vendredi 6 mai 2011

Manger... une lutte au quotidien













Manger... une lutte au quotidien


Plus de 50% du budget des ménages à faible revenu est alloué à l'alimentation. Avec la flambée des prix des produits alimentaires, manger au quotidien devient un luxe en Haïti où 60 % de sa population vit avec moins de 2 dollars Us par jour ( 80 gourdes), sans filet de sécurité sociale.










Haïti: 128 gourdes 50 en poche, Markendy, 29 ans, affronte avec des jurons une dure réalité : la hausse des prix des produits alimentaires. Camioneur au chômage, père de trois enfants, il regrette son faible moyen pour faire bouillir la marmite. « C'est intenable », clame-t-il, rouge de colère, dévorant d'un regard erratique des étals bondés d'articles en majorité importés dans les allées quasi vides de clients du Marché Salomon, jeudi 5 mai 2011, une peu après 11 heures du matin.

Témoin de ces scènes au quotidien, Mme Livio, une marchande de 68 ans, lâche sur un ton dépité que le « pays est fini » en égrenant les prix de certains produits de première nécessité dont la flambée a fait fuir les acheteurs. « Le demi sac de riz est passé de 750 gourdes à 850. La hausse est identique pour le maïs, le gallon d'huile (3 litres.78) se vend aujourd'hui à 300 gourdes. Le sac de sucre rouge coûte 2500 gourdes, celui de farine 1880 gourdes », explique Mme Livio, vendeuse depuis 1965 dans ce marché portant le nom du feu président haïtien Lysius Félicité Salomon Jeune.

Les vivres alimentaires, patate, banane... ont eux-aussi connu un renchérissement à cause des coûts du transport ayant grimpé suite à l'ajustement à la hausse de l'essence, il y a plus d'un mois. « Un régime de banane coûte entre 750 et 760 gourdes », confie une vendeuse, à côté de Mme Livio, en face d'une marchande de légume endormie à cause du peu d'affluence.

« La situation est très difficile.50% du budget des ménages à faible revenu est alloué à l'alimentation », souligne l'économiste Kesner Pharel. Il faut, poursuit l'économiste, pour faire face à la flambée des prix rendant encore plus précaire la situation de millions d'Haïtiens en insécurité alimentaire, augmenter la production et favoriser la diversification des aliments consommés. Un filet de sécurité sociale, comme l'a fait Lula au Brésil, devrait aussi être mise en place, indique Kesner Pharel qui insiste sur la nécessité d'augmenter la production et d'appliquer des mesures fiscales pour protéger cette production.

Les efforts pour augmenter la production agricole après les émeutes de la faim de 2008 ont malheureusement été déstabilisés par le séisme du 12 janvier 2010, concède sur les ondes de Magik 9 (100.9 mhz) l'agronome Joanas Gué, ministre de l'Agriculture, « inquiet » face aux menaces qui pointent à l'horizon.

« Aujourd'hui, dans un contexte d'augmentation des prix de produits de première nécessité, de menace face aux risques environnementaux et de la transition politique en cours, tout le monde doit savoir ce qui a été fait dans le secteur et ce qui doit être fait pour consolider les acquis et aller de l'avant », confie M. Gué étant déjà- prêt à transmettre- des documents élaborés dont des cadres d'investissements et des politiques pour continuer la structuration et la modernisation du secteur agricole dont le Plan d'investissement agricole (PNIA), le Plan national pour la sécurité alimentaire et nutritionnel (PNSAN).









Le ministre Joanas Gué souligne aussi avoir trouvé 80 % des financements visés dans le PNIA pour créer un environnement attractif susceptible d'attirer d'autres investissements dans le secteur agricole. Le PNIA est un plan d'investissement de 845 millions de dollars américains sur cinq ans. Le trésor public contribuera à hauteur de 25 millions l'an, les Etats-Unis 110 millions à travers des organes d'exécution de l'USAID dont CHF, Winner; la BID apportera 225 millions sur 5 ans, entre autres apports de capitaux, selon M. Gué, particulièrement satisfait de « la signature récente entre le ministre de la Planification et de la Coopération externe Jean-Max Bellerive et le représentant de l'ACDI d'un mémorandum d'entente sur l'accord de don de 18 millions de dollars américains pour le crédit agricole ».

