Les IDE dans la Caraïbe : Haïti est-elle pénalisée pour être trop corrompue?
(Le Matin, N0 33037. Mardi 29 juillet 2008)
Par Guichard DORE
Désarmée et incapable de trouver les solutions aux problèmes qui la tracassent, Haïti continue à envoyer des images hideuses, obtenir des notes négatives et occuper des places peu élogieuses dans les études et comparaisons internationales. Ces places peu prestigieuses ont des incidences sur la santé économique du pays. Elles nuisent à l'attractivité du territoire national, entravent les investissements directs étrangers (IDE) et placent le pays dans une situation critique au moment où les gouvernements de la Caraïbe s'activent pour diversifier leurs économies, attirer les capitaux étrangers et polir l'image de leurs pays auprès des investisseurs[1] internationaux après que celle-ci eut été sensiblement détériorée au cours de ces dernières années (crise politique en République Dominicaine, affrontements armés à la Jamaïque).
Un pays qui tombe
Au cours de ces 20 dernières années, l'économie nationale affiche une performance peu satisfaisante. Cette performance, signalée dans certains rapports[2] d'envergure internationale, est, en grande partie, le résultat de l'application d'une politique économique avec petit ''p'', de l'absence d'une vision managériale et stratégique de l'Etat, d'une méconnaissance caractérisée de notions de compétition territoriale structurant la vie des Etats dans une aire géoéconomique donnée et de non application des mécanismes de l'intelligence économique comme infrastructure d'une économie fondée sur la connaissance. Haïti est le mauvais élève de la région en ce qui attrait aux investissements directs étrangers. Le potentiel attractif du pays est en chute libre depuis quelques années et le renversement de cette situation semble n'être pas pour demain à moins d'une relève générationnelle en 2012. Haïti (perle des Antilles) n'est plus le centre de gravité économique de la Caraïbe et l'auréole dont elle aurait pu bénéficier avec les événements de la célébration du bicentenaire de Port-au-prince s'est éteinte. La République Dominicaine qui avait le même PIB que Haïti il y a moins de 50 ans, la devance aujourd'hui parce que l'école managériale a pris le pas sur l'école littéraire en territoire voisin. Et dans leur progression vers la frontière technologique, les Dominicains observent les Haïtiens dans leurs grimaces, leurs turpitudes politiques et verbalismes sans fondement.
Des capitaux productifs étrangers en régression
En moyenne annuelle, pour les trois décennies comprises entre 1970 et 2000, Haïti a reçu environ $ 7 millions américains en investissements directs étrangers (IDE). Les flux d'IDE en Haïti semblent être liés à la conjoncture et à la stabilité du système politique. En pleine dictature de Duvalier, les IDE affichaient une tendance à la hausse. Ils sont passés de $ 7,8 millions pour les années 1970-1975 à $ 37,8 millions cours de la période 1976-1979 pour atteindre la somme de $ 46,2 millions à la fin de la présidence de Jean-Claude Duvalier. La période dictatoriale de Jean Claude Duvalier semblait être plus propice à l'investissement direct étranger qu'à la période baptisée de transitions démocratiques. Le capital préfère-t-il la dictature aux transitions démocratiques? La progression des IDE en Haïti s'est stoppée au milieu de la décennie 1980. Ils ont reculé de l'ordre de 19%, soit $ 8,8 millions pour la période 1986-1990. Et par rapport aux années 1980-1985, les investissements directs étrangers ont chuté de l'ordre de 90%. Ces fléchissements sont dus aux compétitions territoriales dans la Caraïbe pour attirer les IDE, à la peur bleue des Haïtiens pour les réformes macroéconomiques et institutionnelles, à l'incompétence et au manque de vision de certains décideurs politiques, aux crises politiques stériles et égoïstes, à la mauvaise gouvernance, à la dégradation de l'image du pays à l'étranger et à la primauté des pratiques traditionnelles sur la pensée managériale et stratégique dans la conduite des affaires de l'Etat. Le secteur touristique est l'un des secteurs qui sont victimes de la désaffection des fonds d'investissement et de l'image négative du pays à l'étranger. La période 1986-1995 est la période au cours de laquelle plusieurs entreprises multinationales et étrangères ont laissé le pays (Club med, Air France, Banque Nationale de Paris ect) et la reprise de certaines institutions financières par des investisseurs locaux.
