Agrégé des universités
Professeur de droit public à l’Université Toulouse I Capitole
Avocat au Barreau de Toulouse
Membre du Conseil de l’Ordre des avocats.
Avocat au Barreau de Toulouse
Membre du Conseil de l’Ordre des avocats.
Le mandat du Président de la République d’Haïti s’achève bien le 7 février 2022
Un certain nombre d’acteurs de la vie politique haïtienne, soutient que le mandat du président de la République doit s’achever le 7 février 2021, et non le 7 février 2022 qui est la position officielle de la présidence.
Pour comprendre les termes de la controverse, il convient de rappeler les circonstances dans lesquelles Monsieur Jovenel MOÏSE a accédé à la magistrature suprême de l’Etat d’Haïti.
1° Les faits
Le mandat du prédécesseur de Monsieur MOÏSE, Michel Joseph MARTELLY devait s’achever en février 2016 après qu’il eut pris ses fonctions cinq ans auparavant, en mai 2011.
C’est dans ce cadre que le premier tour des élections présidentielles s’est tenu, le 25 octobre 2015.
Toutefois, les résultats du scrutin ont été vivement contestés par une partie importante des candidats, de sorte que le processus électoral a été reporté sine die.
Afin de trouver une solution politique de nature à éviter une crise post-électorale, une commission indépendante d’évaluation électorale (CIEE) a été créée par arrêté du Président de la république du 22 décembre 2015 avec pour mandat « d’évaluer le processus électoral et de faire des recommandations au gouvernement et au Conseil électoral provisoire ».
Dans ces conditions, le second tour des élections présidentielles n’a pu se tenir avant le terme du mandat du Président MARTELLY qui s’achevait constitutionnellement le 7 février 2016. Ce dernier a effectivement quitté ses fonctions à la date prévue, son départ créant une situation de vacance de la présidence.
Pour y remédier et garantir la continuité de l’Etat, un accord a été signé le 5 février 2016 entre le pouvoir exécutif représenté par le président Joseph Michel Martelly,le pouvoir législatif représenté par le sénateur Jocelerme Privert, Président du Sénat de la République, et le député Cholzer Chancy, Président de la chambre des Députés.
C’est dans ce contexte que le Sénat de la République et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale ont élu le 14 février 2016 au deuxième tour du scrutin Monsieur Jocelerme PRIVERT Président provisoire de la République d’Haïti pour un mandat limité à 120 jours.
Le 27 avril 2016, le Président provisoire de la République créait la commission indépendante d’évaluation et de vérification électorale (CIEVE) dont la mission était, aux termes de l’article 1er dudit arrêté de « rétablir la confiance des acteurs politiques dans le processus électoral en établissant la sincérité des résultats des élections de 2015 ».
Dans son rapport remis au Président provisoire de la République le 30 mai 2016, la CIEVE recommande que le processus électoral soit repris à zéro.
Suivant les recommandations du rapport de la CIEVE, le Conseil électoral provisoire décide le 6 juin 2016 « la reprise du premier tour de l’élection présidentielle » annonçant que les deux tours de la présidentielle auront lieu le 9 octobre 2016 et le 7 janvier 2017.
En définitive, le premier tour de scrutin sera reporté au 20 novembre 2016 compte tenu du passage de l’ouragan Matthew.
Elu au premier tour de scrutin avec 55,67 % des suffrages, Jovenel MOÏSE est investi le 7 février 2017 Président de la République.
2° Analyse juridique
Le rappel des faits permet de mettre en exergue un élément décisif qui est au cœur du débat juridique : Le président de la République aurait dû être élu en 2015/2016 pour une prise de fonction le 7 février 2016. Les circonstances tenant au déroulement des élections présidentielles ont abouti à ce qu’il soit élu fin 2016 pour une prise de fonction le 7 février 2017.
Cette distorsion entre ce qui aurait dû être, la prise de fonction en 2016 et ce qui fut, la prise de fonction en 2017, a conduit certains acteurs de la vie politique ainsi qu’une éminente juriste, la professeure Mirlande MANIGAT, à considérer que le terme du mandat du Président Jovenel MOÏSE devait être fixé le7 février 2021 au lieu du 7 février 2022.
L’argument repose sur une interprétation des dispositions constitutionnelles que l’on peut résumer de la façon suivante : la Constitution statue sur un évènement imparable, les élections qui doivent se tenir « le dernier dimanche de novembre de la cinquième année du mandat présidentiel » (article 134.2 Constitution). Or, conformément à la constitution, les élections se sont bien déroulées en novembre 2015. Le Président aurait dû entrer en fonction le 7 février 2016. La circonstance qu’il n’ait finalement pu entrer en fonction qu’un an plus tard, le 7 février 2017 n’est qu’un simple fait politique qui n’affecte pas la réalité juridique.
L’opposition entre le fait et le droit est un élément majeur de l’argumentation. La prise de fonction est traitée comme un simple fait politique qui n’affecte pas le droit. Juridiquement, le début du mandat est réputé avoir commencé le 7 février 2016, le début réel du mandat le 7 février 2017 étant traité comme un simple « fait conjoncturel ».
Cette argumentation qui mobilise la distinction, si importante en droit, entre le politique et le juridique (qui n’est qu’une modulation de la distinction entre l’être et le devoir-être) est particulièrement fragile à divers titres.
Rappelons que la Constitution de 1987 fixe la durée du mandat présidentiel à 5 ans.
