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Budget 2013: le délicat tango fiscal haïtien
Le Nouvelliste | Publié le : mercredi 01 août 2012
Nesmy Manigat
Une fois de plus, en pleine période de vote sur la loi des finances 2012-2013, on risque d’éviter le débat de fond sur l’efficacité et l’équité de la politique fiscale en Haïti, chacun étant trop préoccupé à lire entre les lignes, ses lignes… D’un côté, l’Etat cherchant à augmenter ses revenus sur fond de lutte contre la pauvreté, qui nécessite des ressources additionnelles, auxquelles s’ajoute ou se complète la lutte contre l’évasion fiscale, d’un autre côté, le Parlement tirant la couverture, question d’avoir sa juste part du vieux lion édenté. L’exécutif tiendra à son carnaval des fleurs, les parlementaires à leurs fêtes patronales, les fonctionnaires ne lâcheront pas facilement l’invention calendaire haïtienne du 14e mois et des millions de parents attendent déjà de pied ferme une rentrée des classes gratuite, et l’eau potable, et l’électricité, et le ramassage des déchets... Sans oublier les militaires démobilisés toujours en mouvement, la nouvelle armée, la PNH, etc. Une impossible équation fiscale et ce n’est pas le prêt des 400 millions de dollars de PetroCaribe qui comblera toutes ces attentes légitimes ou non pour un budget d’à peine 3 milliards de dollars pour 10 millions d’habitants. Un montant en progression certes, mais qui doit être mis en perspective avec les 10 milliards de dollars du budget de la République dominicaine pour la même population.
Des progrès certes, mais le modèle ne marche plus..
Certes, les progrès annoncés par les autorités économiques, notamment en termes d’augmentation des recettes propres qui dépasseront les dons selon les prévisions du budget du prochain exercice, méritent d’être soulignés et encouragés. N’empêche que la note de 32% de l’assistance internationale pèse encore lourdement sur l’autonomie du gouvernement. Par ailleurs, il faut reconnaître qu’en dépit du brouhaha sur l’augmentation ou non des salaires de quelques catégories de fonctionnaires, si les prévisions d’augmentation de 10,2% par rapport à 2012 tiennent, ce budget permettra d’augmenter la couverture de certains services publics de base à l’échelle du territoire, notamment au niveau des Objectifs du millénaire (éducation et santé). D’un autre côté, la récente « campagne de lutte contre la contrebande » annoncée par le Premier ministre Laurent Lamothe pourrait aussi être perçue par certains secteurs comme des signes encourageants si et seulement si cela vise à rétablir un climat fiscal et des règles du jeu équitables pour tous, secteur formel et secteur informel.
Mais ces pas dans la bonne direction ne doivent pas nous faire perdre de vue que notre politique économique et la politique fiscale qui en découle sont loin d’être en phase avec les énormes défis de l’heure. Quand on sait que l’augmentation des recettes annoncées ne provient pas de la valeur ajoutée d’une économie de production, ou de revenus de capitaux ou financiers, mais plutôt d’une économie d’importation, il y a lieu de s’inquiéter pour le long terme si parallèlement le budget ne soutient pas les investissements privés capables de générer des revenus fiscaux d’importance. En clair, ce débat sur la répartition optimale des maigres revenus tirés d’une économie à dominante d’importation ayant arrêté de produire depuis des décennies et n’exportant pratiquement plus est contre-productif. La République dominicaine, pour qui l’aide externe ne compte que pour environ 1,5% de son budget a pu mobiliser des revenus financiers avoisinant les 2 milliards de dollars dans son budget, de 2012 en plus de ses recettes internes venant d’une économie à forte valeur ajoutée interne et un fort volet d’exportation.
L’étroitesse de l’assiette fiscale étouffe
Ne disposant pas pour l’instant de plateforme d’exploitation de ressources naturelles qui lui aurait garanti des ressources fiscales à l’instar de bon nombre de pays africains ou de la région tels le Venezuela, la Bolivie, Trinidad, la République dominicaine, Haïti compte de plus en plus sur la sueur de quelques maigres agents économiques nationaux et internationaux (entreprises et particuliers) évoluant sur le marché local formel. Les investissements étrangers récents dans le domaine de la téléphonie mobile, considérés dans certains pays africains comme une nouvelle manne fiscale, ne compensent pas le manque à gagner de la chute de nos exportations. L’industrie touristique qui aurait dû normalement booster nos recettes d’exportation comme pays caribéen ne donnera les résultats escomptés que dans plusieurs années malgré les récentes agitations dans ce domaine.
Cette réalité est à l’origine de tensions entre les pouvoirs publics et certains groupes de citoyens qui certains d’un côté, estiment être les éternelles poules aux œufs d’or, et d’autres, les éternels laissés-pour-compte. Les gouvernements jusqu'à présent ont toujours hésité à opérer des réformes fiscales impopulaires visant à élargir la base d’imposition afin d’amener une part plus importante de la population dans l’économie formelle et productive. Faute peut-être aussi de pouvoir offrir la contrepartie coûts-avantages qui inciterait les opérateurs du secteur informel à prendre la décision eux-mêmes.
Cette faiblesse des revenus internes de l’Etat est une source permanente d’instabilité et une épée de Damoclès planant sur la tête de tout gouvernement qui tôt ou tard doit faire face à des revendications populaires légitimes, voire au sein même de l’appareil de l’Etat. Si en 1981 les salaires et traitements représentaient 24,37% des dépenses totales de fonctionnement de l’Administration de l’Etat, aujourd’hui, quoiqu’il ait évolué constamment depuis ces dernières décennies pour se stabiliser autour de 45% au cours de ces 4 dernières années, il fait l’objet d’énormes pressions légitimes de la part de corps professionnels, notamment les enseignants du public.
Le manque de civisme fiscal spontané freine ..
Dans ce contexte de méfiance généralisée, les Haïtiens peinent à payer à César ce qui lui revient de droit, ou pire, n’ont pas les moyens de lui rendre du peu qu’il donne. Certes, avec un taux de chômage chronique se situant à 52% selon le gouvernement et la prédominance de l’économie informelle, cet exercice est du domaine du jeu de dupes. De l’école gratuite au ramassage des déchets, de l’électricité en passant par des centres de santé, tout le monde a droit à tout, mais beaucoup souhaite, que quelqu’un d’autre paie (l’étranger, la diaspora ou pire ses petits enfants qui rembourseront les fonds de PetroCaribe). Résultat des courses, l’Etat fait semblant de donner quelques services et les citoyens, quelques-uns, les mêmes, font semblant de payer et vice versa.
Certes, ceux qui finissent par payer, doublement, triplement, quand finalement l’Etat se réveille brutalement, au détour d’une pression d’une demande de services sociaux, le font souvent au détriment de la création d’emplois ou de l’investissement privé. Mis à part le civisme fiscal forcé qu’on impose aux fonctionnaires et salariés du privé de qui on prélève ladite part de César à la source, le reste est subi par les usagers, notamment les entreprises, qui peinent à voir la contrepartie et la transparence dans les dépenses publiques.
Les défis de l’heure
Or, toute politique fiscale rigoureuse commence par le niveau de confiance que les contribuables accordent à l'administration fiscale parce qu’elle est transparente, équitable, simple à comprendre et qu’elle informe sur ses rentrées et sorties de manière lisible pour le commun des mortels. Compte tenu des pressions sociopolitiques immédiates qui nuisent souvent aux bonnes politiques à long terme, la rigueur et la transparence doivent marcher de pair avec une certaine pédagogie.
Ce délicat tango entre l’exécutif, le Parlement et les agents économiques élargis de la société civile doit trouver la bonne cadence pour un juste équilibre entre les recettes nécessaires pour financer les nombreuses dépenses publiques que les citoyens réclament et une politique fiscale favorable à l’investissement, à la production nationale et à l’emploi. Pourvu que le ministère de l’Economie survive à la rigoureuse ministre des Finances connue pourtant pour être une “pro-emploi”, car la chorégraphie est loin d’être simple.
En conclusion, il n’y a pas de doute que les efforts pour la préparation dans les délais et les allocations de la présente loi de finances représentent un réel progrès. L’investissement social dans l’éducation de base est fondamental, primordial. Mais, le MEF pourra-t-il résister aux tiraillements de tout bord pour maintenir également le cap sur les investissements publics et privés générateurs de revenus fiscaux et d’emplois à l’échelle du territoire qui pourront nous sortir des contraintes du « tout et tout de suite » impossibles à résoudre à court terme. A moins de consacrer définitivement cette économie d’importation qui a montré ses limites. En cette période d’arbitrage budgétaire, « prioriser » est le maître-mot.
Nesmy Manigat
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