Conjonction/Lancement d'une nouvelle publication :
Publié le : 13 mai 2014
Conjonction, la revue franco-haïtienne de l'Institut français en Haïti, a procédé lundi au lancement de son 225e numéro, dédié à la « Presse en Haïti, son passé et son présent ». L'occasion pour cette revue, fondée en 1946, de présenter un panel composé de ténors de cette presse comme Frantz Duval, Gotson Pierre, Clarens Renois et Hérold Jean-François, pour débattre des questions relatives notamment à son histoire, ses déboires et ses défis.
Dans une sorte de parallèle entre la période d'avant 1986, époque à laquelle la presse était bâillonnée en Haïti, et l'après-1986, plus particulièrement après la chute de Jean-Claude Duvalier à nos jours, les panélistes ont quasiment tout abordé sur le sujet devant un auditoire composé, entre autres, de personnalités diplomatiques, d'écrivains, de journalistes et d'universitaires intéressés par la question. Au cours de leur intervention, ils ont fait ressortir les grands changements enregistrés dans ce secteur en Haïti, dont l'évolution « fulgurante » du nombre des médias, l'introduction du créole dans les médias et le passage de l'analogique au numérique qui transforme le métier et facilite la production médiatique sur le plan international. La question de la qualité de la production médiatique ainsi que des journalistes et des écoles de journalisme a également été au centre de ces débats.
Faisant un survol historique de la presse haïtienne, le correspondant de l'Agence France presse (AFP), en Haïti, Clarens Renois, a fait remarquer qu'en 1985, à la veille de la chute de Duvalier, il n'y avait qu'une dizaine de stations de radio à Port-au-Prince, deux seules chaînes de télévision et peu de journalistes. Entre 1986 et 2014, explique-t-il, on a un millier de journalistes travaillant dans les médias, une dizaine de stations de radio, on passe actuellement à 52 stations de radio et 36 chaînesde télévision seulement à Port-au-Prince.
D'après lui, cette « explosion » du nombre de médias et de journalistes peut être vue de manière positive ou négative. Tout en sachant que la qualité du contenu des médias n'est plus ce qu'elle était avant, Clarens Renois a préféré voir le côté positif de la situation. Pour lui, le nombre fait la force de la presse aujourd'hui. « Parce qu'avec ce nombre de médias et de journalistes, aucun gouvernement n'ose attaquer aujourd'hui les médias ni les journalistes... »
Déplorant la faible qualité du contenu des médias d'aujourd'hui, le directeur fondateur de Radio Ibo, Hérold Jean-François, trouve que c'est dommage que la presse écrite ait été réduite à un seul quotidien, Le Nouvelliste. Comparant la presse d'aujourd'hui et celle d'avant, il a attribué cette régression de la production médiatique à ce qu'il appelle « l'avènement du créole dans les médias ». « Avec l'introduction du créole comme langue d'expression dans les médias, on est arrivé à une dérégulation dans les médias, a argué M. Jean-François. Avant, il fallait intervenir en français au micro, à partir de 1986, avec la nouvelle génération de journalistes qu'on pourrait appeler génération spontanée – on pourrait même dire qu'il s'agit d'une génération de journalistes « Loray kale », n'importe qui, avec un magnétophone qui couvre une manifestation publique, est réputé journaliste. »
Pour Gotson Pierre, qui figure parmi les 100 héros de l'information depuis fin avril 2014 par Reporters sans frontières (RSF), l'histoire de la presse et des médias, ici comme ailleurs, est marquée par une suite de ruptures. Il a souligné l'apport de la technologie qui a complètement changé le paysage des médias. Ajouté aux changements précités observés dans la presse, il y a aussi le changement capital de l'analogie au numérique qui, selon M. Pierre, transforme le métier au niveau international, même en Haïti.
Par ailleurs, il invite les journalistes à ne pas tomber dans la facilité, c'est-à-dire à éviter de se contenter à aller sur les réseaux sociaux dans le processus de production de l'information, et de prendre le temps « de vérifier et de revérifier et de contextualiser une information avant de la diffuser ou publier ».
Contrairement à Hérold Jean-François, le rédacteur en chef de Le Nouvelliste, Frantz Duval, de son côté, n'attribue pas la régression de la production médiatique ou de la qualité des journalistes à l'introduction du créole dans les médias. « Ce n'est pas une histoire de créole ou de français, poursuit-il, mais l'histoire de la décadence du contrôle de la connaissance en Haïti. Nous avons échoué à perpétuer des choses qui se faisaient dans ce pays. En réalité, la décadence d'Haïti passe par cette décadence de la presse, de la presse écrite qui est morte. La presse écrite est morte parce qu'on a arrêté de réfléchir. »
Plus loin, l'éditorialiste se dit inquiet de « ce désert » [de production] dans lequel évolue Le Nouvelliste. « Parce que l'université n'a pas de revue, les partis politiques non plus, les associations de professionnels qui n'existent même pas ne publient pas. Il est très difficile de trouver des spécialistes pour parler d'un sujet quelconque. On n'a de statistiques sur presque rien. »
Frantz Duval croit, par ailleurs, que c'est une bonne chose que les jeunes veulent devenir journalistes et qu'il y a autant de médias dans le pays. « Il ne faut pas se plaindre de tout ça, indique-t-il. On doit tout simplement, de temps à autre, se poser la question sur la valeur de la formation dispensée dans toutes les écoles de journalistes qui poussent comme des champignons.
S'il sera difficile pour un gouvernement de mettre fin à la liberté de la presse, M. Duval croit que la presse elle-même peut tuer sa liberté. « Parce que les associations de journalistes et de médias ne font pas leur travail, avance-t-il. Ce jugement des pairs, ce contrôle sur le contenu des pairs ne se fait pas non plus. Ces derniers doivent pouvoir faire de temps à autre une réunion à l'interne pour dire attention ! ce chemin que nous prenons n'est pas le meilleur. On doit le faire pour protéger la corporation. »
Questionné sur leur idée de l'avenir de la presse en Haïti, par la modératrice de la conférence, Emmelie Prophète, Clarens Renois se dit inquiet quant à l'avenir de la presse haïtienne. Il exprime son inquiétude par la déperdition qu'il observe dans le secteur. « Les journalistes ne restent pas cinq ans dans le métier. Ils s'en vont au bout de trois ans, s'ils ne réussissent pas à obtenir un salaire plus ou moins acceptable. Le temps qu'ils trouvent un visa ou un nouveau travail, ils s'en vont. »
Pour Hérold Jean-François, qui avoue ne pas recruter des stagiaires mais des journalistes, cette déperdition n'est pas inhérente à la presse, mais à tous les secteurs du pays. Tandis que Gotson Pierre estime qu'il y a beaucoup de possibilités de construire un avenir différent dans le secteur. Pour cela, dit-il, « il faudra institutionnaliser encore plus, donner une place à l'éthique et mieux organiser la formation. L'autorégulation est aussi une voie ». Quant au rédacteur en chef du seul quotidien du pays, il conseille aux journalistes de faire attention à « l'ère du divertissement, de l'amusement qui est le courant presque dominant dans les médias ces jours-ci et qui remplace la réflexion avec beaucoup de facilité ».
Bertrand Mercéus
mbertrand@lenouvelliste.com
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/130982/Un-regard-sur-la-presse-haitienne.html
Publié le : 13 mai 2014
Conjonction, la revue franco-haïtienne de l'Institut français en Haïti, a procédé lundi au lancement de son 225e numéro, dédié à la « Presse en Haïti, son passé et son présent ». L'occasion pour cette revue, fondée en 1946, de présenter un panel composé de ténors de cette presse comme Frantz Duval, Gotson Pierre, Clarens Renois et Hérold Jean-François, pour débattre des questions relatives notamment à son histoire, ses déboires et ses défis.
Dans une sorte de parallèle entre la période d'avant 1986, époque à laquelle la presse était bâillonnée en Haïti, et l'après-1986, plus particulièrement après la chute de Jean-Claude Duvalier à nos jours, les panélistes ont quasiment tout abordé sur le sujet devant un auditoire composé, entre autres, de personnalités diplomatiques, d'écrivains, de journalistes et d'universitaires intéressés par la question. Au cours de leur intervention, ils ont fait ressortir les grands changements enregistrés dans ce secteur en Haïti, dont l'évolution « fulgurante » du nombre des médias, l'introduction du créole dans les médias et le passage de l'analogique au numérique qui transforme le métier et facilite la production médiatique sur le plan international. La question de la qualité de la production médiatique ainsi que des journalistes et des écoles de journalisme a également été au centre de ces débats.
Faisant un survol historique de la presse haïtienne, le correspondant de l'Agence France presse (AFP), en Haïti, Clarens Renois, a fait remarquer qu'en 1985, à la veille de la chute de Duvalier, il n'y avait qu'une dizaine de stations de radio à Port-au-Prince, deux seules chaînes de télévision et peu de journalistes. Entre 1986 et 2014, explique-t-il, on a un millier de journalistes travaillant dans les médias, une dizaine de stations de radio, on passe actuellement à 52 stations de radio et 36 chaînesde télévision seulement à Port-au-Prince.