« Pour assurer la relance de la production, il faut assurer le crédit agricole », souligne M. Gué qui rappelle l'importance du développement de l'agriculture et de l'élevage, sources de revenus de plus de 60 % de la population d'Haïti vivant en milieu rural.

Si la précarité des ménages en milieu urbain saute aux yeux, dans d'autres régions du pays, loin de l'attention médiatique, la situation d'insécurité alimentaire risque de se détériorer. La coordination nationale de la sécurité alimentaire CNSA dans son bulletin d'avril/septembre 2011, indique qu'entre avril et juin, les pauvres et les très pauvres du Nord-Ouest (Baie de Henne, Môle ST-Nicolas, Bombardopolis), de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, de la Grand'Anse, des communes du Sud-Est (Belle-Anse, Grand Gosier) et du Nord-Est, seront confrontées à une phase précaire et ou de crise alimentaire. « La longue période de soudure, la hausse des prix du pétrole, le niveau élevé de certains prix des produits alimentaires de base, la recrudescence du choléra sont à la base de cette situation », écrit la CNSA.

La CNSA prévoit aussi une dégradation de la situation encore plus préoccupante de la sécurité alimentaire si le pays est frappé par une tempête. La saison cyclonique qui s'étend du 1er juin au 30 novembre s'annonce très mouvementée avec, selon les prévisions de l'Université de Colorado (USA), un total de 16 cyclones contre une moyenne de 11, explique la CNSA qui met en relief l'extrême vulnérabilité environnementale en Haïti dont la couverture forestière est de 2 %.

La remontée de l'inflation en Haïti, telle que constatée depuis la fin de l'année 2010, coïncide avec la conjoncture internationale où, selon les constats de la Banque mondiale, les prix des produits alimentaires ont augmenté de 36 % par rapport à leurs niveaux d'il y a un an et demeurent instables. Ce phénomène est dû en partie à la hausse du coût des combustibles liée aux événements du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, d'après la banque mondiale. Une telle situation influe négativement sur les conditions de vie des gens. « La volatilité et le niveau élevé des prix des denrées alimentaires aggravent les souffrances des populations pauvres et pourraient pousser davantage de personnes dans la pauvreté... », prévient le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick. En effet, la dernière édition du Food Price Watch de la Banque mondiale prévoit qu'une hausse de 10 % des prix mondiaux risquerait de précipiter 10 millions de personnes supplémentaires sous le seuil d'extrême pauvreté (1,25 dollar par jour).

Selon les estimations de la Banque mondiale, environ 1,2 milliard d'individus vivent en dessous du seuil de pauvreté avec 1,25 dollar par jour. Ceux-ci s'ajouteraient aux 44 millions de personnes qui sont tombées dans la misère depuis juin dernier sous le coup de la flambée des prix. D'après les estimations de la Banque mondiale, environ 1,2 milliard d'individus vivent en dessous du seuil de pauvreté de 1,25 dollar par jour.

Dans moins de 10 jours, une nouvelle équipe sera aux commandes d'Haïti. Le président élu, Joseph Michel Martelly, dans un plaidoyer auprès des institutions financières internationales, sollicite des prêts en vue de relancer l'économie d'Haïti, frappée par un terrible séisme le 12 janvier 2010. Entre-temps, l'accès aux produits alimentaires est une bataille au quotidien pour des millions d'Haïtiens comme Markendy pour qui manger est un luxe et un combat au quotidien.

Roberson Alphonse
ralphonse@lenouvelliste.com

Aucun commentaire: