Par Yves Germain Joseph
II
Après avoir rédigé un rapport qui a mis en branle la société politique et la société civile, Évalière Beauplan essaie maintenant d’être prudent et utilise un double langage. A Radio Éclair, il parle de ses trouvailles lors de son « enquête » mais aussi dit n’accuser personne. Il recommande plutôt de questionner des responsables concernés face à certaines anomalies observées. C’est une nouvelle attitude. Pourtant, dans son rapport farfelu, il a mis en accusation, a indiqué les violations qu’il a caractérisées, comme un juge d’instruction. Maintenant, après avoir accusé, il propose de vérifier des coins d’ombre. Pas plus. Ce qui est bien en soi. Mais pourquoi n’avait-il pas entrepris ces vérifications avant et... lui-même?
Pourquoi n’avait-il pas informé ses victimes de ses découvertes et n’en avait-il pas discuté avec elles ? C’était bien cette responsabilité qui lui avait été assignée et c’est la règle en la matière. La réalité c’est qu’il ne s’attendait pas à la réaction du gouvernement de mettre en branle l’appareil d’Etat pour revisiter son enquête. Il ne le souhaitait pas... Il ne s’attendait pas, non plus, à ce que le Parquet demande que les deux rapports du Sénat lui soient communiqués. Il conteste cette approche. Il demande de passer au dechoukage du Président et du gouvernement. Au fond, force est de constater que c’est ce que Lavalas sait faire de mieux : dechouker. Ils le font depuis 30 ans et, nous voilà : aujourd’hui, plus d’enquête, il faut un déchoukage.
D’abord, une enquête, pour être crédible et opposable, ne peut se faire en cachette, c’est - à-dire à l’insu des parties ciblées. Ensuite, une enquête sénatoriale ne peut être divulguée sans l’autorisation du grand Corps. C’est une violation des règlements intérieurs de cette Institution et du droit des personnes incriminées. On est donc en face de violations multidimensionnelles qui mettent en cause l’intégrité même de son document. Dans le cadre d’un procès, les avocats ne manqueront pas de mettre en avant ces irrégularités préjudicielles.
Le Gouvernement a bien fait de décider de la reprise de l’enquête pour éviter une catastrophe judiciaire. C’est même un cadeau à ce grand diseur et une volonté affirmée de faire jaillir la vérité.
J’ai pris le soin d’écouter récemment le Sénateur Évalière Beauplan dans un monologue étourdissant sur Radio Éclair, qu’un ami m’a fait parvenir. Quelqu’un de non éduqué, qui l’entend, peut tomber aisément dans le piège de cet homme vil et dégradant qui s’en prend maintenant au sénateur Latortue, suggérant que ses relations avec les anciens collaborateurs du président Martelly pourraient entamer l’intégrité de son rapport, jetant même le doute absolu sur son propre rapport en tant que lavalassien tortueux. C’est l’une des raisons pour lesquelles ce dossier doit être confié à des professionnels et non à des pilotes, experts en atterrissage forcé le long de nos routes.
Personne ne pourrait soupçonner que ce grand diseur était pilote dans une vie antérieure. Un extra-terrestre humain. Passer de ce métier à celui de sénateur réclame du training. Le jour viendra où le sénat devra confier au sénateur Beauplan la conduite de l’enquête de l’assassinat du Commissaire de Limbé, qui n’avait rien fait de mal à part ordonner la vérification de paquets suspects dans un véhicule qui traversait sa juridiction. On lui a ôté la vie... On se demande encore qui est l’auteur de cet assassinat.
Tout est facile en Haïti. On profite de l’ignorance de la population. Ces gens sont tellement perfides qu’ils croient découvrir partout une combine. Le sénateur Beauplan souffre du syndrome du voleur. Son obsession est que partout où il passe, il n’existe que des associations de malfaiteurs. Pour lui, la vie du fonctionnaire est une vie agréable, parsemée de combines par-ci par-là. À force de traîner leurs bosses dans les administrations publiques à la recherche d’affaires, on croirait qu’un certain nombre de sénateurs avaient fini par appréhender les notions inviolables qui les gouvernent et qui sont votées, hélas ! par eux. Il n’en est rien, malheureusement. Ils font du papotage leur seul boussole, exerçant leur odorat à l’identification des rapines dans tous les services publics pour être emportées, bien entendu, au nom de leurs communautés.
