dimanche 13 juin 2010

"La peau sauvée" de Yollen Lossen, Par Gérard Bissainthe

Le Bloc-Notes de Gérard Bissainthe
Jeudi soir 10 juin 2010"

La peau sauvée" de Yollen Lossen


Je ne connaissais pas Yollen Lossen. Il est vrai qu'aujourd'hui en France bien souvent on ne connaît pas des personnes qu'on devrait connaître, pendant qu'une minorité, les incontournables des medias et surtout du petit écran, occupent le devant de la scène, avec un degré d'intérêt des plus variés. Cette minorité devrait normalement être appelée la "minorité visible", puisqu'on les voit partout. Mais la langue française, dans ses caprices, en a décidé autrement: ce sont les personnes dites de couleur qui méritent le nom de "minorités visibles" face aux autres personnes sans couleur spéciale qu'on appelle les Blancs. On se demande finalement si les personnes dites de couleur ne sont pas tout simplement des personnes à qui au cours de l'histoire on en a fait voir de toutes les couleurs.

Yollen Lossen, métisse martiniquaise, passée par le moule sévère de l'Ecole Normale, fait partie de ces "minorités visibles" et son roman "La peau sauvée" qui se déroule dans les années 1950, a pour sujet ces "minorités visibles" qui dans les Antilles Françaises font (faisaient plutôt) tout pour faire disparaître la tare en quelque sorte de leur visibilité pigmentaire. Jeudi dernier 10 juin, à la FNAC de Toulon elle a présenté son roman à une causerie animée par Chantal Blondel.

J'exprime à chaud mes réactions dans ce Bloc-Notes écrit tout de suite en rentrant chez moi. Je n'y aborde pas les détails du roman, dont j'aime avant tout le sujet et l'approche de l'auteur. Cette évocation du complexe de couleur avant la révolution du "Black is beautiful" est éclairante. C'est, je pense, une manière pour Yollen Lossen de dire à ses compatriotes qui aujourd'hui changent, qu'ils reviennent de loin et je crois l'entendre chanter en sourdine: "You've come a long way, baby." Comme tout n'est pas fini, elle ne dit pas, mais elle insinue que "Nous ne sommes pas au bout de nos peines." Précisément; et je lui ai posé la question ce jeudi soir: "Et les Békés?"

Sa réponse était que ce thème a été si souvent abordé qu'elle avait choisi de ne pas en parler, ce que je traduis un peu par: nous sommes fatigués d'en parler, car sur ce plan rien ne change.

Pourtant, à certains indices, le fait, par exemple, que deux personnes de couleur, à savoir le sportif-chanteur Yannick Noah et l'animateur de télévision Harry Rosenback, sont depuis longtemps et avec une constance qui perdure les favoris des Français, on pourrait facilement conclure que le cœur de la France a déjà aujourd'hui non pas un, mais deux Obama. En attendant comme Sœur Anne, avec les jumelles les plus perfectionnées, ne voit aucun Obama à l'horizon ni de la France ni de la Navarre, faut-t-il dire alors que le cœur de la France a des raisons que... la raison (raison d'Etat?) refuse obstinément de reconnaître? Faut-t-il dire que le peuple de France dans sa spontanéité dit oui et d'autres disent non? Peut-être est-ce la grande question au cœur du drame de cette nation qui aujourd'hui cherche fiévreusement son identité.

Je souhaite à Yollen Lossen beaucoup de succès dans la diffusion de son roman qui fait voir aux Français et aux non-Français un coin de France tout à la fois dérangeant et pittoresque qu'il faut connaître. On trouvera certainement dans son roman ce brillant qu'ont beaucoup de Français des Antilles, un peu aussi de la chaleur humaine que dégage la personnalité de Yollen Lossen, surtout lorsqu'on l'entend chanter, accompagnée par son époux, du jazz et des chansons caribéennes aussi bien françaises, qu'anglaises et espagnoles. Personne d'ailleurs en France n'a de manière aussi naturelle la richesse culturelle des Antillais naturellement placés au carrefour de la France, des Amériques et de l'Afrique. Ils sont le trésor insuffisamment exploité de la France.

Lisez "La peau sauvée" de Yollen Lossen publiée par L'Harmattan. Si vous ne le faites pas, vous le regretterez un jour.

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