jeudi 22 mai 2008

LA REVOLUTION (TRANQUILLE) HAITIENNE (182)

PIERRE ROBERT AUGUSTE, UNE VOIX CREDIBLE ET RESPONSABLE.

LA LONGUE MARCHE DU CHANGEMENT.

HAITI OBSERVATEUR. SEMAINE DU 21 MAI 08.

Dr Gérard Etienne.

A côté du Sénateur R. Boulos dont les interviews à Radio Classique Inter représentent des moments assez forts dans la longue marche du peuple haïtien vers sa libération du féodalisme, voici Pierre Robert Auguste de l’Association des Entrepreneurs de l’Artibonite. Le compatriote a été invité par notre distingué collègue le journaliste analyste Robert Bénodin à Radio classique inter le 9 mai dernier pour commenter la difficile conjoncture haïtienne dans le cadre de l’émission Actualités politiques. Les réponses intelligentes de l’entrepreneur aux questions professionnelles de Bénodin valent la peine que nous fassions avec lui un bout de chemin dans le but de donner encore plus d’espace à son discours convaincant.

Rarement a-t-on entendu ( ou lu ) une voix aussi bien articulée que celle d’un homme qui assume ses responsabilité s face à la dégringolade d’un groupe d’hommes pour qui le pouvoir en Haïti s’avère le plus sûr moyen d’exercer l’anarchie et la terreur. En outre nous avons toujours accordé une importance capitale au discours politique d’un bourgeois national .Moins pour son aspect superficiellement critique que pour son orientation idéologique, c’est-à-dire la lecture objective de la situation tragique haïtienne par un membre d’une classe sociale qui contribue largement à la vie économique du pays. Cette classe sociale, au fond, s’oppose non seulement à la bourgeoisie compradore .mais aussi aux castes possédant les monopoles de tous les produits importés Aussi s’il y a une alliée ( vraiment responsable du rôle à jouer dans les changements majeurs socio politiques en Haïti ) objective à toutes les personnes ( de l’intérieur comme de l’extérieur ) luttant pour modifier radicalement l’ordre du politique et du social au pays, c’est bien la bourgeoisie nationale dont le rôle a été très bien défini par le grand progressiste haïtien le médecin romancier Jacques Stephen Alexis dans le manifeste du PEP ( Parti d’entente populaire )

D’entrée de jeu l’entrepreneur aborde la problématique haïtienne en démasquant les hypocrites comédiens et ce que nous appelons la présidentielle monarchique, A une question de Bénodin ainsi formulée : « les émeutes de la fin avaient, avec acharnement, ciblé également Préval et Alexis. Cependant Préval ne nous a offert qu’une solution politique à la crise, la tête d’Alexis (…) Est-ce une trêve ou la fin des hostilités ? » La réponse de M. Pierre Robert Auguste répond aux exigences des plus sévères analystes qui tentent de faire comprendre le drame haïtien à travers l’incapacité de la présidence. Écoutons-le : « En effet, c’est une crise politique très délicate (…) Malheureusement on ne retrouve pas sur la scène politique des hommes ayant de telles habiletés pour faire face à la situation. Monsieur Préval ne jouit pas encore d’un leadership convaincant pour pouvoir entraîner le pays vers la solution définitive à la crise structurelle que connaît l’État haïtien depuis plus de vingt ans. (…) La crise se prolonge. Le pays est fatigué. Il nous faut trouver une solution rapide pour combler le vide de l’État (…) Nous autres citoyens conscients nous sommes très inquiets de la tournure que prend la crise du pays. Alors que sur le plan économique la situation est pire. Et tend à empirer. »

