dimanche 4 septembre 2011

Cap-Haïtien et sa ''mafia du droit'' ( Texte retrouvé)

Cap-Haïtien et sa ''mafia du droit''

Cyrus Sibert, Radio Souvenir F.M.
Cap-Haïtien, Haïti
souvenirfm@yahoo.fr
4 mai 2006

Depuis des mois, le Cap-Haïtien fait la une de l'actualité. De temps en temps on dénonce un magistrat corrompu à la tête du parquet du tribunal civil de la deuxième ville du pays. A chaque instant on révoque et on nomme et les scandales ne cessent pas. Si très souvent le nom de celui qui est en tête du parquet change, les corrompus du système judiciaire capois s'arrangent toujours pour conserver le statu quo. Avocats et juges corrompus s'entendent à ne pas changer de conduite. Ils forment une corporation secrète qu'on pourrait qualifier de mafia : la mafia du droit.

De 1995 à 2006, ils sont nombreux les magistrats révoqués à cause de scandale les accusant de pratiques illégales et corrompues. Ils sont très nombreux les cas de détentions prolongées pour forcer les familles de détenus à verser de fortes sommes d'argent. Les arrangements entre avocats corrompus et chef du parquet pour déposséder des héritiers - comme ceux de la diaspora, associés aux menaces de prise de corps remplacent les plaidoiries de jadis. On se souvient encore des plaidoiries des avocats comme Me Bright, de Me Nicoleau, Me Louis Toussaint et Me Pierre Gonzales.

N'en déplaise aux amis avocats capois et à ceux qui font partie du système en général, le Tribunal civil du Cap-Haïtien est devenu un marché d'esclaves où l'on échange la souffrance et la liberté des plus faibles. La veuve et l'orphelin n'ont plus de défenseurs. ''Grand Avocat '' rime avec ''Grand Racketteur''.

La ville du Cap-Haïtien étant sur la route des trafiquants de drogue, les us et coutumes changent. Nos ''maîtres'' sont devenus de vrais ''Maîtres''. Ils aspirent à la richesse et au bonheur. La morale pragmatique l'emporte, malheureusement, sur la justice. Comme dit un sage capois : ''Quand du droit il ne reste que les artifices procédurales immorales, on est en droit d'être pessimiste sur l'avenir de notre société.''

Un petit groupe contrôle le système et sous-couvert de réforme et de partenariat privé/public, il y introduit des confrères à titre de commissaire de gouvernement, chef du parquet, comme garant de la corruption mafieuse avec ses pratiques cyniques et vénales.

Questionné sur la situation, un juge nous dit : Aussi longtemps que les commissaires de gouvernement seront nommés sous l'influence d'avocats professionnels, il n'y aura pas de changement. L'avocat nommé chef du Parquet s'il n'est pas du clan c'est –à- dire corrompu, (il) aura tous les problèmes du monde. Il doit rester docile pour pouvoir bénéficier du support des mafieux quand il ne sera plus au Parquet.

Les avocats corrompus contrôlent l'administration de la justice. Ils placent leur pions au tribunal civil et obligent les avocats non-influents à marchander avec eux au détriment du droit et de l'esprit d'équité. Le Parquet qui devrait jouer le rôle de partie adverse, défenseur de la loi, est dans la majeure partie des cas dans le même camp que l'avocat. Donc on gagnera un procès si on est du groupe ou si le groupe vous fait une faveur.

Si le juge qui doit entendre l'affaire n'est pas un membre du groupe, le problème est tranché illégalement au niveau du parquet. Classement ''sans suite'', intimidation, tout est mis en œuvre pour dissuader la partie adverse. Le confrère qui défendait la partie lésée cherche à compenser en réclamant une faveur sur une autre affaire pendante. S'il est du reste des hommes de bonne conscience, il rentre chez lui convaincu que cette profession n'est plus celle des gens honnêtes.

Dans ce système tout est monnayé. On peut entendre que n'ayant pas d'argent, une avocate a dû donner au chef du parquet six (6) poteaux en bois pour le système d'éclairage de la cour de son villa. En guise de jugement, les familles doivent s'appauvrir pour obtenir la libération de leur proche. Les sommes exigées sont en dollars américains. Elles sont entre 5,000 et 30,000 dollars US. Cela dépend de l'apparence des parents du détenu.

APENA du Cap-Haïtien est devenu un lieu de séquestration pour les kidnappeurs en toges. Sans pitié pour les êtres humains qui s'y trouvent entassés, la ''mafia du droit du Cap-Haïtien'' libère aux enchères. Les victimes sont détenues illégalement. Sur demande d'un avocat mafieux, on peut voir un juge ou un commissaire transformer une affaire civile en affaire pénale. Le terme '' abus de confiance'' est ainsi utilisé pour séquestrer l'une des parties. Il y a environ dix jours, les prisonniers de l'APENA (administration pénitentiaire du Cap-Haïtien) ont fait la grève juste pour réclamer d'être déferré par devant un juge. Comme nous l'a conseillé le juge cité plus haut, la population carcérale est un indice du niveau des rackets dans l'administration judiciaire.

Dans cette affaire le ministère de tutelle n'est pas innocent. D'après nos enquêtes, la direction des affaires judiciaires joue un grand rôle dans la mise en place de ce système. De Port-au-prince étant, elle tire les ficelles quand de gros intérêts sont en jeu. Des responsables au niveau de la Direction des Affaires judiciaires du local du ministère étant, téléphonent parfois pour dicter des décisions. Cela se fait en faveur d'amis ou des cabinets de Port-au-Prince ayant de gros intérêts à défendre dans le nord. Donc, le contrat tacite est le suivant : faites autant que vous voulez pourvu que vous me facilitiez les chose le moment venu.

Consultez le ministère sur la justice au Cap-Haïtien et il vous répondra qu'il décide avec les avocats de la zone. Une façon de s'assurer que le statu quo ne change pas. Aux cris des familles victimes des requins en toges, au summum de son immoralité, la réponse du ministre est connue : « ce ne sont que des accusations ». Comme si c'est au pauvre citoyen qu'il revient d'enquêter sur les agissements et le niveau de vie des magistrats dénoncés.

Comme toujours dénoncer une mafia n'est pas sans conséquences. Nous attendons déjà les représailles. Cependant, comme l'histoire le prouve, toute situation d'injustice ou de souffrance humaine sécrète, au moins, une voix.

Cyrus Sibert,
Cap-Haïtien, Haïti.
4 mai 2006

«Nous n'avons pas d'orgueil parce que nous n'avons pas de souvenirs »
disait Henri Christophe. »
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