Isaac Marcelin, PhD / JEUDI 17 JUIN 2021Texte de référence, la Constitution précise le statut juridique du pays et établit ses principes directeurs et son caractère soit républicain, aristocratique, fasciste, autocratique, ou monarchiste. Elle gouverne le fonctionnement des pouvoirs et des différentes institutions qu’elle consacre. La lecture du texte constitutionnel proposé, l'analyser, le critiquer est un exercice que chacun devrait faire pour comprendre comment nous serons gouvernés suite à l’avènement du nouveau régime qu’il consacrera.
Le présent avis sur le projet de loi constitutionnelle est basé sur les observations faites sur le texte en circulation. Nous avons formulé certaines suggestions qui ne visent qu’à apporter une assistance à la Commission présidentielle constituante d’Haïti. La formulation de ces suggestions n’enlève rien à l’estime que nous avons pour les efforts consentis et l’ouvrage accompli. Quelles que soient d'ailleurs nos appréhensions multiples, fautives, ceux qui, parmi nous, et dans l'état déplorable où les années du règne « démocratique » anarchique ont jeté Haïti, s’inhibent et assistent silencieux à l'établissement d'un ordre politique, aux attraits autocratiques, qui nous gouvernera et nous façonnera le destin.
Nonobstant les différences d'opinions nous divisant sur les institutions politiques, trente-quatre années d’expérimentation sous le régime de l’actuelle Constitution nous interpellent à ajourner certains de nos vœux particuliers, et nous sermonnent à réfléchir sur de probables solutions susceptibles de nous tirer des amas de ruines sur lesquelles nous périssons. Nos efforts doivent converger vers un arrêt de l’anarchie.
En effet, la nouvelle Constitution fonde un Conseil Constitutionnel dont le rôle est de veiller à ce que la loi ne déborde pas le cadre constitutionnel. Elle renforce l’équité de genre, rationalise les ressources locales, démarginalise le souverain en lui accordant ses droits au référendum c.-à-d., l’habilitant à se prononcer sur des questions relatives à son bien-être. Elle introduit d’autres innovations d’importance majeure. Par exemple, aux termes de l’Art. 107, l’immunité liée à l’exercice de la fonction parlementaire est perpétuelle et définitive, mais ne constituera plus un bouclier dans l’arène du pouvoir politique. Les lignes entre délits et crimes politiques crimes d’État, et ceux de droit commun sont éclaircies. Gouvernée par le double principe jus sanguinis-jus soli, la nationalité haïtienne devient irrévocable sauf dans des circonstances extraordinaires (Art. 11). Son préambule réaffirme les aspirations démocratiques du peuple haïtien. Paradoxalement, elle fonde un régime présidentiel autocratique, voire tyrannique, et une assemblée nationale de convenance. Inéluctablement, elle affaiblit la souveraineté du peuple, primauté du droit, annihile la séparation et l’équilibre des pouvoirs. À titre d’illustration, elle enlève à l’Assemblée nationale les cordons de la bourse, et renvoie à la Cour de cassation le pouvoir politique en cas d’une vacance présidentielle ; réduit le quorum qualifié à un tiers alors qu’une majorité absolue est exigée pour opposer les actes présidentiels. Ainsi, le veto parlementaire est tacitement contourné ; les parlementaires ne sont pas habilités à sanctionner les ministres, Etc.
Nous analyserons le projet de loi constitutionnelle sans prétention aucune d’entraver son dessein et ses promesses de bienfaits. D’ailleurs, nous avons des lacunes avérées en droit, et plus particulièrement, en droit constitutionnel, qui tombe en dehors de notre champ d’expertise. Pourtant, la lecture du dit projet de loi constitutionnelle nous implore à mettre en relief certains enjeux et identifier des anomalies, anormalités, et incohérences, ex ante. Nous saisissons ce moment de grand intérêt national pour offrir à l’attention éveillée de nos concitoyens une lecture critique du texte qui, dans le futur, pourra se révéler utile.
Le Préambule reprend les grandes lignes de la loi constitutionnelle en vigueur, le régime gouvernemental démocratique qu’elle consacre, et ses principes de droit positif. Ils comportent : l’instauration d’une justice républicaine basée sur la devise nationale « Liberté, Égalité, Fraternité » ; la souveraineté du peuple, primauté du droit, séparation et équilibre des pouvoirs, qui, le cas échéant, résulteraient en un recours devant la Cour constitutionnelle. Dans l’ensemble, les principes d’organisation politique et juridique qui y figurent sont affirmés dans la majorité des Constitutions haïtiennes antérieures. L’emphase dans ce préambule sur les valeurs fondamentales d’un État démocratique est un signe prometteur. En revanche les Alinéas (c) et (d) (1) rétablir « un état stable et fort », et (2) « implanter la démocratie » sont remplacés par (1) maintenir « un état stable et fort », et (2) garantir la démocratie ce qui faussement implique que, présentement, cet état de choses est atteint, et qu’on se bornera à le sauvegarder.
