L’année judiciaire qui se termine augure un avenir sombre pour la magistrature qui se trouve à un virage déterminant de son histoire. Sans des interventions urgentes et courageuses, tous les efforts déjà réalisés seront vains et sans lendemain. La sécurité juridique et judiciaire est la pierre angulaire de l’Etat de droit et d’une économie porteuse de perspective réelle de croissance. Elle fait cruellement défaut en Haïti. Pour l’instaurer, il incombe au gouvernement d’appliquer au plus vite, sans complaisance ni tracasserie, les lois de réforme dont l’un des objectifs est d’assurer aux magistrats des conditions de vie et de travail qui garantissent leur liberté de conscience et l’exercice de leur mission en toute indépendance.
Les préalables à l’amélioration durable d’une bonne distribution de la justice sont loin d’être entièrement remplis. En fait, les fondations ont juste été posées, sur un terrain non encore défriché. L’application des prérogatives et l’installation des structures issues des lois de réforme ne sont pas encore effectives. Six mois sont déjà écoulés depuis leur ratification par le Parlement et leur publication au journal officiel de la République par le Chef de l’Etat. Tout ceci démontre éloquemment que la justice n’est pas une priorité pour les grands décideurs de la nation. Mais, fort heureusement, nous n’allons pas céder au découragement. Les risques et les sacrifices que nous avons consentis se sont révélés bénéfiques. Ils permettent que nous puissions aujourd’hui, plus qu’hier, envisager l’avenir avec assurance, et en nous-même, avoir à nouveau confiance.
Il est temps que la réforme judiciaire cesse d’être un projet pour devenir une réalité. Il est temps que cesse l’ironie du sort qui veut qu’aujourd’hui dans ce pays le criminel, parce que riche ou politiquement bien connecté, attende un verdict favorable que la victime, car démunie, peu connue ou sans possibilité de trafic d’influence. Il est temps que les Doyens et les Commissaires du gouvernement, tentés par l’appât du gain facile, cessent de libérer les narcotrafiquants contre qui les indices de culpabilité sont concluants et les charges plus qu’accablantes. Il est temps que les citoyens soient rassurés que devant le juge, seuls comptent les faits et le droit, et nullement la couleur politique ou la condition sociale. Il est temps que les décisions de justice redeviennent justes. Il est temps que la Direction Générale de la Police Nationale et la Secrétairerie d’Etat à la Sécurité Publique cessent de jeter l’anathème sur la justice pendant que bon nombre de policiers, principalement les responsables d’investigation, sont intimement liés à des poches d’enlèvement ou les dirigent directement en toute quiétude. La police a pour mission de protéger et servir la population et non de s’associer aux kidnappeurs, aux malfaiteurs, aux bandits qui sèment la terreur et le deuil dans les familles haïtiennes.
En dénonçant ces faits, nous faisons justice à la vérité. C’est facile de critiquer les juges quand les dossiers sont délibérément trafiqués ou que les enquêtes policières, d’avance, sont bâclées ou faussées. Nous ne nous faisons pas l’avocat du diable, sachant ce dont il est capable, et sur ce, la ligne de démarcation mérite d’être rapidement tracée. Comme dans tous les corps, on trouve dans la Magistrature haïtienne, de la bonne graine et de la mauvaise ivraie. Il n’est donc pas acceptable que cette dernière ternisse l’image de toute une corporation. En aucune façon, l’impunité, l’immoralité et la corruption ne doivent être tolérées. Ceux-là qui utilisent la justice à des fins mercantiles doivent être sévèrement sanctionnés, et à ce sujet, nous sommes pour la révision de la loi pénale, afin de la rendre plus dissuasive, notamment, par un relèvement des peines quand le justiciable est un préposé de l’Etat. Sans repères moraux clairs, le progrès n’est pas possible.
C’est le moment pour nous de blâmer également l’Exécutif et le Législatif. Le premier, pour ne pas instaurer la paix sociale, et particulièrement, solutionner le problème de la cherté de la vie. Le second, par son improductivité législative, a démontré qu’en Haïti le régime parlementaire n’a aucune valeur. Ces soi-disant élus du peuple n’ont fourni au pays aucun instrument juridique nécessaire à une gouvernance compatible avec les aspirations de leurs mandants. De nombreuses réformes sont cependant nécessaires concernant notre arsenal juridique et le fonctionnement des institutions étatiques dépourvues de lois organiques.
Le jour viendra où l’indépendance de la justice, voulue par le constituant et que nous appelons de tous nos vœux, sera une réalité. Nous savons qu’il y a des sceptiques et des défaitistes qui soutiennent que dans ce pays le changement n’est pas possible. Ils se trompent grandement ! Certains avaient douté qu’il existait un juge honnête en Haïti. Aujourd’hui, l’histoire s’est chargée de démontrer qu’ils avaient tort. Et nous allons continuer de les démontrer qu’ils se trompent encore. La justice n’a ni couleur politique ni appartenance sociale. Elle n’est ni de gauche ni de droite, ni du pouvoir ni de l’opposition. Le combat, pour arriver à sa crédibilité, ne saurait donc s’accommoder de camps ou de clans. Avec l’engagement de chaque magistrat honnête et avec l’aide du Seigneur, lentement mais sûrement, la réalité rattrapera le rêve.
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 27 juin 2008
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