L’opposant vénézuélien Juan Guaidó est rentré lundi au Venezuela, acclamé par une foule de partisans à l’aéroport international de Caracas où l’attendait également un comité d’accueil composé d’ambassadeurs européens et latino-américains pour garantir sa sécurité.
« Nous connaissons les risques que nous courons, ça ne nous a pas retenus : nous sommes ici au Venezuela, plus fort que jamais », a lancé M. Guaidó à la foule, avant de sortir de l’aérogare en costume sombre et chemise blanche, tout sourire, debout sur le toit d’une voiture : « On continue dans les rues ! La mobilisation continue ! »
Juan Guaidó, qui s’est autoproclamé président par intérim le 23 janvier et a été reconnu par une cinquantaine de pays, avait promis de rentrer « malgré les menaces » alors qu’il encourt une arrestation pour avoir bravé une interdiction de sortie du territoire vénézuélien.
Une dizaine d’ambassadeurs avaient donc fait le déplacement à l’aéroport : « Nous sommes ici comme témoins de la démocratie et de la liberté afin que le président Guaidó puisse rentrer », avait indiqué juste avant son arrivée le représentant de la France à Caracas, Romain Nadal.
Au même moment, le vice-président américain Mike Pence promettait depuis Washington une « réaction rapide » en cas de « menaces, violences ou intimidations » contre le jeune opposant de 35 ans.
« Les États-Unis attachent la plus grande importance au retour au Venezuela de Juan Guaidó en toute sécurité », a averti M. Pence sur Twitter.
Des milliers de partisans de l’opposition, vêtus de blanc et munis de drapeaux vénézuéliens, ont commencé à converger dans les principales villes du pays. Il est très attendu à Caracas, où une estrade a été dressée dans le quartier de Las Mercedes, mais ses partisans devront patienter, car M. Guaidó va d’abord se rendre au village de Cati La Mar, dans l’État de Vargas où il a grandi.
« Notre mission est d’insister, de persister, jusqu’à parvenir (au but) et de résister aux derniers soubresauts de ceux qui savent qu’ils sont déjà en voie de disparition », a-t-il lancé sur Twitter lundi matin.
Théoriquement, M. Guaidó, en tant que président de l’Assemblée nationale, dispose de l’immunité parlementaire, mais il court le risque d’une arrestation pour avoir bravé une interdiction de sortie du territoire en se rendant il y a une dizaine de jours en Colombie, d’où il a entrepris une tournée dans quatre autres pays du continent.
Tentative d’enlèvement
Juan Guaidó avait annoncé la semaine dernière son intention de rentrer au pays « malgré les menaces ». Dimanche soir, via les réseaux sociaux, il a prévenu le régime de Nicolas Maduro contre toute « tentative de l’enlever », qui constituerait selon lui « son ultime erreur ». « Demain nous retrouvons notre pays, nos fonctions. Bien sûr il y a un risque, mais ce n’est pas nouveau », a-t-il ajouté.
Juan Guaidó avait quitté clandestinement le Venezuela pour se rendre avec son épouse dans la Colombie voisine, d’où il a tenté d’organiser le passage d’une aide humanitaire finalement bloquée par les forces armées vénézuéliennes.
Il a aussi participé à Bogota à une réunion du groupe de Lima (13 pays d’Amérique latine et le Canada) avant de se rendre au Brésil, au Paraguay, en Argentine et en Équateur – où il a été chaque fois accueilli en chef d’État.
Son retour représente un défi pour le président socialiste en place, Nicolas Maduro, qui doit décider s’il l’arrête, au risque de provoquer une forte réaction internationale, ou s’il le laisse rentrer sans encombre et braver son autorité.
« Le défi est déjà allé très loin ! S’il rentre et qu’ils l’arrêtent, ça risque de provoquer de fortes réactions au plan national et international. C’est un risque permanent pour Maduro », explique à l’AFP l’analyste politique Luis Salamanca.
Le Venezuela traverse depuis une quarantaine de jours une série de turbulences politiques, en plus d’une violente crise économique et d’une hyperinflation estimée à 10 millions de % par le FMI sur l’année, provoquant des pénuries de produits de base et de médicaments.
Respecter la loi
Nicolas Maduro a répété ces derniers jours qu’en tant que chef du Parlement, son rival devait « respecter la loi », et que s’il rentrait au pays, il devrait « rendre des comptes à la justice ».
M. Guaidó fait l’objet d’une enquête de la Cour suprême pour « usurpation » de pouvoir. Il est à ce titre interdit de sortie du territoire et a vu ses avoirs gelés, même s’il n’a pas jusqu’à présent été formellement mis en accusation.
« Guaidó a pris tellement d’ampleur politiquement que Maduro ne peut plus y toucher à la manière des “chavistes” (partisans de l’ex-président Hugo Chavez, NDLR), le mettre sous pression, le harceler et l’obliger à fuir », estime l’analyste Luis Salamanca.
Président du Parlement, que domine l’opposition, Juan Guaidó s’est proclamé président par intérim le 23 janvier et a déclaré M. Maduro « usurpateur » en raison des soupçons de fraudes qui pèsent sur son élection à un deuxième mandat. Depuis, il a convoqué plusieurs manifestations de soutien qui ont fait une quarantaine de morts et des centaines de blessés.