L’article 134.1 précise que cette période de cinq ans « commence et se termine le 7 février suivant la date des élections » (« Tan sèvis prezidan an konmanse 7 fevriye apre dat eleksyon an. Li fini tou, 7 fevriye apre dat eleksyon an » dans la version créole). Cette formule destinée à éviter les décalages dans le temps résultant d’éventuelles démissions ou décès en cours de mandat – en France, l’élection présidentielle se tient en mai depuis le décès de Georges Pompidou – permet de déterminer de manière fixe le dies ad quem du mandat présidentiel. Le mandat du Président de la République Haïtienne est de cinq ans, et s’achève le 7 février suivant la date des élections.
Dans le débat, l’expression « suivant la date des élections » (« apre dat eleksyon an » dans la version créole) est évidemment décisive.
Selon les tenants d’une fin du mandat le 7 février 2021, la formule « date des élections » est une catégorie juridique distincte du fait même de l’élection, peu important que l’élection se soit tenue un an plus tard, dès lors qu’elle devait se tenir en 2015/2016.
Cette position repose sur une interprétation strictement calendaire du texte visé, la notion de date des élections étant alors irrémédiablement fixé de cinq ans en cinq ans indépendamment de la réalité de l’élection.
Or, rien dans le texte de la constitution ne permet de soutenir une proposition aussi figée. La « date des élections » n’est pas une simple catégorie abstraite et immuable, c’est surtout une donnée concrète qui renvoie à la date effective à laquelle s’est tenue l’élection. Le fait concret ne peut être artificiellement opposé à la catégorie juridique.
Du reste, les tenants d’une telle interprétation sans doute conscients de sa ténuité, argumentent, également, en termes plus concrets et considèrent que le processus électif qui a conduit à l’élection du Président Jovenel MOÏSE doit être considéré comme un continuum dont le point de départ est fixé en 2015, peu important qu’il se soit prolongé jusqu’en novembre 2016.
Or, cette position est juridiquement intenable.
L’élection présidentielle de novembre 2016 n’est pas la continuation d’un processus électoral commencé en 2015 et qui aurait été suspendu.
En effet, il n’y a pas eu suspension du scrutin. Si une telle suspension a été un temps envisagé, elle n’était plus politiquement tenable à la suite des conclusions de la CIEVE de sorte que le Conseil électoral provisoire a pris la décision d’annuler le scrutin de 2015 afin qu’il soit procédé à la reprise des élections.
Les effets d’une annulation sont parfaitement clairs. Un acte annulé disparaît purement et simplement de l’ordonnancement juridique. Le scrutin de 2015 doit donc être regardé comme n’ayant jamais existé. Dans ces conditions, il est impossible de considérer que le processus électif amorcé en novembre 2016 ne serait que la continuation d’un scrutin initial qui doit désormais être regardé par le droit comme inexistant.
Bref, la « date des élections » au sens de la constitution s’entend en l’espèce de la date du scrutin du 20 novembre 2016 entièrement détachable du scrutin de 2015 qui n’a pas abouti. Il s’ensuit que par application de l’article 134.1, le mandat du Président Jovenel MOÏSE s’achève le 7 février 2022.
L’argumentation d’une fin de mandat au 7 février 2021 se heurte à d’autres considérations dirimantes.
Rappelons que selon cet argumentaire, peu importe le fait que M. Jovenel MOÏSE soit effectivement entré en fonction le 7 février 2017, dès lors que juridiquement, il aurait dû l’être un an plus tôt, le 7 février 2016. Cette distanciation entre le fait politique et le droit est poussé à son paroxysme puisque selon cette analyse juridique, le début du mandat de Jovenel MOÏSE a juridiquement commencé le 7 février 2016.
Cette analyse se heurte à des problèmes constitutionnels immédiatement perceptibles.
En l’absence d’élection menée à son terme, aucun candidat n’a pu être proclamé Président en février 2016, ni Jovenel MOÏSE, ni aucun autre de ses concurrents. Le principe démocratique solennellement rappelé à l’article 134 « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct à la majorité absolue des votants » a conduit le président Jovenel MOÏSE, élu en novembre 2016 à prendre ses fonctions en février 2017.
Il ne s’agit pas là d’un simple fait politique mais d’une exigence constitutionnelle fondamentale.
Le titre de compétence détenu par le Président Jovenel MOÏSE est fondé strictement sur l’élection au suffrage universel direct du 20 novembre 2016 et non sur une logique calendaire que d’aucuns prétendent opposer à l’esprit et à la lettre de l’article 134 et des articles qui le suivent et qui n’en sont que la mise en œuvre concrète.
De même, l’élection d’un Président provisoire de la République, les textes réglementaires qui ont conduit à la mise en place d’autorité chargé de statuer sur la régularité des opérations électorales de 2015, la décision de reprendre l’ensemble du processus électif à compter du mois de juillet 2016, tous ces éléments ne sont pas de simples faits politiques impuissants à changer le sens de la règle constitutionnelle, ce sont des actes juridiques pris, compte tenu d’une situation ayant conduit à reporter l’élection présidentielle. Ces éléments ne peuvent être indûment écartés. L’analyse juridique ne peut conduire à ignorer les actes réglementaires, à tenir pour inexistant le mandat du Président à titre provisoire, à faire en somme comme si Jovenel MOÏSE devait être regardée rétroactivement comme Président depuis février 2016. Il s’agit là d’une simple fiction sans rapport avec la réalité juridique. Cette réalité clairement appréhendée conduit à écarter purement et simplement l’explication selon laquelle, en dépit de toute logique, le mandat de Jovenel MOÏSE aurait juridiquement débuté en février 2016.
C’est inexact politiquement et juridiquement erroné.
Elu en novembre 2016 au suffrage universel direct conformément à l’article 134. Monsieur Jovenel MOÏSE a pris ses fonctions le 7 février 2017 pour y exercer un mandat de cinq ans qui s’achève tout logiquement le 7 février 2022.