Des caractéristiques fondamentales de la République d’Haïti
Le premier chapitre de la Constitution porte sur les caractéristiques de l’État haïtien, ses principaux devoirs envers le peuple, et en retour, ceux des citoyens envers l’État. Il reprend quasi-textuellement les articles de la Constitution en cours, et donc n’appelle pas à trop d’observations. Cependant, il coupe court à l’interdiction du culte de la personnalité en Haïti. Cette suppression de la clause de non-adoration met gravement en cause une clause qui jusqu'alors circonscrivait le chef de l’État, au regard de la loi, à la dimension humaine. Elle suggère une velléité paternaliste et dictatoriale visant à élever le chef de l’État au rang d’emblème national et objet d’éducation civique. Elle renoue avec notre passé dictatorial marqué par le passage de personnalités narcissiques et envoûtées, obnubilées par la haute magistrature. Il est difficile d’imaginer en quoi cette clause constitutionnelle dérange la société au point de la voir rayée par le législateur-constituant haïtien. Cette clause a pu maintenir l'universalité des citoyens, et, dans une large mesure, épargner Haïti du joug affreux de la démagogie. Sa suppression satisfera vraisemblablement le pouvoir personnel des dirigeants obsédés qui veulent être libres des principes républicains. La maintenir ne saurait en rien contrarier la bonne gouvernance et la bonne marche du pays.
De la nationalité haïtienne
Les Arts. 11 et 12 introduisent d’importants changements sur la nationalité. On y établit le double principe jus sanguinis et jus soli et résout péremptoirement le problème de double nationalité, instrument d’exclusion dans la vie politique haïtienne. Le projet de loi constitutionnelle garantit, dorénavant, la nationalité haïtienne à l’haïtien né de père ou de mère haïtienne, en Haïti, ou à l’étranger. La renonciation à la nationalité haïtienne est rendue administrativement encombrante et onéreuse (Art. 11). Les exclusions à la participation politique et à l'accès aux emplois gouvernementaux sensibles sont enlevées, hormis le concerné ne doit pas détenir une nationalité étrangère au moment où il brigue un poste électif. Toutefois, le texte demeure muet sur l’éligibilité, à la magistrature suprême, du citoyen dont la nationalité haïtienne est acquise par naturalisation. Un tel hiatus dans la « loi mère » ouvrirait non seulement la voie à une main mise sur la présidence par « n’importe quelle âme de bonne volonté », mais aussi créerait des occasions d’arbitrage réglementaire de l’extérieur.
Du doit à un environnement sain
Les Arts. 21 au 23 posent le principe de la sauvegarde d’un environnement sain. L’Art. 22 garantit la protection de la faune et de la flore. Toutefois, le texte omet la nécessité de pérenniser les ressources naturelles.
Il ne sied pas d’insérer une disposition à l’Art. 23, d’un texte auguste que : « nul ne peut introduire dans le pays des déchets ou résidus de provenance étrangère de quelque nature que ce soit, sous peine de poursuites civiles et pénales ». De tels langages n’apparaissent pas dans un texte constitutionnel. La Commission devrait circonscrire le champ à la nécessité de protéger l’environnement, le climat et à la biodiversité et laisser la loi punir les contrevenants.
La liberté individuelle et droits non protégés
L’Art. 25 supprime les garanties de l’Art. 24 de la Constitution en vigueur que tout mandat doit exprimer formellement en créole et en français le ou les motifs d’une arrestation ou de la détention et la disposition de loi qui punit le fait imputé. À cela s’ajoute le retrait de l’injonction faite à l’Art. 24-c « aux officiers de la justice de notifier au prévenu de son droit de se faire assister d’un avocat ou d’un témoin de son choix ». De plus, implicite dans le droit haïtien, le principe directeur obligeant l’État à assurer la protection des enfants par l’interdiction de l’esclavage, la servitude et le travail forcé, est ignoré. Et, le principe fondamental et universel du « ne bis in idem » n’est mentionné nulle part. Pour rendre le cadre juridique applicable plus clair et plus accessible, il est impératif de combler ces lacunes.
Liberté d’expression, de religion, conscience, et d’association
L’Art. 40 stipule que « tout Haïtien a le droit d’exprimer librement ses opinions, en toute matière et par tout moyen de son choix ». L’expression « tout moyen de son choix » est ambigüe et fera l’objet d’interprétations multiples. La formulation de cet article consacre le dysfonctionnement du pays et peut se révéler néfaste à la santé ou à la moralité publique, en nourrissant le désordre et le chaos. Le pays « lock », la décapitation, et d’autres moyens violents, modes de résolution de conflits civils et politiques, seraient donc implicitement entérinés par le nouveau texte constitutionnel.
L’éducation, l’enseignement, la recherche et la culture
L’ensemble des articles sur l’éducation et l’enseignement supérieur ne soulève pas trop de remarques. L’Art. 54 rappelle, en quelque sorte, l’inspiration de cette Constitution : l’héritage culturel et historique d’Haïti, les acquis universels de la civilisation et ceux que le peuple a lui-même réalisés. Toutefois, le segment : « témoins de la grandeur du passé ou l’héritage culturel et historique haïtien » est trop émotionnel, voire poétique, pour figurer dans un texte constitutionnel.