Les IDE en Haïti en millions de dollars américains pour les périodes de 1970 à 1999
Tableau construit à partir des données de World Bank Indicators 2002
Pour la période 1998-2003, les entrées d'IDE en Haïti n'ont pas dépassé la valeur de 30 millions dollars en rythme annuel. Les deux années (1998-1999) au cours desquelles, le pays a enregistré une relative stabilité politique, les entrées d'IDE ont connu une progression remarquable par rapport à la période de crise politique larvée et d'embargo économique et financier. De $ 4,6 millions pour la période 1991-1995, les entrées d'IDE se sont élevées à $ 11 millions en 1998 pour atteindre la somme de $ 30 millions en 1999. Suite aux conflits politiques nés de la contestation des résultats des élections législatives de mai 2000 par l'opposition, les entrées d'IDE ont chuté pour atteindre le niveau plancher de $ 4 millions américains. Cette somme est nettement inférieure aux IDE reçus par le pays à la période d'embargo (1991-1994). Le flux des entrées d'IDE observé durant la période 1996-1999 est du au nouveau contexte sociopolitique et économique marqué par : les timides réformes initiées au niveau de l'appareil de l'Etat, la privatisation des entreprises publiques, libéralisation du marché de la téléphonie. La libéralisation du secteur de la télécommunication a permis l'installation des nouveaux opérateurs privés sur le marché et la création de nouveaux emplois. La ''revitalisation'' des entrées d'IDE dans le pays avant la crise de l'année 2000 était bénéfique pour les secteurs du textile, des industries de transformation (Minoterie, cimenterie). Elle n'a pas été un accélérateur occasionnant des investissements dans le tourisme et les autres filières porteuses. Les groupes étrangers ont des projets et sont intéressés au tourisme haïtien selon le Ministère du tourisme mais la conjoncture et les incertitudes sur le pays leur contraignent à reporter leurs investissements, il semble que le groupe Hilton est intéressé au marché touristique haïtien. La note du Ministère de l'Économie et des Finances est claire « déjà, une convention a été signée entre l'État Haïtien et un groupe d'entrepreneurs pour la construction d'un hôtel de 265 chambres [qui] devait être géré par la chaîne Hilton. Ce projet est estimé à 40 millions de USD »[3]. Plusieurs hectares, dit-on, étaient déjà disponibles pour la réalisation de ce projet touristique. La crise politique et les incertitudes sur le pays ont porté ces entrepreneurs courageux à envoyer aux calendres grecques cette initiative.
Entrées d'IED pour Haïti et certaines îles de la Caraïbe 199862003 en millions dollars
Sources : UNCTAD cité par Jean Baptiste[4] Des pays qui gagnent Si la situation est morose en Haïti et fait grise mine à certains investisseurs, ce n'est pas le cas pour la République Dominicaine. La partie orientale de l'île d'Hispaniola est très attractive. La République Dominicaine est le territoire de la région qui a reçu, en valeur absolue, les entrées d'IDE les plus importantes. Les crises politiques qu'a connues la République Dominicaine au cours de la décennie 1990 ne dissuadent pas les investisseurs étrangers sur le potentiel et l'attractivité de ce pays. De $ 487,9 pour la période 86-90, les entrées d'IDE en République Dominicaine sont passées à $ 1 135,1 millions au cours des années 91-95 pour se stabiliser à $ 2 554,7 millions pour la période 1996-1999. La Jamaïque a enregistré des entrées d'IDE plus faibles que la République Dominicaine mais plus fortes que celles d'Haïti. Pour les périodes 1986-1990 et 1991-1995, les entrées d'IDE de la Jamaïque étaient respectivement de l'ordre de $231,8 millions et $ 630,6 millions IED en millions de dollars américains pour trois pays de la Caraïbe
Source :World Bank Indicators 2002
Palmarès de la corruption et entrées d'IDE
Les pays de la Caraïbe sont perçus comme des pays corrompus. Sur l'échelle de perceptions de la corruption de Transparency International[5] en 2004, Haïti a obtenu la note de 1,5 et placée à la dernière place soit 145ème sur 145 pays. La République Dominicaine a obtenu la note de 2,9 et située à la 89ème place soit un écart de 66 places par rapport à Haïti. La Jamaïque est considérée comme moins corrompue que la République Dominicaine, elle a obtenu la note de 3.3 et occupé la 74ème place. Avec une note de 7,3 et cantonnée à la 21ème place, la Barbade est perçue comme étant moins corrompue que la Jamaïque. Occupant la 133ème place du classement sur un total de 133 pays en 2003, Haïti est perçue comme un pays où la corruption est endémique et pour la récompenser, elle a reçu en investissements directs étrangers $ 6 millions américains pour l'année 2003. La République Dominicaine, avec une note en dessous de la moyenne de l'échelle de perceptions de la corruption, se situe à la 70ème place et ses entrées en IDE se sont soldées à $ 310 millions en 2003, soit une baisse de 248,1% par rapport à 2001. La Jamaïque est également en dessous de l'échelle de l'indice composite de Transparency International, elle a occupé la 57ème place et enregistré comme entrées d'IDE la somme de $ 520 millions, soit un fléchissement de 18,1% par rapport à ses performance en 2001. La corruption est un frein aux IDE
Un pays, obtenant des notes négatives consécutives l'éloignant de la moyenne de l'indice de perceptions de la corruption (IPC) et possédant des infrastructures de base limitées ou défaillantes, a de fortes probabilités pour enregistrer de faibles entrées en investissements directs étrangers. Un pays, se positionnant négativement de façon consécutive sur l'échelle d'IPC et n'obtenant pas de note annuelle dépassant le tiers de la moyenne (5) de l'IPC, apparaît comme un pays qui évolue dans une situation de corruption endémique. La corruption est une entrave à la liberté d'entreprise et a de fâcheux impacts sur le développement socioéconomique des pays qui y évoluent. Un pays noté négativement sur l'échelle de perceptions de la corruption a d'énormes efforts à déployer pour convaincre les investisseurs et attirer les capitaux étrangers.