***
Un mois de crise politique au Venezuela
Voici les événements qui ont marqué le Venezuela depuis que l’opposant Juan Guaidó s’est proclamé président par intérim il y a plus d’un mois en réclamant le départ du président Nicolas Maduro.
Guaidó s’autoproclame président
Le 23 janvier, opposants et partisans de Nicolas Maduro manifestent massivement au Venezuela, plongé dans une grave crise politique, économique et humanitaire. Le second mandat du président Maduro, entamé le 10 janvier, n’est pas reconnu par l’opposition et une partie de la communauté internationale.
Juan Guaidó, président du Parlement, se proclame « président en exercice » du pays, promettant un « gouvernement de transition » et « des élections libres ». Le Parlement est la seule institution contrôlée par l’opposition, mais une Assemblée constituante élue mi-2017, acquise à M. Maduro, s’est arrogé l’essentiel de ses pouvoirs.
Les États-Unis reconnaissent M. Guaidó, suivis par le Canada et plusieurs pays latino-américains.
M. Maduro, soutenu notamment par la Russie, la Chine et Cuba, rompt les relations diplomatiques avec Washington, accusé de fomenter un « coup d’État ».
Le 24, l’armée renouvelle son appui à M. Maduro. Moscou dénonce une « ingérence extérieure destructrice ».
Sanctions américaines
Le 28, Washington annonce des sanctions contre la compagnie pétrolière vénézuélienne PDVSA.
Washington donne à Juan Guaidó le contrôle des comptes bancaires vénézuéliens aux États-Unis. La justice vénézuélienne lui interdit de quitter le pays, gelant ses comptes.
Selon l’ONU, plus de 40 personnes ont été tuées lors des protestations la semaine précédente.
Le 4 février, une vingtaine de pays européens reconnaissent Juan Guaidó comme président.
Aide humanitaire
À partir du 7, plusieurs centaines de tonnes de médicaments et produits de première nécessité sont stockées à Cucuta en Colombie près du pont transfrontalier de Tienditas, bloqué par l’armée vénézuélienne.
Juan Guaidó se dit prêt à autoriser si nécessaire une intervention militaire américaine et annonce que l’aide entrera au Venezuela le 23.
M. Maduro assure qu’il empêchera le « show » de l’aide humanitaire, y voyant les prémices d’une intervention militaire. Il annonce l’arrivée de 300 tonnes d’aide russe.
Fermeture de frontières
Le 19, les autorités ferment la frontière maritime et les liaisons aériennes avec les îles néerlandaises d’Aruba, Bonaire et Curaçao. Le 20, elles interdisent aux navires de quitter les ports vénézuéliens.
Le 21, Maduro ferme la frontière terrestre avec le Brésil.
Concerts concurrents
Le 22, Juan Guaidó se rend en Colombie, bravant l’interdiction de quitter le territoire.
Dans la soirée, Caracas décrète la fermeture de la frontière dans l’État de Tachira (ouest), frontalier de Cucuta d’où le jeune opposant entend diriger les livraisons d’aide.
M. Guaidó apparaît au « Venezuela Aid Live », un concert organisé à Cucuta par le milliardaire britannique Richard Branson, afin de récolter 100 millions de dollars.
De l’autre côté du pont international de Tienditas, le régime lance un contre-concert de trois jours intitulé « Hands off Venezuela » (Pas touche au Venezuela).
« Jour J » sous tension
Le 23, des affrontements éclatent aux frontières avec la Colombie et le Brésil, où des manifestants exigent l’entrée dans le pays de convois d’aide humanitaire.
Ces affrontements font quatre morts et des centaines de blessés, selon différentes sources.
Deux camions et leur cargaison de médicaments sont incendiés peu après être entrés au Venezuela, selon les autorités colombiennes qui ordonnent le retour des autres véhicules.
Deux camions chargés d’aide envoyés par le Brésil sont également contraints de rebrousser chemin.
Nicolas Maduro décide de rompre les relations diplomatiques avec la Colombie.
Tour d’Amérique du Sud
Le 25 février, Juan Guaidó rencontre à Bogota les dirigeants des pays hostiles au président Maduro ainsi que le vice-président américain Mike Pence, lors d’une réunion du Groupe de Lima.
Après Bogota, il se rend successivement, du 26 février au 3 mars, au Brésil, au Paraguay, en Argentine et en Équateur.
Le 28 février, le Conseil de sécurité de l’ONU n’adopte aucun des deux projets de résolution concurrents sur le Venezuela.
Retour annoncé de Guaidó
Le 1er mars, les États-Unis infligent des sanctions financières à des militaires vénézuéliens pour entrave à l’aide humanitaire, après avoir fait de même contre quatre gouverneurs d’États vénézuéliens.
Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov assure qu’un « premier lot de 7,5 tonnes de médicaments » a été envoyé au Venezuela.
Le 4 mars, Guaidó regagne Caracas, attendu par une foule de partisans.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire