Et pour cause, les tenants de l'une ou l'autre tendance idéologique se sont relayés au pouvoir depuis 1946 (Estimé, Magloire, Duvalier, Aristide et, maintenant, Préval), avec des fortunes diverses, sans qu'on puisse dire qu'on ait pu, à aucun moment de la durée, réaliser l'Unité historique du peuple revendicatif face à la classe séculaire du vrai pouvoir d'état pour forcer l'ouverture du marché des opportunités de nature économique au bénéfice du plus grand nombre, comme l'avait si bien exprimé en 1986, feu le professeur Marcel Gilbert.
Entre le rejet de la dictature duvaliériste comme système anachronique de gouvernement et l'adhésion aveugle au populisme Lavalas tout aussi répugnant et qui, en plus, se nourrit d'anarchie et d'impunité; entre l'arrogance des rescapés des anciennes aristocraties des villes, nostalgiques de leur statut et privilèges et l'irruption des paysans des mornes dans les espaces urbains ; entre cette volonté de maintenir telles quelles les structures féodales et les privilèges qui y sont attachés et la défiance menaçante des jeunes militants des milieux populaires, « nos ghettos », chauffés à blanc et mis en selle par cet anarco-populisme ambiant, les principes, les normes et les recettes démocratiques peinent à trouver un espace pour s'épanouir dans ce capharnaüm digne d'un film de science-fiction.
C'est que les révolutions, le progrès économique et social, le développement humain ne s'improvisent pas. Ce n'est pas du jour au lendemain qu'une nation peut gagner la lutte contre la pauvreté. Ce n'est pas, non plus, le fait que Lavalas ait réussi à occuper l'espace politique depuis près d'une trentaine d'années que ce mouvement, tout comme les autres mouvements avant lui, ne mérite d'être remis en question. D'autant plus que la montagne aura, finalement, accouché d'une souris. En tout cas, le bilan est très maigre et parle de lui-même.
L'établissement de l'autorité de l'état pour permettre à un Gouvernement légitime d'exercer, envers et contre tous, les fonctions régaliennes de souveraineté, de défense nationale, de sécurité intérieure et de justice ; l'établissement et le maintien d'un climat de sécurité dans un environnement de stabilité qui crée un cadre favorable aux affaires, aux investissements privés et publics pour la satisfaction des besoins de base de la population, à la production des biens et services pour l'échange marchand, en particulier pour l'exportation vers le marché global, à la création d'emplois et de richesses durables, à la formation et la rétention de cadres professionnels compétents pour affronter les défis du présent et du futur, etc. est un processus long, laborieux et, le plus souvent, mal aisé, pour répéter l'autre.
Mais plus que tout, il faut prendre le temps de construire le leadership social et politique pour mener une entreprise d'une telle envergure. Il nous faut prendre le temps de concilier les intérêts divergents qui ont toujours bloqué toutes les tentatives de sortie de crise dans ce pays. « Il nous faut de l'intelligence, du savoir-faire, des moyens ». Pour le moment et, pour ce que nous avons vu et vécu jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons pas encore trouvé cette échantillon d'haïtiens qui peuvent réunir, à la fois, ces trois (3) facteurs d'intelligence, de compétence et capacité de mobilisation de ressources pour piloter le train de mesures à adopter pour nous sortir du bourbier.
En fait, il n'y a jamais eu rien de démocratique dans les démarches de tous ces acteurs politiques qui nous ont promis, jusqu'ici, le changement et la démocratie. Et pour cause, les partis et regroupements qu'ils ont fondés, dirigés ou intégrés dans leur recherche de chapeau légal, ne peuvent justifier d'un quelconque fonctionnement démocratique en leur sein. Pas d'élections pour remplacer le leadership du Parti ; pas de pratiques démocratiques dans les processus de prise de décisions importantes ; pas de politiques transparentes pour faciliter l'intégration ou le renouvellement de cadres du parti.
Et pour cause, la majorité des Haïtiens moyens n'adhèrent à aucun parti politique. Soit qu'ils n'aient jamais été sollicités pour s'y inscrire, soit que les rares partis qui les ont approchés ont fait le mouvement en période suspecte d'élections et n'avaient pas beaucoup de chances de les recruter ou n'affichaient pas assez de décorum pour être pris au sérieux. De plus, il est facile de constater que la vie d'un parti politique en Haïti ne dépend ni de son effectif, ni de la cotisation de ses membres. Tous attendent d'accéder au pouvoir pour se faire une santé. Et c'est la que la situation se complique.
Car, au lieu d'être un moyen d'assurer l'alternance démocratique et le renouvellement du personnel politique, les élections sont devenues un moyen d'occuper l'espace du pouvoir d'état pour atteindre des objectifs qui auraient du être déjà pris en compte et être satisfaits au niveau des structures des partis politiques. La tenue d'élections en Haïti relèvera toujours du casse-tête chinois tant que le pouvoir d'état constituera le « seul » moyen de recruter et de fidéliser des partisans, de récompenser tous ceux qui auront aidé ou contribué à l'accession au pouvoir, de punir des adversaires ou des ennemis politiques en les faisant subir des passe-droits qu'ils ne sont pas prêts d'oublier.
Dans les conditions actuelles, les élections sont organisées seulement en faveur de ceux qui ont pu faire la démonstration de leur capacité de les empêcher ou de les boursiller. Nous vivons cela depuis 1987 et, en fait, il n'y a jamais eu d'élections dans le pays tant que la coalition des forces de gauche, qui contrôle une majorité électorale relative dans le pays, n'était pas en mesure de les gagner.
C'est qu'il n'y pas d'équilibre des forces politiques pour forcer le jeu démocratique et l'alternance politique. Entre les quarante-sixards de droite et les quarante-sixards de gauche, le jeu n'a jamais forcé à couper dans le sens d'une alternance ordonnée du pouvoir et de ses privilèges. C'est toujours les machinations, les coups d'état, les percées louverturiennes, les élections truquées, la dictature de la majorité sur les minorités, etc. qui ont toujours ouvert la voie à l'accession du pouvoir en Haïti.
Cette coalition de forces de gauche a, certes, occupé tous les avenus du pouvoir d'état mais elle n'a jamais réussi à faire passer ses choix économiques et sociaux, malgré ses victoires électorales successives, parce que n'ayant jamais disposé de capacité légale de dissuasion et de répression à sa disposition. Elle a toujours préféré utiliser « le béton » au lieu de donner les garanties nécessaires pour mettre en confiance les secteurs minoritaires, mais importants, de la société qui auraient pu l'accompagner dans la démarche de l'établissement de moyens légaux de dissuasion et de coercition.
C'est vrai, aussi, qu'elle a toujours refusé et refuse, encore aujourd'hui, d'intégrer, de façon autonome, le mouvement de la globalisation de l'économie et de la mondialisation des affaires pour faire bénéficier à la population haïtienne des retombées de nos relations diplomatiques, économiques et commerciales avec nos partenaires étrangers. Elle a toujours préféré utiliser des excuses et des prétextes pour justifier son incapacité à porter les changements souhaités par la société haïtienne et à prendre des dispositions, même, contraignantes pour satisfaire les revendications du Peuple.
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Georgemain PROPHETE est un ancien Délégué Départemental, Représentant du Gouvernement dans le Nord.
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