Ce week-end, le rendez-vous de tous les rêves des Haïtiens d’outre-mer s’est donné une adresse : le Trump International Beach Resort situé au 18001 Collins Avenue à Sunny Isles Beach, un chef-d’œuvre architectural, dessiné par Donald Trump lui-même et Dezer Properties, qui se dresse comme une icône de luxe au milieu de la plage de sable blanc de Miami Beach. De nombreux Haïtiens-Américains ont fait le déplacement pour venir écouter Bill Clinton en particulier et la Première ministre Michèle Pierre-Louis suivie de toute une cohorte de personnalités. Déclarée « Congrès de l’Unité de la diaspora haïtienne», cette rencontre s’est donnée pour objectif de développer des stratégies spécifiques de solution afin d’obtenir la participation de la diaspora aux affaires internes du pays.
Haïti ouverte pour faire des affaires
Les débats et ateliers se sont circonscrits autour de la relance économique, du tourisme, de la production agricole, de la gestion adéquate des ressources hydrauliques, des cyclones, de l’éducation, des investissements, du salaire minimum, des questions d’immigration et, bien sûr, de l’intégration de la diaspora dans les affaires politiques internes d’Haïti. Un thème a retenu l’attention vendredi soir : « Haïti est ouverte pour faire des affaires ». Le Centre de facilitation des investissements (CFI) n’est pas passé inaperçu pendant les discussions durant les vingt séances de travail. Les deux derniers jours (8 et 9 août) se sont concentrés essentiellement sur la double nationalité, le vote de la diaspora dans les élections haïtiennes et la question des déportés, nouveau phénomène de société. L’ex-président Bill Clinton a été programmé pour se prononcer dimanche à 11:00 sur la mission que lui a confié le Secrétaire général de l’Onu, parler de ses actions en cours, tandis que la Première ministre Michèle Pierre -Louis insistait sur ses attentes par rapport aux besoins urgents d’Haïti et « l’état de la Nation ».
La revendication des droits et avantages
Le Dr Bernier Lauredan, pédiatre de New Jersey, président de la Ligue haïtienne, a plaidé de son côté, pour une rapide intégration de la diaspora à tous les niveaux en Haïti. Il a estimé à 4, 500,000 les Haïtiens de la diaspora, quoique des organisations internationales parlent de 1, 128,798 personnes. Le Dr Rudy Moyse croit pour sa part que « dans la diaspora les votes massifs des communautés d’outre-mer permettent aujourd’hui de gagner des postes électifs importants à l’étranger: Mairies, Parlements locaux, Justice, Police, etc. .Nous sommes partout et nous continuerons de nous imposer au nom de notre pays! Chaque fois qu’un Haïtien de la diaspora gagne aux élections ici à l’étranger, notre drapeau est brandi dans toutes les rues par des milliers d’entre nous! » .Josephine Elysée-Legros, native du Môle St-Nicolas, l’une des organisatrices du Congrès de la diaspora et amie personnelle de la Première ministre d’Haïti, n’a pas manqué de mots pour dresser un profil de ces communautés haïtiennes d’outre-mer qui, selon la Banque interaméricaine de développement, génèrent plus de 1 milliard 500 millions de dollars nets en transferts annuels. Cette somme que revendiquent certaines grosses pointures de la diaspora n’est pourtant pas concertée , ni issue d’une banque spécifique de la diaspora, mais simplement des efforts disparates et individuels à la rescousse de familles diverses vivant en Haïti aux crochets de parents expatriés qui, de leur côté, ne bénéficient à l’étranger d’aucun service sérieux en général de ceux qui parlent en leur nom et qui ne voient pas non plus d’efforts de modernité dans leurs communautés, critique Absalon Jean Philippe, chauffeur de taxi venu déposer des délégués au Congrès de Miami Beach. Les panélistes ont discuté haut et fort non pas de cette réalité, mais des droits et avantages à ajouter à la loi 2002, qui concède en Haïti des avantages certains à la diaspora. Ils en veulent encore plus surtout à la veille de l’ élection présidentielle de 2010, ils exigent l’octroi du droit de vote et le droit d’être voté président, parlementaire, maire, ou à n’importe quel autre poste électif, le droit de devenir Premier ministre ou autre, tout en étant citoyen d’un autre pays. Un représentant du ministère des Haïtiens vivant à l’étranger, lequel a requis l’anonymat, a fait comprendre que les lois haïtiennes depuis Baby Doc ne placent aucune barrière pour la diaspora « qui peut tout faire en Haïti sauf diriger l’État avec un passeport étranger dans la main ». Notre interlocuteur a signalé la mise à la disposition des Haïtiens d’outre-mer d’un ensemble d‘outils pour les informer notamment sur les facilités d’investissement et dont ils ne profitent nullement, « parce qu’intéressés davantage par le pouvoir en Haïti ». Il a cité le cas de Siméus, dont personne n’entend plus parler. Ainsi la double nationalité semble viser avant tout « la conquête du pouvoir en Haïti, sous un protectorat étranger », selon ce fonctionnaire qui précise qu’il ne parle pas au nom de son ministère.