Indice de perceptions de la corruption pour certains pays de la Caraïbe
La République Dominicaine, perçue comme corrompue en 2002 (IPC : 3,5) et plus corrompue en 2003 (IPC : 3,3), a vu ses entrées d'IDE passer de $917 millions en 2002 à $ 310 millions en 2003 soit un fléchissement des investissements directs étrangers de l'ordre de 66,2% par rapport à 2002. La Jamaïque s'est décrochée en 2003 avec un IPC (3,8) inférieur à la note qu'elle a obtenue en 2002 (IPC : 4). Les fluctuations de la Jamaïque sur l'échelle de perceptions ne la place pas en dessous du tiers de la moyenne de l'indice de Perceptions de la corruption. Ces fluctuations, qui n'atteignent pas la position critique d'Haïti, n'empêchent pas au pays de reggae d'engranger des entrées de l'IDE de l'ordre de $ 520 millions soit une progression de 8,6% à 2002. La relation entre une notation négative inférieure à la moyenne de l'indice de perceptions de la corruption, des infrastructures de bases déficientes et le faible investissement direct étranger est vérifiée pour Haïti. Avec un IPC de 2,2 en 2002, Haïti a enregistré $ 6 millions comme investissement direct étranger. Son IPC est détérioré en 2003 avec une notation négative (1,5), elle a reçu seulement la somme de $ 8 millions comme entrées en IDE. Toute proportion gardée, la Trinité et Tobago sont perçues comme le pays le moins corrompu de la région. Avec un indice de perceptions de la corruption de 4,6 en 2003, les Trinidadiens ont obtenu des entrées de l'IDE de l'ordre de 616 millions dollars américains soit une diminution de l'ordre 28,4% par rapport à 2001. En 2007, la République dominicaine est classé au 99ème rang sur 179 pays et les entrées en investissements directs étrangers pour l'année 2008 sont estimées à 2 milliards de dollars américains
La lutte contre la corruption ne doit pas une politique verbale et temporaire. Un gouvernement républicain ne peut tolérer que des gens détournent les fonds publics et pratiquent les trafics d'influence en privant l'État des ressources importantes. La corruption est un handicap à l'investissement productif, elle est génératrice de violence, hypothèque l'avenir des générations futures et met en péril le fondement de l'État. [1] DEBLOCK C. (nov. 2004). Les investissements dans le monde : la place des Amériques, Observation des Amériques, Chroniques des Amériques, n0 36. http://www.ieim..uqam.ca/spip.php?page=article-cein&id_article=1096-19k
[2] Le classement de la facilité pour faire des affaires de Doing Business 2007, 2008- Le groupe Banque Mondiale http://français.doingbusiness.org../ExploreEconomies/?economyid, consulté le 27 juin 208. Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, République D'Haïti (nov.2007). Document de stratégie nationale pour la Croissance et la réduction de la pauvreté, DSNCRP, (2008-2011). Pour réussir le saut qualitatif. [3] Gouvernement de la République D'Haïti, Ministère de l'Economie et des Finances (s.d.). Stratégie à moyen terme, (2002-2006), p.15. [4] JEAN BAPTISTE B. (s. d.). Mauvaise gouvernance et faibles investissements directs étrangers en Haïti, bonny.jeanbaptiste@au.ac.be, bonyjanbatiste@hotmail.com, p.32. [5] Transparency International est une organisation de la société civile qui réalise chaque année un rapport sur la perception de la corruption au niveau mondial. http://www.transparency.org |
jeudi 10 septembre 2009
Haïti est-elle pénalisée pour être trop corrompue?
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