Le pape François : après six ans, de l’espoir au doute
En six ans, nous sommes passés de l'espoir démesuré engendré par ce pape hors norme au doute. Ce pape peut-il vraiment changer l'Église catholique?
Après six ans à la tête de la plus grande institution religieuse de la planète, le pape François se trouve aujourd’hui au cœur de la bataille. Lui qui, de son propre aveu, imaginait que son pontificat n’allait durer que deux ou trois ans et hop, « de retour à la maison du Père »… il doit bien se rendre à l’évidence : réformer l’Église s’avère beaucoup plus ardu que prévu. Impossible?
Certains disent même que le pape François ne verra jamais de son vivant les réformes qu’il tente d’instiguer. Conséquemment, son objectif serait maintenant plus modeste : rendre irréversibles les processus de réforme qu’il met en place. Et encore là, peut-il y parvenir?
La soirée de Bergoglio
Je me souviens très bien de son élection. Nous étions, Céline Galipeau et moi, en direct depuis place Saint-Pierre. Après la fumée blanche (qui est toujours grise, me semble-t-il), le cardinal Tauran, un diplomate de carrière, respecté de tous, est arrivé au balcon : Habemus papam, a-t-il lancé à la foule qui n’attendait que ça! Dans ma tête, tout va très vite. Oui, habemus, mais qui? Qui a été élu?
C’est qu’en mars 2013, parmi les pressentis pour le poste de pape, il y avait des personnages impressionnants. Et même le cardinal Ouellet! Des personnalités qui, si elles étaient élues, pouvaient changer ou radicaliser la trajectoire de l’Église. Se refermer sur elle-même, prendre un virage encore plus à droite ou se ressaisir et changer.
Habemus papam, nous avons un pape! Et puis… Jorge Mario cardinal Bergoglio. D’où sort-il celui-là? Je n’avais aucune certitude quant à celui qui allait être élu pour remplacer Benoît XVI. Mais j’étais convaincu d’une chose : il était temps que l’Église universelle, si vraiment elle mérite son titre, vote pour un homme (à défaut de vouloir élire une femme) qui vienne du Sud. D’Amérique du Sud. Là où se trouve le vrai cœur de cette Église.
Et Jorge Mario Bergoglio vient de loin. De très loin. Buenos Aires, en Argentine. C’est à quelques années-lumière de Rome, ça. D’une lointaine périphérie. Et c’est précisément de ça qu’avait besoin cette Église qui traversait à nouveau des rumeurs affolantes typiquement vaticanesques. Comment sortir l’Église de ses chicanes de clochers européennes?
L’arrivée de ce pape a été non pas une bouffée d’air frais, mais une tempête d’espoir. Et comme on le sait tous, une tempête, par définition, ça dérange. Et, l’histoire l’a démontré maintes fois, les tempêtes qui finissent dans un verre d’eau (même de l’eau bénite) peuvent décevoir. Serait-ce le cas de ce pape pas comme les autres?
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Il y a soixante ans, l’autre révolution
Il y a 60 ans, cette année, un pape d’une autre époque a aussi compris que son Église avait besoin d’air. De beaucoup d’air.
En 1959, Jean XXIII lançait une idée folle. Tenir un concile (Vatican II) pour dépoussiérer cette institution qui allait bientôt avoir 2000 ans.
« Il faut ouvrir les fenêtres », aurait-il dit à son secrétaire. Un concile, c’est un moment grave! L’Église n’en a pas tenu tant que ça au fil des siècles. Mais au moment d’un concile, on peut figer des idées qui se transforment en dogme.
Un exemple : en 1870, le concile Vatican I consacre l’infaillibilité du pape. Il n’y a plus beaucoup de gens qui croient à ça aujourd’hui, mais c’est néanmoins un dogme avec lequel l’Église doit vivre 149 ans après l’avoir solennellement proclamé.
À l’annonce du concile Vatican II, le secrétaire particulier de Jean XXIII a donc été pris de peur. C’est lui qui me l’a raconté il y a quelques années. Mgr Capovilla savait que convoquer un concile comportait des risques. Faire venir à Rome tous les évêques et les cardinaux pour dépoussiérer l’institution, c’est énorme! Et si au terme de cet exercice il n’y avait pas de consensus ni de programme pour l’avenir? Est-ce que ce n’était pas précipiter l’Église dans le doute et la division?
Mgr Capovilla avait bien raison. Capovilla savait qu’on ne dépoussière pas facilement une telle entreprise.
La preuve? Certains évêques ont cru que ce concile très protocolaire, très officiel, n’allait durer que quelques jours. Quelques semaines tout au plus. Bon, allez… disons quelques mois. Le concile va s’éterniser sur… quatre ans.
Après quatre ans de discussions, l’Église catholique et ses évêques, ses cardinaux et tous ses fonctionnaires sont-ils arrivés à un consensus? Oui, mais à un schisme aussi. Et des querelles. Et des interprétations qui alimentent encore les chicanes et les polémiques au sein de l’Église. Depuis… 60 ans.
Grandes résistances
Des années plus tard, le pape François a posé un geste qui pour moi en dit long sur ce qu’il pense du concile Vatican II. Il a fait de Jean XXIII un saint, même s’il manquait un miracle à son dossier. Et il a même fait de Mgr Capovilla un cardinal. À 98 ans, on peut dire que c’est à titre de reconnaissance.
Je crois que François a tiré les leçons du concile Vatican II. Puisqu’un concile peut engendrer la division, vaut mieux faire la révolution plutôt que de l’annoncer.
Mais la réalité, c’est que la révolution de François s’avère pénible, difficile à concrétiser. Les résistances viennent de partout.
« Je suis déçu de voir que les réformes de fond se font toujours attendre », a dit récemment Mgr Gaillot, celui qu’on a longtemps considéré comme le mouton noir de l’Église, un homme de gauche qui préconisait la reconnaissance des personnes homosexuelles dans l’Église. Assurément un apôtre de François. Mgr Gaillot fait certainement écho aux préoccupations de ceux qui croient ou croyaient en François.
Mais quelles réformes? Administrative? Pastorale? Constitutionnelle? On dit que dans l’année qui vient, ce pape hors norme présentera une nouvelle constitution qui aurait le mérite de clarifier la mission de l’Église en ce troisième millénaire de l’histoire chrétienne. « Prêchez l’Évangile » en serait le titre.
On imagine les objectifs. Mettre de côté les tribunaux, accueillir peu importe qui, donner plutôt que de recevoir. Sacré programme.
Gianluigi Nuzzi, auteur italien de plusieurs essais-chocs sur les scandales au Vatican, m’a dit un jour : « Le plus gros défi de François, ce n’est pas la banque [du Vatican]. Ce n’est pas les réformes administratives. Son plus gros défi, ce sont les mentalités ».
Les scandales de prêtres pédophiles et des agressions des religieuses en sont la triste démonstration. Malgré les discours, même le pape François a mis bien du temps à comprendre l’ampleur et la profondeur de ces drames.
Nuzzi a bien raison : le défi du pontificat de François, ce sont les mentalités. Même celle du pape.