Le nouveau texte abroge la clause de non-immixtion de l’étranger dans la vie politique du pays.
L’Art. 94 garantit le droit du souverain au travers « d’élection et de vote » hormis celui de se porter candidat. Les principes du suffrage universel, libre, égal et secret sont contenus dans l’Art. 95. Le référendum est consacré à l’Art. 94, mais rien n’indique pourtant le temps constitutionnel à épuiser sur une question référendaire dans l’hypothèse où les résultats découlant d’un référendum sont non conformes aux expectations.
Les Arts. 94 et 99 prévoient l’exercice du pouvoir législatif par le référendum et par l’Assemblée nationale. Il n’y a pas de dispositions et hypothèses de référendum habilitant ou limitant le président, au lieu de demander une nouvelle lecture d’un projet rejeté par l’Assemblée, de soumettre au référendum ledit projet. En d’autres termes, le président, est-il habilité à soumettre un projet de loi ou une question jugée d’intérêt public au référendum sans le support d’une majorité qualifiée à l’Assemblée nationale ? Si le peuple détient et exerce le droit du souverain (Art. 94), le référendum d’initiative populaire est-il envisageable ?
La suppression du suffrage
Les dispositions de l’Art. 96 introduisent un mécanisme de suppression du vote populaire. En effet, l’Art. 96 prévoit un plafond des dépenses de campagnes électorales fixé par la loi électorale, et dont le dépassement entraîne l’annulation de l’élection du ou des candidats concernés selon les dispositions de la loi électorale. Pourtant, le texte demeure silencieux en ce qui a trait au caractère licite des sources de financement, mais envisage un plafond, qui, à priori, rendra impossible la candidature des personnes à notoriété réduite, mais porteurs de messages crédibles. Ce mécanisme consolidera la mainmise de certains sur l’électorat en condamnant les gens peu médiatisés à une classe de déshérités politiques. Aussi, le texte constitutionnel proscrit-il le droit de vote et celui de se porter candidat. Malgré la consécration par l’Art. 95 du principe du suffrage « universel, égal et secret » correspondant au patrimoine constitutionnel haïtien, le principe de l’égalité du vote est circonvenu par l’Art. 96. Cette anomalie devrait être rectifiée.
Du pouvoir législatif et du régime politique
Le projet de Constitution de juin 2021 propose à Haïti un système présidentiel fort dépourvu de correctif parlementaire. Le régime est indiscutablement autoritaire et autocratique en ce qu’il y a un président et un vice-président, désignés en fonction des résultats des élections générales (Art. 134) et non-responsables, même indirectement, devant l’Assemblée nationale, mais jouissant de pouvoirs politiques, réglementaires, et codificateurs assez étendus.
Exercé par l’Assemblée nationale unicamérale, le pouvoir législatif, tel que conçu, est figuratif. Il parait que, le président, sans contrepoids, gère le pays. Il ne se développe aucun mécanisme de contrôle crédible, et le parlement servira à une fonction purement cérémonielle. Par exemple, le texte constitutionnel circonvient et anéantit toute nécessité de compromis politique en réduisant le quorum de l’Assemblée nationale à un tiers du corps législatif (Art. 111). Fixer le quorum de présence à un tiers invite un fonctionnement turbulent de l’Assemblée tant qu’une minorité usera des échappatoires dans la loi et les règlements intérieurs.
Dans une assemblée de 119 membres, par exemple, le projet de Constitution de juin 2021 attribue une majorité parlementaire de 20 députés au président pour la conduite du travail gouvernemental. Là, se développe un phénomène de « présidentialisation » absolue et déséquilibrée -- une autocratie. Au cas où le souci était de rendre fonctionnelle l’Assemblée nationale, le texte constitutionnel pourrait envisager un versement de salaire au prorata au temps consacré, par le député, au travail législatif. Ensuite, un député dont l’absence non motivée représente plus de 50 % de son emploi du temps législatif pendant deux mois de suite s'exposerait à un vote d’expulsion de l’assemblée pour manquement au devoir.
Les députés sont élus pour 5 ans et sont indéfiniment rééligibles (Art. 104). Pour renouveler le personnel politique, et éventuellement, réduire les violences politiques, peut-être, on devrait limiter le mandat parlementaire à deux.
On peut s’interroger sur la différence de formulation entre l’Art. 108, alinéa 5e (« est déchu de sa qualité de député celui qui, pendant son mandat, est frappé d'une condamnation à une peine afflictive ou infamante prononcée par un tribunal de droit commun ayant acquis l’autorité de la chose jugée ») et l’Art. 113, alinéa 1er (« le mandat de ses membres ne peut être ni réduit ni prorogé »). La première formulation, visant la déchéance individuelle, est de loin préférable. La seconde formulation semble pour le mieux incomplète dans la mesure où elle peut être mésinterprétée ou opposée à la première.
L’Art. 117 énumère les champs du domaine de la loi en dehors desquels, apparemment, l’Assemblée nationale n’est pas habilitée à légiférer. Cette approche réductrice semble mal guidée. Si le pouvoir réglementaire du président est général et résiduel, dans le domaine de la loi, il faudrait privilégier une distinction entre loi ordinaire et loi organique étant donné que leur méthode d’adoption est bien distincte et laisser à la Cour Constitutionnelle le soin de décider de la constitutionnalité des lois. Le point est de savoir si la liste des lois organiques est exhaustive ?
