#COVID19 : Haïti et la République Dominicaine, deux tableaux différents pour une même épidémie.
À Santiago, 22 novembre 2020, 3 heure p.m., un chauffeur de taxi réclame 700 pesos pour nous transporter de l’aéroport à l’hôtel. On peut vite remarquer que le port de masque est obligatoire. On nous signale que c'est sous peine de se faire arrêter par la police.
Dans la soirée, dès 7 heures, c’est le couvre-feu. C'est la fameuse "Toque de queda". Durant la semaine, cela commence de 9 heures du soir à 5 heures du matin. Le week-end, précisément le samedi et le dimanche, de 7 heures du soir à 5 heures du matin.
En cas de violation du "Toque de queda", l'amende est de 15,000 pesos. Exceptionnellement, certains chauffeurs peuvent faire une demande d'autorisation leur permettant de travailler après le couvre-feu. Cependant, même quand le chauffeur est autorisé, le passager doit avoir un motif valable justifiant son déplacement durant le couvre-feu.
On nous apprend qu'avant, les autorités acceptaient des fêtes privées à l'intérieur d'une résidence, durant le couvre-feu. Mais, actuellement, c'est devenu plus strict. Les fêtes privées sont interdites, sous peine d’arrestation de tous les participants qui seront amenés au poste de police, le fameux “cuatel” (caserne).
Nous avons pu assister à l'entrée en vigueur d'un "Torque de queda". C'était un samedi, il était 7 heures du soir. Au bar, on se dépêche d'acheter une bouteille de bière "Presidente", et après de rentrer chez soi. Une décision qui dérange les maisons de commerce, car la clientèle se bouscule malgré tout. Les gens veulent se détendre, c'est triste de laisser passer une telle opportunité. Mais, on n'a pas le choix. Les autorités sont très strictes.
Dans la rue, une étudiante haïtienne, originaire de Limbé, qui attendait un taxi nous conseille d'être prudent. "Les autorités dominicaines sont très strictes après le couvre-feu" nous dit-elle.
" Les consignes sont strictes, à l'heure du couvre-feu si tu te fais attraper par la police, tu seras emprisonné pour la nuit, obligé de payer une amende ..... et condamné à faire des travaux de nettoyage de l'espace publique." a-t-elle ajouté.
N’étant pas au courant de ce dispositif, nous avons payé 1000 pesos en vue de convaincre un chauffeur de taxi de faire un trajet qui normalement coûte 500 pesos en temps normal. Cela pourrait même coûter encore moins, 50 pesos dans ces voitures assignées à un circuit fixe, et identifiées par des lettres alphabétiques A,B,C,D…M… et qui transportent 6 passagers.
Le chauffeur de taxi nous a précisé qu’il allait prendre le risque de se faire arrêter par la police, car il est déjà 6 heures 45. Nous n'avions pas eu de choix, il fallait regagner notre demeure pour y passer la nuit. Cela nous a coûté 1000 (durs) pesos. Mais, l’essentiel, les autorités dominicaines appliquent un couvre-feu strict dans la ville de Santiago, conformément à leur stratégie visant à combattre l’épidémie. Aussi, toute personne circulant dans la rue doit porter un masque. Dans tous les commerces, dans les restaurants, dans les espaces publics, le masque est obligatoire. Dès que tu sors de chez toi, tu dois porter un masque.
Cette capacité de l'État dominicain dans sa dimension centrale et/ou municipale de faire respecter ses consignes est extraordinaire.
Un tour dans la zone frontalière de Dajabon.
Port de masque obligatoire sous peine d’être arrêté. |
Dans le bus qui nous emmène dans la ville frontalière de Dajabon, tout le monde porte un masque. C'est la règle. Le contrôleur surveille à ce que ce principe soit respecté, de peur de se retrouver en difficulté avec la police qui exerce un contrôle strict.
« arrangez votre masque jusqu’au nez! », lance-t-il à un passager, avant de nous réclamer 100 pesos pour la boîte dans la soute à bagage.
Partout, les gens respectent le port de masque. On peut voir un peu partout quelques jeunes sans masque autour de marchand de viande frite et de manioc. Car, quand on mange on a le droit de l'enlever. A part cela, globalement, la consigne est respectée.
Brusquement, un marchand de fruits fait irruption, à l'intérieur du véhicule. Des sachets de pommes, de raisins ou de prunes sont proposés aux passagers qui n’ont rien acheté. L’ambiance COVID-19 semble limiter l’envie de consommer les produits proposés par ce marchand ambulant. Le masque qu'il porte n'a pas rassuré les potentiels acheteurs.
Faut-il signaler que les attroupements dans les stations de transport en commun, bus ou taxis, démontrent clairement que la distance sociale est impossible. Aussi, se demande-t-on, si le fait de se concentrer sur le masque et le couvre-feu, ne diminue pas l’un des éléments essentiels de prévention à savoir le lavage régulier et continue des mains? C'est notre constat. Munis de leur masque de protection, les gens ont tendance à négliger le lavage des mains.
Malgré tout, en termes de mesures préventives, les dominicains semblent faire mieux que nous, les haïtiens. Car, on n'a qu'à traverser le pont qui permet de traverser la frontière terrestre, symbolisée dans la partie nord de l'Île par la rivière Massacre pour qu'on puisse constater une autre situation, un autre tableau. En effet, pour les haïtiens, l'épidémie #COVID19 n'existe pas. Pas de masque! Au marché transfrontalier, comme dans les tap-tap (camionnettes de transport en commun), les gens ne portent pas de masque. Notre compagnon de route nous a même conseillé de ne pas porter de masque pour éviter d'attirer l'attention. Car, un masque peut signifier quelqu'un qui vient de l'étranger; surtout le type de masque bleu ciel, made in China.
Au marché de Ouanaminthe, les gens ne portent pas de masque. |
Du côté haïtien de la frontière, ce sont les voyageurs qui reviennent des grandes villes comme Santiago ou Santo Domingo qui font peur. Le bâtiment construit par l'Union Européenne sert de point de dépistage avec une équipe de jeunes portant des maillots MSPP/NE/OIM (Ministère de la Santé Publique du Nord Est et l'Organisation Mondiale pour la Migration) qui posent des questions sur ton parcours en République Dominicaine.
Si tu viens de la ville de Santiago, c'est la quarantaine. Donc, sur la frontière, des jeunes qui se font passer pour des guides volontaires, une façon de vous convaincre de leur verser quelques sous, vous explique l'astuce : "Ne dites pas que vous venez de Santiago ou de Santo-Domingo. Il faut juste dire que tu viens de Dajabon."
Au centre de dépistage, la température de ton corps est contrôlée. Mot de passe : Dajabon. On vous trempe le pouce droit, dans de l'encre bleu, vous êtes autorisé à rentrer en Haïti.
A la question "Pourquoi vous mettez en quarantaine des gens venus de Santiago ou de Santo-Domingo?", l'un des jeunes techniciens du service nous répond : "Ce sont des villes à forts taux d'infection #COVID19. C'est le même protocole pour les voyageurs venus des États-Unis ou d'Europe. Ils doivent-être placés en quarantaine pendant 3 jours, dans un local préparé en ce sens.”
Le centre de dépistage MSPP/NE/OIM |
Pourquoi trois (3) jours?
" Parce que les tests sont envoyés au Laboratoire national établi à Port-au-Prince, et cela prend trois (3) jours pour avoir le résultat" explique-t-il.
Et si le test est positif?
"Dans ce cas, la personne sera placée en isolement dans un centre de Fort-Liberté" répond-il.
“A Ouanaminthe nous avons un centre de quarantaine tandis qu’à Fort-Liberté, il s’agit d’un centre d’isolement. A ne pas confondre.” précise-t-il.
Selon les témoignages de personnes ayant été placées en quarantaine, c’est l'enfer. Il n’existe aucun service pour permettre à une personne de passer 3 jours et parfois plus dans ce centre. Sachant qu’en Haïti les délais sont souvent au taux du jour, 3 jours peut vite devenir une semaine et plus.
Aussi, nous rapporte-t-on qu'un ressortissant haïtien placé en quarantaine a failli se suicider, vu les conditions dans lesquelles il était gardé. Il est apparu à une fenêtre du bâtiment, avec corde au cou menaçant de se jeter, de se pendre et de se donner la mort. De plus, il y a l'histoire de cet homme qui s'est évadé à partir de l'une des fenêtres du centre.
Un voyageur placé en quarantaine à Ouanaminthe. |
Quand on regarde l’absence de distance sociale entre les gens en Haïti, le refus de porter de masque, et surtout la certitude que des milliers d’haïtiens en provenance de la Républicaine Dominicaine traversent la frontière à partir des points de passage clandestins, on ne peut s’empêcher de se demander : A Quoi sert ce programme de dépistage, de mise en quarantaine ou d'isolement?
