Point de vue
Elections en Haïti : une farce monumentale cautionnée par la Minustah
LEMONDE.FR | 09.12.10 | 10h33 • Mis à jour le 09.12.10 | 10h36
L'année 2010 risque de s'achever en Haïti comme elle y a débuté. Tragique,
apocalyptique et chaotique, avec autant de sinistrés dans les camps, de
désespoir sur les visages, d'angoisses et de pessimisme dans les esprits. Un
cortège de catastrophes naturelles et humaines, voilà qui résume bien l'année
finissante pour ce qui fut la perle des Antilles, sinon, le Koweït du XVIIIe
siècle.
Définitivement, cette année aura été une 206e maudite pour Haïti. Tremblement de
terre dévastateur, OPA des ONG, tutelle de fait, échec de la reconstruction,
promesses trahies ou oubliées, épidémie de choléra, enlisement de l'ONU, ouragan
Thomas, faillite de l'Etat, putsch constitutionnel et "potentielle katrina" pour
Bill Clintonet Barak Obama. Pour compléter ce tableau apocalyptique, voilà
qu'Haïti se trouve à nouveau aspirée par le tragique à la suite d'un scrutin
frauduleux, cautionné et financé par la communauté internationale et, de
surcroît, organisé dans un décor nécrologique et funéraire.
L'enjeu ? Camoufler l'enlisement et l'échec lamentable de la Minustah, après six
ans de présence en Haïti. Celle-ci s'avère, de toute évidence, le Waterloo
antillais de l'ONU, qui y a déjà englouti des milliards et essuyé depuis 1994
pas moins de cinq échecs fort lamentables. Les élections du 28 novembre 2010 ont
vocation de dédouaner la Minustah et de faire oublier que celle-ci n'a réussi
qu'à empirer la faillite d'Haïti, notamment, sur le plan institutionnel. Elles
risquent donc de discréditer davantage la Minustah et produire le contraire des
résultats attendus.
Par ailleurs, le gouvernement canadien a vécu la même expérience négative et
douloureuse en Haïti et ce, depuis au moins quatre décennies. Echec après échec,
la situation haïtienne s'empire et la communauté internationale persiste,
s'enfonce et réédite les mêmes erreurs sans questionnement et sans autocritique.
Si bien qu'elle cautionne désormais une opération électorale antidémocratique
certes, mais fondationnelle d'une nouvelle institution politique taillée sur
mesure pour Haïti : la "démoligarchie" un néologisme formé par la contraction du
concept de démocratie et celui d'oligarchie. Un scrutin "démoligarchique" est un
scrutin organisé pour l'oligarchie politico-créole haïtienne et la jet-set
bureaucratique transnationale onusienne; un scrutin paré d'un faux vernis
démocratique en raison d'un processus d'agréments des candidats vicié et
inconstitutionnel.
Il suffit d'imaginer des élections générales au Québec, interdites au Parti
libéral et/ou au Parti québécois par le directeur général des élections pour
comprendre l'absurdité du prochain scrutin en Haïti. Des élections sans "Fanmi
Lavalas"de Jean BertrandAristide et sans "Fas-à-Fas" de Wyclef Jeanne peuvent
revendiquer l'épithète "démocratique" dans le contexte haïtien. Les fraudes
massives en faveur du candidat du parti présidentiel dénoncées par l'opposition
et l'appel public lancé par cette dernière pour l'annulation du scrutin
contrastent avec le cautionnement quasi-inconditionnel d'un tel scrutin par
l'OEA et la Minustah. Avant celle-ci, l'on choisissait les Présidents pour les
Haïtiens, incluant Aristide bis en 2002 et Préval bis en 2005 et, dans ce
dernier cas, suivant un pacte informel avec les partisans de "Fanmi Lavalas".
Avec la Minustah et sous la supervision de l'OEA, ne s'apprête-t-on pas à
sélectionner le prochain président haïtien pour le peuple haïtien et ce, au
ternes d'un processus "démoligarchique" ? A moins que la candidate Mirlande
Manigatparvienne in extremis à éviter le forfait infligé à l'ex-président Lesly
Manigaten 2005, le scénario de la sélection apparaît fort prévisible dans le cas
du candidat officiel de la présidence, M. Jude Célestin. Autrement, le bris
unilatéral par le président Préval de son contrat implicite en 2005 avec "Fanmi
Lavalas" devrait en toute logique favoriser Mirlande Manigat au second tour. Ce
qui ferait du même coup de Jean-Bertrand Aristidel'arbitre potentiel de l'issue
du prochain scrutin. Ce que redoute le parti présidentiel. Une éventuelle
victoire de Mirlande Manigat suppose la neutralisation du clan prévalien dont le
cynisme et l'ambition dynastique sont des paramètres incontournables dans le
dénouement final de l'équation électorale. A cela s'ajoutent des pratiques et
mœurs électorales frauduleuses et bicentenaires, orchestrées avant, pendant et
après la votation. En légitimant ex ante le processus électoral, l'ONU et l'OEA
se sont piégées elles-mêmes.
