lundi 24 juin 2019

Recherches sur les causes profondes de la crise de société en Haiti —#LeReCit

Recherches sur les causes profondes de la crise de société en Haiti — 1ère victime de la globalisation.- Les dégâts de l’ultra-libéralisme économique et de l’individualisme radical !

[ L’une des causes des crises économiques du monde actuel, c’est que la gauche qui autrefois faisait du libéralisme sociétal tout en promouvant une vision économique socialiste, s’est convertie totalement au libéralisme économique (de droite) mondialisé. Conséquence, nous sommes tous exposés aux excès du marché; et dans un pays à État fragile comme Haiti, dominé par des élites cyniques douées d’une morale de piraterie, les conséquences prennent l’ampleur de catastrophe humanitaire. L’extermination des cochons créoles au début des années 80s, l’ouverture du marché haitien aux produits agricoles étrangers, les recommandations du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale contre l’intervention de l’État au profit des couches les plus défavorisées sont des éléments du credo libéral enseigné dans les grandes universités du monde, ces règles sacrées inviolables qui rend insensible et empêchent aux “expertocrates” de considérer la souffrance des pauvres.
Alors qu’aujourd’hui, plusieurs intellectuels se disant antilibéraux remettent en question ces diktats qui ont destructuré les État-nations et promettent “de restaurer le commun et le bien commun” (le holisme) au coté du privé, nous vous invitons à réfléchir sur la réalité haïtienne, à partir de la lecture des extraits du Livre de Alain Benoist : Contre le Libéralisme, la société n’est pas un marché. #LeReCit ]



Extraits :

…par la pulsion individualiste, la modernité se caractérise au premier chef comme le processus par lequel les groupes de parenté ou de voisinage, et les communautés plus larges, se désagrégeront progressivement pour “libérer l’individu”, c’est-à-dire en fait pour dissoudre tous les rapports (non marchands) organiques de solidarité. (p.56)

…l’homme est posé comme un être producteur et consommateur, égoïste et calculateur, qui visent toujours et uniquement à maximiser rationnellement son utilité, c’est-à-dire son meilleur intérêt matériel et son profit privé. Cette thèse fait de l’homme un être de calcul et d’intérêt. Le modèle est celui du négociant au marché : c’est l’homo oeconomicus. La société, dès lors, ne consiste qu’en une série de rapports de marché. (p.57)

Comme l’écrit Gérald Berthoud, “ La société peut alors se concevoir à partir d’une théorie formelle de l’action finalisée. La relation coût-bénéfice est ainsi le principe qui mène le monde”. Tout devient facteur de production et de consommation, tout est censé résulter de l’ajustement spontané de l’offre et de la demande. Toute chose vaut ce que vaut sa valeur d’échange, mesurée par son prix. Et parallèlement, tout ce qui ne peut s’exprimer en termes quantifiables et calculables est tenu pour sans intérêt ou pour inexistant. Le discours économique s’avère ainsi profondément réificateur des pratiques sociales et culturelles, profondément étranger à toute valeur qui ne s’exprime pas en termes de prix. Réduisant tous les faits sociaux en univers de choses mesurables, il transforme finalement les hommes eux-mêmes en choses - en choses substituables et interchangeables au regard de l’argent. (p.71-72)

Le libéralisme, ayant étendu son pouvoir, promeut désormais une “société civile” assimilée à la seule sphère privée et dénonce l’influence “hégémonique” du secteur public, ce qui l’amène à plaider pour la fin du monopole étatique sur la satisfaction des besoins collectifs et pour l’extension des modes de régulation intra-sociétaux de nature marchande.

Alors que le marché avait été porté et institué par l’État-nation, l’antagonisme entre le libéralisme et le “secteur public” ira dès lors grandissant. Les libéraux ne cesseront de tonner contre l’État-providence, sans réaliser que c’est l’extension même du marché qui a rendu inévitables des interventions étatiques toujours accrues. L’homme dont la force de travail est abandonnée au seul jeu du marché est en effet vulnérable, car il peut arriver que, sur le marché, sa force de travail ne trouve pas preneur, ou même qu’elle ne vaille rien. L’individualisme moderne, à cette date, a déjà largement détruit les relations organiques de proximité, qui étaient avant tout des relations d’entraide et de solidarité réciproques, faisant disparaitre du même coup les anciennes formes de protection sociale. S’il régule l’offre et la demande, le marché ne régule pas les relations sociales, mais au contraire les désorganise, ne serait-ce que parce qu’il ne tient pas compte de l’existence d’une demande non solvable. L’essor de l’État-Providence devient alors une nécessité, puisqu’il est le seul à pouvoir corriger les déséquilibres les plus criants, à pouvoir atténuer les détresses les plus évidentes.

L’État-Providence a été la réponse apportée à la montée de l’individualisme qui a progressivement ruiné l’insécurité sociale et à compenser certaines inégalités, au triple risque d’aggraver encore l’atomisation sociale, de transformer les allocataires en assistés et de se retrouver confronté à un insoluble problème de financement. C’est la raison pour laquelle, comme l’a bien montré Karl Polanyi, chaque fois que le libéralisme a paru s’imposer, on a paradoxalement assisté à un surcroit d’interventions étatiques rendues nécessaires par les dégâts causés dans le tissu social par la logique du marché.

“ À défaut d’une paix sociale relative par l’État-Providence, observe Alain Caillé, l’ordre de marché aurait été balayé purement et simplement”. C’est cette synergie du marché et de l’État qui a longtemps caractérisé le système fordiste “La protection sociale, conclut Polanyi, est l’accomplissement obligé du marché autorégulateur”.

Dans la mesure où ses interventions visent à compenser les effets destructeurs du marché, l’État-Providence freine d’une certaine façon la “marchandisation” de la vie sociale. Cependant, il ne peut pas se substituer intégralement aux formes de protection communautaire qui se sont effondrées sous l’effet du développement industriel, de la montée de l’individualisme et de l’expansion du marché. Par rapport à ces anciennes formes de protection sociale, il présente en effet des caractéristiques qui sont autant de limitations des bénéfices qu’il peut apporter. Alors que les anciennes solidarités reposaient sur un échange de prestations mutuelles qui impliquait la responsabilité de tous, il pousse à la déresponsabilisation et transforme les sociétaires en assistés — le libéralisme ayant dès lors beau jeu de dénoncer la montée de l’“assistanat”. Alors que les anciennes solidarités s’inscrivaient dans un réseau de relations concrètes, il se présente comme une machinerie abstraite, anonyme et lointaine, dont on attend tout en pensant ne rien lui devoir. La substitution aux anciennes solidarités, immédiates, d’une solidarité impersonnelle, extérieure et opaque, est donc loin d’être satisfaisante. Elle est au contraire à la source de la crise actuelle de l’État-Providence qui, de par sa nature même, semble voué à ne pouvoir — et financièrement de plus en plus ruineuse — parce que sociologiquement inadaptée. Comme l’écrit Bernard Enjolras “dépasser la crise interne de l’État-Providence suppose, en conséquence, de retrouver les conditions de production d’une solidarité de proximité”, qui sont aussi “les conditions d’une refondation du lien économique, afin de restaurer le synchronisme entre production de richesse et production du social.”

p.78-81

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