Plus d’un pense que le véritable but de ce service, c’est le budget qu’il attire et les opportunités d'emplois qu'il offre à quelques jeunes chômeurs.
On peut même se demander si ce service n'est pas contre-productif, quand on considère que la République Dominicaine dans sa stratégie de relance de son industrie touristique ne durcit pas les procédures d'entrée sur son territoire pour les voyageurs venus des États-Unis ni d’Europe, où l'épidémie fait des ravages. Elle s’en remet à la stratégie des transporteurs aériens qui exigent que les tickets soient achetés 15 jours avant le vol. Une approche pratique vu qu’il est extrêmement difficile de voir une personne atteinte de COVID19, acheter un billet d’avion et que dans le cas où exceptionnellement quelqu'un le ferait, il serait facilement signalé par les détecteurs de température dans les aéroports. A moins qu’il soit un porteur sain (personne infectée asymptomatique).
De plus, considérant que les voyageurs arrivés à partir des aéroports d'Haïti ne sont pas placés en quarantaine, pourquoi traiter différemment ceux qui ont transité par la République Dominicaine. Certes, il peut y avoir une explication économique, c’est-à-dire une décision visant à décourager les transits par la République voisine. Là encore, c’est utiliser le service de dépistage covid19 à d’autres fins.
Bref, toutes considérations faites, toutes proportions gardées, ce fut un point d’honneur de voir sur la frontière haitiano-dominicaine pour une fois, sur le pont de la rivière Massacre, les contrôles stricts d'admission se font du côté haïtien. Un fait qui rappelle la ligne que formaient les haïtiens, sur ce pont frontalier, pour se laver les mains avant d’entrer dans la ville dominicaine de Dajabon.
Le COVID en Haïti reste un mystère. Où est passée l’épidémie? C’est la question qu’on se pose. Le Ministère de la Santé rapporte quelques cas de temps en temps, mais cela est loin des modèles de propagation d’une épidémie au sein d'une population d’environ 14 millions de personnes. Comme l’a fait remarquer un intervenant, lors d’une formation en #DataJournalism, il faudra établir des statistiques de contrôle, comme le taux de mortalité pour l’année 2020, en vue de déterminer si la maladie n’est pas en train de faire des ravages au sein des populations où les structures sont défaillantes où l'informel domine l'institutionnel ou le structurel. En ce sens, on se demande si les mairies sont en mesure de recenser tous les décès? Comment pourront-ils contrôler les 3 millions de personnes (1) qui existent en dehors des registres de l'État haïtien? Comment compter les personnes décédées en milieu rural?
Bref, soyons optimistes, n'ayons pas peur des bonnes nouvelles, restons aux faits !
Selon le site "Worldometers" en République Dominicaine, au 7 décembre 2020, on a recensé 149,138 cas de Coronavirus, 2,346 décès et 117,402 malades guéris. D'après les graphiques présentés, même quand le nombre total de personnes infectées continue d'augmenter, les nouvelles infections restent inférieures à la période de juin et de juillet quand elles avaient atteint un peu plus de 2000 nouveaux cas par jour, pour une moyenne d'environ 1600 nouveaux cas chaque jour. Pour le mois de novembre, la moyenne en République voisine descend aux environs de 700 nouveaux cas par jour. Il y a aussi une diminution considérable des décès. On ne sait pas s'il s'agit d'une meilleure prise en charge ou de la conséquence logique de la diminution du nombre de cas. (2)
Alors que pour Haïti, toujours selon le même site, on peut constater 9,399 cas de Coronavirus; 223 décès; et 8,148 malades guéris. (3)
Le mouvement continue de population entre Haïti et la République Dominicaine, et surtout le retour massif des haïtiens en Haïti lors de la période de panique de mars, d'avril et mai, n'ont pas provoqué une augmentation considérable du nombre de personnes infectées en Haïti. Un mystère qui peut servir de sujet de recherche pour les scientifiques.
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1- Données officielles divulguées lors du lancement de la campagne d'enregistrement des haïtiens non encore identifiés en novembre 2020.
2- https://www.worldometers.info/coronavirus/country/dominican-republic/
3- https://www.worldometers.info/coronavirus/country/haiti/