L’Art. 112 prévoit que la première session ordinaire débute « au deuxième lundi du mois de janvier » et se termine « au deuxième lundi du mois de juillet » ; la deuxième session ordinaire débute « au deuxième lundi du mois de septembre » et se termine « au deuxième lundi du mois de décembre » sans considération des mécanismes de passation du pouvoir. Dans la foulée des élections, la demande de convocation doit émaner possiblement du président de l’Assemblée dont le mandat arrive à terme. La coopération de cet individu détermine le caractère pacifique du transfert du pouvoir. Que se passe-t-il en cas de force majeure : ce dernier est frappé d’incapacité, ou tout simplement manifeste de la mauvaise foi ? Il semble que le texte doit envisager un délai maximal pour la convocation de l’Assemblée nationale et des mécanismes alternatifs en vue d’éviter une crise de transfert du pouvoir.
Les compétences en matière budgétaire sont généralement dévolues au chef de l’État (Art. 122). L’Art. 123 établit une clause funeste dont les conséquences pourraient être néfastes. Il écarte l’Assemblée des représentants du peuple dans le cadre du budget de l’État. Le gouvernement, organe fixant et exécutant le budget, a l’autorité de circonvenir l’Assemblée dont l’assentiment ne sera plus nécessaire en matière budgétaire. De l’Art. 123, alinéa 2e, on peut aisément déduire que l’exécutif n’a qu’à produire des propositions budgétaires irrecevables à l’Assemblée dont le refus n’aura aucun effet sur le budget. Impossible de réconcilier la suppression du contrôle des cordons de la bourse dont jouissait les représentants du peuple et le préambule évoquant les principes démocratiques et la consécration des droits inviolables et inaliénables du peuple haïtien alors qu’on écarte ses représentants des discussions concernant le financement des intérêts fondamentaux et prioritaires et ses aspirations développementales. Introduite dans le droit Haïtien en 2005, cette anomalie juridique, rare et potentiellement dangereuse, permet des délégations au Conseil de ministres, qui s’octroie décharge (Art. 123, alinéa 3e) en vertu des lois de finances, pourrait se révéler néfaste pour le peuple haïtien.
Vraisemblablement, l’Assemblée nationale ne jouit pas de l’autonomie administrative et financière dans le cadre du budget de l’État. De plus, elle ne disposera d’aucun pouvoir d’adopter son budget, de recruter et de gérer son personnel de manière autonome de l’exécutif. L’exécutif peut la rendre non opérationnelle en coupant son budget. Le texte doit indiquer si l’Assemblée jouit de l’autonomie financière et administrative et indiquer explicitement les instruments et limites prévues à cet effet. Au lieu d’écarter les représentants du peuple dans les discussions budgétaires, il faudrait néanmoins envisager la reconduction du dernier budget entériné par l’Assemblée nationale assorti de mécanismes d’adoption d’un budget rectificatif respectant le principe de la séparation de pouvoirs énoncé dans le préambule.
Dans le cas échéant, si le projet de loi de finances n’a pas été adopté le 30 septembre, il pourrait être exécuté par tranches mensuelles renouvelables, et ce, par décret gouvernemental jusqu’à ce qu’une loi budgétaire rectificative régularise le budget de l’État pour le reste de l’année fiscale. Non limité dans le temps, un tel instrument accorderait au gouvernement et à l’Assemblée nationale une grande marge de manœuvre pour juguler toute irrégularité budgétaire. Au demeurant, il est difficile de concilier les dispositions de l’Art. 123 à celles de l’Art 128 consacrant le principe de contrôle parlementaire de l’action gouvernementale.
L’Art. 281 maintient les décrets loi en vigueur dans la mesure où ils s’accordent à la constitution qui ne prévoit aucun des décrets loi. Le texte constitutionnel n’envisage ainsi aucune possibilité de vacances parlementaires où aucune loi d’habilitation ne sera nécessaire dans un tel scénario.
L’Art. 128, alinéa 3e, dispose que les commissions d’enquête « parlementaires » n’ont pas d’attributions juridictionnelles, « mais » disposent du pouvoir de convoquer tout citoyen, à l’exception du Président de la République. Cet article inspire plusieurs observations : (1) le vice-président semble répondre à l’Assemblée nationale (2) la clause n’indique pas si les résultats d’une enquête parlementaire peuvent donner saisine aux tribunaux administratifs et de droit commun ; et (3) si les parlementaires ont la compétence de procéder à un vote de censure.
L’Art. 129 indique que l’Assemblée nationale est compétente pour ratifier toute décision de déclarer la guerre quand toutes les tentatives de conciliation ont échoué. Le segment « quand toutes les tentatives de conciliation ont échoué » semble pléthorique et devrait être supprimé.
