(Panos Caraïbes).- Après un premier mois éprouvant, certains médias de Port-au-Prince et des villes de province, sévèrement touchés par le séisme du 12 janvier, tentent de se relever des décombres. Avec leurs studios de fortune logés sous des tentes, parfois en pleine rue, ou dans des véhicules immobilisés, ces médias veulent coûte que coûte rester en vie pour informer leurs compatriotes, en majorité sans-abri et traumatisés. Reportage dans un secteur habité par la rage d'informer. Michelène Hilaire, 45 ans et la plus vieille correspondante haïtienne encore en activité, ne se croyait pas si bien inspirée en baptisant « Men Kontre (Les mains se rencontrent, en créole) », sa radio à Petit-Goâve. Depuis les secousses telluriques de magnitude 7,3 sur l'échelle de Ritcher qui ont ravagé sa ville, elle peine à faire fonctionner sa petite station dont les locaux sont endommagés. Bousculée par la suppression de la publicité, conséquence immédiate du séisme, l'avenir parait encore obscur pour cette femme de médias qui traîne derrière elle vingt ans de carrière. Chose certaine, le matériel des 17 radios de la ville côtière n'est pas enseveli sous les décombres. Celui de « Men Kontre », en ondes depuis une décennie, est installé dans une jeep des années 80 désaffectée. Sous les arbres qui débordent sur le capot de cette vielle bagnole, des journalistes de 17 stations de radios de la ville dédiée à l'ex-empereur Faustin Soulouque se rencontrent régulièrement pour la préparation et la diffusion collective d'une édition de nouvelles et d'une émission d'intérêt public. « Nous contribuons entre nous pour l'achat du carburant et les journalistes font du bénévolat pour la cueillette des informations, la rédaction et la présentation des deux émissions », soupire Guyteau Mathieu, secrétaire général du Réseau des médias de Petit-Goâve. Président directeur général de Préférence FM, Mathieu tient à ces programmes post-catastrophes autant qu'au fonctionnement de sa station. « Dans l'unité, nous sauverons Petit-Goâve », clame-t-il. Plus que jamais la presse qui a une forte influence sur les 9 millions d'Haïtiens, en majorité analphabètes, a un nouveau rôle à jouer dans la reconstruction de cet Etat de la Caraïbe à qui la nature envoie, parfois, le souffle de sa colère. A l'approche de la prochaine saison pluvieuse et même cyclonique, les prévisions communiquées par les médias, par exemple, peuvent faire la différence entre la vie et la mort. Mais déjà des avis de tempêtes s'abattent sur les médias haïtiens qui redoutent comme la peste l'arrêt des contrats publicitaires des grandes entreprises de Port-au-Prince affectées par le tremblement de terre qui a fait 300 000 morts dont une trentaine dans la presse. Autrefois quotidien, Le Nouvelliste, journal plus que centenaire, s'est rabattu sur Internet pendant un mois avant de sortir un hors-série, puis un hebdomadaire sous les presses d'Imprimeur II. « Où sont nos abonnés ? Où distribuer le journal ? Il va falloir retourner à la vente au numéro », s'interroge perplexe Max Chauvet, copropriétaire et directeur de l'entreprise familiale fondée en 1898. En attendant une relocalisation de ses abonnés, moins ceux qui sont décédés ou se sont exilés, le journal retourne à la vente au numéro. Quelque deux mois de travail seraient nécessaires pour consolider l'immeuble de Le Nouvelliste au centre-ville. Autant de mois aussi, selon des techniciens vénézuéliens, pour tenter de débloquer la « vieille rotative » du journal qui imprimait, avant le séisme, 15 000 exemplaires cinq jours par semaine. Ajouter à tout cela, les recettes publicitaires qui représentaient 75% dans le budget du journal sont taries pour plusieurs mois, se désole M. Chauvet, contraint de se séparer de la moitié de ses vingt-quatre rédacteurs. Comme les animaux malades de la peste, Le Matin, l'autre quotidien haïtien et plusieurs autres médias de Port-au-Prince recourent à la même formule, au grand dam de l'Association des journalistes haïtiens. Lutte pour survivre Patron de radio Caraïbes, Patrick Moussignac, voit lui aussi l'arrivée de l'arrêt imminent de certains contrats publicitaires, mais ne veut se séparer d'aucun de ses employés. « Sauf ceux qui veulent partir pour d'autres cieux », a indiqué le Pdg de la plus vieille radio haïtienne. Sous une tente bleue, installée sur une partie de la minuscule rue Chavannes où la station a vécu ses soixante ans, celui qui est considéré comme le Berlusconi haïtien (1) n'arrête pas de tourner les spots de ses traditionnels clients. Rien que dans l'espoir que les contrats ne seront pas cassés. Bien que les bâtiments de plusieurs clients sont effrités à l'image d'Energie FM, la radio de son frère, Maxime Moussignac, à la rue Magloire Ambroise. Les yeux rivés sous les gravats laissés par le tremblement de terre à l'auditorium de sa station, M. Moussignac étudie déjà les stratégies pour la réparation de son impressionnant immeuble que ses journalistes appellent affectueusement La maison de la radio. Un peu chanceux, le réseau de 30 radios communautaires affiliées à la Société d'animation et de communication (Saks) n'a pas été aussi affecté que les médias commerciaux et évangéliques de Port-au-Prince. « La radio Zetwal Peyizan à Fondwa – une localité de Léogâne – ainsi que les locaux de Saks ont été détruits et l'émetteur de la radio Saka à Grand-Goâve est cassé sous la pression du tremblement de terre », a expliqué Sony Estéus. L'autre conséquence de la catastrophe perçue par les Haïtiens comme un monstre, c'est la cessation des bulletins de nouvelles quotidiennes et les magazines hebdomadaires produits par Saks pour alimenter ses radios affiliées. Et pour cause. Le studio de production de l'organisation a été détruit dans le quartier du Canapé-Vert. « Grâce à ces programmes, les communautés rurales restaient informées de l'actualité nationale et internationale », a expliqué Estéus. Heureusement, a-t-il ajouté, nos partenaires traditionnels veulent aider à la reconstruction de la Saks. En cette période de profonde léthargie, les radios communautaires ne sont pas les seules qui prendront encore du temps pour renouer avec la production. Les télévisions haïtiennes sont contraintes de relayer des chaînes d'informations françaises et américaines ou diffuser des films et des matchs de football et basket-ball si elles veulent rester en ondes. Une bonne dose de thérapie pour ce peuple des sans-abri, mais pas assez pour aider à la reconstruction pharaonique qui prendra du temps et demandera beaucoup d'argent, d'énergie et un leadership dont le déficit, depuis la chute de la dynastie des Duvalier, a plongé cette île des Caraïbes dans l'horreur, la pauvreté et le désespoir. « Et pour jouer efficacement son rôle, la presse, elle aussi foudroyée par le séisme du 12 janvier, a besoin de se reconstruire », juge le directeur d'information d'une radio ayant requis l'anonymat. Claude Gilles (Panos Caraïbes) -Patrick Moussignac est copriétaire ou copropriétaire de plusieurs radios et de télévisions et proche du Racing Club Haïtien. Il n'est pas engagé, du moins encore, dans la politique active comme Silvio Berlusconi du Milan AC et premier ministre controversé de l'Italie. |
mardi 2 mars 2010
La presse haïtienne entre survie et agonie.
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