On traverse l’interview comme si on lisait un texte (coup de chapeau à Bénodin de l'avoir reproduite en traitement de texte) dans lequel on relève les principaux facteurs de causalité du mal haïtien. Car jusqu’à présent nous n’avons pas pris conscience des éléments négatifs de notre sociologie politique, entre autres, les yeux toujours tournés vers un PAPA pour la résolution de nos problèmes. Ce n’est pas pour rien que dans le cadre de cette chronique nous soutenons qu’un seul homme ( ou une seule femme ) ne peut effectuer au pays les changements nécessaires puisque, à l’exception de deux présidents au 20e siècle, Dumarsais Estimé et Paul Magloire, la gouvernance monarchique entraîne avec elle toute une série de variables du féodalisme, entre autres le noirisme, le totalitarisme, le fascisme, le pouvoir absolu, le tribalisme, l’élimination de l’opposition, la corruption et même la neutralisation du parlement. Sur ce point, les réflexions de l’entrepreneur sont convaincantes. Répondant à une question de Bénodin ainsi formulée : « Face aux cris de gémissements des masses venant de tous les coins et recoins du territoire( …) qu’est-ce qui explique l’indifférence, l’immobilisme et le laxisme du gouvernement Alexis/ Préval. Le patriote laisse tomber : « D’abord Monsieur Préval est comme Monsieur Aristide, un mégalomane. C’est-à-dire il est un mégalomane introverti alors qu’Aristide est un mégalomane extroverti. Monsieur Préval a voulu avoir le contrôle de ce gouvernement ne laissant aucune marge de manœuvre à son premier ministre. (…) Il s’en est produit un cafouillage au sein du gouvernement. (…)Donc on a un gouvernement qui n’a pas pu gouverner à cause de l’attitude du président à garder la mainmise sur toutes les décisions.»

Nous avons plus haut rappelé que dans le processus d’une lutte sociopolitique qui doit nécessairement aboutir sinon à un nouveau système politique du moins à un nouveau régime de gouvernement, la bourgeoisie nationale doit être considérée comme une classe sociale qui subit, elle aussi, les effets pervers d’abord des institutions internationales, ensuite des impérialismes aux ambitions démesurées. A une question de notre collègue Bénodin portant sur le déséquilibre macroéconomique ,la réponse de Monsieur Auguste traduit le malaise de toute une classe dont les intérêts ne peuvent pas être défendus par un État féodal. Écoutons : « D’un autre côté il y a le mouvement de mondialisation. Malheureusement l’entrepreneur hip haïtien n’a pas pu faire face. Il y a eu, à un certain moment, dans le système économique, toujours un État bon papa. C’est-à-dire un président fort qui intervient en faveur de la classe économique pour garantir certains monopoles. Mais quand il s’agit de la concurrence du marché la classe entrepreneuriale haïtienne n’a pas pu faire face à la situation. Et on assiste à la disparition de beaucoup d’entreprises de 1986 à nos jours, la SODEXOL, l’ACIÉRIE d’Haïti etc.…Le système de production du pays a été mis en cause par la concurrence.»

Voilà ce qui confirme la dimension hautement significative des concepts opératoires de l’ingénieur intellectuel (à ne pas confondre avec un diplômé d’Études supérieures) Ray Kiliick comme un État déficitaire (le terme de déficit est encore plus fort que faillite) et une culture d’exécution. En effet la fonction d’un pouvoir réside dans la capacité de celui qui le détient d’avoir une vision globale de la société qu’il dirige, d’avoir pour cette société des plans de développement (sur tous les aspects) du collectif. Or voilà une classe sociale dont le rôle consiste à faire travailler la société, à faire « rouler » la machine économique, voilà donc cette classe traitée comme les autres victimes de la faiblesse des malades mentaux inaptes à faire fonctionner un État équilibré au service de la nation, non aux services d’un Roi président. Car autant les classes moyennes se voient démembrées par le pouvoir au point de s’exiler ( le tribalisme ne permet pas l’inclusion des jeunes indépendants d’esprit dans la fonction publique ) autant la classe ouvrière se voit jetée sur le pavé au point de quémander la charité, autant la bourgeoisie nationale se voit privée des meilleurs outils de performance économique pour contrer la concurrence sauvage de la bourgeoisie compradore et des soit disant haïtiens qui s’attribuent le monopole du riz, de la farine, des céréales, du fer, bref de tous les produits importés, Nous voilà complètement désaxés pour savoir quoi faire afin de nous libérer du chaos. Rien à attendre de l’État haïtien sous la poigne du Roi Préval. Lui pourra compter sur l’aide internationale en vue de nourrir sa tribu. Mais une gifle (morale bien sûr) de Pierre Robert Auguste l’attend : « Nos hommes politiques, dit-il, se tournent vers la solution la plus facile, celle proposée par la communauté internationale. Aujourd’hui nous devons tirer la conclusion et la leçon que cette approche n’est pas efficace. Il nous faut avoir ce regard intérieur. C’est-à-dire nous devons nous appliquer à regarder nos problèmes tels qu’ils sont .Et à essayer de trouver des solutions. Car aujourd’hui les problèmes économiques d’Haïti qui font d’elle le seul PAM de la région sont totalement différents des autres pays. Il faut ce que j’appelle une forme d’haïtianisation des problèmes haïtiens pour trouver des solutions appropriées, capables de permettre au pays de dégager une croissance vraiment soutenue.»

