samedi 17 mai 2008

Analyse de Robert Benodin

Thèmes de l’Emission de la semaine

Orlando le 16 mai, 2008

Actualités Politiques : Grandes Lignes


Le suspense de ces 5 dernières semaines, les émeutes de la faim, le vote de censure contre Alexis au Sénat, l’échec des propositions de Prévale pour gérer la cherté de la vie et la famine, la désignation d’un nouveau premier ministre, les tractations au niveau des deux chambres, les pressions des partis politiques intégrés au gouvernement, le vote de confiance du Sénat et enfin le vote de rejet d’Ericq Pierre à la chambre basse, suscite judicieusement une multitude de critiques, d’observations, d’explications et d’interprétations. Cependant le dernier incident en date, l’échec d’Ericq Pierre, mérite d’être perçu plutôt comme une conséquence des jeux d’intérêt réels mais non avoués des principaux acteurs de l’échiquier politique. Cet incident a, en outre, mis en exergue le type de gouvernement et le genre de gouvernants que lavalas a charrié à l’avant-scène politique.

Les cinq ans de Préval I sous le joug d’Aristide, ont refoulé chez lui certains aspects de sa personnalité. Mais aujourd’hui, Préval II nous en montre une facette qui ne s’est pas manifestée au cours de son premier mandat, sa stratégie préférentielle, l’usure. Il y aura toujours l’argument que le « nager pou ou sôti » en soit l’équivalent. En fait, c’est ce qui fait croire a Préval, qu’il est un géni en politique. Un exemple récent, n’ayant pas pu obtenir, au moment où il le désirait, la caducité d’un tiers du Sénat le 14 janvier 2008, n’a-t-il pas attendu cinq mois, pour l’obtenir finalement la semaine dernière, le 8 mai 2008 ? Sachant qu’il n’y a que de l’antipathie, de la méfiance et des ressentiments entre Préval et le parlement, traînera-t-il encore du pied pour ne pas promulguer la nouvelle loi électorale votée par les deux chambres et provoquer simultanément, la caducité des 2/3 du Sénat, celle des députés et des autorités locales ? En d’autres termes, a-t-il l’intention de répéter le même scénario du 11 janvier 1999, d’ici 19 mois, en janvier 2010 ?

On ne peut pas s’empêcher de le constater, mais il faut surtout le comprendre. Est-ce que l’antagonisme manifeste qui a existé depuis quelque temps entre Préval et Alexis, est personnel, ou institutionnel ? Est-ce la notion d’un Exécutif bicéphale qui le gène ? Est-ce sa vision traditionnelle et surannée de l’omnipotence présidentielle qui est en conflit avec le régime semi parlementaire que lui impose la Constitution de 1987 ? L’aversion qu’éprouve Préval envers la Constitution de 1987, est réelle et multiforme.

Mis à part le conflit entre Préval et les parlementaires qui remonte de son premier mandat. Il a eu comme 1er premier ministre Rony Smarth qui a démissionné en 1997. Et Jacques Edouard Alexis, son second premier ministre ne l’a été que de nom (de facto). Il n’avait jamais été confirmé par le parlement, dont la caducité avait été déclarée par Prévale le 11 janvier 1999. Alexis, à ce moment là, ne constituait pas un obstacle à l’omnipotence présidentielle de Préval qui pouvait le révoqué à son gré. Enclavé dans cette position, Alexis n’avait pas non plus de velléités présidentielles. Il s’était confiné au rôle d’exécuteur de ses basses œuvres.

Aujourd’hui force est de constater et surtout de comprendre que le contexte des relations entre la présidence et la primature est totalement différent. C’est Alexis qui a organisé de A à Z le mouvement LESPWA pour catapulter Préval au pouvoir en 2006. Alexis avec l’aide des législateurs du béton s’est fait confirmer premier ministre par le parlement. Alexis est devenu un premier ministre de jure avec tous ses droits et prérogatives constitutionnels. Voilà ce qui menace l’omnipotence de Préval. Ce n’est un secret pour personne qu’Alexis veut aussi succéder à Préval.

Peu de temps après la formation de ce gouvernement, Préval n’a-t-il pas commencé à humilier Alexis en présence de son cabinet particulier et ensuite en présence de ses ministres ? En public et en présence d’Alexis, Préval n’a-t-il pas exprimé sa frustration envers la Constitution qui ne lui permet pas de révoquer son premier ministre ? Dans un tête-à-tête en septembre 2007, faisant des confidences à deux de ses accointances, chefs de parti politique, Préval leur a confié, qu’à partir de février 2008, il n’entend plus avoir de premier ministre. C’est connu qu’au lendemain des émeutes de la faim, que Préval avait demandé personnellement à Alexis de démissionner. Ce dernier lui a répondu, qu’il serait mieux que ce soit nous deux, parce que vous avez été aussi un élément de blocage.

