vendredi 19 février 2021

Le peuple haitien comprend mal la solidarité des USA et de l’ONU face à une justice dysfonctionnelle qui viole ses droits et l'emprisonne sans jugement.-

[ Que serait la situation aujourd'hui aux États-Unis si les juges nommés par le président Donald Trump avaient décidé d’adopter une position partisane et politicienne après les élections de novembre 2020? ]

 

Si la justice élève une nation, l’injustice ou l’absence de justice peut la détruire.


C’est malheureusement le constat central qu’on peut faire dans le dernier rapport du secrétaire général des Nations-Unies sur Haïti. C’est d’ailleurs un constat récurrent. Car, dans tous les rapports de l’ONU sur Haïti, les missionnaires décrivent la même situation :

“Les institutions de l’État de droit ont été mises à rude épreuve par les grèves répétées du personnel judiciaire, qui ont pesé sur le fonctionnement du système judiciaire et empêché la libération des prisonniers qui remplissaient les conditions voulues, alors que les prisons sont surpeuplées, avec un taux d’occupation alarmant de 315 %, l’un des plus élevés au monde.” ( Rapport du Secrétaire général, 11 Février 2021, Page 6 )

https://binuh.unmissions.org/sites/default/files/s_2021_133_-_sg_report_on_haiti_-_french.pdf


En 2008, des experts au sein de la MINUSTAH (mission des Nations Unies en Haïti), avaient même envisagé de faire venir des juges de pays francophones surtout d’Afrique pour aider à administrer la justice haïtienne. On avait soulevé ce point lors d’une discussion au Cap-Haitien organisée par une commission citoyenne dirigée par le professeur Michard Gaillard. 


Certes, la réaction a été le nationalisme des juges haïtiens qui s’étaient sentis scandalisés par une telle idée. “La justice est souveraine, elle ne peut pas être sous la tutelle d’aucune mission internationale” disaient-ils. Pourtant, ils n’ont rien fait pour changer la situation. Et, Dieu seul sait si elle n’est pas sous la coupe des trafiquants de drogue, des corrompus de la société civile, de la bourgeoisie, de l’État ou de certains éléments de la classe politique. 


Le scandale dans le dossier Dadou Jean-Bart accusé d’exploitation sexuelle des joueuses du football haïtien, condamné par la FIFA moins de 24 heures après qu’il a été innocenté par la justice haïtienne, est le plus médiatisé. Chaque jour cette justice libère des trafiquants de drogue, des pédophiles, des tueurs membres de gangs, des criminels pris en flagrant délit, la main dans le sac et surtout qui ont avoué avoir commis des crimes crapuleux. 


La majorité des criminels qui aujourd’hui tuent, procédant à des enlèvements, dans la capitale haïtienne, ont été arrêtés par la Police puis libérés par la justice haïtienne.


On peut conclure que le dysfonctionnement ou l’absence de justice est l’élément central de la descente aux enfers que nous constatons en Haïti. Et, on dirait que l’internationale le souhaite ainsi : Laissez la justice dysfonctionnelle alimenter le chaos en Haiti.


Qui peut le moins en veut plus!


Comme on peut le constater, les derniers événements politiques entourant la date du 7 février 2021 place le pouvoir judiciaire haïtien au cœur de l’actualité. Ces juges qui n’arrivent pas à faire fonctionner la justice haïtienne veulent diriger le Pouvoir Exécutif. Et cela, en violation de la Constitution en vigueur qui annule toute possibilité légale pour un Magistrat d’accéder directement à la Présidence de la République sans passer par des élections.


Paradoxalement, pour des raisons inavouées et inavouables, des membres de la Communauté ont été tentés de supporter une telle démarche illégale, inconstitutionnelle et anti-démocratique.


Alors on se demande, que serait la situation aujourd'hui aux États-Unis si les juges nommés par le président Donald Trump avaient décidé d’adopter une position partisane et politicienne après les élections de novembre 2020? On serait sans doute au milieu d’une deuxième guerre civile américaine. La neutralité des juges face à la crise politique a sauvé l’Unité des États-Unis en 2020. Sinon on aurait une guerre fratricide entre les États-Rouges (Red States) contre les États-Bleus (Blue States).

Pourtant, certaines voix aux États-Unis refusent à Haïti de jouir de cette même neutralité. Quelle est l'utilité d’un Juge de la Cour Suprême qui en violation de la Constitution accepte de mettre son nom sur la liste des personnes prêtes à remplacer le président en exercice, alors qu’il est clair qu’un tel scénario n’existe plus dans la Constitution en vigueur?


Le symbolisme Thémis de la justice est clair. Seuls des magistrats aux yeux bandés peuvent juger! Le président de la Cour de Cassation, Me René Sylvestre, leur avait pourtant conseillé de rester loin de la politique. Il avait même réclamé leur démission. 