On croirait entendre un politique nationaliste, pas ces espèces de démagogues qui exploitent nos analphabètes, premier et second degré, pour la pérennité du système féodal, mais de bons doctrinaires tels Jacques Roumain et Jacques Stephen Alexis pour qui le nationalisme est une étape majeure vers le bien être du genre humain. Sur ce point Pierre Robert Auguste ne fait pas de concessions ni n’utilise des métaphores pour exprimer le fond de sa pensée. Cela tombe dru : « Les gens conscients de ce pays doivent tirer la leçon qu’il y a des hommes qui ne sont pas aptes à assumer la direction du pays. Et contre ces gens-là il faut orchestrer toute une réaction citoyenne pour porter les citoyens à bien choisir désormais. POUR QUE NOUS AYONS UN AUTRE ETAT (nous soulignons) UN ETAT QUI SOIT MORALISE (nous soulignons). Une société qui soit HUMANISEE (nous soulignons). Et aussi une économie qui soit modernisée. » Et aux défenseurs du programme de croissance et de réduction de la pauvreté, l’entrepreneur propose la réflexion suivante : « (…) Comme toujours le gouvernement haïtien se montre bon enfant. Il se jette dans le courant sans qu’il y ait toute la cohésion nécessaire qui permet de s’assurer d’une certaine efficacité de ce programme. Je crains que le programme de croissance et de réduction de la pauvreté ne se coince pas dans le même tunnel que les membres de la communauté internationale appellent l’incapacité d’absorption d’Haïti.»

Ce que nous avons apprécié dans cette interview, c’est le courage de parler au nom d’une classe sociale qui doit, elle aussi, assumer son leadership et jouer un rôle approprié à sa conscience de classe porteuse d’espoirs sur le plan économique; c’est aussi un discours progressiste qui se démarque de celui des démagogues au pouvoir et de l’attitude démissionnaire d’Andy Apaid et de Charles H. Baker. Car ces deux là nous ont déçus. Nous avons pensé, à un moment donné, qu’ils s’étaient ralliés aux forces politiques qui voulaient réellement substituer l’État féodal à un État libéral; nous avons pensé qu’ils étaient des hommes libres (libres au sens du professeur Parnel Duverger) et qu’ils allaient prendre la tête d’un mouvement insurrectionnel avec une jeunesse fatiguée, humiliée, trompée. Mais encore une fois l’opportunisme l’aura emporté sur la détermination de rester conséquent avec des idées exprimées lors des rencontres avec la population. Sans parler de cette lâcheté historique de la caste métisse qui consiste à fuir comme la peste les féodaux noirs quand vient justement le moment de les affronter (comme Pétion, comme Boyer Bazelais, comme Louis Déjoie,) pour le triomphe des idées de progrès et de justice sociale. Qu’est –ce qu’il va perdre? Rien. Qu’est-ce qu’il va gagner ? La reconnaissance des combattants pour la liberté. Pourquoi? D’abord pour le leadership dont a besoin sa classe sociale pour ne pas tomber dans les pattes d’un État parasitaire, déficitaire et sous la gourmandise sans bornes de la bourgeoisie compradore qui tient absolument à préserver ses privilèges sous la sauvegarde d’une présidentielle monarchique. Ensuite il rendra un grand service au pays et fera honneur à l’illustre famille Auguste en fondant une formation qu’il dirigera lui-même en vue d’édifier avec les masses populaires et la classe ouvrière qu’il connaît bien cet État moderne, démocratique, libéral, et surtout progressiste.

