vendredi 4 septembre 2009

Des amendements inacceptables par Georges Michel

Des amendements inacceptables

 

(Observations sur le Rapport de la Commission présidentielle sur la révision de la constitution)

 

Mise en contexte

 

Le Président René Préval moins d'un an après son arrivée au pouvoir en 2007, s'était lancé dans une série d'attaques en règle contre la Constitution de 1987. Devant la stupeur et l'indignation de tous les secteurs du pays, le Président s'était ravisé et avait dit qu'on avait mal interprété sa pensée et qu'il voulait simplement lancer un processus de réflexion profonde sur la Constitution de 1987. Le pays lui en donna acte et un certain temps après ce processus de réflexion qu'avait voulu initier le Président tomba dans un profond sommeil.

La malice populaire à cette époque-là, prétendant voir clair dans le jeu du Président, lui prêtait dans sa volonté de réformer la Constitution de manière rapide, à tort ou à raison, trois idées maîtresses :

 

1-      Se succéder à lui-même pour un 3e mandat de 5 ans, un 3e terme, comme au bon vieux temps de Louis Borno ;

2-      Liquider définitivement l'armée nationale pour lui substituer une Gendarmerie selon ses vues ;

3-      Obtenir que soit inscrite, dans le texte constitutionnel amendé la double nationalité pour nos frères et sœurs de la Diaspora.

 

Le Président Préval, prenant son mal en patience a donc attendu le début de l'année 2009, l'année prévue par la Constitution pour un éventuel amendement, pour nommer une Commission devant réfléchir à d'éventuelles propositions d'amendement. Certaines personnalités de renom intégraient la Commission qui était dirigée par Claude Moïse dont la volonté à faire amender la Constitution avait été plusieurs fois exprimée sur les ondes depuis 2007. M. Claude Moïse avait déjà travaillé avec l'historien Cary Hector sur un premier rapport qui avait été fraîchement accueilli par l'opinion.

 

Nous écrivions dans notre texte « La Constitution de 1987 : le Point » que nous avions lu à la Florida University en 2007 et que nous avions publié la même année pour contrecarrer le projet Préval-Moïse de toucher à la Constitution :

« Il est … un constat triste que nous devons faire, c'est que jamais depuis 1804, jamais depuis plus de deux cents ans d'indépendance, on n'a fait un amendement constitutionnel en Haïti pour servir la communauté.  [Nous insistons sur ce point].

 

Les amendements ont toujours été faits pour établir la dictature, permettre à un pouvoir politique d'appliquer son agenda ou essayer de sauver une dictature de l'effondrement, effondrement qui est quand même survenu moins d'un an plus tard : cas de Geffrard qui abandonne en 1866 son mandat à vie pour un mandat de 5 ans et qui tombe quand même en 1867, et cas de Jean-Claude Duvalier en 1985 qui veut se donner un premier ministre et qui tombe quand même en 1986, malgré un référendum bidon organisé par son régime qui avait pourtant donné un OUI de 99, 98 %. Nous devrions sérieusement méditer sur ces choses. »

 

Si l'on amendait en 2009 la Constitution de 1987 pour servir la communauté ce serait bien la première fois dans toute l'histoire d'Haïti.

La Constitution de 1987 est la 3e constitution qui a duré le plus longtemps dans notre histoire après celle d'Hyppolite de 1889 qui a duré 29 ans et celle de Pétion de 1816 qui a duré 27 ans. C'est la constitution qui a duré le plus longtemps au xxe siècle, c'est-à-dire depuis la première occupation étrangère et depuis l'élimination par cette dernière par la violence de l'Immortelle Constitution de 1889.

À quoi attribuer cette longévité ? À globalement trois facteurs.

 

1)      La Constitution de 1987 limite le pouvoir du Président de la République et minimise les risques de retour au pouvoir personnel.

2)      La Constitution de 1987 reprend et consacre l'essentiel des revendications du mouvement de 1986 qui sont en réalité les revendications éternelles du mouvement démocratique haïtien né avec la glorieuse révolution de Praslin de 1843 et qui avaient été comprimées par 29 ans de dictature sanglante et délirante des Duvaliers.

3)      La Constitution de 1987 ayant été grâce aux travaux de Fardin qui avait compilé tous les textes constitutionnels haïtiens en 2 fascicules qui furent aux mains des Constituants, élaborée à la lumière de toute l'histoire constitutionnelle et politique de l'État d'Haïti, reprenait des articles et des dispositions qui avaient résisté à l'épreuve du temps et qui avaient été consacrées par l'usage.

 

La Commission nommée par le Président Préval avait pour mission expresse dans un délai très court, c'est-à-dire de 4 mois, de produire des propositions d'amendements. Elle ne pouvait faire autrement, car c'est justement à cette fin qu'elle avait été nommée.

Nous avons été heureux de ne pas avoir été choisi pour intégrer cette Commission. Les membres de cette Commission ont travaillé de bonne foi, mais on a bien des raisons de ne pas être d'accord avec ses recommandations consignées dans ce Rapport qui seront loin de réaliser un consensus même minime derrière elles, car ces conclusions ne rejoignent pas forcément les vues des parlementaires, ni celles de la société civile, ni celles peut-être du Pouvoir exécutif lui-même.

 

Le travail de cette Commission dans le court délai qui lui était imparti a forcément le caractère d'un travail hâtif, mais c'est le premier travail sérieux de réflexion sur la Constitution de 1987. Il ne suffit pas. Il en faudrait d'autres et dans un délai bien plus long et après des discussions approfondies et un débat national large, afin de dégager un consensus solide. Si les recommandations de la Commission étaient adoptées, telles quelles par le Parlement, elles créeraient plus de problèmes qu'elles n'en résoudraient.

Dans notre petit fascicule publié en 2007 nous écrivions :

« S'il s'avère nécessaire d'amender la Constitution, il faut le faire dans la sérénité. Il faut le faire avec lenteur pour pouvoir faire quelque chose de bon. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Nous ne pouvons pas faire n'importe quoi n'importe comment.

Il existe au Japon une commission sur des éventuels amendements à apporter à la constitution japonaise de 1947. Cette commission comprend des juristes, des sociologues, des historiens, des constitutionnalistes, des universitaires et elle travaille d'arrache pied depuis près de 15 ans.

Elle n'a pas encore remis son rapport. »

Dans cette affaire d'amendement à la Constitution, il y a deux volets un volet académique et un volet politique.

 

La Commission a réalisé un travail académique mais dans ce contexte de crise généralisée, sur fond d'élections truquées et d'incertitude, les conditions politiques ne sont pas réunies du tout pour qu'un processus d'amendement constitutionnel soit réalisé en toute sérénité.

Nous écrivions dans notre fascicule en 2007 et cette observation est encore pleinement valable en 2009 : « Toucher inconsidérément à cette Constitution serait ouvrir une boîte de Pandore et lancer immanquablement le pays dans un nouveau cycle d'instabilité et de violence qui pourrait durer encore 70 ans. Personne ne peut prendre sur soi d'endosser une pareille responsabilité. »

La Commission a travaillé de bonne foi, nous le répétons, mais deux erreurs ont été commises par elle et par l'Exécutif.

 

1)      Croire qu'il y a un consensus sur l'urgence à amender la Constitution, même simplement pour le fait de l'amender ;

2)      Croire que les recommandations contenues dans le Rapport seront acceptées, par le Parlement, par le corps social, par la classe politique, et même par l'Exécutif…

Nous n'allons pas pouvoir passer en revue tout l'ensemble du Rapport de la Commission qui fait 267 pages.

La Commission reconnaît qu'un grand nombre de lois d'application devraient être votées pour la pleine mise en œuvre de la Constitution de 1987, mais l'aspect politique du travail en est le plus critiquable.

 

Observations

 

Les recommandations d'amendement du Rapport sont présentées d'une manière générale comme des recommandations anodines, avec une suppression ou une reformation d'un article ici et là qui pourraient être adoptées par le Parlement sans conséquences sérieuses.

