jeudi 15 septembre 2011

L'apocalypse financière (Texte de Jacques Attali)


L'apocalypse financière



Par Jacques Attali, publié le 15/09/2011 L’Express



Le scénario catastrophe de Jacque Attali sur l'issue de la crise financière en dix étapes.



Il serait temps, en France, de se préparer au double choc de la crise bancaire et de la crise des finances publiques. Il vient. Il sera là bientôt. Et personne ne réfléchit assez au scénario du pire ; comme s'il suffisait, pour le conjurer, de ne pas y penser.



Voici ce que serait son déroulement, en 10 étapes :


1. La Grèce, n'ayant plus les moyens de financer ses déficits, arrête de rembourser ses créanciers, de servir certaines de ses retraites, de payer une partie des salaires de ses fonctionnaires. Toutes les banques lui ayant prêté et toutes les entreprises qui lui vendent des armes et d'autres produits de première nécessité subissent des pertes. La Grèce ne sort pas alors pour autant de la zone euro : aucun traité ne l'y contraint ni même ne rend possible son exclusion ; de plus, nul ne peut forcer les Grecs à convertir les euros qu'ils détiennent en une drachme de moindre valeur.



2. Pour renflouer ce pays, la zone euro refuse alors d'utiliser les maigres ressources du Fonds européen de stabilisation financière et de créer des "eurobonds", qui n'ont de sens qu'avec une fiscalité européenne, pour les rembourser, et un contrôle européen des déficits des budgets nationaux, pour éviter qu'on en fasse un mauvais usage.



3. Faute d'instruments financiers communautaires suffisants, les autres pays de l'Union abandonnent la Grèce à son sort.



4. Les marchés, c'est-à-dire, pour l'essentiel, les prêteurs d'Asie et du Moyen-Orient, s'inquiètent de cet abandon et font payer de plus en plus cher leurs capitaux au Portugal, à l'Espagne et à l'Italie.



5. La crise s'étend à la France, quand on réalise que sa situation financière n'est même pas aussi bonne que celle de l'Italie (à Rome, le budget, hors service de la dette, est en excédent, à la différence de celui de notre pays) et quand on mesure que ses banques et compagnies d'assurances portent une large part de la dette publique des pays périphériques et détiennent encore massivement des actifs toxiques, sans valeur aujourd'hui.



6. Pour éviter l'effondrement de ces banques, on cherche des actionnaires, privés ou publics. En vain : il faut trouver, pour les seules banques françaises, l'équivalent de 7 % du PIB.



7. En panique, la Banque centrale européenne consent alors un financement massif à ces banques, réglant une nouvelle fois un problème de solvabilité en fournissant de la liquidité.



8. Horrifiée par ce laxisme, l'Allemagne sort alors de l'euro et crée un "euro +", selon un plan déjà bien préparé qui, selon une banque suisse, coûte à chaque citoyen allemand entre 6 000 et 8 000 euros la première année, puis de 3 500 à 4 500 euros annuels.



9. L'explosion de l'euro révèle alors aux marchés que les banques anglo-saxonnes ne vont pas mieux, parce qu'elles ne se sont pas débarrassées, elles non plus, de leurs produits toxiques et parce que la bulle immobilière n'est plus là pour faire illusion.



10. C'est alors l'effondrement du système financier occidental, une grande dépression, un chômage généralisé et, à terme, la remise en question, même, de la démocratie.



On n'exorcise pas une telle tragédie en refusant d'y réfléchir. Et, puisque les gouvernements ne semblent pas prêts à agir sérieusement pour l'éviter, pourquoi ne pas demander au Parlement européen de se réunir en session extraordinaire, de se déclarer "Assemblée constituante", votant la mise en place d'un véritable fédéralisme budgétaire, dont dépend la survie de tout ce que nous avons construit depuis que l'Europe a renoncé à la barbarie. Il n'y a pas si longtemps.


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