Par : Georgemain PROPHETE*
17 octobre 2012
Il se passe une chose plutôt intéressante au Cap-Haïtien sur le plan politique. Des leaders autoproclamés issus de plusieurs secteurs de gauche liés à Lavalas qui étaient à couteaux tirés et restés divisés pendant plus de quinze (15) ans se sont, subitement, retrouvés ensemble pour constituer «l'opposition» au Régime du Président Martelly.
En effet, il était impensable, il y a peu, d'imaginer que les ténors Lavalas de la première heure qui ont été les fers de lance du déchoquage dans les premiers moments du mouvement Lavalas tels que Moise Jean-Charles, Sénateur de la République (INITE) de son état, Hugues Célestin, Ex-Député du Peuple (ESKANP) et ceux qui les ont rejoints en cours de route tels que Eluska Charles (OPL), Coordonnateur départemental de l'OPL, Saul GAUTHIER, Coordonnateur de l'Initiative Citoyenne, Pierrot D. Augustin et Nawoon Marcellus, cadres de Fanmi Lavalas dans le Nord, et j'en passe, puissent se retrouver, aujourd'hui, autour de la même table pour discuter de politique politicienne.
Et pourtant, ils l'ont fait grâce au Régime du Président Martelly. Le Président Martelly a tellement fragilisé son pouvoir qu'il leur a servi sur un plateau d'argent l'opportunité de pouvoir s'entendre pour le combattre. Ils veulent même son éviction du pouvoir avant terme. Y parviendront-ils ? Nul ne sait encore pour le moment. C'est que le grand fantôme Lavalas reprend forme et se réincarne au Cap-Haïtien !
La mobilisation des troupes du béton a démarré sur des chapeaux de roue comme au bon vieux temps : à un signal donné, barricades de pneus enflammés, jets de tessons de bouteilles, intimidation des passants. Tout cela, il faut le dire, avec la complicité passive et, parfois, active de la Police Nationale d'Haïti et de la MINUSTAH qui ont laissé le champ libre à des fauteurs de troubles chauffés à blanc, bien motivés en raison des garanties d'impunité qu'ils se sont fait données.
Pour l'instant, le Régime a paru être, un instant, ébranlé par le mouvement et a du lâcher du lest pour calmer l'ardeur des récriminations. Entre autres mesures : Le Délégué départemental, pourtant très proche du Président mais dont les bases proches du Pouvoir réclamaient la tête, a été remplacé par son prédécesseur ; le Directeur départemental de la Police a cédé son commandement à un fils authentique de la Fossette ; un ancien Directeur départemental du MENFP a été remis en selle et récupéré son fauteuil qu'il estimait avoir mal perdu ; un responsable nommé, investi mais empêché de siéger a pu finalement être installé comme Directeur-Adjoint à l'Autorité Portuaire Nationale du Port du Cap-Haïtien ; les sympathisants du Régime (Bases MJM) qui revendiquaient des opportunités de travail dans les programmes d'assainissement ont été, finalement, entendus.
Pour l'instant, ca marche. Ca a marché à tel point que l'appel à la mobilisation de ce 17 octobre n'a pas fait grande recette. Et pour cause, le noyau dur de la mobilisation commence à présenter des signes de désintégration tandis que les forces de sécurité de la PNH et de la MINUSTAH ont, cette fois, pris le contrôle du béton et se sont assurées que tout le monde pouvait vaquer à leurs occupations sans troubles, sans peur, sans intimidation, y compris ceux qui ont appelé à manifester. Ils ont, en effet, manifesté. En tout cas, ce qui est resté de la mobilisation d'il y a quelques semaines. Et, ce ne sont pas les bandes à pied et le DJ monté sur un char comme au Carnaval ni les renforts venus de Port-au-Prince qui vont changer les choses dans la réalité.
Ce qu'il faut noter dans tout cela, c'est que cette «opposition» a un pied à l'intérieur du Régime à travers la Plateforme «INITE» et le bloc parlementaire qu'elle contrôle au Parlement de sorte qu'elle a accès au Centre stratégique du Pouvoir et qu'elle se mobilise, essentiellement, pour négocier, en de meilleurs termes, des postes et des privilèges dans la Région. Les premières fissures dans la structure de coordination du mouvement comme conséquence des premiers gestes de bonne volonté de la part du Pouvoir tendent à confirmer cette assertion.
C'est pourquoi, d'aucuns pensent que la vraie opposition au Régime n'est pas encore constituée : celle de conviction, celle pour le Changement et la Rupture que le Président Martelly avait promis, celle pour construire une alternative politique sérieuse et non celle pour nous servir ce «retour vers ce futur» que nous avons déjà connu et que la société haïtienne, dans son ensemble, a déjà répudié.
Ce retour vers un Futur que nous avons vécu et qui a traumatisé beaucoup d'entre nous. Ce Futur vers lequel on veut nous projeter a détruit notre tissu de production agricole, a déchouqué nos terres, a brulé nos plantations, a kidnappé des enfants, a violé des femmes et des filles, a dilapidé la caisse publique sans donner la moindre explication, a détourné la coopération externe, a réduit nos institutions en des peaux de chagrin, a causé la frustration des cadres les plus prometteurs de l'Administration publique.