Certaines pourtant portent sur des choses graves et ce sont celles là que nous allons signaler ici.

Le Rapport est une attaque frontale et même malicieuse, contre le Parlement. Le Rapport contient en effet des dispositions carrément dirigées contre le Parlement. Nous nous demandons s'il existe réellement en Haïti des députés et des sénateurs assez sots ou assez naïfs pour les voter. On demanderait ainsi au Parlement haïtien de commettre un suicide, un hara-kiri.

Selon la Constitution de 1987, le Parlement à 3 fonctions

 

1)      Faire les lois sur tous les objets d'intérêt public ;

2)      Enquêter sur tous les sujets. Le Parlement à ce droit général d'enquête depuis 1843 ;

3)      Censurer de tout le Gouvernement en tout ou en partie.

La censure de tout le Gouvernement étant soumise à des conditions très strictes (pas plus d'un vote de censure par an).

 

La Commission suggère qu'on enlève le pouvoir au Parlement de légiférer sur tous les objets d'intérêt public, ce qui est un acquis démocratique et une constante dans notre droit constitutionnel, depuis la chute de la dictature de Boyer en 1843. L'article 111 dont la Commission recommande la suppression portait le numéro 81 dans la Constitution de 1843 et se trouve dans toutes nos Constitutions, même les plus dictatoriales. Supprimer l'article 111 comme le recommande la Commission serait vider le Parlement haïtien de la substance et le réduire à une coquille vide. Ce n'est absolument pas acceptable.

Nous risquons aisément avec la suppression de cet article de retomber dans la pratique délétère des décrets-lois ou des décrets ayant force de loi des gouvernements dictatoriaux de Vincent et de Duvalier.

 

La Commission veut supprimer l'article 108 de la Constitution qui prévoie la validation des pouvoirs des parlementaires et la décision souveraine des Chambres législatives sur les contestations qui pourraient s'élever sur la régularité des élections de leurs membres. Cet article qui est directement lié à un droit d'accueil reconnu aux Assemblées parlementaires est l'un des articles les plus importants de la Constitution de 1987. La Commission veut l'abolir, parce qu'il représente dit-elle une survivance du passé. Cet article 111 existe en effet depuis 1843 où il portait le numéro 76.

 

La Commission recommande de s'en remettre plutôt à la sagesse d'un Conseil Constitutionnel qui serait donc appelé à rectifier les méfaits d'un CEP malhonnête, comme ce fut le cas aux sénatoriales du 6 avril 1997 sous le premier mandat de M. René Préval, où maintenant à l'occasion des sénatoriales de 2009 où certains résultats, notamment dans le Sud, l'Artibonite, l'Ouest sont considérés par les observateurs comme frauduleux, et le Président du CEP M. Frantz Verret est dénoncé comme fraudeur par le propre vice-président du CEP M. Rodol Pierre, ce qui est de nature à jeter un doute sérieux sur la crédibilité et l'honnêteté des prochaines consultations électorales, législatives et présidentielles. On n'est jamais mieux servi que par soi-même. Il vaut mieux compter sur ses propres forces plutôt que compter sur la bienveillance d'un Conseil Constitutionnel omnipotent qui pourrait facilement tomber sous le contrôle du Pouvoir Exécutif. Seul le régime musclé de Michel Domingue avait tenté de limiter la portée de cet article dans la Constitution de 1874 (article 80) et certains parlementaires actuels veulent nous donner de l'article 108 ces jours-ci une lecture à la Domingue. Pour la pleine édification du lecteur, l'article 80 de la Constitution de 1874, le seul en son genre de toute notre histoire constitutionnelle, dispose : « La Chambre des Représentants vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s'élèvent à ce sujet, conformément à la Constitution et à la loi électorale. Le Sénat examine et juge également si l'élection des Sénateurs a lieu conformément à la Constitution ». Pas un mot concernant d'éventuelles élections frauduleuses.

Pour le Parlement en général, nous relevons encore que la Commission a recommandé qu'à l'occasion des sessions extraordinaires les députés et les sénateurs ne pourraient plus entretenir leurs Assemblées respectives de questions d'intérêt général. Pourquoi limiter la possibilité des parlementaires à s'exprimer, alors qu'ils sont les mandataires de la Nation et que la Nation parle par leurs bouches ? One ne comprend pas trop.

La Constitution de 1987 prévoit un Sénat qui se renouvelle par tiers tous les deux ans avec un mandat sénatorial d'une durée de six ans, c'est-à-dire plus long que celui du Président de la République. Le nombre de 3 sénateurs par Département grand ou petit, a été choisi pour cette raison par les Constituants de 1987, de sorte que l'on change ou que l'on réélise un (1) sénateur par Département à chaque renouvellement biennal du tiers du Sénat de la République, de telle manière que le Grand Corps connaisse toujours une certaine continuité et qu'il ne se produise pas au sein de la Haute Assemblée de changement trop brutal de majorité ou de tendance politique, à l'inverse de ce qui peut se produire au niveau de la Chambre basse qui se renouvelle intégralement tous les 4 ans.

 

La Commission a recommandé la réduction du mandat des sénateurs à 5 ans, l'attribution des 3 sièges sénatoriaux à la majorité relative, le couplement des élections sénatoriales avec les élections présidentielles. L'argument avancé est financier. Il ne résiste pas à l'analyse. La démocratie a un coût qu'il faut assumer.

Nous pensons que cette recommandation n'est pas acceptable du tout

À part le risque de changement radical de la composition du Sénat, nous avons aussi le risque qu'en cas d'élection frauduleuse un président de la République mal élu puisse se faire donner en cadeau par un CEP complaisant 30 sénateurs d'un coup, c'est-à-dire le contrôle de la totalité du Sénat. Avec le système actuel qui prévoit le renouvellement par tiers du Sénat de la République c'est une chose absolument impossible, et on peut toujours limiter la casse. Nous rappelons le cas des Sénateurs élus frauduleusement en 1997 qui n'ont jamais été admis à siéger et de certains sénateurs contestés des dernières élections de 2009, qui pourraient voir leur élection frauduleuse invalidée purement et simplement par le Sénat en vertu de l'article 108, de ce même article 108 qui se trouve actuellement dans le collimateur du Rapport de la Commission. Dans la foulée de sa réforme proposée, la Commission veut aussi supprimer la permanence du Sénat.

 

La Commission veut redonner au Président de la République un droit d'ajournement du Parlement qui fut introduit dans notre droit constitutionnel par la première occupation en 1918, alors que les occupants américains et leurs laquais indigènes du régime Dartiguenave venaient de renvoyer par la force le Parlement par deux fois en 1916 et en 1917. Ce droit d'ajournement a été supprimé par la Constituante de 1987. Est-il opportun vraiment de le rétablir ? Nous n'en sommes pas convaincus.

 

Voici le gros morceau. Deux mandats consécutifs pour le Président de la République. 5 ans + 5 ans = 10 ans. C'est beaucoup. Le risque que le locataire du Palais National truque des élections présidentielles pour se maintenir au pouvoir après 5 ans est trop grand. Nous venons de voir le cas du président Amadinedjad en Iran. Les Amadinedjads haïtiens sont déjà prêts à profiter de cette aubaine. Nous croyons savoir que c'est la proposition de la Commission qui a été le plus mal accueillie par l'opinion publique haïtienne laquelle dit que dix ans d'affilée au pouvoir c'est bien trop pour un seul homme. Pendant ce temps, en effet, il risque de se rendre maître de l'appareil d'État et de ne pas vouloir quitter le pouvoir après 10 ans.