Le projet de Constitution de juin 2021 établit un régime présidentiel dépourvu de correctif parlementaire, un régime présidentiel dur. Le Pouvoir exécutif est exercé par le Président de la République assisté d’un vice-président, des ministres et secrétaires d’État (Art. 133). Le régime est péremptoirement présidentiel en ce qu’il consacre un président élu au suffrage universel direct, qui exerce, outre sa fonction représentative, des tâches traditionnellement liées à la fonction de chef d’État (e.g., droit de grâce, Etc.), des pouvoirs politiques, législatifs et règlementaires et la plénitude des prérogatives jadis partagées avec le législatif (le Sénat).
Pour être élu président, il faut être haïtien, ne pas avoir une autre nationalité au jour du dépôt de la candidature et être âgé de 35 ans au moins (Art. 137). Nul ne peut bénéficier de plus de deux (2) mandats présidentiels (Art. 136). S’il convient de se féliciter de ces dispositions, qui visent à atténuer les conséquences négatives d’une période prolongée de gouvernance excessive sans possibilités réelles d’alternance, le texte constitutionnel demeure muet sur l’opportunité qu’un président se porte candidat à sa succession. Une telle hypothèse n’est pas tout à fait malencontreuse dans la mesure où il existe de garde-fous institutionnels tels qu’un conseil électoral indépendant et des contraintes sur l’usage des ressources publiques à des fins politiques. Il faudrait aussi un gage de « neutralité » du président : indiquer si le président est habilité à exercer ses fonctions concurremment avec une responsabilité partisane : chef d’un parti ou de regroupement de partis ou d’individus. Dans la pratique, une telle prohibition serait difficile à mettre en œuvre et n’empêcherait nullement au président d’agir en sous-main et de manière détournée, mais pourrait servir de rappel à la nécessité de bonne conduite politique.
Les conditions de candidatures demeurent très floues sur les possibilités pour un haïtien par naturalisation de briguer la présidence. Si de telles précisions seront apportées par la loi électorale, cette dernière violera automatiquement les droits constitutionnels, et donnera lieu à des contentieux. Il serait judicieux que la Constitution soit plus précise à ce sujet.
En cas de décès, de démission ou de destitution du président, le vice-président lui succède immédiatement et achève le mandat présidentiel en cours. Il jouit de la plénitude des attributions du Chef de l’État. L’Art. 138, alinéa 3e, est purement utopique, car dans l’hypothèse du décès du président ou si le président est démis de ses fonctions il n’est pas nécessaire d’exiger que les deux tiers (2/3) des membres de la cour constitutionnelle fassent le constat et procèdent aux suites légales.
La règle ou la procédure pour combler la vacance présidentielle demeure floue et anachronique. L’Art. 138, alinéa 5e, renvoie les pouvoirs présidentiels au président de la Cour de cassation en cas d’empêchement définitif simultané du président et du vice-président. Cette approche fait des juges des politiciens et vicie l’administration de la justice. Elle crée inutilement un conflit d’intérêts, car les juges devraient être des intermédiaires désintéressés, et non de potentiels sujets présidentiables dans l’attente, voire à l’affût du pouvoir politique. La logique institutionnelle basique exige que le président de l’Assemblée nationale, troisième élu et représentant du peuple, soit investi des fonctions de la présidence. Cette asymétrie dans les règles de remplacement du président doit être adressée si l’on veut rester aussi proche que possible de la volonté du peuple.
L’esprit d’écarter l’Assemblée nationale dans la gouvernance publique est trop manifeste. D’une part, le quorum qualifié est d’un tiers (1/3) des membres de l’Assemblée (art. 111), et d’autre part, les choix du président, au sein de l’Administration, doivent être ratifiés (implicitement par la majorité du tiers (1/3) de l’Assemblée nationale ou refusés à la majorité des deux tiers (2/3) des suffrages exprimés par les députés. La constitution rend donc quasi impossible à l’Assemblée d’opposer un refus au président dont les actes sont tout simplement soumis à un contreseing ministériel-processus de présidentialisation outrancière. Là, la législation, au lieu de se perfectionner, s’obscurcit d’un ensemble de préjugés nouveaux.
Les pouvoirs présidentiels sont très étendus et ceux de l’Assemblée nationale extrêmement limités. On peut voir en l’Assemblée un organe dont l’existence reste cantonnée à l’exercice de formalités simples, voire insignifiantes. Les pouvoirs exceptionnels présidentiels sont mal encadrés, par le texte constitutionnel, politiquement par l’action de l’Assemblée, et juridiquement par l’intervention de la Cour constitutionnelle. Le président nomme et révoque les ministres, mais le texte néglige ou tout simplement n’autorise pas une destitution ministérielle votée à l’Assemblée nationale. Il est nécessaire que le texte habilitant les députés à exercer un contrôle parlementaire sur les ministres (Art. 128), précise s’ils peuvent les sanctionner en cas de maladministration, forfaitures, ou concussions révélées lors dudit contrôle. Les députés peuvent mettre en accusation les ministres en cas de crimes de haute trahison c.-à-d. si ces derniers portent les armes dans une armée étrangère contre la république (Art. 232).
