Sans que cela ne puisse légalement en emporter la nullité Haïti: La Constitution haïtienne de 1987 prescrit en son titre XIII, aux articles 282 à 284.4, la procédure à suivre pour porter amendements à certaines de ses dispositions. Devons-nous, d'entrée de jeu, souligner à l'eau forte que cette procédure se veut extrêmement rigide puisque suivant l'article 282.1, la déclaration y afférente « doit réunir l'adhésion des deux tiers de chacune des deux chambres et ne peut être faite qu'au cours de la dernière session ordinaire d'une législature ». Aussi, le constituant en ordonne-t-il « la publication immédiate sur toute l'étendue du territoire » : une injonction sur laquelle il va falloir revenir dans nos analyses, puisque la constitution n'a pas expressément édicté aucune nullité en cas d'ajournement ou de non-immédiateté de cette publication. Autres dispositions cardinales relatives la matière réfèrent à la fois au « temps » prescrit pour le vote de l'amendement - la première session de la législation suivante (article 283) - au choix du type de majorité requise pour délibérer sur l'amendement proposé - deux tiers au moins de chacune des deux chambres (article 284) - au choix du type de majorité requise pour l'effectivité de l'adoption - deux tiers des suffrages exprimés (article 284.1). A cette phase, nous devons insister sur le fait que la disposition la plus substantielle dans le cadre de cette procédure est celle postulée par l'article 284.2 qui se lit comme suit : « l'amendement obtenu ne peut entrer en vigueur qu'après l'installation du prochain président élu. En aucun cas, le président sous le gouvernement duquel l'amendement a eu lieu ne peut bénéficier des avantages qui en découlent ». Fort des dispositions susdites, tous amendements aux dispositions de la constitution de 1987, pour être valides et opposables tant aux Pouvoirs publics qu'aux nationaux et citoyens de l'Etat doivent d'abord être coulés dans ce moule procédural. La loi constitutionnelle du 9 Mai 2011 obéit-elle à la procédure susdite ? A-t-elle été publiée telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale ? Des erreurs matérielles, voire substantielles, dûment constatées dans l'acte de publication du 13 Mai 2011, peuvent-elles en entrainer la nullité ? Qu'en est-il des effets des actes juridiques appelés « promulgation » et « publication » en droit constitutionnel et en droit international ? Quid des théories de la prise de date, de l'entrée en vigueur, de l'exécution et de la sortie de vigueur des actes législatifs ? Que faire si des erreurs matérielles, voire substantielles, sont constatées dans l'acte de publication du vendredi 13 Mai 2011 ? Pour pallier de telles erreurs, le Président de la République, Monsieur Michel Joseph MARTELLY, pourra-t-il publier la loi constitutionnelle du 9 Mai 2011 telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale et faire retrait par le même acte de la publication faite le 13 Mai 2011 pour n'être pas le reflet fidèle de la loi constitutionnelle adoptée ?
I. LES FAITS En date du 14 Septembre 2009, la 48ème Législature en sa dernière session ordinaire a, conformément à l'article 282.1 de la Constitution, déclaré aux termes d'une résolution formelle « QU'IL Y A LIEU D'AMENDER LA CONSTITUTION DE 1987 ». Cette Déclaration d'amendement, rappelons-le, n'a suggéré aucune modification au caractère libéral de la constitution puisque les acquis relatifs aux droits de l'homme et à l'éminente dignité de la personne humaine ne s'en trouvent pas affectés. Aussi, a-t-elle respecté le caractère « pur et dur » d'une norme constitutionnelle impérative puisqu'aucune atteinte au caractère démocratique et républicain de l'Etat n'a été constatée. En date du 9 Mai 2011, la 49ème Législature, à sa première session, conformément aux articles 283, 284 et 284.1 de la Constitution, a statué sur l'amendement proposé et a adopté la première loi constitutionnelle portant amendement de la Constitution de 1987. Cette loi, devons-nous souligner, a postulé de grandes innovations en ce qu'elle permet la pluripatridie, en ce qu'elle renforce le principe de l'équité de genre, en ce qu'elle fait du Premier Ministre le remplaçant du Président de la République en cas de vacances présidentielles en lieu et place du Président de la Cour de Cassation, en ce qu'elle institue le Conseil constitutionnel comme « juge de la constitutionnalité de la loi, des règlements et des actes administratifs du Pouvoir exécutif ». Cette loi, régulièrement adoptée, a été publiée au journal officiel de la République d'Haïti le vendredi 13 Mai 2011 sous le gouvernement de Monsieur René Garcia PREVAL, Président de la République. Il a été pourtant constaté que le document publié n'est pas celui adopté par l'Assemblée nationale le 9 Mai 2011. Un véritable imbroglio juridique !
