vendredi 2 mai 2008

Combien faut-il d’agronome pour sauver 3 feuilles.

Cyrus Sibert,
AVEC L’OPINION,
Radio Kontak Inter 94.9 FM
48, Rue 23 -24 B
Cap-Haïtien, Haïti
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L’actuel gouvernement d’Haïti comporte, semble-t-il, le plus d’agronomes de toute l’histoire nationale. Il a pris le pouvoir en 2006 au nom de la production nationale. Trois (3) feuilles symbolisaient le regroupement LESPWA qui comptait changer la réalité des plus pauvres.
Après 2 ans et demi, c’est la consternation. LESPWA (l’espoir) est devenu un désespoir. Le peuple a faim. Les jeunes sont toujours au chômage. Au début du mois d’avril 2008, le pays vient de connaitre des émeutes de la faim. Port-au-Prince, la capitale d’Haïti est saccagée par des jeunes pillards mécontents. Même quand on décèle la main invisible de groupes liés à des projets politiques extrémistes, le fait qu’à travers le monde - notamment au Sénégal - il y a eu des mouvements similaires, est une preuve que les peuples connaissent un phénomène socioéconomique à conséquences politiques. L’agronome Jacques Edouard Alexis, ancien responsable de campagne de la plate-forme LESPWA , est renvoyé par un vote de censure du Sénat pour son incapacité à alléger la souffrance du peuple. Les trois feuilles souffrent, il faut sauver le régime.

Après plusieurs jours de spéculation sur le nom du successeur d’Alexis, la nouvelle est tombée. Le chef de l’Etat René Préval a jeté son dévolu sur Ericq Pierre, un haïtien de 63 ans, un employé de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), un agronome.