 

Pour mémoire, la formule qui a été retenue pour le Président de la République par la Constituante de 1987 est le fruit d'un compromis entre un mandat de 4 ans et un mandat de 6 ans, entre un seul mandat et la possibilité de réélections, entre des mandats consécutifs et des mandats séparés par un intervalle libre égal à la durée du mandat, comme c'est une constante dans pratiquement toutes nos constitutions depuis celle de 1843 votée après la longue présidence à vie de Boyer. La Constituante de 1987 a retenu donc le mandat de 5 ans, séparé d'un intervalle libre de 5 ans avec un second et dernier mandat de 5 ans.

 

Les Constituants n'ont pas oublié que François Duvalier élu pour 6 ans en 1957, s'était fait réélire pour un autre mandat de 6 ans avant la fin officielle de son premier mandat et moins de sept ans plus tard se proclamait président-à-vie.  Ceux qui oublient le passé sont condamnés à le recommencer disait Georges Santayana. Cette suggestion de la Commission a littéralement indisposé les gens en Haïti.

 

La Commission présidentielle a recommandé la suppression de la Commission de Conciliation. Les dirigeants haïtiens qui se sont succédés au pouvoir depuis 1988 ne se sont jamais préoccupés de mettre sur pied cette importante instance de conciliation qui aurait pu rendre bien des services au pays et éviter bien des crises qui se sont déclarées et qui se sont inutilement envenimées. Cette Commission est une instance simple et informelle qui fonctionnerait à merveille dans le milieu haïtien si seulement on s'était donné la peine de la faire exister.

 

La Commission a recommandé l'instauration d'un Conseil Constitutionnel aux larges compétences, mais qu'on ne pourra pas semble-t-il saisir directement par voie d'action. La Commission contrairement à l'avis émis par certains de ses membres a choisi malheureusement une instance plus politique, la formule de Conseil Constitutionnel plutôt que la formule plus juridique de Cour Constitutionnelle. La Commission place littéralement le Parlement sous la tutelle de ce Conseil Constitutionnel. La Commission demande aux parlementaires de mettre eux-mêmes leur tête sur le billot pour qu'on leur la coupe !

 

Le concept de Conseil Constitutionnel est plus sujet à une politisation de cette nouvelle instance régulatrice qui serait plus vulnérable à la tare du copinage qu'une Cour Constitutionnelle formée de Magistrats professionnels et devant laquelle tout justiciable pourrait venir plaider sa cause. En respectueux désaccord avec la Commission, nous pensons que ce Conseil Constitutionnel qui sera très probablement truffé d'agents du Pouvoir Exécutif, ferait plus de tort que de bien.

 

Signalons que la Constituante de 1987 avait laissé les attentes pour la création d'un Tribunal Spécial Constitutionnel en vertu de l'article 173 de la Constitution et qui fonctionnerait sur le modèle du Tribunal Spécial du Travail. Les décisions de ce Tribunal seraient susceptibles de recours devant la Cour de Cassation qui statuerait sur la forme et le fond, en sections réunies et de manière définitive.

Sous l'administration Nérette-Honorat nous avions travaillé au sein d'une Commission ad hoc sur un projet de loi portant création de ce Tribunal Spécial Constitutionnel que l'on pourrait saisir directement par voie d'action et dont les décisions seraient opposables erga onmes. Un tel Tribunal avait fait peur au pouvoir politique d'alors, le même qui avait convoqué cette commission pour créer le TSC. Heureusement que Jean-Claude Roy qui faisait partie de la commission a publié le texte préparé par cette dernière en annexe de son livre : « Entre la lettre et l'Esprit de la Constitution de 1987 », texte qui n'a jamais été soumis au Parlement.

Il est à parier que si le Conseil Constitutionnel aux pouvoirs exorbitants recommandé par la Commission présidée par Claude Moïse voit le jour, le Pouvoir exécutif essaiera de le contrôler, entièrement en y faisant nommer ses petits copains, ses protégés, ses amis politiques ou ses séides. On imagine facilement la suite…

 

Relativement aux institutions locales la Commission a recommandé la suppression du Quartier qui est un rouage important et très ancien de notre édifice administratif. Un quartier est souvent une future commune. C'est une unité administrative où se trouvent installés certains services de base comme un Tribunal de Paix, un officier de l'État civil, un bureau de la DGI, un marché rural important, un grand cimetière de zone… Notre droit prévoit d'ailleurs qu'une ancienne commune qui n'arriverait pas à tenir son rang de commune serait rétrogradée au rang de quartier et rattachée à la commune la plus proche.

On a en quelques cas d'espèce, comme l'ancienne commune de l'Acul-Samedi dans le Nord-Est rattachée à la commune de Fort-Liberté à titre de quartier. Plus près de nous à Port-au-Prince, les quartiers de Carrefour et de Delmas sont devenus des communes à part entière. Malgré la création de la commune de Tabarre le très ancien quartier de la Croix-des-Missions a été gardé comme quartier rattaché à Tabarre, mais ses habitants espèrent un jour que la Croix-des-Missions sera enfin une commune à part entière. En politique, l'espoir fait vivre.

C'est un acte contre les communautés rurales qui serait posé si le Quartier était effectivement supprimé.

Nous devons nous mobiliser pour sauver le Quartier. Ceci témoigne incidemment d'une profonde méconnaissance da la majorité des membres de la Commission de la réalité du milieu rural haïtien.

 

Toujours au niveau des institutions locales, la Commission a recommandé l'instauration d'un maire unique en lieu et place de l'exécutif communal de trois membres actuellement. Ce maire unique désignerait ses assesseurs. Cette formule mériterait qu'on l'étudie plus profondément.

 

Au niveau de la décentralisation, la Commission a recommandé la suppression du Conseil Interdépartemental non encore formé, composé d'un représentant par Département et dont les gouvernements haïtiens depuis 1988 n'ont vraiment jamais voulu. Ce n'est un secret pour personne que ce Conseil Interdépartemental est la bête noire du Président Préval et serait l'une des choses qu'il voudrait le plus voir disparaître de la Constitution, mais nous sommes en mesure de témoigner que c'était l'une des choses que le pays profond dans sa soif de justice avait voulu de toutes ses forces faire inscrire dans la Constitution de 1987.

 

La Commission dans l'ensemble ne touche pas aux droits fondamentaux, mais elle recommande la suppression d'une garantie majeure pour les journalistes contenue dans l'article 28-2 et qui permet aux journalistes de ne pas révéler leurs sources. Haïti est en avance sur ce point sur bien des pays du monde, sur bien des démocraties occidentales comme la France et les Etats-Unis d'Amérique où des journalistes sont allés en prison pour ne pas avoir voulu révéler leurs sources. La suppression de cette garantie pour nos journalistes recommandée par la Commission est tout simplement inacceptable, d'autant que nous savons que l'un des marottes du pouvoir en place est de museler les journalistes au moyen d'une loi sur la presse, ce dont personne ne veut dans la corporation. Nous allons citer pour notre édification en la matière les textes pertinents :

 

Article 28-2 existant :

« Le journaliste ne peut être forcé de révéler ses sources. Il a toutefois pour devoir d'en vérifier l'authenticité et l'exactitude des informations. Il est également tenu de respecter l'éthique professionnelle.

En quoi un pareil article dérange-t-il dans la Constitution ? Pourtant dans le Rapport de la Commission nous trouvons sans justification aucune une proposition de reformulation de cet article qui se lirait désormais comme suit :

« Le journaliste exerce librement sa profession dans le cadre de loi » ce qui reprend la première phase de l'article 28-1 qui lui a été maintenu.

 

L'article 28-2 passe tout simplement à la trappe. Cette suppression d'article est loin d'être innocente. La malice du Rapport contre les journalistes est évidente. C'est intolérable. Les journalistes haïtiens sont furieux.

Relativement à la nationalité, la Commission a fait tout une série de propositions intéressantes qui demanderaient à elles seules une autre communication pour les présenter et en débattre, en particulier l'abrogation de l'article 15.

 Mais, il n'est pas certain que ces modifications soient acceptées par les parlementaires.

