Par : Cyrus Sibert, souvenirfm@yahoo.fr
Le Ré.Cit.- Réseau Citadelle, Cap-Haïtien, Haïti.
www.reseaucitadelle.blogspot.com
Dans ce contexte de crise post-séisme, la presse haïtienne a une obligation spéciale : Celle de défendre les sinistrés. Du Cap-Haïtien étant, nous recevons des témoignages qui révoltent la conscience humaine sur le vécu des sinistrés à Port-au-Prince. La situation est pire qu'on l'aurait imaginée. Nos frères et sœurs de la capitale souffrent énormément.
A entendre les éditions de nouvelles et d'analyse sur des médias de la capitale captés au Cap-Haitien, on pourrait imaginer que le pays est en train de renaitre. La majorité des grands médias de la capitale retourne à leur fonction habituelle à savoir « être la caisse de résonnance des autorités et politiciens ». Les parlementaires et les gouvernants occupent les temps d'antenne. On parle d'avenir, comme si on avait tourné la page.
En réalité, selon les témoignages, rien n'a changé. Avec leur morale de prédateurs, les dirigeants de l'Etat et de la bourgeoisie sont plus occupés à reconstituer leur fortune.
- L'aide alimentaire est détournée. Les tentes sont vendues à prix fort. Les kits alimentaires sont distribués par favoritisme au détriment des plus faibles,
- Des containers d'aide en riz arrivée sur le Port Mevs de Varreux sont traités comme biens personnels et n'arrivent pas aux sinistrés,
- Des policiers dorment dans la rue avec leur famille, les commissariats établis sous les tentes fonctionnent très mal, tandis que 6,000 évadés de prison circulent dans les rues. Contrairement à la propagande des Hauts gradés de la PNH, la sécurité et le moral des policiers sont au plus bas,
- Des banques de la capitale refusent de verser le salaire du mois de janvier à des employés sinistrés, sous prétexte d'abandon de poste. Des entreprises privées et la fonction publique refusent de prendre en compte la situation de force majeure ayant obligé des employés de se réfugier en province,
- 8 cadres d'une banque de la capitale n'ont pas été secourus sous les décombres, parce qu'ils se trouvaient près du coffre-fort. Ils avaient contacté des responsables de l'institution par téléphone. Choqué, l'un des responsables leur avait dit clairement, de façon confidentielle, qu'ils ne devraient pas espérer grandes choses. Les dirigeants ont décidé de ne pas intervenir en leur faveur, de peur que le coffre-fort soit attaqué par des pillards. L'un d'eux a appelé un parent au Cap-Haitien pour lui demander de l'aider dans la prière. Elle était membre de l'Eglise du Christ.
La presse haïtienne doit reconnaitre qu'elle a une part de responsabilité dans le détournement des 197 millions de dollars destinés aux sinistrés des Gonaïves. Nous n'avons pas suivi de près l'exécution des dépenses. Les journalistes influents n'ont pas pris le temps de questionner les responsables. Nous nous sommes contentés de rapporter des informations taillées sur mesures. Au lieu de donner la parole au peuple, nous avons servi de porte-voix pour les démagogues, les corrompus et les véreux. Ils se sont servis de nous pour faire de la propagande et détourner l'attention de l'opinion publique des dossiers importants et vitaux pour la survie de la population. En permettant à une catégorie de personnes, souvent démagogues et corrompues, d'avoir le monopole des interventions sur les médias, nous sommes, à un niveau, responsables de la situation actuelle du pays. Il faut le reconnaitre et changer de stratégie. Il faut diversifier les interventions et faire preuve d'engouement pour de nouvelles idées. On ne change pas un pays avec des idées rétrogrades.
De plus, les intervenants de ''tout le temps'' ne font pas preuve de modernité dans la gestion de leur vie, de leur entreprise et leur passage à la tête de l'état ou de l'administration publique n'a rien apporté en terme d'honnêteté, d'innovation et de progrès. La presse ne doit plus se laisser instrumentaliser par des hommes et femmes cherchant à redorer leur image.
Nous avons affaire à des prédateurs, des hommes et femmes de la bourgeoisie et de l'Etat qui ne sont, en fait, que des pirates insensibles à la vie. Ils veulent l'argent à tout prix et immédiatement. Leur point fort est le statu quo néo-féodal. La presse ne doit pas être un espace pour les pédants à la recherche de visibilité, d'accointances, de frottements ou de gloire. Le parlement haïtien étant composé de collabos corrompus sans pudeur plus soucieux de leurs privilèges que de leur travail, la société civile jouant le rôle de marche pied des gouvernants, le peuple haïtien est livré à lui-même. En conséquence, la Presse haïtienne est l'unique espace de contrôle fiable : Un « Watch Dog » capable de défendre les plus faibles.
Aujourd'hui, les sujets qui doivent nous attirer sont :
- La vie dans les camps improvisés, - la sécurité des victimes, - la distribution des tentes, - les quartiers touchés par l'aide, - les sinistrés abandonnés, - la vie des policiers, - l'Etat des commissariats, - le mode de distribution des kits alimentaires, - les problèmes rencontrés par les familles, - les réformes pour permettre à tous de reconstruire leur vie dans la dignité, - la collecte la provenance des fonds et leur gestion, - l'état de l'administration publique : archives, personnel et bâtiments, - le suivi des blessés, des paralysés et des orphelins…, - le traitement des cadavres et le processus d'identification des personnes disparues, - les difficultés de succession qui naissent avec l'ensevelissement des morts dans les fosses communes sans identification donc sans acte de décès, les problèmes d'identification des survivants sans pièce d'identité, - les mesures de l'Etat pour protéger les avoir des victimes…
Chaque jour, on devrait avoir un journal spécial sur la vie des sinistrés.
Ce n'est pas normal que la presse internationale nous devance dans tous les dossiers. Les liens du Ministre Patrick Delatour, l'un des responsables de la reconstruction, avec des entreprises de construction est un sujet facile qui pourrait être le fruit du travail d'un journaliste haïtien. Ce n'est pas normal que ce dossier ait été traité en primeur par le journal USA Today.
Nous devons comprendre que notre travail doit apporter la force nécessaire pour contribuer à faire bouger l'histoire dans le sens du bien-être de la communauté. Notre influence et notre respect dépendent plus d'un travail bien fait que d'une compromission.
P.S. - Je n'ai pas la prétention de donner des ordres à des confrères mieux formés et plus expérimentés que moi. J'ai, comme d'habitude exprimé mes opinions. La probité intellectuelle exige qu'on questionne son travail et ses résultats. Le souci de bien faire impose une telle démarche.
RESEAU CITADELLE (Ré.Cit.), le 1er mars 2010, 12 hres 13.