Beauplan aime tellement s’écouter parler qu’il se fait éditer ses interventions et les fait distribuer sur tous les réseaux sociaux, fier du succès de la première manche pour réclamer un dechoukage des Institutions étatiques. Car durant les périodes de transition, tout est possible, en témoigne ce qui s’est passé dans ce pays entre le 7 février 2016 et le 7 février 2017. C’était la période grasse pour des forfaits ayant mis à sac le patrimoine public. Notre pilote aime ces périodes là, où tous les marchandages sont permis et ouverts à la négociation de toutes sortes de prébendes en échange de son soutien. Il prêche la table rase. Il aime faire table rase. Aucun gouvernement démocratique ne devrait achever son mandat pour ces sangsues. 5 ans c’est trop long. Et ils entraînent une peuplade de jeunes imberbes dans le banditisme agissant. Et pourquoi pas?
Plus le mensonge est gros, plus il est accepté...
Imaginez, un sénateur de la République qui déclare avoir découvert au ministère de la Planification et de la Coopération externe un dossier de revêtement de gazon synthétique de 14 terrains de football à travers le pays, pour un montant approximatif de 5 à 8 millions de dollars, que j’avais initié à l’époque où j’étais ministre. Deux ans et demi après avoir quitté ce ministère, il m’impute la responsabilité du retard constaté dans la pose des gazons, comme si le monde s’était arrêté là-bas. Il relate qu’une partie des fonds décaissés pour ce projet a atterri à la Chase Manhattan Bank et cite le numéro de compte où ce wire transfer a abouti. Que comprend quelqu’un qui écoute cette déclaration d’un sénateur de la République ? Un ignorant, comme Beauplan, qui entend pareille absurdité, croit automatiquement que cet argent a été volé et déposé à Chase Manhattan Bank. PetroChallenge!
Que s’est-il passé à la vérité ?
À la fin du mois d’avril 2015, le Gouvernement avait décidé d’entreprendre le gazonnage de 14 terrains de football environ. Peu d’entreprises en Haïti offrent cette spécialité. Avec l’autorisation de la CNMP, un appel d’offres restreint a été lancé. Trois firmes y ont répondu selon la Commission ministérielle des marchés publics. Une a été éliminée pour dossiers incomplets et le résultat des deux autres offres acheminé à la CNMP. La CNMP a réexaminé les offres et déclaré l’appel d’offres infructueux et a donc l, par lettre, autorisé le MPCE à négocier avec l’une des deux firmes pré-qualifiées un contrat de gré à gré. Après évaluation, le choix s’est porté sur SECOSA qui avait acquis une certaine expertise dans ce domaine.
Le contrat passé et approuvé respectivement par la CNMP et la CSC/CA, une première tranche a été décaissée au profit de l’entreprise exécutante. Je n’ai pas le pourcentage en tête. Peut-être 20%. Cette première tranche était destinée à la mise à point des terrains. La deuxième tranche, la plus importante, était destinée à l’acquisition du gazon à proprement parler. (Haïti ne produit pas ces gazons). Le MPCE a pris la précaution de ne pas verser le coût de la fabrication et du transport du gazon à SECOSA mais plutôt directement à son fournisseur, pour préserver les intérêts de l’Etat. Ceci avait été arrêté d’un commun accord.
Pour une raison, qui m’est étrangère, le Ministère de l’Economie et des Finances a mis plus de quatre mois avant d’approvisionner, comme convenu, à la Chase Manhattan Bank, le compte de la compagnie de fabrication du gazon. Ce retard, inexplicable, a eu un impact sur les délais accordés pour la pose du gazon. En fait, ce n’est que vers la fin du mois de janvier 2016, moins de deux semaines avant la fin du mandat du président de la République, que SECOSA a informé le ministère de la Planification que les gazons COMMENÇAIENT à arriver au Port et envisagé les modalités administratives pour initier les procédures pour le dédouanement.