 

La Commission est passée cependant à pieds joints sur l'article 10 de la Constitution qui dit que les règles de la nationalité sont déterminées par la loi. Sans avoir besoin d'amender la Constitution, et en respectant les quelques principes de base que la Constitution de 1987 a posés, nous aurions pu avoir une nouvelle loi très simple et très généreuse sur la nationalité haïtienne qui tracerait aux autorités administratives une autre conduite à tenir en matière de gestion de la nationalité haïtienne et de délivrance notamment de passeports haïtiens par le Service d'Immigration. La nouvelle loi pourrait avoir une autre lecture de l'article 15, si cet article n'était pas abrogé.

 

Nous écrivions à ce propos en 2007 dans notre fascicule :

 

« L'article 15 dit que la double nationalité n'est admise en aucun cas, mais cet article peut avoir deux façons de le lire, une façon restrictive comme c'est le cas actuellement en Haïti, et une façon large comme c'est le cas en Grèce, pays qui ne reconnaît pas la double nationalité, pour la bonne raison qu'il ignore sur son territoire toute autre nationalité que la nationalité grecque. Le gouvernement grec ne s'occupe pas de ce que font les Grecs hors des frontières de la Grèce. Si un Grec naturalisé étranger veut se comporter comme un Grec en Grèce, il n'y a aucun problème puisque l'État grec ne reconnaît en Grèce que la nationalité grecque. La Suisse a également une attitude analogue. On n'admet pas mais on ignore. Nous aurions intérêt en Haïti à faire de même. Cela est à notre portée si nous le voulons réellement.

Il suffit que le gouvernement haïtien applique désormais sur cette question le principe « Don't ask, don't tell » (…) Il faut un peu de courage et de vision. »

 

L'article 10 de la Constitution de 1987 ouvre des possibilités immenses pour qui veut bien réfléchir et y mettre la volonté politique nécessaire. Par exemple, cet article permettrait si une disposition de la loi sur la nationalité est votée en ce sens, d'octroyer la nationalité haïtienne à la naissance par le jus soli à un enfant d'un couple d'étrangers né  sur notre territoire, sans savoir à le soumettre à la formalité d'option à 18 ans actuellement prévue par notre droit. À défaut d'amendement, il faudrait être prêt à faire voter une nouvelle loi sur la nationalité en vertu de cet article 10 de la Constitution.

 

Lors d'une rencontre que nous avons eue avec certains membres de la Commission, l'un d'entre eux, un juriste éminent, nous a fait remarquer de manière très technique et avec beaucoup de justesse que si la Constitution de 1987 interdisait formellement la double nationalité, elle n'interdisait pas le cumul de nationalités, parce qu'elle n'en n'avait ni le pouvoir ni les moyens. Le cumul fait qu'un ressortissant haïtien peut être saisi contre son gré par une autre loi nationale. La double nationalité sont deux notions juridiques voisines mais distinctes selon ce que nous a fait remarquer ce juriste. Aussi donc, au moyen d'une loi prise selon l'article 10, nous aurions pu reconnaître dans notre droit si nous voulions le cumul de nationalités et l'aménager, donnant ainsi satisfaction à notre Diaspora sans avoir à amender la Constitution pour abroger l'article 15.

Et voilà que nous arrivons au dernier point qui paraît être anodin, mais qui est dans la réalité excessivement grave, c'est la recommandation par la Commission de la modification de la procédure d'amendement à la Constitution. In cauda venenum ! C'est la porte ouverte à l'instauration d'une nouvelle dictature en Haïti à brève échéance, d'un régime carrément liberticide.

 

Le texte de la Constitution de 1987 est un texte verrouillé qui est assorti de certains mécanismes de protection qui sont contenus dans les dispositions relatives à la procédure pour son amendement. Nous dirons d'entrée de jeu que les Constituants de 1987 n'ont rien inventé. Ils ont repris la procédure standard qui existait dans la Constitution de 1950 et qui en fait existe depuis la Constitution de 1843, et qui a protégé notamment les Constitutions de 1867 et de 1889, permettant même à celle-ci de durer 29 ans et de ne céder que devant la puissance des armes de l'occupation étrangère en 1918. Cette procédure de révision qui a traversé les âges n'est pas l'œuvre d'une fantaisie, mais est le fruit d'une longue expérience politique et constitutionnelle souvent douloureuse.

Voici maintenant ce que recommande textuellement le Rapport de la Commission pour une nouvelle procédure de révision constitutionnelle pour remplacer celle qui protège actuellement la Constitution de 1987.

 

Nous citons le Rapport de la Commission :

 

« 3. Alléger et rendre plus célère la procédure d'amendement en permettant que :

a)      l'initiative soit prise par le Président après consultation (ou accord ?) du Premier ministre ou de l'une des deux (2) chambres.

b)      La proposition d'amendement soit présentée à l'Assemblée nationale, à n'importe quel moment de la durée de la législature, notamment, au début. Il ne faut donc pas imposer un moment pour le dépôt de la proposition ou du projet d'amendement.

c)      La saisine de l'Assemblée Nationale se fasse directement sans avoir à obtenir, au préalable, l'adhésion des deux tiers 2/3 de chacune des deux (2) chambres pour la déclaration. L'étape de la déclaration devrait être supprimée

d)     La proposition d'amendement soit examinée et adoptée durant une seule et même législature. Ceci aurait pour mérite de court-circuiter et d'éviter le problème du changement potentiel de majorité, issue des urnes.

  4.  Retenir un seul et même quorum de deux tiers (2/3) pour l'adoption de l'amendement

     par chacune des deux (2) chambres ».

 

En écrivant ces choses, les membres de la Commission présidentielle font preuve d'un mépris total pour les citoyens haïtiens qu'ils semblent prendre tous pour des imbéciles ou pour des zombis.

Ils nous renvoient en effet aux temps de deux terribles dictatures, celles de Lysius Salomon et de François Duvalier.

Salomon élu en 1879 changea pendant ses 9 ans de règne la Constitution de 1879 en 5 fois, la première fois le 14 septembre 1880, après seulement 11 mois de présidence, puis une 2e fois 14 jours plus tard le 28 septembre 1880, puis une 3e fois le 27 juillet 1883 pour persécuter ses ennemis politiques, une 4e fois le 10 octobre 1884 pour ôter des droits à l'Haïtienne mariée à un étranger, et une 5e fois le 7 octobre 1885 pour autoriser sa propre réélection qui était prohibée par la même Constitution de 1879. Les articles 201 à 203 de la Constitution de 1879 qui ont permis à Salomon de faire tant de choses avec la Constitution rejoignent les recommandations de la Commission actuelle.  Nous les citons pour votre édification :

 

« Article 201. - Le Pouvoir législatif, sur la proposition de l'une des deux chambres ou du Pouvoir exécutif, a de droit, à n'importe quelle époque, de déclarer qu'il y a lieu de réviser telles dispositions constitutionnelles qu'il désigne.

 

Article 202. – Si les deux Chambres admettent la révision proposée, l'Assemblée Nationale se réunira et statuera à cet égard.        

 

Article 203. – L'Assemblée nationale ne peut délibérer sur cette révision, si les deux tiers au moins de ses membres élus ne sont présents.

Aucune déclaration ne peut être faite, aucun changement ne peut-être adopté dans ce cas, qu'à la majorité des deux tiers des suffrages. »

C'était il y a 130 ans. La Commission veut donc nous faire faire un grand bond de 130 ans en arrière !

 

La Commission nous ramène plus près de nous aux temps maudits de Papa Doc dont la Constitution de 1964 disposait dans deux articles qui reprennent grosso-modo aussi ce que la Commission a recommandé en matière de procédure de révision constitutionnelle et que nous allons vous citer pour votre pleine édification :

 

« Article 198. -  Le Pouvoir Législatif, sur la proposition de l'un de ses Membres ou du Pouvoir exécutif, a le droit de déclarer, au cours d'une session ordinaire qu'il y a lieu de réviser partiellement ou totalement les dispositions de la Constitution en vigueur.

