lundi 2 mars 2009
Par Jean-Claude Bajeux
Soumis à Reseau Citadelle le 2 mars 09
A qui veut l’entendre, nous ne cesserons de répéter que les chances de sortie de crise, pour nous autres Haïtiens, ne cessent de s’amenuiser. On ne cesse d’analyser les aspects, les soubassements, les manifestations de cette crise nationale. Les blogs répondent à d’autres blogs, dans un ramassage confus d’obsessions, de perversité, d’ arguties à bon marché, de réponses vocalisantes à double ou triple clavier, chacun cherchant à se placer sur des lignes idéologiques parasitaires et archaïques, mais confortables, alors que le moment est à la résolution pragmatique des problèmes, à l’audace de projets futuristes de reconstruction, à une vision nouvelle visant le futur. Un monde se meurt devant nous sous une avalanche de barbarie, d’incompétence et d’improvisations et nous refusons de passer la main, dans des débats de mots, de virgules et de points-virgules, alors qu’il s’agit de mettre à l’heure notre horloge et surtout de prouver non pas que nous sommes malins, mais que nous sommes de bonne foi, que nous voulons un état de droit, que nous voulons une démocratie, que nous voulons le développement du pays .
Les contorsions d’un groupe d’aspirants-candidats à un siège sénatorial avaient un tel aspect caricatural, « hors-raison », qu’elles pouvaient décourager n’importe qui nourrit encore le rêve d’une entrée en démocratie de notre société menacée par le spectre de l’autodestruction. Vingt-trois ans après le départ des Duvalier, nous piétinons toujours sur le chemin de la « transition démocratique » et beaucoup regardent en arrière sans crainte d’être transformés en statues de sel. Nos hésitations à embrasser à bras le corps la réalité de la débâcle collective ne tiennent aucun compte des signaux d’alarme. Constantinople est menacée et les théologiens discutent du sexe des anges.
Au rendez-vous d’une élection retardée depuis deux ans, nous avons assisté à la contre-danse d’un groupe brusquement désireux de monter sur la charrette des candidats au sénat, tandis qu’un Conseil Electoral provisoire, le quinzième, consulte fiévreusement les articles d’une loi qu’ils ont pris deux ans à produire. Le grand problème est que ces candidats là, sont les fils du pouvoir, ses enfants gâtés. Ces élus d’hier ont été charriés par l’avalanche du 18 décembre 1990, il y a presque vingt ans, et semblent n’avoir rien appris. Enfants gâtés, grands mangeurs devant l’Eternel, ils l’ont été et leurs exigences, comme leurs appétits, ont l’impétuosité d’une chance qui passe et ne reviendra point. Ils sont les restants d’une fragmentation qui a, pendant ce laps de temps, réduit les membres de la famille (« la fanmi lavalas ») à un cercle tumultueux d’ayant droits. Non, ils refusent l’autocritique, les raisons pour lesquelles ils ont échoué. Ils refusent d’abandonner un langage de violence et de mensonges, de se soumettre aux lois qui régissent le commun des mortels, aux procédures qui régissent l’existence et l’activité des institutions démocratiques.
Deux groupes de candidats se disputent le droit de s’inscrire sous le label d’un groupement et leur fièvre semble alimentée par la recherche d’un lieu et d’une position qui leur assurent immunité et impunité. Et dans les cris violents qui passent par les micros, on ne distingue aucune référence ni à la loi sur les partis politiques qui définit les modalités d’inscription des candidats, ni aux différentes lois électorales qui constituent le corpus abondant d’un code électoral. Malentendu fondamental, dialogue de sourds, causés par l’absence à une référence acceptée de tous, cette référence étant le système démocratique lui-même. Et après avoir avoué qu’ils ne disposaient pas des documents nécessaires à leur inscription, la conclusion était effarante : « le CEP devrait s’asseoir avec nous pour trouver un accommodement ».
On a dit que le succès de la Constitution serait basé sur la formule « Macoutes pa la dan l » et que c’était là, une marque originelle infâme d’exclusion. Ceux qui proclament une telle assertion, affectent de ne pas voir qu’il s’agit, de fait, d’une lapalissade. Comment un système démocratique pourrait-il fonctionner sans bannir de façon absolue ce que représente le macoutisme, la négation de la loi, la négation de la dignité des personnes, la mise au rancart des lois qui régissent un pays civilisé ? Non, il n’y a pas de place dans une démocratie pour le macoutisme, pour la violence sanguinaire, pour le « dappignan » sous quelque prétexte que ce soit, sur les biens de l’État au profit d’un petit groupe. A ne pas comprendre cela, on ne comprendra pas pourquoi le président Aristide est en exil à Prétoria. Lui, le sait et il sait que nous savons. En République Dominicaine, l’entrée du territoire est interdite à toute personne du nom de Trujillo. Tous ceux qui ont participé à l’acte de justice (ajusticiamiento) de la mort du dictateur sont célébrés comme des héros et chacun a son nom attribué à une rue de Santo-Domingo.
Dans tout autre pays que le nôtre, le récit de ce qui s’est passé de 1986 à nos jours aurait suscité déjà maintes publications dévoilant le rôle de chacun dans les événements et leur responsabilité. Cela aurait peut-être empêché certaines puissances étrangères de réclamer l’inclusion des candidats de « L’avalas » (sic) dans les élections alors que nous savons que le grand mouvement de 1990, qui incluait la majorité des partis du mouvement démocratique, s’est fragmenté en de multiples noyaux qui se retrouvent dans tous les groupes actuels.
Pour ce qui regarde « Lafanmi », c’est-à-dire le groupe rassemblé autour d’Aristide de 2000 à 2004, leur organisation avec un « représentant national » inamovible a encore beaucoup à faire avant de se présenter comme un parti politique démocratique, régi par des règlements propres aux partis politiques, sans parler de l’examen critique de leurs actes répétés de délinquance.
Après ces premières escarmouches, qu’est-ce qui nous attend plus loin, aux trois rendez-vous du calendrier 2009 : d’abord les élections du 19 avril, ensuite, l’adoption de juillet à septembre, de la liste des amendements à la Constitution et, enfin, en novembre, les élections, incontournables, de la chambre des députés et du dernier tiers de sénateurs ? Les risques de capoter dans la ravine sont grands et il faudra négocier au plus près l’étroitesse de la route et les pentes dangereuses. Peut-être, alors, pourrons-nous dans un an, déboucher sur une vision nouvelle de gouvernement, sur un plan de développement à long terme affirmant notre capacité et notre volonté de sortir de la misère et de la honte.
26 février 2009
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