Nommés par le président, ils s’échappent au principe de double responsabilité -- à l’égard du chef de l’État et de l’Assemblée. L’Art. 167 rétablit, néanmoins, leur responsabilité individuelle devant la Haute Cour de Justice. Sous-jacent à cette disposition est le principe de contrôle parlementaire inachevé (négligé) à l’Art 128. Le texte doit rétablir le système de double responsabilité, qui ne devrait pas entraver la conduite de l’action gouvernementale, mais renforcer la gouvernance publique. Il ne faudrait pas non plus que les ministres soient paralysés par la multiplication de demandes de l’Assemblée.
On note que le Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire joue un rôle important dans l’Administration du pouvoir judiciaire, et sert de juge aux magistrats. L’indépendance de la justice est consacrée (Art. 169) mais de façon symbolique étant donné que le texte demeure assez vague, voire silencieux, s’agissant d’une indépendance interne ou externe. En d’autres termes, il convient de préciser si la constitution garantit en même temps l’indépendance interne du magistrat (de toute ingérence, pression, recommandation ou instruction indues provenant du Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire) et externe (des politiciens c.-à-d. des pouvoirs exécutif et législatif). Parallèlement, on déplore l’absence d’un gage de l’obligation de neutralité et d’intégrité du juge, de même que de sa responsabilité dans l’accomplissement de ses fonctions.
Dans le souci de renforcer ultérieurement le principe de l’indépendance externe, on pourrait envisager d’ajouter le principe de l’égalité des magistrats du siège (les magistrats du siège) aux magistrats debout (le procureur) qui est un obstacle à distribution saine de la justice, et dont le mésusage est typique des régimes autoritaires. En clair, on pourrait laisser au chef de l’Etat le droit de désigner le commissaire du gouvernement et à l’Assemblée la ratification du dit choix. Par ailleurs, cela pourrait renforcer l’indépendance du procureur et la dépolitisation de la justice. Cependant, la fin du mandat du procureur devrait coïncider à celle du président ; le cas échéant, le procureur pourrait être choisi lors des joutes électorales pour un mandat de cinq (5) ans.
Le principe de l’autonomie financière et administrative du pouvoir judiciaire est négligé. Pour préserver son indépendance, il est conseillé que ce soit le Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire (CSPJ) lui-même qui défende son budget devant l’Assemblée nationale. Ce principe pourrait être appliqué à tous les départements ministériels.
Les magistrats sont destitués par le Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire pour manquement grave aux devoirs de leur charge ou à la suite d’une condamnation pénale définitive pour crime ou délit (Art. 177). La disposition de responsabilité personnelle des magistrats est saluée. Du reste, la constitution consacre le principe de l’inamovibilité, mais elle n’institue pas une immunité judiciaire pour faits et actes posés de bonne foi dans l’exercice de la magistrature. Ce silence constitutionnel suggère que le magistrat, contrairement aux députés, aux ministres et certains grands commis de l’Etat peuvent faire l’objet d’arrestation en dehors des procédures d’usage. La formule évoquée dans l’Art. 177 semble trop restreinte. Ils devraient jouir d’une immunité limitée, exclusivement fonctionnelle, consacrée par la constitution. Les procédures d’enlèvement d’une telle immunité révèleraient de la juridiction du CSPJ.
De la Cour Constitutionnelle
On se félicite de la création éventuelle d’une Cour constitutionnelle en Haïti, mais les mécanismes de son indépendance sont pour l’instant absents. La Cour Constitutionnelle exerce un contrôle juridictionnel constant par lequel elle veille à ce que la loi ne chevauche pas le cadre constitutionnel et démêle la loi du domaine règlementaire. Elle guidera le législateur dans la légifération en conformité à la Constitution. Grâce à la présence de la Cour, le législateur devra concilier la poursuite des objectifs légaux à l’exercice des libertés garanties par la Constitution. La Cour devrait avoir juridiction dans toutes matières ainsi que les matières non incluses dans le domaine de la loi. Son domaine semble être réservé à la loi, aux règlements, litiges électoraux, et le droit de statuer sur l’expulsion d’un ou des membres de l’Assemblée nationale.
La composition et la neutralité de la Cour constitutionnelle sont des facteurs essentiels pour le fonctionnement harmonieux du nouveau régime. Il est toutefois regrettable que le chef de l’État au même titre que le président de l’Assemblée nationale et celui de la Cour de cassation choisisse trois (3) des neuf membres de la Cour Constitutionnelle (art. 189). L’esprit d’écarter les députés de la gouvernance publique est manifeste. La constitution devrait permettre aux députés de ratifier le choix de l’Assemblée, si le cas y échet, elle devrait permettre au président de soumettre à l’Assemblée nationale l’ensemble des noms des membres devant constituer la Cour constitutionnelle aux fins de ratification. Dans la formule actuelle, le chef de l’État et le président de l’Assemblée peuvent concerter malicieusement pour manipuler la composition de la Cour, la dominer, et miner sa crédibilité créant ainsi une crise institutionnelle.