René Préval, connu lui aussi comme agronome, a, par ce choix, confirmé un trait fort de son caractère : il a des idées fixes. Aussi longtemps que vous le voulez, il fera semblant d’être ouvert, finalement, il décidera dans le sens de ses idées préconçues.
L’agronome Ericq Pierre a été l’objet de controverses lors du premier mandat du président René Préval. Désigné par le chef de l’Etat en 1997, son choix fut rejeté par un bloc parlementaire.
Si pour plus d’un, le choix du chef de l’Etat est une provocation qui mérite d’être combattue, pour nous autres, il exprime les limites d’un leader autocrate qui ne fait confiance qu’à ses petits copains.
Alors, au lieu de combattre ce chef d’Etat limité, au risque d’enfoncer le pays dans une crise à conséquences incalculables, pourquoi ne pas accepter son choix de fin mandat. Il n’y aura plus de prétexte pour s’excuser aux yeux du peuple qui ne cesse de le regarder dans les yeux depuis son investiture en mai 2006.
Comme dans un jeu de poker, René Préval mise sur Ericq Pierre. Il croit en cet homme comme les juifs attendaient ou attendent encore le messie. Alors, donnons-lui la chance de mettre son homme à l’œuvre.
En tant que progressistes, nous ne devons pas souhaiter l’échec de l’équipe au pouvoir pour nous réjouir. Nous devons plutôt porter le débat sur l’incompétence de l’équipe en place et les possibilités de faire mieux. Mais un point est clair : on ne peut pas changer le pays dans une ambiance anarcopopuliste, de gabegie administrative, de corruption et de monopole. Le renforcement des institutions est la voie à suivre et le chef de l’Etat n’est pas dans cette ligne – du moins, il n’est pas encore dans cette voie.
Comme disait Churchill : Ne comptez pas vous protéger en nourrissant le crocodile. Les gangs représentent une menace sur l’avenir du pays. Les extrémistes de tout bord cherchent le cahot. Leurs agissements créent l’insécurité et entrainement le blocage du démarrage, les indices de sécurité étant alarmantes. Il faut les combattre. Alexis a errée en voulant les récupérer pour son projet politique.
Le peuple haïtien ne connait pas vraiment Ericq Pierre. On ne peut pas dire du mal de quelqu’un qu’on ne connait pas. Au contraire, on dit qu’il travaille depuis très longtemps au sein de la BID. Il a en sa faveur une présomption de compétence. Compétence limitée par un déficit de connaissance du terrain.
A bien dire, l’Ex-premier Ministre Gérard Latorture qui n’avait pas une expérience de terrain avait permis à l’Etat d’accumuler des réverses avec le programme d’ajustement du Fonds Monétaire International (FMI) qualifié à tort par certains démagogues de plan-néolibéral. Nous disons démagogues parce qu’ils savent pertinemment que l’Etat haïtien adopte un plan de renforcement des monopoles, ce qui est contraire à l’esprit néolibéral.
Paradoxalement, l’Etat engraisse des parlementaires qui se disent anti-néolibéraux avec les recettes accumulées grâce au plan du FMI. Ces derniers, sans scrupule, critiquent vertement le plan anti-néolibéral sans prendre le temps de rembourser les fonds des réserves de l’Etat empochées au détriment des familles démunies du pays.
De plus, Jacques Edouard Alexis qui est un homme de terrain n’a trouvé mieux que d’utiliser ces fonds pour mener campagne en perspective des élections présidentielles de 2010. Il n’a pas entendu les cris du peuple, traitant ce qui ont faim de voyous au service des trafiquants de drogue. On se souvient aussi de cette manifestation de soutien organisée en mars dernier par la primature devant la chambre des députés pour intimider les parlementaires. Les manifestants au service de Jacques Edouard-Alexis avaient exhibé devant les cameras de Télévision des sacs de riz, des vivres - dont de gros régimes de bananes - pour prouver qu’en Haïti il n’y pas un problème de faim, le peuple peut manger. Une méchanceté, vu que partout dans le pays des gens crèvent de faim. Depuis septembre 2007, à l’ouverture des classes, les familles n’en pouvaient plus.
Heureusement les masses sont sorties dans la rue créant la surprise générale, troublant les grandes réceptions des bureaucrates affectés aux agences de l’ONU. De cette politique nihiliste et épicurienne qui consiste à s’accaparer du pouvoir pour la jouissance triviale d’un groupe d’amis (approche récente de Daly Valet), la démocratie est sortie renforcée. Car le fait de corrompre quelques parlementaires et/ou leaders communautaires n’est plus une garantie pour les gouvernants. Avec cette leçon on peut laisser à René Préval la latitude d’utiliser sa dernière carte. De la rue étant, le peuple sera toujours là pour corriger les perversions.
Ne demandons pas à un président malade de cohabiter avec un premier ministre qu’il ne connait pas. Cultivons l’ « art du possible » de Lyndon B. Johnson *:…le vrai drame d’un gouvernement ne se pose pas en termes absolus de bien et de mal, de sain et de malsain, de sage ou de fou. (p.155)
C’est surtout grâce à son pouvoir de persuasion, basé sur une compréhension instinctive et innée des sentiments, émotions, idées ou réticence de la personne … en face (p.32)
La leçon qu’il faut tirer des émeutes de la faim d’avril 2008, le peuple, une fois abandonné par les partis politiques et les organisations de la société civile, se prend en charge. Il descend dans la rue et la nation toute entière est exposée par les manœuvres de groupes criminels qui en profitent pour faire fortune.
S’il faut condamner les partis politiques, le silence de la société civile organisée est irresponsable. C’est le moment d’organiser la société. Laissons aux agronomes de Préval le défit de sauver les trois feuilles d’espoir. Le leadership étant dans la rue, organisons le peuple pour la défense de ses intérêts et le renforcement de la démocratie.
Car, si aujourd’hui tous ces agronomes de la gauche-démagogico-populiste n’arrivent pas à sauver trois (3) feuilles, demain, ils n’auront plus la prétention de voler au secours de l’« arbre de la liberté ». Les incompétents doivent être démasqués. Ne commettons pas l’erreur des putschistes de 1991 qui au lieu de laisser Aristide face à ses promesses électorales, on fait de lui un martyr habilité à designer des boucs émissaires pour expliquer ses échecs.
Recherchons la solution « mieux que rien » p.52
… attend(r)ons donc pour attaquer d’être, nous, en mesure de gagner. P.55
Aujourd’hui ceux qui font du bruit n’ont rien sur le terrain en termes d’organisation capable d’assurer la relève. Les trafiquants de drogue et les hommes corrompus proches du pouvoir politique sont les mieux aptes à prendre les choses en main. N’importe quel mouvement sera récupéré. Au lieu d’affronter le pouvoir sans préparation, organisons la société. Trouvons les moyens, les leaders et le projet-juste pour le faire. L’aventurisme ne mènera à rien.
A ceux qui critiquent constamment la classe politique de saisir l’occasion pour construire un nouveau leadership. Car, avec le gouvernement de coalition qui s’annonce, tous les partis seront au pouvoir. Dans environ deux ans tout le monde sera mis à nu. Fusion, OPL, UNION, ALLIANCE, LAVALAS et surtout LESPWA ne constitueront plus une alternative.
Lyndon Baines Johnson disait :
Les règles tacites qui régissent la politique intérieure américaine ne sont, au fond, ni plus ni moins contraignantes que les règles du Barreau ou de l’Ordre des médecins. D’aucuns peuvent les enfreindre et gagner momentanément, mais personne ne peut gagner à la longue. Car la politique américaine n’est pas la politique des Balkans. Le but politique, aux Etats-Unis, est de vaincre l’adversaire, non de le déshonorer ou de l’anéantir. Le « tuer » politiquement parlant, certes, mais l’écraser, l’écraser encore et haineusement non. Il faut respecter les règles du jeu, et qu’elles soient tacites ne les empêchent pas d’exister. Le véritable but de la politique est la réussite ; il ne s’agit pas de mépriser, de punir ou de se venger. P.144
Les citations sont tirées du livre Lyndon Baines Johnson, Le professionnel, Paris 1967, Nouveaux Horizons, p.179, auteur William S. White.

Cyrus Sibert
Cap-Haïtien, Haïti
30 Avril 2008

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