Cette déclaration est notifiée immédiatement au Président de la République et publiée au Journal officiel.

Dès la publication de la déclaration, le Corps Législatif, au cours de la même Session ou sur convocation à l'extraordinaire, se réunit en Assemblée Nationale pour statuer sur la révision proposée.

 

Article 199. – La révision achevée, l'Assemblée Nationale proclame, dans une séance spéciale, la Constitution nouvelle, s'il s'agit d'une révision totale, ou les dispositions amendées s'il ne s'agit que d'une révision partielle, et, dans ce dernier cas, les incorpore à la Constitution ».

On a eu droit aux 2 cas de figure prévus par l'article 199. En janvier, 1971, la Constitution de 1964 a été modifiée en 48 heures pour permettre à Jean-Claude Duvalier de succéder à son père et en 1983, cette Constitution de 1964 a tout simplement été éliminée pour être remplacée par une nouvelle Constitution votée en 72 heures. C'était il y a 26 ans en ce même mois d'août.

Voilà à quoi la Commission voudrait nous ramener… Impénitents !!!

 

L'astuce voulue par le pouvoir en place est la suivante : Nous présenter les amendements du Rapport comme des amendements mineurs, des amendements de toilettage, des amendements techniques, puis dès que la procédure d'amendement sera devenue expéditive comme le recommande la Commission, les vrais amendements qui porteraient sur le changement du régime passeraient en force le plus légalement du monde et nous nous retrouverions alors avec nos deux yeux pour pleurer. Naturellement, ceci est totalement inacceptable. Et Salomon et le Doc ont été condamnés par l'Histoire comme des dictateurs. Avec de pareilles dispositions, n'importe quel président haïtien changera de Constitution comme il change de chemise.

Si ces choses sont acceptées, nous serons totalement à la merci du bon vouloir de dirigeants haïtiens futurs qui pourront donner libre cours à toutes les vieilles tendances dictatoriales de l'Haïtien. Nous verrons disparaître en une seule nuit des Institutions nationales de base comme le Sénat, l'Armée nationale, ou des garanties fondamentales, ou nous assisterons à l'instauration de la réélection présidentielle sans limite de nombre de mandats pour le peu qu'un pouvoir en place dispose d'une majorité parlementaire de circonstance. Ceci permettait à un même groupe politique de confisquer le pouvoir pendant 50 ans tout en maintenant les apparences de la légalité.

Les institutions nationales seront déstabilisées en permanence et la démocratie dans notre pays sera mise veilleuse pour très longtemps… 

 

Nous reprendrons ici une citation de l'ex-Président français Valéry Giscard d'Destaing qui parlait pourtant pour des Français, citation qui se trouve aussi dans notre fascicule « La Constitution de 1987 : Le Point » et qui s'applique aussi à la situation haïtienne actuelle :

 

« Nous avons la chance historique de posséder des institutions (…) démocratiques. Mais elles sont récentes et de ce fait encore exposées à être remises en cause, d'autant plus que certains ne les acceptent que du bout des lèvres. Tout doit être fait pour les maintenir. »

Nous en avons trop dit. Nous vous faisons grâce des autres petits détails qui sont dans le Rapport de cette Commission. Le Rapport de cette Commission représente un travail intellectuel et comme tout travail intellectuel mérite le respect, mais ce Rapport ne constitue en aucun cas une base politique pour une éventuelle révision de la Constitution de 1987. Si une réforme telle qu'elle est proposée est adoptée elle ne fera que fragiliser inutilement l'édifice constitutionnel et défigurer pour rien la Constitution de 1987.

 

Conclusion

 

Nous dirons en guise de conclusion ce que nous avons déjà dit dans notre fascicule de 2007 :

« Il est nécessaire de dire clairement qu'il n'y a pas d'urgence vraiment à amender la Constitution de 1987. Il y a peut-être quelques failles, mais il n'y a rien qui puisse pour le moment nous empêcher de vivre et de fonctionner, et rien qui justifie le risque de jeter le pays dans une nouvelle aventure politique dont personne ne pourra prédire la fin. Les priorités sont ailleurs. 95 % des prétendues faiblesses de la Constitution de 1987 peuvent être corrigées par des lois d'application. Ne mettons pas la charrure devant les bœufs. »

 

Dans l'état actuel des choses, que devons nous faire de préférence pour prévenir une catastrophe qui est encore évitable ? La réponse est très simple : Prendre le taureau par les cornes, demander à notre Parlement de surseoir à ce projet de révision constitutionnelle hâtif et mal ficelé, de voter toutes les lois d'application et d'implémentation demandés par la Constitution de 1987 notamment une nouvelle loi sur la nationalité pour servir notre Diaspora et régler le cas de tous ces petits Haïtiens qui naissent chaque jour en terre étrangère, et mettre sérieusement à profit les 4 prochaines années de la 49e Législature pour pousser plus en avant une réflexion nationale large sur notre Charte fondamentale, et découvrir exactement les vrais amendements dont nous avons effectivement besoin.

 

Avec tout le respect que nous devons au Président René Préval qui a commandé le Rapport à cette Commission, avec tout le respect que nous professons son Président l'intellectuel Claude Moïse et pour les membres de la Commission pour leur patriotisme ardent et leur travail sincère, nous leur dirons fort courtoisement que quatre (4) mois seulement ne suffisent pas pour réaliser un pareil travail, et que les amendements proposés ne conviennent pas.

La réflexion politique pour élaborer la Constitution de 1987 avait en réalité duré 29 ans et la réflexion pour d'éventuels amendements doit encore se poursuivre.

 

Nous dirons encore aux personnalités sus-mentionnées, que le contexte politique actuel où nous sommes en train de gérer plusieurs situations de crise : occupation étrangère, résultats électoraux dénoncés comme frauduleux, conflits universitaires aigus, crise du salaire minimum, ne se prête pas à la réalisation en toute sérénité de changements à notre Constitution. « On ne change pas de cheval au milieu de la rivière ». Nous reprendrons ici pour mémoire l'opinion que notre très respecté collègue Jean Supplice de Saint-Marc, le Vice-Président de l'Assemblée constituante, sortant de sa longue réserve, avait émise déjà en 2007, rejoignant d'ailleurs celle de la majorité du public et qui demeure encore d'actualité : « Le moment est inopportun de parler d'amendement de la Constitution de 1987 compte tenu du contexte politique. Réflexion oui, amendement non. » Le Vice-Président  Jean Supplice a encore cent fois raison.

 

Mesdames et Messieurs, continuons donc à protéger la Constitution de 1987 pour qu'elle puisse continuer à nous protéger et à protéger nos droits.

 

Merci de votre attention.

 

                                                                                                Dr Georges Michel

                                                                                                Journaliste

                                                                                    Ancien Constituant de 1987

                                                                                     

                                                                                     Santo Domingo de Gúzman

30 Août 2009

 

HAITI-- Politique-- Rencontre Santo Domingo -- Discours Bazin

Communication

 

de Marc L. Bazin

 

Au Colloque

 

Sur le Sauvetage National

 

Santo Domingo – 28 – 30 Août 2009

 

 

Monsieur le Président,

MM. les Membres de l'Association des Pasteurs,

Mes chers Rudy Boulos, Jim Morrell, Turnep Delpé,

Mes Chers Amis,

 

Laissez-moi d'abord vous remercier de votre aimable invitation à participer à cet important colloque et de vous féliciter de l'excellente préparation de nos travaux.  Laissez-moi aussi rendre hommage aux orateurs qui m'ont précédé à cette tribune pour l'exceptionnelle qualité de leurs interventions.  Également, je compte sur vous pour transmettre aux autorités dominicaines ma haute appréciation de l'accueil cordial qu'elles ont bien voulu nous réserver dans leur pays.