Au lieu d’obtempérer, de se ressaisir, d’écouter la raison et leur sagesse de magistrat, ils ont continué dans leur manœuvre allant jusqu'à bloquer la prestation de serment des membres du Conseil Électoral Provisoire (CEP) pour empêcher l’organisation des élections, faire dérailler le processus démocratique, créer une vacance présidentielle qui leur permettra d’accéder à la présidence d'Haïti sans passer par des élections. Voici la vérité que des mains invisibles cherchent à occulter.


En réaction, le Président de la République Jovenel Moïse, en consultation avec le Président de la Cour de Cassation, le Juge Sylvestre, les a libérés de leur fonction de Magistrat pour leur permettre de mieux exercer leur droit de faire de la politique. Trois juges ont été sélectionnés sur une liste soumise par le Sénat de la République. Car, la Constitution prévoit que les juges de la Cour Suprême doivent-être choisis sur une liste de Magistrats de carrière soumise par le Sénat de la République.


Comme disait le Président américain Joe Biden, l’Amérique doit guider (lead) ce monde par la force de l’exemple. L’exemple d’une justice apolitique et d’organisation d'élections devrait servir à montrer la route à tous ces haïtiens qui cherchent à accéder au pouvoir en dehors des élections. Mais, malheureusement, les couloirs des grandes institutions de ce monde sont truffés de lobbyistes et d’agents d’influence qui arrivent aisément à désinformer. On se demande si les responsables de l’ONU ou de la diplomatie américaine prennent le temps de lire  les rapports sur la justice haïtienne?


Car, ce qui est important, c’est d’exiger que les autorités judiciaires fassent leur travail, que la justice fonctionne correctement afin de libérer les prisonniers qu’ils gardent en détention trop longtemps sans jugement, et qu’elle tranche sur les dossiers en souffrance parce qu'ils sont en attente de jugement — impossible — à cause des grèves, de la paresse ou de l'incapacité professionnelle des fonctionnaires du système.


Faut-il rappeler, le dysfonctionnement de la justice en Afghanistan fut à la base de la montée des tribunaux islamiques. En Haïti, certes nous sommes loin du scénario islamiste, mais on voit des tentations de “Tribunaux Populaires” appliquant une forme de justice pour calmer l’ardeur de la population. Cela prend déjà la forme de lynchage public, de règlements de compte, des assassinats, une justice privée qui se répand dangereusement.


Que faire!


Il est temps de considérer la justice haïtienne comme une source de déstabilisation de la région. Les différentes missions des Nations Unies se sont concentrées sur le renforcement de la police. Résultat, on assiste à une police capable, plus opérationnelle qu’avant. Pourquoi? Parce que pendant 13 ans la MINUSTAH a organisé des formations pour les policiers, par des agents de la UNPOL, la Police de l'ONU, supervisé le travail des commissariats, consulté les registres pour vérifier si les procédures sont respectées. Il y a eu des réunions avec des responsables de la Police. Des pressions ont été exercées quand il y a violation flagrante. Pendant ce temps, on n’a rien fait du côté de la justice et des partis politiques. Alors, que des rapports internationaux condamnent les policiers pour leurs violations des droits humains, on passe sous silence celles -- les violations — commises par des juges. Les détentions illégales, les violations du droit de propriété qui paralysent les investissements.


En 2008, lorsque des experts de la MINUSTAH envisageaient de faire venir des magistrats francophones pour superviser la justice, des avocats, des juges et des greffiers avaient brandi la souveraineté nationale. Pourtant, la souveraineté nationale interdisait aussi que des étrangers armés portent des armes sur le sol national. A ce moment-là, il y a avait 6,000 soldats étrangers sur le territoire sans compter les UNPOL et d’autres contractuels civils. Qui pis est, il n’ont rien fait pour corriger la situation et rendre leur justice fonctionnelle. Huit ans après la création formelle du CSPJ (Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire) au sein duquel les Barreaux, les organisations des droits humains et la société civile sont représentés, la justice est devenue encore plus dysfonctionnelle. 


Sur le plan sociologique et historique, ce secteur cristallise toute la mentalité néo-féodale, les préjugés, l’apartheid d’Haïti. Ces membres sont plus motivés par les privilèges et les rentes qui vont avec leur position. Ils ne changeront rien, ils ne feront rien pour moderniser le secteur. Ce n’est pas sans raison que les paysans et le citoyen lambda vous disent “avoka se volè” (les avocats sont des voleurs). Certes tous les avocats et tous les juges ne sont pas des voleurs. Mais, cette phrase est un constat qui traverse toute l’histoire d'Haïti. La justice haïtienne est anti ou a-démocratique, défenderesse du statu quo. D’où l'alternative “Justice des mornes” dans la mentalité des paysans à croyance.


Donc, c’est une erreur de croire qu’il pourra s’amender, se moderniser et/ou s’adapter sans pression venant de l’extérieur. On doit commencer par dénoncer et sanctionner les acteurs de la justice qui violent les droits humains. On ne peut pas faire de la Police ou du gouvernement des boucs émissaires en ignorant ces bourreaux, prédateurs de droits humains.


Cyrus Sibert,

#LeReCit @reseaucitadelle

reseaucitadelle@yahoo.fr

19 février 2021

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