et Patrick Elie. La motion de censure est l’un des moyens de contrôle de l'Assemblée Nationale sur le Gouvernement, quand ce dernier ne fait pas le travail pour lequel il a été nommé. Auditions, commissions d’enquêtes et interpellations sont d’autres moyens que peut utiliser le Parlement pour assurer son contrôle de la politique menée par le pouvoir exécutif. Ceci n’a rien à voir avec le vote de ratification qui concerne les actions du parlement sur les décisions prises par le pouvoir exécutif. Ces actions peuvent concerner aussi bien l’acceptation du choix du Premier Ministre que des traités ou accords internationaux. Le Parlement est dans son droit de dénoncer ou d’autoriser un choix du pouvoir exécutif.

La recherche d’un nouveau bouc émissaire

Le gouvernement de coalition nationale que voudrait Préval est une farce. Il veut se dégager de sa responsabilité de chef d’Etat en demandant aux autres partis politiques de cautionner sa politique vide et creuse. Ayant constaté comment la classe politique est tombée dans son piège de «fusible » avec le renvoi de Jacques Edouard Alexis, il continue, persuadé qu’il n’aura pas de comptes à rendre. Dans son entendement, un premier Ministre est un raccourci qui lui évite de répondre de ses actes devant la justice et devant le peuple. Il se trompe grandement. Pour mettre fin à la politique de l’absurde qui prévaut en Haïti, il faut faire appel à la compétence. Raoul Peck termine le chapitre « les Silences du Palais » de son livre par la citation suivante : «C’est qu’un jour Aristide puisse sacrifier son marassa Préval sur l’autel de sa propre rédemption, en en faisant le bouc émissaire de sa propre rédemption.» (pages 64-65). Préval a appris à la bonne école. Après avoir sacrifié Jacques Edouard Alexis, la classe politique se prépare à lui donner une autre victime. La comédie continue.

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