Autre considération. L’entrepreneur est sur la même longueur d’ondes que l’intellectuel Ray Killick qui a déjà clairement formulé un postulat intéressant. En effet pour Ray aucune révolution en Haïti n’est possible sans une révolution des mentalités. Or c’est aussi l’opinion de M. Pierre Robert Auguste. Pour lui, « la question de la pauvreté en Haïti est une cause psychologique. Il y a une fatalité en Haïti qui laisse croire à certaines personnes qu’elles ne peuvent rien sinon qu’accepter leur sort. Je cois qu’il faut bousculer CETTE MENTALITE (nous soulignons) pour la changer.»

L’entrepreneur n’allait pas prendre congé du journaliste sans poser un diagnostic qui ferait, à lui seul, l’objet d’une thèse ou d’une étude. Ce diagnostic nous interpelle comme l’avertissement d’Antênor Firmin au début du 20e siècle. Firmin affirmait : « Il faudrait de deux choses l’une : ou Haïti passe entre les mains d’une puissance étrangère, ou elle adopte des principes démocratiques. Car au 20e siècle un peuple ne peut pas vivre dans l’ignorance et dans la misère » Un siècle plus tard l’entrepreneur Pierre Robert Auguste nous lance, sous une autre forme, le même avertissement. En effet à une question de notre collègue Bénodin portant sur une série de problèmes qui attendent Préval au carrefour des revendications populaires, M. Pierre Robert Auguste ne mâche pas ses mots :

« L’important pour les hommes politiques haïtiens aujourd’hui, comme pour Préval en particulier, c’est de se rendre compte qu’aujourd’hui on doit trouver une méthode moderne de gouvernement, tenant compte des impératifs des exigences de la communauté internationale, tenant compte des données de la géopolitique, tenant compte aussi des aspirations du pays, des Haïtiens qui vivent à l’étranger. Les Haïtiens ne doivent pas oublier une chose. Que la crise qui est attendue de Cuba aura des répercussions extraordinaires sur le devenir d’Haïti, en ce qui concerne principalement le volume d’aide qui jusqu’à présent est charrié vers Haïti pour lui permettre de faire face à ses problèmes, les crises aigues comme les problèmes de la faim et de la famine qui menace le pays. Pour cette raison on accepterait difficilement, surtout les tuteurs que la POLITIQUE HAITIENNE (nous soulignons) soit dévoyée à un point tel que L’ANARCHIE DEVIENNE UNE INSTITUTION, UN MODE DE VIE, et UN SYSTEME DE GOUVERNEMENT (nous soulignons).Si les Haïtiens ne sont pas capables de bien gouverner leur État, ON FINIRA PAR LEUR IMPOSER UN MODE DE GOUVERNEMENT ETRANGER PLUS DIRECT (nous soulignons).A ce moment-là ce ne sera plus l’occupation déguisée. A ce moment là l’occupation deviendra plus directe. On aura à la tête des ministères des étrangers. On aura un gouverneur, mais pas un représentant du Secrétaire général de l’ONU. Je crois qu’on doit bien faire attention à cela. »

Puisse cet avertissement patriotique loger dans l’esprit de tous nos compatriotes quelles que soient leurs positions sur l’échiquier politique. Car nous sommes arrivés à un moment de notre histoire où nous sommes au seuil de la dernière heure. Ce n’est pas la dernière heure répliqueront des arrogants et des Rois Nègres bourrés d’orgueil mal placé. Oui répondrons-nous. Mais parlons d’une demi-heure avant l’heure fatale.

Dr Gérard Etienne.

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