II. ANALYSE D'entrée de jeu, nous avançons sans réserve qu'il serait superflu d'évoquer la thèse de la conformité du processus d'adoption de la loi constitutionnelle du 9 Mai 2011 à la procédure tracée par la constitution, puisque la Déclaration d'amendement a été faite en temps utile et la loi constitutionnelle qui en résulte adoptée dans le délai prescrit par la loi mère. Ainsi, la loi constitutionnelle du 9 Mai 2011, pour avoir été coulée dans le moule procédural prescrit à cet effet, est valide et échappe en conséquence à toute censure de nullité. Cette validité, devons-nous souligner, s'impose aux pouvoirs publics, aux nationaux et aux citoyens tant pour le présent que pour l'avenir.
Que doit-on maintenant faire au constat de tant d'erreurs matérielles, voire substantielles, dans l'acte de publication ? Celles-ci peuvent-elles entrainer la nullité de la loi constitutionnelle adoptée ou celle de l'acte de publication ?
| Pour répondre à ces questions, il est impératif d'établir une différence formelle entre la théorie constitutionnelle de « la prise de date » et celle relative à « la prise d'effets » de la loi. La théorie de la prise de date de la loi se définit en droit constitutionnel haïtien à l'article 126 de la Constitution. Celui-ci édicte : « La loi prend date du jour de son adoption définitive par les deux chambres ». L'interprétation la plus stricte de cette disposition laisse comprendre que la première loi constitutionnelle portant amendement de la constitution de 1987 existe bel et bien le 9 Mai 2011, An 208ème de l'Indépendance. Cependant, cette date ne détermine pas son entrée en vigueur puisqu'en droit constitutionnel haïtien la prise d'effets de la loi est conditionnée à un acte juridique préalable : sa publication dans le journal officiel de la République. A ce propos, l'article 125 de la Constitution postule « Les lois et autres actes du Corps législatif et de l'Assemblée Nationale seront rendues exécutoires par leur promulgation et leur publication au Journal officiel de la République ». La lettre et l'esprit de l'article 125 laissent comprendre sans aucune équivocité que la promulgation et la publication ne déterminent pas l'existence de la loi mais plutôt son entrée en vigueur. La publication se veut un acte juridique préalable dont l'effet utile consiste d'une part à porter à la connaissance des nationaux l'existence de la loi et à marquer d'autre part son exécution et son opposabilité envers tous. Les doctrinaires parlent même d'un « devoir d'introduction » qui se veut une obligation de résultat et non de moyens. Cette formalité, selon Patrick Dailier, permet à une loi de s'imposer effectivement comme n'importe quelle autre norme en droit interne vis-à-vis des autorités étatiques et des ressortissants de l'Etat. Cet acte juridique préalable qu'est la publication ne peut aucunement ni rendre nulle, ni frapper de caducité, encore moins abroger une loi. Il s'agit d'un acte de l'exécutif non susceptible de défaire une loi adoptée souverainement par le Parlement, lequel acte législatif se veut l'expression de la souveraineté nationale. La « publication » n'est en fait qu'une formalité de « faire savoir » de « prise d'effets » et « d'exécution » de la loi. Aujourd'hui, les doctrinaires ont même remis en question le caractère utile de cet acte juridique préalable qu'est la « publication ». A ce sujet, le Professeur P. de VISSCHER écrit : « la nécessité de la publication constitue le dernier frein qui soit de nature à retarder l'applicabilité des normes dans l'ordre juridique interne ». D'autres y voient un moyen législatif que s'attribue l'Etat pour contourner son devoir d'exécuter de bonne foi la règle de droit. En effet, selon Forteau MATHIAS, « la publication, étant une émanation de l'exécutif, celui-ci peut s'en abstenir ou n'y procéder que partiellement, ce qui ne manque pas de susciter de graves difficultés ». C'est justement à ce carrefour que l'on se situe actuellement. Le Président René PREVAL n'a procédé qu'à la publication de manière partielle et altérée de la loi constitutionnelle du 9 Mai 2011 tout en prenant soin, par souci d'aggravation de l'espèce, de la publier avec des erreurs substantielles pour donner du fil à retordre aux Publicistes, aux constitutionnalistes et surtout que le pays n'en dispose que de très peu et rares sont surtout ceux-là qui puissent s'élever à la hauteur de si grandes subtilités du droit. Nous avons en ces derniers temps entendu sur les ondes beaucoup de gens sur la question. Les plus humbles se limitent à condamner cette