Et si on se trompe dans l’interprétation des résultats du scrutin du 9 août 2015 : Pourcentage v. point de pourcentage?
Le régime électoral établi par la constitution amendée indique que davantage de candidats seraient élus dès le premier tour des joutes du 9 août dernier. Dans le cadre d'élections des députés, sénateurs et du président de la République, le système électoral en cours est plutôt mixte en raison du fait qu’il utilise concurremment la règle de la majorité absolue, reconnue comme scrutin majoritaire, et la règle de la représentation proportionnelle relativisée. En cela, il fixe un seuil ou un écart de la part des voix non négligeables à collecter pour revendiquer la victoire.
L’environnement dans lequel les élections sont tenues n’est pas corrélé au mode de scrutin analysé. Par conséquent, les facteurs négatifs affectant un scrutin – ex. la suppression du droit de suffrage, le taux participation, la violence électorale, la crédibilité globale du processus ou autres -- font partie d’une autre discussion relevant généralement des procédures électorales. Dans notre système politique, les élections sont le procédé par lequel s’opère le transfert du pouvoir « pacifique » à l’intérieur des juridictions telles que la section communale, la commune, les circonscriptions, les départements, et la République selon l’élection qui est tenue et pour lesquelles les voix peuvent être comptées séparément. La présente analyse concerne uniquement le scrutin et sa transformation en élus.
La théorie du vote relève du droit constitutionnel en relation avec la science politique, les mathématiques et/ou la statistique. L’orientation et la dynamique du choix de l’électeur est résultante de la logique constitutionnelle expliquée dans un contexte numérique par lequel le suffrage est transmué en représentant élu. Certains aspects du processus sont sacrosaints dans la mesure où les modalités de l’élection des élus sont clairement définies par la loi régissant la matière. Dans le système en vigueur, la base ou la référence statistique de l’élection des députés, des sénateurs, et du président de la République n’est pas réellement la totalité des votes valides. Elle est, par contre, le suffrage du candidat ayant collecté la plus grande quantité de voix contre le suffrage de son concurrent le plus immédiat. Les modes de calculs utilisant l’ensemble des votes valides sont, dans le contexte du texte fondamental, erronés. Le système de scrutin établi par la constitution amendée s’achemine progressivement vers un scrutin à un tour où les candidats récoltant des scores non significatifs sont éliminés tout en obviant certaines barrière à l’élection des vainqueurs.
Pour l’élection des députés, des sénateurs et du président de la République, la constitution exige que « le candidat le plus favorisé au premier tour n’ayant pas obtenu la majorité absolue soit déclaré vainqueur dans le cas où son avance par rapport à son poursuivant immédiat est égale ou supérieure à vingt-cinq pour cent (25%). » Pour interpréter les chiffres fournis par le CEP et déterminer les potentiels vainqueurs des joutes du 9 août, au regard du texte fondamental, certains points importants doivent être éclaircis. Premièrement, la constitution fait du suffrage du concurrent immédiat la référence obligatoire pour déterminer les vainqueurs au premier tour et les candidats en ballotage au second tour. Deuxièmement, il faut dégager une compréhension statistique de « égale ou supérieure à vingt-cinq pour cent (25%). » D’une part, vingt-cinq pour cent (25%) est mathématiquement ou statistiquement différent de vingt-cinq points de pourcentage. L’analyse commune, parait-il, veut faire de vingt-cinq pour cent l’équivalent de vingt-cinq points de pourcentage. La tendance actuelle est de faire la différence entre deux pourcentages pour vérifier si le candidat le plus favorisé avait obtenu 25%. En réalité vingt-cinq pour cent est différent de vingt-cinq points de pourcentage ; et mathématiquement, la différence entre deux pourcentages ne résulte pas en un pourcentage mais en points de pourcentage.
L’unité de la différence entre deux pourcentages calculée par la soustraction de valeurs indiquées en pour cent n’est pas un pourcentage mais plutôt des points de pourcentage. Pour illustrer, M. Latortue a obtenu 26.90% contre 10.41% pour M. Cantave dans le département de l’Artibonite. La différence entre 26.90% et 10.41% est 16.49 points de pourcentage et non les 16.49% renvoyant M. Latortue en ballotage au second tour alors qu’en fait la différence, en pourcentage, entre M. Latortue et M. Cantave est [(47045-18201)/18201]*100= 158,48%, résultant en l’élection automatique de M. Latortue. La procédure générale est d’utiliser les voix du concurrent immédiat comme référence de la façon suivante : {(Voix du candidat en tête/voix du poursuivant immédiat)-1]*100. De plus, si quelqu’un a une somme de vingt (20) gourdes et la place à la banque qui lui donne un taux d’intérêt de 25% l’an, l’épargnant ne s’attend pas à avoir quarante-cinq (45) gourdes sur son compte à la fin de l’année mais 20 (1+0.25) = 25 gourdes. Donc, dans le cas de M. Latortue, il suffirait qu’il obtienne 18201 (1+0.25) = 22752 voix i.e. 4551 voix en plus que M. Cantave pour être déclaré vainqueur des élections du 9 aout.
