lundi 6 février 2012

Haïti : l’obscurantisme a encore de beaux jours devant lui. (Une analyse de l'enquête sur la nationalité de Michel Martelly --- Texte de Renald Luberice)

Haïti : l'obscurantisme a encore de beaux jours devant lui (Écrit par Renald LUBERICE)

Vendredi, 03 Février 2012 12:29 Les atermoiements et les bruits médiatiques que fait cette histoire de nationalité étrangère présumée du chef de l'Etat et de certains ministres révèlent une espèce de fantasmes délirants qui, en permanence, jalonnent et jonchent l'espace politique et médiatique haïtien. Plus encore, ils mettent en exergue combien cet espace est dénué de facultés mentales qui permettent de comprendre les choses et les faits, d'établir les liens solides existant entre eux.

Dans l'espace médiatique et politique de mon pays, il n'y a point de place pour l'analyse parcimonieuse, clairvoyante et éclairée. Force est donc de constater que l'obscurantisme a encore de beaux jours devant lui. Haïti pourrait même être à la longue son terroir le plus fertile de reproduction et de sauvegarde. Je vais souligner trois faits caractéristiques de cet obscurantisme.

1) J'ai ouï dire qu'il y a une commission d'élus menant enquête sur la nationalité du chef de l'Etat. Cela veut dire qu'il y a soupçon que le chef de l'Etat est à une place où il n'aurait pas dû être. Autrement dit, il n'aurait pas toutes les qualités requises par la loi pour être à cette place. Qui est chargé de la vérification de ces qualités ? Le Conseil Electoral Provisoire (CEP). Or ce même CEP a rejeté un certain nombre de candidatures au motif qu'ils n'ont pas les qualités nécessaires. C'est donc la preuve qu'une vérification a été faite. Si malgré tout des gens seraient passés par les mailles du filet, il y a deux choses : a) les décisions du CEP sont de deux poids deux mesures, ils doivent donc rendre compte devant les instances compétentes ; b) certains candidats véreux arrivent à tromper la vigilance de l'organisme électoral. Dans ce cas cela veut dire que les mécanismes de vérification mis en place étaient défectueux. Quoi qu'il en soit toute vérification d'anomalies présumées doit nécessairement commencer avec l'organisme électoral. Les parlementaires n'ont aucune provision légale leur permettant de convoquer le Président de la République ni l'obliger à mettre à leur disposition ses documents d'identité. Sauf en cas d'une procédure formelle de mise en accusation. Cette procédure est valable uniquement pour les fautes commises par le président dans le cadre de l'exercice de ses fonctions.

2) L'enquête des élus concerne en même temps le président de la République et des ministres. Du point de vue de la philosophie et de la sociologie politiques il est absolument absurde de traiter de la même manière dans un tel dossier le chef de l'Etat et les ministres. Le chef de l'Etat tire sa légitimité directement du suffrage universel tandis que pour l'essentiel les ministres tirent leur légitimité du parlement. Les parlementaires peuvent donc, dans leurs excès de toute sorte, sans aucune procédure spéciale vérifier les documents d'identité des ministres. Mais concernant le Président de la République, ils n'ont aucune provision.

3) Je suis presque certain que cette commission n'a pas un protocole d'enquête détaillé et précis, méthodologiquement tenable. Si elle l'avait, elle aurait commencé son enquête par le début et non par la fin. S'il y avait des soupçons que le PR a fait faux et usage de faux, il aurait été mis à l'index seulement lorsque tous les éléments probants auraient été recueillis.

Dans une société où la pratique médiévale de l'obscurantisme est de mise, où la croyance dans les forces des loup-garous est plus vivace que les vertus de la science, il n'y a pas de place pour un discours éclairé. Il n'y a pas de temps pour la méthode scientifique. On n'est pressé, on veut avoir les résultats le jour même. Point donc de place pour une enquête judiciaire responsable susceptible de perdurer. Les réflexions sont donc primaires.

Dans le cas contraire on se demanderait au moins :

a) d'un point de vue juridique :

- Le candidat Martelly a-t-il déposé l'ensemble des pièces requises pour être candidat à la présidence ? Si oui, ces pièces sont elles authentiques ? Elles le sont, la discussion est close. Elles ne sont pas, une enquête est ouverte.
- Le candidat n'a pas déposé l'ensemble des pièces requises. Le CEP s'explique, tout le monde en tire les conséquences.

b) d'un point de vue politique, s'il est avéré que le Président est à une place où il n'aurait pas dû être :
- Que doit-on faire ?
- Quelles sont les conséquences du choix fait pour la nation, à court, à moyen et à long terme?
- Qu'est ce qui a rendu possible une telle situation ? quelles sont les failles institutionnelles et politiques l'ayant permise ?
- Que faire pour éviter que cela ne se reproduise ?
- Etc.

Doit-on à jamais renoncer dans ce pays à une nouvelle culture politique ? Pourquoi le peuple haïtien n'a-t-il pas droit comme nombre de peuple à une élite éclairée ?

Renald LUBERICE

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"Ne doutez jamais qu'un petit nombre de citoyens volontaires et réfléchis peut changer le monde. En fait, cela se passe toujours ainsi" Margaret Mead (1901-1978)

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