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Le Comité préparatoire m'a demandé de présenter un exposé sur le thème « Un Agenda pour l'Avenir ».  Cet Agenda, je l'ai préparé.  Il porte sur 12 points comme suit :

1.                 Faire de la croissance économique le moyen central de la lutte contre la pauvreté.

2.                 Augmenter les investissements

3.                 Bien choisir les moteurs de la Croissance

4.                 Adopter une approche territoriale du développement

5.                 Augmenter l'épargne interne

6.                 Redresser les faiblesses du secteur des banques commerciales

7.                 Créer une Banque Publique de Développement Agricole & Industriel

8.                 Mettre de l'ordre dans les entreprises publiques

9.                 Proposer un  nouveau concept et des mécanismes nouveaux de l'aide étrangère.

10.            Faire une série d'émissions de « bons diaspora »

11.            Faire baisser le poids de l'augmentation de la pression démographique

12.            Conduire la bataille contre les inégalités.

En conclusion : dégager les voies du rapprochement nécessaire entre Haïti et la République Dominicaine, un rapprochement qu'imposent aussi bien le bon sens que la nature des choses.

Mais avant de vous présenter cet Agenda point par point,  je voudrais faire trois remarques :

1)    Il s'agit d'un programme destiné à se réaliser sur une période de 5 ans.

2)    La réalisation du programme assume qu'il est conduit par une extrêmement large coalition de femmes et d'hommes de bonne volonté, sans distinction de clans ou d'idéologies.  Il suffit que ces hommes et ces femmes soient des transformateurs et qu'ils fassent passer les intérêts d'Haïti avant leurs intérêts personnels.

3)    Pour vous faire partager les enjeux, il convient en guise d'introduction que je vous dise quelques mots sur la situation au point de départ.

Quel est notre point de départ ?

Haïti est un cas spécial.  Contrairement à ce qui s'est passé dans la plupart des pays sous-développés au début des années 80, chez nous, ce qu'on a appelé la crise de la dette n'était pas seulement le fait d'une faillite de la politique financière, d'inflation et de fuite de capitaux.  S'il ne s'était agi que de cela, un simple exercice de redressement des finances publiques aurait suffi.  Chez nous, la crise de la dette s'est également accompagnée d'un déficit de légitimité politique, lequel découlait de méthodes autoritaires et familiales d'exercice du pouvoir, du désarroi de l'appareil administratif et de pratiques de corruption généralisée.  La nature multiple de notre crise de la dette a donné lieu à trois phénomènes de correction qui ont prétendu changer pour longtemps la contexture sociopolitique de notre pays.

Les 3 phénomènes sont :

§         Démocratisation

§         Stabilisation

§         Libéralisation commerciale.

Il s'agissait donc de trois défis de taille.

Aujourd'hui nous pouvons dire qu'aucun de ces défis n'a été relevé, ni complètement ni de manière satisfaisante.

§         L'ordre constitutionnel a été brutalement interrompu à deux reprises en 10 ans, suivi chaque fois d'une occupation étrangère.

§         Les règles électorales ont souvent été manipulées, contournées et violées avec un taux d'abstention de plus en plus élevé.

§         Les exécutifs, même quand ils jouissaient de la légitimité populaire et de l'autorité charismatique, se sont souvent montrés maitres de la tactique politicienne mais incertains quant au sens de la direction qu'il convenait d'imprimer au pays.

§         Le Parlement a souvent été le reflet non pas de partis politiques avec programmes et structure nationale mais de personnalités à forte ambition individuelle sans souci d'institutionnaliser la démocratie.

§         La libéralisation des échanges commerciaux a été intempestive et n'a pas fait augmenter les exportations aujourd'hui, le déficit budgétaire est de $50 millions et pour la première fois depuis juin 2003, la balance des paiements est négative  cette année.

Autant de faits et d'évènements qui ont conduit le pays à la paralysie, entrainé la perte de confiance du peuple dans la capacité, ou même la volonté des dirigeants à améliorer sa condition, ce qui l'a souvent forcé à choisir la route des humiliations ou la mort en haute mer, les deux générateurs de conflits avec nos voisins.  Dès lors, la communauté internationale, une fois de plus consciente des risques que Haïti devienne de manière irrécupérable un foyer de déstabilisation et de terrorisme pour la sous-région, s'est dépêchée de nous envoyer, du niveau le plus élevé, un nouveau messager de l'espoir et de la délivrance. 

Tel est, mes chers Amis, le contexte général dans lequel a été élaboré le projet d'Agenda que j'ai l'honneur de vous soumettre.

I -  Faire de la croissance économique le moyen central

de la lutte contre la pauvreté.

Voilà, j'en conviens volontiers, un sujet qui devrait vous étonner.  Car il est acquis, n'est-il-pas vrai ? que la pauvreté est notre problème No 1 et que c'est par la croissance que l'on réduit la pauvreté.  Malheureusement aujourd'hui, chez nous, la politique qui se fait n'est pas une politique de croissance mais une politique de stabilisation macroéconomique, laquelle se préoccupe avant tout d'éviter la hausse des prix et le déficit de sa balance des paiements.  Malheureusement, cette politique de stabilisation, pour nécessaire qu'elle soit, ne s'accompagne pas du climat institutionnel qui aurait permis au secteur privé de prendre des risques et d'investir.  Car ce secteur privé est contraint de fonctionner sans électricité, sans téléphones, sans des services portuaires efficaces et à bon prix, le tout aggravé par des règlements administratifs alambiqués propices à la corruption.  Entre une stabilité macroéconomique rigide et un climat institutionnel pénalisant, la pauvreté n'a pas diminué et à poursuivre dans les voies d'à présent les commentateurs les plus optimistes pensent qu'il nous faudra attendre trente six ans pour réduire la pauvreté de moitié.  Il nous faut donc sortir de ce guêpier et aller résolument vers la croissance, ce qui suppose évidemment un meilleur climat institutionnel et aussi une augmentation des investissements.

II – Augmenter les investissements

J'aurais aimé pouvoir vous dire de combien il conviendrait d'augmenter les investissements.  Mais je ne sais pas et je ne peux pas savoir.  « Pourquoi » ?  Parce que, à simplement constater nos tableaux statistiques, le niveau actuel de l'investissement serait déjà de 28 - 30% du PIB.  Or, 28-30% d'investissements représente dans tous les pays du monde un taux suffisant pour générer une croissance de l'ordre de 5-6% par an.  Or, en Haïti, en dépit des soi-disant 30% d'investissements, il n'y a pas de croissance.  Alors, que se passe-t-il ?  Il y a trois hypothèses : Ou bien on compte pour investissements toutes dépenses financées par l'aide étrangère, même quand il ne s'agit pas, à proprement parler, d'investissements.  Ou bien, les importateurs de biens d'équipements, pour des raisons fiscales, font passer pour investissements des biens de consommation.  Ou bien nous dépensons vraiment 30% du PIB mais cet argent est détourné à d'autres fins.  Alors, vous avez le choix : incompétence, fausses déclarations ou détournements de fonds.  Dans tous les cas, il existe un besoin de clarification.

III – Bien choisir les moteurs de croissance

Investir, mais où, dans quels secteurs ?

a) Dans l'agriculture.  Nous sommes un pays agricole et les rendements sont désespérément faibles.  Il faudra dons non seulement favoriser  aux planteurs l'accès à l'eau, à l'énergie, aux engrais et insecticides, mais lancer à vaste échelle des programmes de récupération des terres et de protection des  bassins versants.  Également, il conviendra de donner une haute priorité à l'investissement public et des incitations au secteur privé pour des investissements créateurs d'emplois en milieu rural.     b)  dans les infrastructures, dont l'état actuel est inacceptable.  A titre de comparaison, la République Dominicaine est desservie par 6000 Km de bonne route, nous à peine 1,000.  Chaque Dominicain a à sa disposition 340 watts d'électricité.  Chaque Haïtien, 27 Watts.  Les logements, l'environnement dans les zones pauvres, les bidonvilles sont dans un état déplorable.  Des plans nationaux devraient être élaborés et leur financement assuré par l'Etat avec de nouvelles ressources.    c)  Dans l'éducation, où les dépenses par élève devraient passer de $25 à $200.        d)  dans la santé, où les dépenses devraient passer de $25 à $50.  e)  dans l'assemblage et le tourisme, lesquels devraient bénéficier d'une politique fiscale adaptée aux besoins.