négligence de l'exécutif et résument celle-ci à une des caractéristiques de la défaillance de nos Institutions. Certains, tels des juges suprêmes, vont jusqu'à prononcer la nullité de la loi constitutionnelle du 9 Mai 2011. Les plus avisés ont prescrit un consensus politique pour démêler l'écheveau d'un tel imbroglio juridique. Tandis que d'autres s'improvisent juristes, publicistes, constitutionnalistes et vont jusqu'à préconiser la convocation d'Assemblée constituante, ce qui n'irait pas sans empoisonner mortellement le mandat de l'actuelle équipe au Pouvoir. Nous disons ceci : « la nullité ne se présume pas, elle se prononce soit par vœu de la loi, soit pour vice de forme et de procédure ». Dans les trois cas, il ne peut être question de nullité de la loi constitutionnelle du 9 Mai 2011 puisque d'une part l'Assemblée nationale a respecté à la lettre la procédure d'amendement tracée par le constituant et d'autre part un acte de l'exécutif - la publication - ne peut par les irrégularités qu'il recèle emporter la nullité d'un Acte législatif. Rappelons à ce titre que la sortie de vigueur d'une norme législative vient soit par un amendement constitutionnel, soit par son abrogation expresse par un autre acte législatif de rang supérieur ou égal, soit par le constat de son inconstitutionnalité suivi de son retrait dûment prononcé par un Conseil constitutionnel. En aucun cas, disons-le, suivant les théories afférentes au droit constitutionnel haïtien, l'acte de publication ne peut ni modifier, ni annuler, ni abroger une loi votée par le Parlement. Fort de cela, la loi constitutionnelle du 9 Mai 2011 demeure. On ne devra à cette phase qu'œuvrer à sa prise d'effets. On en convient tous à ce stade que la publication ne peut que permettre l'entrée en vigueur de la loi. Partant, faut-il dire que la loi constitutionnelle du 9 Mai 2011 n'est pas encore entrée en vigueur puisque non encore publiée de manière intégrale dans le Journal officiel de la République. Il importe de se poser la question que voici : le Président de la République, Monsieur Michel Joseph MARTELLY, pourra-t-il publier la loi constitutionnelle du 9 Mai 2011 telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale et faire retrait par le même acte de la publication altérée qui en est faite le 13 Mai 2011, ce, pour n'être pas l'œuvre fidèle de l'Assemblée nationale ? On ne peut répondre à cette question sans faire la radiographie de l'article 284.2 de la constitution. Celui-ci édicte : « l'amendement obtenu ne peut entrer en vigueur qu'après l'installation du prochain président élu. En aucun cas, le président sous le gouvernement duquel l'amendement a eu lieu ne peut bénéficier des avantages qui en découlent ». L'article 284.2 combiné à l'article 125 conditionne l'entrée en vigueur de l'amendement obtenu cumulativement à sa publication dans le journal officiel de la république et à l'installation du prochain Président. D'aucuns pensent, mais à tort, que si la publication de la loi constitutionnelle du 9 Mai 2011 se faisait après l'installation du Président Michel Joseph MARTELLY, ce dernier ne pourrait pas bénéficier des avantages qui en découlent. Il s'agit ici d'une interprétation erronée du deuxième membre de phrase de l'article 284.2. En effet, c'est « le Président sous le gouvernement de qui l'amendement a eu lieu » qui « ne peut bénéficier des avantages qui en découlent ». Sous le gouvernement de quel Président, chers concitoyens, cet amendement a eu lieu ? Rappelons que cette loi constitutionnelle prend date du jour de son adoption définitive par les deux chambres, soit le 9 Mai 2011, c'est-à-dire sous la Présidence de Monsieur René PREVAL. Ainsi, celui qui n'a pas pu et qui ne saurait bénéficier des avantages qui en découlent reste et demeure monsieur René PREVAL et non son successeur. Donc, nous concluons sans réserve qu'il a fallu d'une concentration intense de la part des publicistes pour admettre que Monsieur Michel Joseph MARTELLY peut publier et comme de fait devra publier la loi constitutionnelle du 9 Mai 2011 telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale et faire retrait par le même acte de la publication altérée qui est faite le 13 Mai 2011 pour n'être pas l'œuvre de l'Assemblée Nationale. | | | Aviol FLEURANT, Avocat Professeur de Droit International de l'Environnement à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques Master II, Droit International & Comparé de l'Environnement Université de Limoges, France fleurantaviol@yahoo.fr |
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