LA DÉMOCRATIE ET LES INTÉRÊTS SUPÉRIEURS DU PEUPLE HAÏTIEN SONT BAFOUÉS
Pourtant, ce scrutin, quelle que soit son issue finale, est porteur
d'instabilité politique en Haïti. En effet, pour la première fois dans
l'histoire de ce pays (Un miracle est toujours possible !), l'on risque
d'expérimenter une cohabitation politique, avec Mirlande Manigat comme
éventuelle présidente et Jude Célestin comme probable premier ministre. Tout
indique que la prochaine législature sera dominée par le Parti Unitéde Jude
Célestin lequel dispose d'un candidat dans chaque circonscription électorale
pour les législatives. La cohabitation politique envisagée ci-dessus
constituerait en soi une marmite explosive, en raison de l'incivisme avéré, du
déficit de convivialité politique et de la myopie de l'élite politique et créole
haïtienne. Ajoutez-y l'illégitimité et l'inconstitutionnalité des arbitrages du
conseil électoral provisoire, et vous avez la recette pour le retour au
brigandage politique et, par ricochet, pour un enlisement de la Minustah en
Haïti. En essayant de faire avaler au peuple haïtien, une pilule
"démoligarchique" dissimulée dans une fausse capsule démocratique, l'OEA et la
Minustah auront réarmé la grenade politique haïtienne. En découlera-t-il
l'ivoirisation d'Haïti ? L'on ne peut écarter une telle hypothèse.
En cautionnant un processus "démoligarchique" pour éviter de perdre la face en
Haïti et laisser planer l'illusion d'un quelconque progrès dans ce pays depuis
2005, la Minustah ne se dirige-t-elle pas vers son Waterloo dans le bourbier
haïtien ? N'aurait-elle pas mieux investi ses énergies en rééditant l'expérience
des grands travaux d'infrastructures et de modernisation vécue sous l'occupation
américaine mais sans la brutalité et la rudesse d'une telle occupation ? Au lieu
de cela, la Minustah a préféré s'arrimer sur l'oligarchie créole haïtienne ; au
risque de se faire suspecter d'être à l'origine du choléra en Haïti et, in fine,
de cautionner tambour battant, la mise en œuvre de la démoligarchie prévalienne.
Et ceci, sans se réaliser qu'après le séisme du 12 janvier, une nouvelle Haïti a
émergé, plus complexe, avec une nouvelle géographie sociale plus compliquée et
plus fracturée. En effet, une géographie quadridimensionnelle s'est substituée à
l'espace social bi puis tridimensionnel qui fut celui d'Haïti. À la bipolarité
traditionnelle "ville", "campagne", il y a eu depuis 1986, les bidonvilles
d'Aristide et en deçà des bidonvilles, il y a désormais les camps de sinistrés
avec leurs angoisses, humiliations, agressions et désespoirs. Fas à Fas de
WyclefJean incarnait l'espoir pour les jeunes des bidonvilles et les sinistrés
des camps de la capitale et Fami Lavalasde Jean-Bertrand Aristide, leur salut
social. Pourtant, les deux ont été sacrifiés sur l'autel "démoligarchique" que
demeure le scrutin du 28 novembre. La démocratie et les intérêts supérieurs du
peuple haïtien sont encore terriblement bafoués et ce, avec la complicité de
ceux mandatés par le Conseil de sécurité de l'ONU pour les protéger. Sur ce
plan, la Minustah semble désormais faire plus partie du problème haïtien que de
sa solution.
C'est au nom d'une éthique de la solidarité et de la dignité humaine que la
Minustah aurait du prioriser le retour au seuil de l'humain pour plus d'un
million d'individus abandonnés dans des camps de fortune et insalubres ainsi que
pour les deux millions de pauvres tapissés dans les nouveaux bantoustans que
sont les bidonvilles de Port-au-Prince. Que d'excès onusiens pour si peu de
résultats concrets depuis 2005 pour ces millions de déshérités. Le bilan du
Canada n'est guère mieux en Haïti. Pourtant, nous continuons, à l'instar de
l'ONU, à y rééditer les mêmes erreurs. Erreur de lecture, erreur d'appréciation,
erreur de diagnostic, erreur de prescriptions, y compris en matière de soins
palliatifs. Les élections du 28 novembre ne sont qu'un éloquent exemple de ces
erreurs historiques.
Wilson Saintelmy, expert en gouvernance et doctorant en droit à l'UQAM
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