L’Assemblée des représentants pourrait élire les neuf membres parmi les propositions faites exclusivement par la présidence ou, à l’occasion, dans un vivier de 27 personnalités proposées selon l’ancienne formule impliquant les trois pouvoirs. Les députés doivent jouir les prérogatives basiques liées à la fonction parlementaire malgré les suspicions de conflits d’intérêts qui s’élèveraient. Après tout, ils seraient des élus, représentants du peuple. Il est déconseillé que la Constitution court-circuite l’Assemblée des députés et accorde des pouvoirs indus à son président. Cette anomalie dans le texte doit être remédiée.
Organismes constitutionnels indépendants : La Banque Centrale
Dans tout État-nation, certaines institutions gardent leur autonomie et intégrité, quelle que soit la nature du régime gouvernemental. Ces organes interviennent essentiellement en matière d’élections, droits de l’homme, développement durable, luttent contre la corruption, bonne gouvernance, Etc. Il est regrettable que la Constitution dépouille la Banque Centrale de son autonomie, et du coup, son intégrité. Il serait mieux de lui assigner un mandat spécifique au même titre que les Banques Centrales fonctionnelles. Par exemple la Banque Centrale américaine (Réserve fédérale) a pour mandat de promouvoir le plein emploi et la stabilité des prix ; la Banque de Japon est chargée de maintenir la stabilité des prix et celle du système financier ; la Banque Centrale jamaïcaine ainsi que celle de la République dominicaine sont chargées de maintenir la stabilité des prix. Contrairement à la BRH, les Banques Centrales disposent d’une mission spécifique, et dont l’accomplissement est mesurable. L’Art. 124 stipulant que la politique monétaire est déterminée par la Banque Centrale conjointement avec le ministère des Finances est irréfléchi et mal avisé. Avec cette disposition de déprédation institutionnelle, point n’est besoin d’avoir cette Banque Centrale dont l’action est d’ailleurs très inefficace. Présentement, la BRH ne dispose pas de mission spécifique, mais d’une liste de tâches ou d’aspirations assez floues. Il serait bon de remédier à cette maladresse institutionnelle.
Observation sur promotion du crédit
Il est louable que le constituant se penche sur la promotion du crédit. L’Art 67 stipule que l’État prend des mesures pour favoriser un accès égal de tous les citoyens au crédit et aux services financiers. De telles dispositions n’apparaissent pas généralement dans un texte constitutionnel, sauf si la constitution offre les instruments et les mécanismes de mise en œuvre d’une telle politique. La question qui se pose, naturellement, est de savoir si l’État va séquestrer les actifs bancaires et autres actifs financiers et les distribuer équitablement entre les citoyens ? Inutile, cette disposition devrait céder la place au chef de l’État et son équipe économique de déterminer la politique économique, et à la Banque Centrale, qui devrait conduire la politique monétaire, d’utiliser les instruments créatifs devant promouvoir le crédit.
Contrairement à la Constitution en vigueur, le projet de loi constitutionnelle traite des collectivités territoriales au niveau des dispositions générales (Arts. 242-266). Les stipulations relatives aux pouvoirs locaux et collectivités territoriales nous interpellent. Le projet de loi constitutionnelle raie un ensemble de postes électifs dans l’administration locale y compris l’Assemblée de la Section communale (ASEC), l’Assemblée municipale (AM), et l’Assemblée départementale (AD). Le conseil de la Section communale est remplacé par un Coordonnateur de la Section communale, et celui de la Commune par un Maire (Arts. 262 et 258). Les membres assesseurs desdits conseils sont supprimés. Cette approche responsabilisant le Coordonnateur de la Section communale et le Maire, allège le budget, et réduit les conflits locaux. La suppression des Assemblées rationalise la gouvernance locale et les ressources budgétaires.
Le projet de Constitution ne prévoit aucun mécanisme de remplacement du Coordonnateur de la Section communale ou du Maire en cas de vacances dument constatées ou d’empêchement définitif. La Cour Constitutionnelle pourrait jouer un rôle dans la destitution d’un Coordonnateur de la Section communale ou d’un Maire en cas de malversations, crimes, et délits découlant d’un jugement ayant atteint la force de la chose jugée.
Le Maire est assisté par une Assemblée municipale composée des Coordonnateurs des Sections communales. Cette structure homonyme à celle dans la Constitution en vigueur est différente autant dans sa composition que dans son fonctionnement. L’Assemblée municipale est un organe de délibération portant sur les affaires propres à la commune (Art. 258). Que se passera-t-il lorsque l’Assemblée municipale comporte un seul membre (Coordonnateur) dans le cas d’une commune à une seule section communale (La Victoire) ? Le travail municipal peut être empêché par un Coordonnateur exerçant un pouvoir constitutionnel démesuré.
Le projet de Constitution garantit explicitement « l’autonomie du Département et de la Commune » (Arts. 249 et 256), mais néglige celle de la Section communale. Il n’existe aucun article énonçant le principe de la décentralisation du pouvoir local. Le thème décentralisation figure uniquement dans les titres de certaines sections. D’ailleurs, le Conseil Interdépartemental est supprimé, anéantissant la représentation régionale dans les délibérations gouvernementales, et consacrant la recentralisation ou la présidentialisation de l’État. On déplore l’absence du principe de personne morale désignant droit et la capacité effective des Communes et des Sections communales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit des populations locales. La consécration d’un tel principe faciliterait la tâche à la Cour Constitutionnelle. Il convient d’aborder ces questions dans la Constitution et de ne pas les abandonner à une loi particulière.
