Vous avez épousé Michel Martelly il y a 26 ans alors qu'il était une star de la musique. Comment passe-t-on du statut de musicien à celui de chef de l'Etat ?
Après le tremblement de terre, bien qu'il n'était pas là – il est parti la veille -, ça l'a frappé, choqué, tout ce qu'était devenu Haïti. Et je crois que c'est là qu'il a un peu pris la décision. Et quand il a partagé cette décision avec moi, je n'ai pas hésité une seconde à lui dire : « Bon, ça y est, on fonce ! »
Pour les amis, ça a été un petit peu « mi-figue, mi-raisin », puisqu'il y en avait qui se demandaient si c'était de la folie pure. Il y en a d'autres qui disaient « pourquoi pas ? ». Mais finalement, je pense qu'ils l'ont tous accompagné dans cette noble mission.
Et aujourd'hui première dame, vous êtes très active. Vous avez lancé des projets pour lutter contre la malnutrition, pour protéger les personnes âgées, et aussi pour lutter contre la propagation du virus du sida. Où en êtes-vous de tous ces projets aujourd'hui ?
Pour les personnes âgées, nous travaillons cette année à la réhabilitation de l'asile communal, le plus grand asile accueillant les personnes du troisième âge à Port-au-Prince, qui avait été endommagé lors du tremblement de terre.
Concernant les gens vivant avec le VIH, je pense que nous avons fait pas mal de progrès depuis les huit derniers mois que je suis impliquée dans cette lutte-là, en tant que première dame. Ce sont des progrès palpables, que les bailleurs de fonds ont pu constater.
Et pour ce qui est du troisième volet : la lutte conte la faim, en janvier dernier, nous avons lancé le programme « Aba Gangou ». Ça veut dire « abattre la faim ». Nous avons déjà commencé avec l'aide de l'Usaid (Agence des Etats-Unis pour le développement international), de la Care (ONG humanitaire) et de la CRS (organisation catholique), avec un programme de coupons, grâce auxquels les gens peuvent acheter dans certains magasins qualifiés.
Les marchandises qu'ils peuvent acheter sont essentiellement des produits locaux. C'est pour aider, aussi, à la relance agricole, qui est un important élément dans le programme d'« Aba Gangou ». Ce n'est pas seulement donner de la nourriture, ce n'est pas seulement de l'assistanat, mais c'est aussi aider la relance de l'agriculture, qui permettrait aux Haïtiens de subvenir à leurs propres besoins.
Il était important, pour vous, d'être une première dame active et présente ?
Je suis quelqu'un, en général, de très motivé. Dans la carrière musicale de mon mari, j'ai toujours été dans le background. Je n'aimais pas être en avant, mais je pense que ça vient avec le titre de première dame. Ce qu'il y a d'important dans ce rôle, c'est que ça me permet de faire ce que je fais depuis dix-neuf ans, mais sur une plus grande échelle. Mais à partir du rôle de la première dame, je peux toucher beaucoup plus de personnes.
Vous partagez donc la vie de Michel Martelly, depuis de nombreuses années. Vous étiez à ses côtés, quand il était chanteur, musicien. Aujourd'hui, il est président. Est-ce que vous le conseillez sur des décisions qu'il prend en tant que président ?
Les maris, est-ce qu'ils aiment vraiment que les femmes interviennent dans leurs affaires ? Ça, j'en doute fort. Il n'est pas différent des autres. Et je pense que je suis plutôt informée. Il partage peut-être ces préoccupations. Mais de là à dire que j'ai une influence quelconque sur ses décisions, ça c'est un petit peu poussé.
Il a été le candidat, il a été élu président, je sais quand je dois me mettre un peu à l'écart. Et lui aussi, il connaît mes limites : je n'ai aucune connaissance politique. En tant qu'épouse, c'est sûr que nous partageons certains problèmes que nous constatons. Mais l'aider à prendre des décisions, non, c'est un peu fort.
Revenons sur le début de carrière politique de votre mari, président. Ça a été compliqué. Il n'y a pas eu de gouvernement pendant huit mois. Puis un Premier ministre a démissionné trois mois après. Il y a encore eu un remaniement tout récemment. Quel regard portez-vous sur cette instabilité qui a marqué le début politique de votre mari ?
Je n'aurais pas utilisé le mot « instabilité ». Je pense que la période aurait pu être considérée comme une période d'apprentissage. Devenir président ou entrer dans la politique, ça ne vient pas avec un manuel. Et je pense que la première année, le président Martelly – puisqu'il y a eu une période sans gouvernement – a pu faire aboutir, si je peux dire, réaliser certains projets, certaines promesses de sa campagne, tels que mettre des enfants à l'école gratuitement, retirer un bon nombre de personnes sous les tentes, et les recaser, la construction du projet de logements… Je pense que cette période-là a peut-être fait grandir – je dis bien peut-être – le président. Mais pour moi, ça a été une période d'apprentissage. Pas d'instabilité.
Il est compliqué de faire de la politique en Haïti, avec l'opposition des parlementaires. Quel regard portez-vous, justement, sur ces échanges entre les différents pouvoirs et votre mari ?
Sans cette opposition, on ne serait pas en démocratie. Ils ont le droit de critiquer. Mais je pense que la responsabilité du président, et peut-être la mienne en tant que première dame, c'est de foncer et de ne pas écouter ce qu'ils disent, parce que, en écoutant ces gens-là, qui n'arrêtent pas de parler, on perd en concentration, on perd en vision des choses. Il n'y a pas de temps à perdre. Il faut qu'Haïti change. Et ça ne va pas changer avec les ragots, ça ne va pas changer avec les « on dit ». Ça va changer seulement avec le travail. La meilleure façon de le faire, c'est de regarder de l'avant et foncer. Et ceux qui parlent, parlent ! Ils vont continuer à parler, quoi que vous fassiez. On ne peut pas s'occuper de ces gens.
Vous êtes restée très en retrait, quand il y a eu des attaques sur votre mari, sur sa possible double nationalité, ou sa nationalité américaine. Est-ce que cela vous a ennuyé ou importuné de voir qu'on mettait en cause la nationalité de votre mari ?
On n'a vraiment pas de temps à perdre, avec des idées « psy ». Pour moi, cette histoire de double nationalité demeure une plaisanterie. Il n'a jamais renoncé à sa nationalité. Il est né haïtien, il est toujours haïtien. Si je devais me laisser influencer ou affecter par ce que les gens de l'opposition disent, je ne pourrais pas être productive. Et moi, ma mission c'est d'être productive. Pour ce faire, il ne faut pas que je prête attention à ce que les autres disent.
Credits:Amélie Baron/ RFI