Ayant à l’esprit les relations cordiales qui ont existé entre Préval et Alexis premier ministre de facto ; Comparant ensuite celles qui se sont développées entre lui et Alexis premier ministre de jure ; Considérant les manifestations publiques de frustration, en présence d’Alexis, de l’impossibilité constitutionnelle de pouvoir le révoquer ; Et enfin les confidences faites en septembre 2007, à ses deux accointances, chefs de parti politique ; Ne peut-on pas conclure avec certitude, que Préval a une aversion morbide pour la primature, en tant qu’institution dont la fonction primordiale est précisément de réduire l’omnipotence présidentielle, sa hantise ? Peut-on alors croire, que pressuré par la communauté internationale Prévale ait, de bonne foi, désigné Ericq Pierre comme premier ministre, et qu’il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour s’assurer de son succès ?

Nous avons tous lu et entendu les différentes, lamentations, observations, explications et interprétations, offertes par le grand public, par la communauté internationale, par des parlementaires, par des journalistes et par des analystes de bonne foi, qui ont voulu faire comprendre ou critiquer le vote de rejet d’Ericq Pierre à la chambre basse. Certes, c’est ce vote de rejet du groupe majoritaire CPP à la chambre basse qui a empêché à Ericq Pierre d’assumer le rôle de premier ministre. Cependant, sachant l’aversion morbide que Préval éprouve envers la primature ; Constatant l’amertume que ressent Alexis qui voit ses ambitions présidentielles, voler en éclat, pour se réduire en miette ; Ayant la suspicion que Préval convoite subrepticement un troisième mandat, et c’est surtout ce qui l’incite à vouloir remplacer la Constitution de 1987 ; Prenant en considération le fait que ce gouvernement démissionnaire, ne peut, ni promulguer la nouvelle loi électorale, ni organiser des élections ; Se rappelant que la stratégie préférentielle de Prévale soit l’usure ; Peut-on imputer l’échec d’Ericq Pierre entièrement au groupe majoritaire CPP, alors qu’il y a au moins deux des principaux acteurs de ce gouvernement qui ont intérêt dans son échec ? Qui a intérêt à faire durer le jeu ? Qui est en train d’exécuter la stratégie de l’usure ? Qui soudainement a financé des projets au niveau des circonscriptions ? Dans cette période de tension où l’accès à l’information est à temps réel, Préval a-t-il l’autorité nécessaire pour bloquer instantanément le financement de ces projets ? Bien que, dans le bras de fer qui a duré pendant un temps plus ou moins long entre Préval et Alexis, ce dernier soit le perdant. Cependant, tous deux ayant pour le moment le même intérêt, pas pour les mêmes raisons (l’échec d’Ericq Pierre), leurs actions deviennent complémentaires. Pourquoi, à sa très fielleuse conférence de presse, Ericq Pierre a-t-il refusé d’analyser les raisons pour lesquelles Préval n’a pas demandé aux élus de LESPWA d’appuyer sa candidature ? Il ne s’agit pas d’Ericq Pierre personnellement, mais du fait que René Préval ne veut pas d’un autre premier ministre, après s’être difficilement débarrassé de son prédécesseur. Pour Préval l’omnipotence présidentielle est incontournable !

Dans ce jeu de dupe Ericq Pierre n’a pas été le seul perdant. Il y a eu aussi des jeux qui se menaient subrepticement et au son des cloches de bois, dans les couloires des ambassades, autour de la candidature d’Ericq Pierre à la primature. Le sénateur Youri Latortue, pour faire valoir son leadership au parlement, avait fait croire aux représentants de la communauté internationale, qu’étant en contrôle du vote à la chambre basse, il garantissait sans coup férir la confirmation d’Ericq Pierre à la primature. La réalité a prouvé le contraire. La communauté internationale, qui tambour battant avait fait pression par le biais de ses visites, précipitant la désignation d’Ericq Pierre le dimanche 27 avril 2008, est tombée des nues.

La déception de la communauté internationale dans cette affaire, vient du fait, qu’elle refuse de comprendre à qui elle a affaire. L’enthousiasme manifeste du support de la communauté internationale pour Ericq Pierre est proportionnel à la réticence acharnée de Préval contre sa confirmation. Il le perçoit comme un danger à l’omnipotence de son pouvoir. Les intérêts de Préval et sa politique, à cause de sa mégalomanie, son strictement personnels et non étatiques. Préval ainsi que son frère siamois sont des éléments d’obstacle en matière de pouvoir et de politique.

La question maintenant est de savoir, comment se fait-il que la communauté internationale se laisse mener par le bout du nez, par le chef de l’Etat du pays le plus pauvre de l’hémisphère et le plus corrompu du monde, lui permettant de violer manifestement à volonté tous les principes, règles et pratiques du régime démocratique et à fragiliser toutes ses institutions, quand les Sud-américains ont 9 milles bottes de la Minustah sur son sol et que les pays tuteurs ont tout un cortège de personnels diplomatiques, dont la présence est précisément pour aider à reconstruire et à consolider les institutions démocratiques ? Ce laisser faire et ce laxisme est-ce de l’insouciance ou de la complicité ? Ou est-ce la persistance de la pratique de cette maudite recommandation faite à John Fitzgerald Kennedy par Charles de Gaule à propos d’Haïti : « Surtout ne vous en mêlez pas, ce sont des nègres ! » ? Ou est-ce le maintien de la politique d’antagonisme épidermique nécessaire que Franklin Delano Roosevelt avait recommandé pour perpétuer la déstabilisation d’Haïti ? Take your pick, or both.

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