L’Art. 260 prévoit une répartition de compétences de la Commune, et l’Art. 266 celle de la Section communale, mais néglige le principe de subsidiarité. L’absence du principe du transfert «de compétences » est regrettable. On déplore aussi l’absence d’un gage sur la règle de financement des collectivités locales qui exigerait que les ressources soient en adéquation avec les prérogatives qui leur sont attribuées par la loi. La Constitution ne consacre pas le pouvoir réglementaire des collectivités locales. Investir ces dernières du pouvoir règlementaire assorti de capacité de publier les arrêtés municipaux dans le Journal Officiel renforcerait leur statue et voie d’autorité.
La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif
La CSCCA est composée de neuf (9) membres, dont cinq choisis par le chef de l’État et quatre par le président de l’Assemblée nationale. Notamment, elle intervient dans la préparation du budget alors que son pouvoir de contrôle juridictionnel sur les collectivités territoriales ne figure pas, explicitement, dans le texte constitutionnel. La Constitution désempare l’Assemblée Nationale au profit de son président. Cette approche est délétère dans la mesure où elle minimise les représentants du peuple. Les neuf (9) membres de la CSCCA devraient être choisis par le chef de l’État et ratifiés par les députés.
Observations générales et remarques finales
Le projet de loi constitutionnelle fait des bonds considérables en termes d’innovations juridiques en renforçant l’équité de genre, les droits des Haïtiens vivants à l’étranger, la consécration ou création de super institutions, la délinéation entre la responsabilité personnelle et l’immunité jouie en raison de l’exercice de sa fonction. La Constitution proposée accorde une place prépondérante aux jeunes dans l’activité politique. Elle restaure le droit du souverain au référendum sur les questions lui étant importantes. Toutefois, les principes et les éléments essentiels à un système présidentiel tyrannique le caractérisent.
Le président exerce, presque sans contrepartie, l’ensemble des pouvoirs politiques. Il est maladroit de renvoyer la succession présidentielle à la Cour de cassation. Ce choix met en doute l’intégrité politique des juges voire l’administration saine de la justice en raison des conflits d’intérêts inhérents. Dans l’hypothèse où le président et le vice-président sont définitivement empêchés, le pouvoir politique doit être transféré à un organe politique, l’Assemblée nationale. Le juge qui souhaite exercer le pouvoir politique doit être démis de ses fonctions judiciaires et promouvoir ses idées à travers une campagne rigoureuse. De plus, le projet de constitution supprime le vote populaire en habilitant le conseil électoral à fixer un plafond de dépenses de campagnes et dont les contrevenants verront leur élection annulée.
L’Assemblée nationale existe seulement en théorie ; le quorum y est réduit à un tiers (1/3) alors que pour faire objections à la majorité des demandes présidentielles, la constitution demande une super majorité, soit les deux tiers (2/3) des membres de l’Assemblée. Ainsi, le passage d’une loi est une simple convenance alors qu’il est, en pratique, impossible d’opposer un refus au président. Il n’est pas nécessaire d’avoir une assemblée symbolique au vu de ses implications budgétaires. L’Assemblée devient sans objet, même le budget national peut-être adopté en conseil de ministres à défaut de l’assentiment parlementaire. Le contrôle parlementaire est superficiel et n’aboutit pas à un vote de censure des ministres.
Bâclé, le projet de loi constitutionnelle n’est pas en état d’être sanctionné par le souverain. Il est truffé de lacunes et d’incohérences dont la codification causerait des torts énormes à la nation. L’adoption du texte constitutionnel en l’état, eu égard à ses failles et la doctrine d’obscurantisme présidentiel qu’elle établit exigera un remaniement imminent pour une véritable législation politique. Elle codifie la tyrannie présidentielle qui provoquera la révolte contre le despotisme et la nécessité de faire briser les chaînes d’un pouvoir individuel. Elle peut constituer une source d’instabilité politique par excellence en raison du fait qu’elle n’est pas fondée sur l'intelligence des vrais principes éprouvés de la morale législative.
Les membres de la Commission constituante doivent prendre le temps d’analyser leur méthodologie de travail. Le texte présent mérite d’être soigné pour atteindre la solennité de nos textes constitutionnels antérieurs. Le style du texte est trop prosaïque pour mériter le statut de Constitution haïtienne. Dans l’hypothèse où les points soulevés suscitent un débat trop long, au lieu de s’embarquer dans une course contre la montre, il serait mieux d’adopter le texte constitutionnel amendé par la Commission Cary Hector, déposé au parlement haïtien en 2010 (et modifié, hors-assemblée, dans des circonstances peu claires). Le texte de 2010 pourrait subir des modifications raisonnables en fonction des enjeux en cours.
Professeur Agrégé en Finance
Dept. of Business, Management, and Accounting
University of Maryland Eastern Shore
Engineering Aviation Science Complex - Room 2060
Princess Anne, Maryland 21853
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