Il en résulte que les huit candidats au sénat suivants sont élus dès le premier tour :
Département Candidat Pour cent
Artibonite Youri Latortue 158,48%
Centre Wilot Joseph 83,06%
Nord d’Est Ronald Larêche 60,14%
Nord d’Est Jacques Sauveur Jean 51,06%
Nord Nawoon Marcellus 31,75%
Nord Dieudonne E. Luma 58,96%
Ouest Jean Renel Senatus 76,02%
Ouest Antonio Cheramy 140,60%
Par ailleurs, les 59 candidats à la députation suivants sont élus dès le premier tour :
Circonscription Nom Pour cent
Port-au-Prince Jean Rene Clochard 36.25
Petionville Jerry Tardieu 269.86
Kenskoff Alfredo Jr Antoine 69.71
Delmas Gary Bodeau 38.20
Tabarre Caleb Desrameaux 91.91
Cite Soleil Lemaire Pierre 170.79
Croix des Bouquets Willer Jean Jean 94.73
Thomazeau Price Cyprien 70.04
Cornillon Raymonde Rival 89.74
Anse a Galets Micalerme Pierre 74.05
Pointe a Raquette Jackie Guerrier 262.14
Leogane Jean Wilson Hippolite 75.57
Petit Goave Germain Fils Alexandre 46.65
Grand Goave Jean Marcel Lumerant 27.36
Thiotte Vikerson Garnier 27.47
Grand Gosier Paul Hernann Vil 34.98
Anse a Pitres Bel Ange Pierre 33.16
Cap-Haitien Jean Etienne 160.55
Limonade Tertius Tanis 33.24
Quartier Morin Huge Celestin 58.27
Plaine du Nord Claude Lesly Pierre 50.44
Limbe Frandy Louis 128.00
Fort-Liberte Miolin Charles Pierre 45.87
Ferrier/Perches Gerald Jean 35.65
Ouanaminthe Elisma Florvil 39.81
Valiere/Carice Jean Berthole Bastien 48.95
Gonaives Jacob Latortue 174.69
l’Estere Raynald Exantus 57.81
Ennery Cholser Chancy 106.86
Gros Morne Fritz Chery 215.50
Terre Neuve Dulaurier Jacques 52.29
Anse Rouge Edouanel Chery 36.94
Marmelade Salem Raphael 42.58
La Chapelle Hermano Exinord 55.33
Dessalines Garcia Delva 212.90
Petite Riviere de l’A, Prophane Victor 38.81
Hinche Fred Pitton 35.34
Thomonde Enel Appolon 51.15
Maissade Louis Romel Bauge 71.31
Cerca Carvajal, Antoine Rodon BA, 326.94
Mirbalais, Abel Descollines, 112.34
Las Cahobas, Gabriel Lionel Jean, 267.69
Cerca La Source, Rony Celestin, 683.02
St Jn du Sud/Arniquet, Joseph Benoit Laguerre, 56.63
Saint Louis du Sud, Gandhy Dorfeuille, 114.80
Coteaux, Beonard Dorismond, 42.31
Abricots/Bonbon, Jean Rigaud Belizaire, 77.47
Moron/Chambellain, Jean Guerrier Benoit, 102.75
Corail, Rolphe Papillon, 38.80
Pestel, Ronald Etienne, 144.79
Beaumon, Anouce John Bernard, 96.46
La Tortue, Jean Asthene, 62.76
Môle St Nicolas, Eloune Doreus, 48.47
Bombardopolis/Baie de H, Nonciles Valbrun, 136.66
Saint Louis du Nord, Freud Maurancy, 86.46
P. Riviere de Nippes, Edouard Laurore, 49.49
Anse a Veau/Arnaud, Wilner Guervil 67.35
L’Asile, Lemann Premier, 25.19
Miragoane, Yvon Geste, 162.10
Le premier constat est que, le régime en vigueur a une préférence claire en faveur d’un système relativement majoritaire qui cherche à représenter de façon pragmatique, et plus ou moins fidèle, le vote des électeurs par l’entremise du principe de la représentation proportionnelle relativisée. Ce système n’est pas absolutiste, et est moins pernicieux ou moins coûteux. Contrairement à l’ancien régime, le mode de scrutin en vigueur permet plus facilement la transformation des suffrages en élus dès le premier tour.
Il existe toutefois des potentialités de sanctionner lourdement le principe de multipartisme dans un contexte de prolifération irrationnelle des partis en corrigeant partiellement le phénomène de l’émiettement du paysage politique. Néanmoins, sur le long terme, le système, assimilé, pourra déboucher sur la nécessité d’aménager des alliances électorales pour la survie politique pour une reconfiguration du paysage et des pratiques politiques.
L’expansion des gagnants aux élections du 9 août témoigne de la volonté des législateurs de trouver un système qui diminue le flux d’élections en Haïti. Au cours de la phase expérimentale, ce nouveau système favorise les grands partis ou les grandes vagues politiques dans la mesure où ces dernières peuvent collecter davantage de voix sur une base relative. Il a comme vertu la formation d’une majorité législative qui résulte en un gouvernement unicolore stable dont l’action est plus cohérente. Il affaiblit la confrontation au bénéfice de la coopération sur le plan opérationnel du gouvernement. Il garantit le principe de la coopération par lequel les principaux partis devront se mettent d’accord pour se partager les responsabilités gouvernementales au détriment des formations politiques dépourvues de légitimité politique. Et, en corrigeant certaines dérives du système ex-ante, ce système conduira aussi au principe du vote utile. Toutefois, le système doit atteindre un niveau de stabilité à travers le temps.
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) dixit Abraham Lincoln.