D’autres accords avec les pays d’adoption
Dans les couloirs du Congrès de Miami Beach, un jeune avocat haïtien nous rappelle que, par le passé, Haïti, qui reconnaissait la double nationalité , en a amèrement souffert, notamment lors de l’affaire Emile Luders (un Haïtien de double nationalité qui, après avoir battu sauvagement un policier, fut jugé et condamné par la justice haïtienne; Luders fit appel à son ambassade et s’ensuivit une intervention brutale de la puissance étrangère qui lui avait offert son autre passeport : Haïti dut payer une forte indemnité, présenter ses excuses au pays étranger, et le drapeau national fut renvoyé au Palais comme cadeau couvert de matières fécales). Plusieurs autres cas furent enregistrés dans notre histoire, ce qui oblige aujourd’hui des « veilleurs du temple », ajoute-il, à refuser les lois d’une seule vitesse mais à deux vitesses : « Ce sujet n’est jamais abordé dans les différents Congrès de la diaspora. Il faudrait donc de nouveaux accords avec les pays d’adoption des Haïtiens jouissant de la double nationalité pour exiger l’abandon de toute intervention consulaire étrangère dans les affaires haïtiennes au cas où ces derniers seraient convaincus d’un crime quelconque sur le territoire haïtien ou dans l’exercice de leurs fonctions ou un renoncement au pouvoir des abus, qu’entraîne le droit de responsabilité limitée (même dans son pays d’origine) conféré par la nationalité étrangère , ce qui aiderait la justice haïtienne à agir en toute liberté ». La question du développement d’Haïti par la diaspora a été au cœur des débats. Alix Pierre, un journaliste venu d’Haïti, a été aussi assez incisif : « C’est une tres belle initiative. Toutefois , contrairement à d’autres pays de la Caraïbe, tel la Jamaïque qui a une diaspora active, qui donne l’exemple du développement en dotant le pays de lignes aériennes modernes, d’hôpitaux à gratte-ciel, de campus universitaires géants, de construction d’habitats dignes de ce nom, d’autoroutes (highways) ou d’infrastructures imposantes, la diaspora haïtienne nous regarde et nous la regardons, et ce n’est pas la double nationalité qui empêche quiconque d’agir. Derrière les belles idées on doit toujours réfléchir sur les enjeux! De plus depuis 20 ans la plupart de nos cabinets ministériels sont formés à 60% de nos frères de la diaspora, mais on ne voit pas encore de résultats de modernité. Haïti est perçue comme un pays ou on peut gagner de l’argent et auquel on n’a rien à offrir. Quant au gouvernement haïtien, face au manque de vision moderne de la diaspora, il ne conçoit pas non plus de projets économiques solides pour attirer les capitaux internationaux en utilisant les élites de cette diaspora, en créant des structures».
Un pas important pour l’avenir
Pour sa part, le Dr Saidel Lainé croit que ce congrès est un pas important pour l’avenir, « parce qu’il permet de soulever des débats positifs, de rencontrer des compatriotes de toutes les tendances, d’éclaircir de nombreux points et de poser les bases d’une grande fraternité entre les décideurs haïtiens de l’intérieur et ceux de l’extérieur! » .On n’est pas à la première vague de congrès de la diaspora. Depuis la Conférence de la diaspora du Canada des 10 au 12 décembre 2004, près d’une dizaine de Congrès d’unité de la diaspora ont été organisés par des groupes divers. Citons entre autre le « Congrès de la Fédération des organisations et des ressources haïtiennes extra-frontalières » de janvier 2005 organisée en France, suivi du « Congrès de reconnexion de la diaspora haïtienne » réalisé en juillet 2006 en Haïti avec la participation remarquée du président de la République, de l’ambassade américaine en particulier et du Corps diplomatique en général. En juin 2007, un autre Congrès de la diaspora posa ses tentes à l’Université de Paris 8 sous le titre «Congrès et Forum permanent des Haïtiens de la diaspora». Ce fut une initiative de jeunes journalistes exilés sous Aristide (Robert Philomé, Abel Descollines) aux côtés de Paul Cozigon , délégué du Parti socialiste pour les Caraïbes, de Diadé Soumaré, président du Haut Conseil des Maliens de France et de diverses délégations haïtiennes. En 2008, à Newark, New Jersey, du 10 au 12 octobre, la Ligue haïtienne du Dr Bernier Lauredan mit en place son premier Congrès de la diaspora. En juin 2009, il organisa en Haïti une réunion préparatoire pour la réédition de ce Congrès qui s’est clôturé ce dimanche à Miami Beach. Il a confié la présidence de l’Assemblée au Dr Rudolph Moise très respecté dans la communauté de Miami. Les participants ont été invites à débourser 250 dollars US par personne au moment de l’inscription pour venir exposer leurs idées et discuter des enjeux. Notons aussi que cette année il y a eu aussi d’autres congrès de la diaspora, d’abord celui de février 2009 dénommé « Congrès de la diaspora : l’Initiative d’Ottawa sur Haïti 2009 » organisé au Canada avec des invités de marque tels Michel Chossudovsky, Edwidge Danticat, Peter Hallward, Michael Keefer, Stu Neatby, Jean Erich René. Un autre Congrès de la diaspora également a sonné les trompettes brillamment à Chicago en avril 2009 sous l’ombrelle de deux organisations,
Le Congrès des Haïtiens pour fortifier Haïti (CHFH) et Le Congrès des Haïtiens pour l’engagement civique (Haitian Congress Pac) dirigé par l’avocat Lionel Jean Baptiste . En juillet 2009 , la diaspora de Chicago a rapatrié son congrès à l’Hôtel Karibe Convention Center de Port-au-Prince. Enfin après le Congrès de Miami Beach, une initiative de Bernier Lauredan, on attend d’autres invitations, de nouvelles idées , de nouvelles promesses , de nouveaux rêves en ayant à l’esprit un beau slogan : « Haïti un jour, Haïti toujours! ».
Par Adyjeangardy
mardi 11 août 2009