D'après lui, cette « explosion » du nombre de médias et de journalistes peut être vue de manière positive ou négative. Tout en sachant que la qualité du contenu des médias n'est plus ce qu'elle était avant, Clarens Renois a préféré voir le côté positif de la situation. Pour lui, le nombre fait la force de la presse aujourd'hui. « Parce qu'avec ce nombre de médias et de journalistes, aucun gouvernement n'ose attaquer aujourd'hui les médias ni les journalistes... »
Déplorant la faible qualité du contenu des médias d'aujourd'hui, le directeur fondateur de Radio Ibo, Hérold Jean-François, trouve que c'est dommage que la presse écrite ait été réduite à un seul quotidien, Le Nouvelliste. Comparant la presse d'aujourd'hui et celle d'avant, il a attribué cette régression de la production médiatique à ce qu'il appelle « l'avènement du créole dans les médias ». « Avec l'introduction du créole comme langue d'expression dans les médias, on est arrivé à une dérégulation dans les médias, a argué M. Jean-François. Avant, il fallait intervenir en français au micro, à partir de 1986, avec la nouvelle génération de journalistes qu'on pourrait appeler génération spontanée – on pourrait même dire qu'il s'agit d'une génération de journalistes « Loray kale », n'importe qui, avec un magnétophone qui couvre une manifestation publique, est réputé journaliste. »
Pour Gotson Pierre, qui figure parmi les 100 héros de l'information depuis fin avril 2014 par Reporters sans frontières (RSF), l'histoire de la presse et des médias, ici comme ailleurs, est marquée par une suite de ruptures. Il a souligné l'apport de la technologie qui a complètement changé le paysage des médias. Ajouté aux changements précités observés dans la presse, il y a aussi le changement capital de l'analogie au numérique qui, selon M. Pierre, transforme le métier au niveau international, même en Haïti.
Par ailleurs, il invite les journalistes à ne pas tomber dans la facilité, c'est-à-dire à éviter de se contenter à aller sur les réseaux sociaux dans le processus de production de l'information, et de prendre le temps « de vérifier et de revérifier et de contextualiser une information avant de la diffuser ou publier ».
Contrairement à Hérold Jean-François, le rédacteur en chef de Le Nouvelliste, Frantz Duval, de son côté, n'attribue pas la régression de la production médiatique ou de la qualité des journalistes à l'introduction du créole dans les médias. « Ce n'est pas une histoire de créole ou de français, poursuit-il, mais l'histoire de la décadence du contrôle de la connaissance en Haïti. Nous avons échoué à perpétuer des choses qui se faisaient dans ce pays. En réalité, la décadence d'Haïti passe par cette décadence de la presse, de la presse écrite qui est morte. La presse écrite est morte parce qu'on a arrêté de réfléchir. »
Plus loin, l'éditorialiste se dit inquiet de « ce désert » [de production] dans lequel évolue Le Nouvelliste. « Parce que l'université n'a pas de revue, les partis politiques non plus, les associations de professionnels qui n'existent même pas ne publient pas. Il est très difficile de trouver des spécialistes pour parler d'un sujet quelconque. On n'a de statistiques sur presque rien. »
Frantz Duval croit, par ailleurs, que c'est une bonne chose que les jeunes veulent devenir journalistes et qu'il y a autant de médias dans le pays. « Il ne faut pas se plaindre de tout ça, indique-t-il. On doit tout simplement, de temps à autre, se poser la question sur la valeur de la formation dispensée dans toutes les écoles de journalistes qui poussent comme des champignons.
S'il sera difficile pour un gouvernement de mettre fin à la liberté de la presse, M. Duval croit que la presse elle-même peut tuer sa liberté. « Parce que les associations de journalistes et de médias ne font pas leur travail, avance-t-il. Ce jugement des pairs, ce contrôle sur le contenu des pairs ne se fait pas non plus. Ces derniers doivent pouvoir faire de temps à autre une réunion à l'interne pour dire attention ! ce chemin que nous prenons n'est pas le meilleur. On doit le faire pour protéger la corporation. »
Questionné sur leur idée de l'avenir de la presse en Haïti, par la modératrice de la conférence, Emmelie Prophète, Clarens Renois se dit inquiet quant à l'avenir de la presse haïtienne. Il exprime son inquiétude par la déperdition qu'il observe dans le secteur. « Les journalistes ne restent pas cinq ans dans le métier. Ils s'en vont au bout de trois ans, s'ils ne réussissent pas à obtenir un salaire plus ou moins acceptable. Le temps qu'ils trouvent un visa ou un nouveau travail, ils s'en vont. »
Pour Hérold Jean-François, qui avoue ne pas recruter des stagiaires mais des journalistes, cette déperdition n'est pas inhérente à la presse, mais à tous les secteurs du pays. Tandis que Gotson Pierre estime qu'il y a beaucoup de possibilités de construire un avenir différent dans le secteur. Pour cela, dit-il, « il faudra institutionnaliser encore plus, donner une place à l'éthique et mieux organiser la formation. L'autorégulation est aussi une voie ». Quant au rédacteur en chef du seul quotidien du pays, il conseille aux journalistes de faire attention à « l'ère du divertissement, de l'amusement qui est le courant presque dominant dans les médias ces jours-ci et qui remplace la réflexion avec beaucoup de facilité ».
Bertrand Mercéus
mbertrand@lenouvelliste.com
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/130982/Un-regard-sur-la-presse-haitienne.html
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RESEAU CITADELLE : LE COURAGE DE COMBATTRE LES DEMAGOGUES DE DROITE ET DE GAUCHE , LE COURAGE DE DIRE LAVERITE!!!
"You can fool some people sometimes, (
But you can't fool all the people all the time."
Vous pouvez tromper quelques personnes, parfois,
Mais vous ne pouvez pas tromper tout le monde tout le temps.
) dixit Abraham Lincoln.
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