Si le pays souffre tant de carence de cadres bien formés, si le pays souffre tant de manque de leadership éclairé, si le pays est tellement anémique d'Hommes d'Etat de stature internationale, c'est parce que la structure du Pouvoir d'Etat démotive les compétences en détruisant leurs capacités à réaliser leur potentiel et à s'élever à la dimension de leurs rêves et des attentes de la société. Pour beaucoup, s'expatrier reste un pis-aller. C'est très frustrant tout cela !
Si certains nostalgiques du pouvoir et de ses privilèges, tenaillés par la faim et les besoins de toutes sortes, font semblant d'oublier les déceptions, les frustrations de ce passé récent, d'autres ne souffrent pas de cette forme d'amnésie. Si le temps de demander Justice est peut-être passé, si le temps de la vengeance est peut-être dépassé, c'est qu'il est venu le temps pour l'émergence d'un nouveau leadership visionnaire, éclairé, responsable, compétent et responsable, capable de porter et de piloter le projet politique, économique et social de la Nouvelle Haïti.
Oui, une nouvelle Haïti est possible si nous pouvons remettre les pendules du jeu politique à l'heure de la modernité, de la démocratie, de l'alternance, de la tolérance, de la résolution pacifique des conflits, de la croissance soutenue et durable pour créer les conditions objectives d'une amélioration des conditions de vie en Haïti ;
Une nouvelle Haïti est possible si nous pouvons arriver à réconcilier, durablement, le leadership du secteur des Affaires et de la Diaspora avec les leaderships des secteurs intermédiaires et des structures de base de la société pour envisager le montage de programmes agressifs d'investissements productifs dans les infrastructures, dans l'agriculture, dans le tourisme, dans la production de biens et services pour l'échange marchand sur un marché local, régional et global très compétitif. L'avenir doit être différent de ce futur qu'on nous promet et qu'on veut nous imposer ;
Une nouvelle Haïti est possible si nous pouvons construire nos propres capacités à réussir la mise en commun, la mise en cohérence et la mise en synergie des ressources du pays et de la Diaspora pour adresser, ensemble, les problèmes de pauvreté, de pénurie, de précarité et de vulnérabilité qui nous affectent, plus que tout autre chose, dans notre vie de chaque jour ;
Une nouvelle Haïti est possible si nous pouvons identifier un échantillonnage d'hommes et de Femmes d'Etat de niveau d'au moins trois (3) sur une échelle graduée de un (1) à cinq (5) pour les mettre en face de nos partenaires, amis et vis-à-vis de la Communauté Internationale en tant qu'interlocuteurs légitimes et crédibles pour négocier, en des termes favorables pour nous, le passage de la société haïtienne vers la modernité et le progrès économique et social ;
Une nouvelle Haïti est possible si nous pouvons trouver les ressources mentales, le mâle courage et les moyens pour résilier le contrat des assassins financiers (hitmen) qui nous servent d'intermédiaires dans nos relations internationales et qui font leur beurre sur notre misère qui constitue, en fait, leur fond de commerce. Il nous faut négocier d'autres partenariats stratégiques, d'autres types d'accords commerciaux pour jeter les bases en vue d'une nouvelle ère dans nos relations avec la Communauté Internationale ;
Une nouvelle Haïti est possible si ceux qui veulent vraiment le Changement et la Rupture renoncent à engager des «Suisses» pour faire les sales besognes du béton car, il y a longtemps qu'ils ne veulent plus servir seulement de vidangeurs, de vitrine ni de façade. Il y a longtemps qu'ils ont réalisé qu'ils peuvent eux aussi avoir une place autour de la table. Alors, autant s'assurer de la pertinence de leur utilité avant de les engager car ils seront nos maires, nos députés, nos sénateurs, nos présidents.
Il prend des hommes et femmes de conviction pour refonder un Etat-Nation et reconstruire un Pays. Il prend des hommes et des femmes de courage, des hommes et femmes de vision, des hommes et des femmes de bonne volonté, des hommes et des femmes de foi, des hommes et des femmes compétents, des citoyens avisés et conscients de leurs droits, de leurs devoirs, de leurs responsabilités, de leur engagement envers ce pays qui les a vus naitre et grandir, envers leur patrie, notre patrie pour améliorer les conditions de vie dans une société en crise. C'est pourquoi l'heure est si grave. Car, il y a tant à faire et si peu d'engagement citoyen.
Si vous vous sentez concernés par cet appel du destin, vous pouvez constituer le premier maillon de cette chaine des forces nouvelles qui est en train de se tramer. Parlez-en à votre entourage, à vos connaissances, à votre groupe de travail. Qui sait ? Vous pourriez en constituer le maillon le plus fort.
Georgemain PROPHETE
Cap-Haïtien