IV -  Adopter une approche territoriale de développement

Une telle approche serait basée sur l'idée, déjà adoptée par le gouvernement actuel au stade pilote, que les acteurs locaux et régionaux  devraient être impliqués dans la planification stratégique du processus de développement de l'infrastructure en ce sens que s'ils ont une bonne connaissance des obstacles, ils pourraient ne pas avoir conscience du potentiel pour l'exportation, de la situation dans les pays voisins.  Une telle approche stratégique, soutenue par le pouvoir central aiderait à combler ce vide.  La route pilote Dondon-St Raphael et aussi Thiotte-Anse-à-Pitre  devrait apporter une grande contribution à la pénétration de nouveaux marchés par les produits agricoles.  Cette manière de faire serait systématisée et généralisée.

V -  Augmenter l'épargne interne

Il n'y a pas de croissance sans augmentation de l'épargne.  L'épargne publique, à l'heure actuelle,  ne représente même pas 1.6% de G.200 milliards (le PIB) et devrait donc être augmentée considérablement.  Les ressources publiques devraient passer de 10 ã 15% du PIB en cinq ans à la fois

§         Par un renforcement de l'efficacité du système fiscal

§         Un élargissement de l'assiette

§         Une lutte sérieuse contre la corruption

VI – Corriger les faiblesses du secteur des banques commerciales

Le Secteur des banques commerciales est le haut lieu des concentrations

§         Dans les avoirs : 3 banques en ont 62%

§         Dans l'allocation des crédits : 10% des emprunteurs individuels reçoivent 70% des crédits

§         Dans le choix des activités économiques : les services et les consommations sont les gros bénéficiaires, l'agriculture et le transport pratiquement rien.

§         Dans les mécanismes : tous les crédits sont à court terme, à long terme rien.

§         Quant à la catégorie sociale des déposants : à peine 0.16% des Haïtiens ont accès à un crédit bancaire.

§         Quant à l'écart entre les taux d'intérêts sur les dépôts et les taux sur les prêts : il est le double de ce qu'il est ailleurs dans la Caraïbe.

Il conviendra donc de donner aux banques commerciales les garanties juridiques qu'à bon droit elles demandent quant à la fiabilité des titres de propriété, de créer entre les banques un climat de compétition plus incitateur, en attendant, et de créer une Banque Publique de Développement.

VII -  Créer une Banque Publique de Développement

L'objectif serait de financer l'agriculture, les Petites et moyennes entreprises, à long terme et à des taux d'intérêts qui seraient rémunérateurs mais non pénalisants.  La proposition de créer une Banque Publique de Développement a soulevé deux catégories de réactions.

Dans un camp, on s'est frotté les mains en s'imaginant que Banque Publique signifiait automatiquement retour à l'IDAI et à la pratique de prêts généreux pour de mauvais projets, pas vraiment remboursables avec préférences pour des gens politiquement bien placés.

Dans l'autre camp, c'est l'orthodoxie qui prévaut : comment, s'est-on indigné, envisager de faire du financement public par ces temps de privatisation à outrance ?

Au premier, nous répondons qu'il n'y a pas une fatalité de la mauvaise gestion pour une banque, au seul motif qu'elle serait publique.  Un bon Conseil d'Administration, un personnel compétent, des règles d'opérations bien élaborées pouvant éviter toute déviation par rapport aux normes.  Aux seconds, nous rappelons que le secteur public, de nos jours encore, contrôle la plus grande partie du crédit dans la majorité des pays sous-développés.

VIII – Mettre de l'ordre dans les entreprises publiques

Il s'agit d'entreprises chargées de fournir l'eau, l'électricité, le téléphone, d'assurer les services portuaires.  Il s'agit donc d'entreprises qui sont le poumon de la société et de l'économie.  Or, elles sont mal gérées, leur personnel est en surnombre.  En 2005, le montant des subventions à l'EDH était de $47 millions.  Telle est l'incertitude qui règne dans le port de Port-au-Prince que beaucoup d'importateurs font transiter leurs commandes par la République Dominicaine.  Ces entreprises, il s'agira donc soit de les gérer en contrats stricts, soit de les privatiser mais, dans un cas comme dans l'autre il conviendra de mettre en place, à l'avance, des organes de contrôle et de régulation chargés de surveiller et de sanctionner la corruption, de fixer les marges de prix aux consommateurs et de vérifier à tous moments la conformité de la gestion avec les termes du contrat.

 

IX – Introduire un nouveau concept et

des mécanismes nouveaux de l'aide étrangère.

 

Commençons par relever que les besoins d'aide étrangère sont considérables.  Pour réaliser le Document pour la Croissance et la réduction de la pauvreté, il faudrait compter entre $5 – 7 milliards.  Pour financer les dépenses de fonctionnement de transport et d'infrastructure de ces 5-7 milliards d'investissements, il faudra entre 5 à 30% de plus.  Pour financer les dépenses imputables à la réalisation des Objectifs du Millénaire, il faudrait compter environ $1.4 milliard par an d'ici 2015, soit environ $8.5 milliards.  Or nous savons que, en ce moment précis, le Trésor Public est en déficit de $50 millions. 

La conception Haïtienne de l'aide étrangère est mauvaise.  Elle consiste à faire l'inventaire de nos besoins et à présenter la facture aux donateurs avec, très souvent, force accusations et récriminations.  Nous devrions, au contraire, établir un calendrier de besoins assorti d'un échéancier des résultats, après qu'on aurait établi non seulement la part propre de l'effort national mais aussi un diagnostic complet des problèmes et des moyens - en ressources humaines, équipements et entretien -  par lesquels nous entendons réaliser notre plan d'investissement.

De même, nous devons essayer d'élargir le cadre de la coopération en recherchant notre intégration à l'Accord CAFTA (Caribbean Free Trade Agreement) avec les U.S.A., dont d'autres pays d'Amérique Centrale, y compris la République Dominicaine, sont déjà membres.  L'avantage d'un tel Accord serait qu'il consisterait un engagement ferme et définitif des USA, pas une concession révocable, et qu'il ouvrirait la voie à un flux d'investissements étrangers qui nous ont fait défaut jusqu'ici.

Une autre voie à explorer serait un Accord avec les USA qui faciliterait l'entrée sur leur territoire, chaque année, d'un contingent de nos compatriotes et leur embauche dans l'agriculture et les services, en échange de quoi Haïti s'engagerait à veiller à leur rapatriement dès la fin de leur contrat.  Un tel Accord rendrait certains secteurs plus compétitifs aux USA, donnerait aux immigrants un pécule investissable en Haïti, diminuerait la pression des boat people et des braceros et améliorerait la nature de nos rapports avec nos deux voisins.

Au lieu de quoi, nous n'avons pas une bonne capacité d'absorption de l'aide étrangère.  Souvent nous donnons l'impression de n'accepter le principe des réformes que comme le prix à payer pour recevoir l'aide.  Les contrats d'exécution sont passés sans une procédure rigoureuse d'appels d'offres.  Parallèlement, du coté des donateurs, l'aide est parfois liée, donc revient plus cher, est assortie de nombreuses conditions qui en rendent la consommation malaisée.  De ce fait, elle donne lieu à des suspensions répétées et conduit les donateurs à la faire passer par les ONG.