Jusqu’à mon départ officiellement du ministère de la Planification le 7 février 2016, je n’ai pas eu la chance de voir exécuter ce contrat signé entre le ministère de la Planification et SECOSA.
Un autre ministre m’a succédé à ce poste et est resté 2 ans et demi en fonction.
Question de cours pour des élèves de la 7ème année :
Qui est responsable du suivi du contrat de gazonnage entre le ministère de la Planification et la firme SECOSA, après mon départ du ministère de la Planification ?
( Le jury de correction est composé des PetroChallengers? )
La deuxième question :
La première réponse obtenue, déterminez si le Sénateur Beauplan est un ignorant ou un homme malhonnête ou les deux à la fois !
Sénateur, j’aurais préféré que vous fussiez voleur car le vol a des limites mais votre ignorance est sans fin.
J’affirme haut et fort que si j’étais impliqué dans le Dossier PetroCaribe, mon nom ne figurerait pas dans le rapport Beauplan... parce-qu’il y avait une équipe qui offrait ses services. D’ailleurs Beauplan n’avait rien trouvé à nous dire ( le ministre Jacques Rousseau et moi) quand nous sommes passés ensemble devant sa commission. Cette audition a duré à peine 20 minutes. Je n’ai eu le temps que de lui offrir le Moniteur contenant la résolution de Privert et il s’empressa de me dire qu’il n’enquêtait pas sur cette période. J’étais attristé par l’absence d’éthique de nos enquêteurs et devant l’évidence de leur absence de moralité. J’étais peiné d’observer que des firmes qui devaient des millions de dollars à l’Etat pour des travaux non réalisés pouvaient encore bénéficier de la générosité de l’Administration de Jocelerme Privert dans cette nouvelle résolution. Ces sénateurs lavalassiens ne trouvaient pas cette façon d’agir scandaleuse mais intoxiquent à présent la population par des mensonges. Parce qu’avant tout, ils visent le menu peuple ; et selon eux, le peuple ne croit qu’aux mensonges...
Ce dont nous pouvons être sûrs, c’est que je n’ai pas été le dernier ministre de la Planification et de la Coopération externe. Mes fonctions ont littéralement pris fin le 7 février 2016 et la relève a été bien assurée. Je trouve léger qu’en poursuivant cette enquête et pour un cas aussi simple, l’équipe du sénateur Beauplan n’ait pas pensé à poser cette question à un âne. Il trouverait une réponse satisfaisante.
Beauplan est un brasseur. Il manage bien les choses. Quand je suis passé devant sa Commission, il souhaitait avoir des informations sur les procédures. Stupidité. Je lui recommandai d’aller dans les différentes institutions publiques (ministères et des agences comme la CNMP) pour obtenir les informations désirées. Et la séance s’arrêta parce-que le président du Sénat était venu chercher les sénateurs qui avaient déserté la salle d’audience pour donner quorum à l’audience du jour.
Pendant que je longeais les trottoirs vers ma voiture, je fus abordé par un sénateur qui était à l’audience et qui me dit en créole : mon cher, j’ai appris que la Banque avait fini par te payer. Je lui répondis : si tu étais à leur place, tu n’aurais pas payé après avoir toujours gagné et jusqu’en Cassation? Il rétorqua : tu sais combien je t’ai apporté mon soutien (en réalité je ne sais ni quand ni comment) pour récupérer ton argent, tu ne m’as pas laissé quelque chose? Je l’ai regardé droit dans les yeux et lui demandai : kilè w’ap kite Lavalas?
Et on se sépara.
Et voilà... comment et pourquoi mon nom a été ajouté à la liste de Beauplan.
Histoire vécue.
Yves Germain Joseph