Emotion, satisfaction,… Après plus d'un mois de dialogue et de tergiversations, Haïti se réveille ce samedi avec un accord politique. L'accord de El Rancho. A cet hôtel de Pétion-Ville vendredi après-midi, il n'y a eu ni feux d'artifice ni champagne. Cependant, dans le calme et la sérénité, les responsables de partis politiques, le chef de l'Etat, le sénateur Steven Benoît et le cardinal Chibly Langlois ont célébré la victoire du dialogue et du compromis.
Le document ne fait pas l'unanimité. C'est un fait. Des réserves ont été formulées. Ce qui n'empêche pas pour autant que son importance fasse l'unanimité chez les acteurs politiques. Ils ont tous apposé leur signature au bas de l'accord. A l'exception, bien sûr, des organisations politiques qui ont, soit boudé ou abandonné le processus du dialogue. C'est le cas de Fanmi Lavalas, Fusion, Kontrapèpla, MOPOD, entre autres.
L'accord final conserve les points clés de l'entente trouvée entre les partis politiques et l'exécutif. Le Collègue transitoire du Conseil électoral permanent (CTCEP) devient le Conseil électoral provisoire. A partir du vendredi 14 mars, les pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif ont 10 jours francs pour changer un de leurs trois représentants dans le CTCEP ou pour confirmer la totalité. Ensuite, les acteurs politiques se mettent d'accord sur la réalisation des élections pour renouveler deux tiers du Sénat, la Chambre des députés et les collectivités territoriales. Cela doit se faire au plus tard le 26 octobre 2014, a souligné au Nouvelliste Evans Paul, leader de la KID.
Pour l'amendement de la loi électorale, une précaution particulière a été prise par les signataires de l'accord. « Si pour une raison ou une autre le Parlement ne vote pas la modification de la loi électorale, elle sera appliquée parce que c'est une décision politique et une clause dans l'accord montre comment cela va être fait. L'accord liste l'ensemble des articles qui seront amendés », a expliqué Evans Paul au Nouvelliste.
Cependant, l'homme politique s'est empressé de souligner que cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas besoin du Parlement pour avancer dans l'application de l'accord. « C'est une entente politique pour contourner si le Sénat ou la Chambre des députés ne peuvent tenir séance pour modifier la loi électorale », a-t-il précisé, soulignant qu'il ne maîtrise pas encore la totalité du document.
Ensuite, la formation d'un gouvernement d'ouverture est maintenue et lors des assises de dialogue, des responsables d'organisations politiques ont clairement manifesté leur volonté d'en faire partie.
Dans l'accord de El Rancho, a souligné M. Paul, l'exécutif a pris l'engagement de publier toutes les lois votées au Parlement en souffrance et dépassant les 10 jours francs dont dispose le chef de l'Etat pour produire une objection. Ce point répond en partie aux préalables du groupe des six sénateurs. S'agissant des résolutions adoptées par le Sénat, Michel Martelly garde une marge de manœuvre sur leur publication puisqu'elles ne sont pas contraignantes.
Selon la méthodologie fixée par la médiatrice avant la signature de l'accord, un représentant de chaque acteur politique avait à prendre la parole sur le processus du dialogue. Aujourd'hui c'est une grande famille politique qui est là, laissant de côté leurs intérêts personnels au bénéfice du pays, a déclaré le président Michel Martelly. Il a souligné qu'il a fait beaucoup de sacrifices en acceptant 45.5 sur 47 points proposés à l'exécutif. Tout en félicitant l'implication de la médiatrice, le Parlement, les partis politiques et les observateurs de la société civile, le chef de l'Etat a indiqué que le processus du dialogue reste ouvert aux organisations politiques absentes. « Cap sur les élections », a-t-il ajouté, soulignant que le travail n'est pas encore terminé.
Le sénateur Steven Benoît avait été officiellement mandaté par le président du Sénat, Dieuseul Simon Desras, qui devait voyager, pour signer le document final tout en formulant des réserves sur certains points. Le parlementaire a dit participer aux assises de dialogue avec le cœur en paix et beaucoup de contentement. L'élu du département de l'Ouest a formulé le vœu de voir se tenir le 26 octobre 2014 dans le pays des élections libres, honnêtes, inclusives et démocratiques…
La voie remplie d'émotion, Evans Paul a pris la parole au nom de tous les partis politiques. Selon lui, le pays est parvenu à cet accord avec beaucoup de douleur et aussi beaucoup de bonheur. L'accord de El Rancho est la manifestation d'une volonté de donner espoir, a-t-il dit. Il a reconnu que le document n'est pas parfait, mais c'est un grand pas vers une entente et la recherche de solutions pour le bien du pays, a-t-il ajouté. « C'est un acte de responsabilité politique, de manifestation de conscience patriotique et d'engagement citoyen », a renchéri le leader politique.
« Le dialogue nous a permis de grandir », a déclaré Son Eminence le cardinal Chibly Langlois. Il a permis de travailler pour la paix et « nous en sommes sortis renforcés ». Le premier des évêques haïtiens a estimé que nous devons cultiver le dialogue. Puisque l'objectif fixé a été atteint, le prélat croit que cela permet de poser la base de dialogue national. « Il n'y a pas de perdant dans le dialogue », a-t-il fait remarquer, soulignant qu'il n'y a que des gagnants.
L'évêque des Cayes a souligné que tous les articles du document ont été passés en revue au cours de cette dernière journée de travail et tout le monde s'est exprimé librement même s'il y en a qui ont eu des réserves sur certains points.
Le grand flop de la journée
Le grand flop de cette dernière journée de travail a été les déclarations contradictoires du président de la Chambre des députés. Si devant le chef de l'Etat, le cardinal et les autres acteurs politiques Jacques Stevenson Timoléon a donné la garantie qu'il signera l'accord de toute façon, dehors, au micro des journalistes, le député a fait savoir qu'il doit examiner le document en assemblée d'abord avant de savoir quel comportement adopter.
« Nous étions là pour signifier à l'initiateur des assises que la Chambre des députés a été traitée sans égard », a-t-il dit, soulignant qu'ils ont été mis au courant très tard de la rencontre. « Nous n'allons pas signer un document ''tèt bese'' sans savoir son contenu. Nous allons analyser le document avec l'assemblée des députés et après nous saurons si on devra signer ou pas », a-t-il dit en laissant l'hôtel El Rancho.
Parallèlement, selon le cardinal Langlois, le président de la Chambre des députés est passé à l'hôtel s'excuser du fait qu'il ne pouvait pas suivre la séance de travail, mais a promis de signer le document une fois de retour à la table du dialogue.
Jusqu'à vendredi soir, la presse ne disposait pas encore du document signé par les acteurs politiques. Après sa signature, la médiatrice, la Conférence épiscopale d'Haïti(CEH,) l'a fait authentifier par un notaire public. Ce n'est qu'après ce processus qu'il sera distribué aux acteurs politiques et à la presse. Ensuite, un comité de suivi a été mis sur pied pour assurer le respect de l'accord et sa réalisation. Cette structure travaillera sous la supervision de la CEH.