X – Émettre « des bons diaspora »

 

En supposant réglée la question de la double nationalité et apaisées les tensions entre les deux communautés, on devrait pouvoir envisager l'émission par la BRH de bons à souscrire par les Haïtiens de l'extérieur dont les transferts au pays se chiffrent à plus de $1.5 milliards par an à l'heure actuelle.  De tels bons qui auraient pour objectif de contribuer au développement, permettraient également aux souscripteurs de diversifier leurs portefeuilles.  Ces bons seraient émis à long terme, non négociables, à échéances multiples et comprendraient des coupures de $100 à $1000.  Ils ne seraient payables qu'à maturité. 

 

L'expérience de tels bons a été faite  par Israël dès Mai 1951 et représente, à hauteur de $25 milliards, environ 32% de sa dette extérieure.  C'est avec ces ressources qu'Israël a entrepris avec succès de grands travaux de désalinisation de l'eau de mer.

 

Une expérience de la même famille a été faite par l'Inde.  La Banque de l'Inde s'adresse aux nationaux résidant à l'étranger et leur offre des taux plus rémunérateurs que ceux disponibles sur le marché des pays où ils résident.  Les bons sont émis dans toutes sortes de devises.  Fin 1991, le portefeuille de ces bons était de $11 milliards.

 

XI – Ralentir le taux d'augmentation de la pression démographique

 

Le taux moyen de croissance de la population a été de 1.4% entre 1971 et 1982.  Entre 1982 et 2003, le taux d'accroissement a été de 2.5%.  L'urbanisation également a été rapide – 4.9% par an – et le pourcentage de population vivant dans les villes est de 40% alors qu'en 1982 ce pourcentage était de 25%.  De plus, la population est jeune.  La moitié des Haïtiens a moins de 15 ans et 2/3 sont en dessous de 25 ans.  Une telle structure de population signifie qu'une explosion de la population est inévitable, si l'Etat ne se donne pas pour mission de réduire le taux d'accroissement par l'intensification des méthodes de planification et la formation.

 

A défaut, la pression sur les déjà maigres ressources du sol et les services sera intolérable.  Entre 1960 et maintenant, la densité a doublé, atteignant le haut niveau de 300 personnes par Km².

 

 

XII – Engager une lutte drastique contre les inégalités

 

De même que les chances d'amélioration des conditions de vie sont pratiquement nulles aussi longtemps que la population continuera d'augmenter à ce rythme alors que la superficie n'augmente pas de 1 Km² de plus, de même les inégalités doivent se réduire si nous voulons la croissance.

 

Haïti est le pays le plus inégalitaire d'Amérique latine et de la Caraïbe.  L'Amérique latine est le continent le plus inégalitaire du monde.  En Haïti, 10% de la population disposent de 50% du revenu national.   Mesuré au coefficient de Gini, - unité de mesure de concentration des richesses qui va de 0 à 1 et selon lequel plus on s'éloigne de 0, plus inégalitaire on est-  les pays, Finlande, Canada les moins inégalitaires sont à 0.4 de coefficient.  L'Amérique latine à 0.52, Haïti à 0.66.

 

Chez nous, les inégalités à la naissance se perpétuent toute la vie et se reproduisent de génération.  Cela est moralement injuste.  Cela est également catastrophique sur le plan de l'économie, car les inégalités exercent une pression à la baisse sur le taux de croissance, dès lors que 90% de la population ne disposent que des moyens limités pour participer à l'augmentation de la production.  Combattre les inégalités passe par une égale répartition des opportunités entre tous dès l'enfance et des mesures de rattrapage et d'égalisation des chances sur le marché du travail.  Seule une Conférence Nationale peut fournir le cadre d'un débat utile sur les options, le coût et le partage des coûts d'une politique nationale de lutte contre les inégalités.

 

Conclusion : Le nécessaire rapprochement entre Haïti et la République Dominicaine

 

En 1960, les deux pays avaient le même niveau de revenu par tête i.e. $500.  Aujourd'hui en 2009, Haïti est environ au même niveau qu'en 1960.  La République Dominicaine, en 2002, avait un revenu par tête de plus de $2.500, soit cinq fois plus que nous.  L'indice de fragmentation géographique est le même.  Les U.S.A. sont le principal partenaire commercial de l'un et l'autre.  Comme les Dominicains, nous avons accès aux facilités du Caribbean Basin Trade Act.  Les deux pays ont subi les mêmes entraves sur la croissance de la baisse des prix des produits primaires sur le marché mondial.

 

Comment expliquer la différence de performance économique ?

 

a)          L'environnement économique est plus favorable au secteur privé en République Dominicaine, au point où les Dominicains exportent  pour plus de $4 milliards de l'industrie d'assemblage, bénéficient de plus de $900 millions d'investissement.  De plus, 30% des envois des Dominicains de l'étranger ($2 milliards) vont aux investissements alors que, chez nous, le plus gros des envois de l'étranger va à la consommation.

b)          L'analyse comptable des composantes de la croissance montre que les différences de performance sont imputables à la différence en gains de productivité.  En Haïti, les baisses dramatiques du revenu dans les années 1980 et 1990 sont liées  à la baisse de la productivité totale des facteurs alors que l'inverse est vrai en République Dominicaine.

c)          Le tourisme représente 6 à 7 % du PIB dominicain.  Le nôtre s'est effondré.  De même, la libéralisation intempestive du commerce extérieur sans qu'elle fut accompagnée de mesures propres à relancer l'offre a contribué à l'effondrement de plusieurs produits agricoles alors que la République Dominicaine avait mieux négocié son détachement de la production traditionnelle (sucre, tabac, café, cacao, minerais).

d)          La phase de transition démocratique a donné lieu à plusieurs compromis entre les principaux acteurs et a moins perturbé la stabilité politique alors que, chez nous, la plupart des crises politiques se sont soldées par la violence.

 

La principale raison des tensions entre les deux pays réside dans la pression sociale que les haïtiens en situation illégale font peser sur le pays voisin, en dépit des immenses services qu'ils rendent à son économie.

 

La solution à l'atmosphère de crise permanente entre les deux pays est dans le rapprochement du niveau de performance économique d'Haïti par rapport à la République Dominicaine.  Les circonstances sont favorables.

 

Le potentiel d'augmentation de production et d'exportation de l'industrie d'assemblage et de création d'emplois est considérable.  Notre main-d'œuvre est abondante et habile.  Les zones franches dominicaines, concentrées sur l'industrie d'assemblage font face à une concurrence sévère par suite de l'élimination de l'Accord Multi-Fibre, ce qui pousse les producteurs à s'orienter de plus en plus vers de nouveaux produits et de nouvelles techniques de production.  De même, la décision de l'Organisation Mondiale du Commerce de faire cesser la promotion de politiques d'exportation pour les zones franches dominicaines en 2010 nous offre un potentiel d'augmentation de notre part d'accès sur le marché américain de l'assemblage et des perspectives d'arrangements de coproduction combinant main-d'œuvre haïtienne et production dominicaine.   D'ailleurs, il n'y a pas de raison que la coproduction se limite à l'industrie d'assemblage dès lors que les principales contraintes haïtiennes à la production (mauvais climat institutionnel, infrastructure délabrée, formation déficiente) auront été levées.  A ces mesures directes d'atténuation des écarts de performance entre les deux pays pourraient s'ajouter l'intégration d'Haïti à l'Accord DR.CAFTA, l'accroissement de la mobilité des ressources de main-d'œuvre haïtienne vers les U.S.A.  à travers un Accord bilatéral et la mise en place d'un Accord d'harmonisation des politiques économiques et commerciales entre les deux pays, au plan notamment d'un traitement équilibré de la production et des échanges entre les deux pays.

 

Un tel rapprochement serait une initiative de bon sens conforme à la nature des choses.

                                                                    Marc L. Bazin

                                                                   Président, MIDH

 

Santo Domingo, 30 aout 2009.-