Quand Marc Bazin répond à Daly Valet !
Thursday, March 19, 2009, 8:26 PM
Par sa réponse à mes questions sur la déroute de nos élites intellectuelles et sur son échec personnel en politique, Mr Marc Bazin vient de nous confirmer qu'il est un Grand ! Un grand esprit. Un fin intellectuel. On peut ne pas être d'accord sur tout sans être désagréable envers l'un et l'autre. Le dialogue social passera par là nécessairement. Du respect, de la sympathie et de l'élégance dans la divergence. Pourtant, je n'ai pas toujours été tendre envers lui. Encore Chapeau à cette lumière qui n'a pas toujours su comment briller! Peut-être que l'histoire l'absoudra. Je ne sais.
En attendant, ma génération exige des comptes sur le crash haïtien. Et nous tenons à les avoir. Puissent ceux-là qui ont été de près ou de loin associés à la gestion du pouvoir politique en Haïti depuis 1986 se montrer suffisamment patriotes pour se conformer à ce devoir d'inventaire. S'ils n'ont pu délivrer l'Haïti promise, qu'ils nous fassent au moins un témoignage sur les raisons de leur échec. L'heure du bilan a sonné.
Je me propose de rencontrer une à une ces grandes figures une fois de retour au pays pour recueillir leurs témoignages. Ces comptes rendus d'acteurs et de témoins seront ensuite consignés dans un ouvrage pour les besoins référentiels des générations futures.
Merci mille fois, Mr Bazin!
kenbe la!
dalyvalet
washington, DC
19 mars, 09
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Chers amis,
Dégustez cet excellent article de Marc Bazin. C'est dommage que ce monsieur n'eût pu se faire mieux comprendre au pays. Peut-être lui était-il impossible de s'y consentir parce que trop rempli de lui-même. Son obsession du pouvoir a dû être si pesante que son jugement ne pouvait que perdre de l'allure. Qui sait ! Il y a, cependant, quelque chose de dramatique dans le parcours de cet homme. L'échec d'un brillant brouille les pistes, et perturbe les données comme la chute d'un ange. Cela me peine de voir qu'en Marc Bazin se répète dans une continuité exaspérante l'éclipse ou la débandade de nos lumières dans la gestion de la Res publica. Quand elles s'en mêlent à la faveur de quelque combine politicarde dont elles seules détiennent le secret, la déconvenue nous attend au bout de leurs péripéties. Du 19e siècle à nos jours, l'histoire haïtienne est scandée par de grandes et de petites histoires d'espérances déçues, d'illusions perdues, d'attentes bafouées, ou de confiances mal placées. Le tragique dans tout cela, c'est que des figures d'élite comme Marc Bazin ont toujours été tantôt au cœur, tantôt à la marge de ces déconvenues. Je ne sais si les méandres caverneuses et diaboliques du contexte socioculturel haïtien ne peuvent que servir de tombeau aux plus capables d'entre nous, ou si ce sont plutôt nos plus capables qui par bêtise ont choisi d'en faire leur tombeau spirituel et éthique. Sans vouloir anthropomorphiser les choses et chosifier les humains, ou encore moins sombrer dans le primordialisme essentialiste, il y a un débat à engager sur les raisons de l'échec de ces parangons de connaissances. De Demesvar Delorme, Louis Joseph Janvier, Anténor Firmin, Rosalvo Bobo, à Marc Bazin, Leslie Manigat, Hubert de Ronceray, et autres, j'attends qu'on m'explique le naufrage de nos titanics humains. Un devoir d'inventaire s'impose aux générations montantes.
Comme je le dis souvent, Marc Bazin compte parmi nos plus beaux esprits. Il est l'unique économiste haïtien connu à pouvoir poser les problèmes économiques d'Haïti avec la hauteur et la vision globale d'un homme d'état. A ce titre, je lui tire mon chapeau en dépit de ses mille et une erreurs politiques. Il est dans mon habitude de toujours saluer nos valeurs quand je crois les repérer quelque part. Et ce, quelle que soit leur affiliation idéologico-partisane. Si le politique qui est en lui n'a pas su faire notre bonheur de citoyen, il nous reste au moins l'intellectuel dont le pays devrait être fier. A remarquer qu'il se fait de plus en plus libéral dans l'acception américaine du concept. Les néolibéraux classiques doivent s'en mordre les pouces. Où est passé notre Marco ? doivent-ils se demander, confus. De l'orthodoxie néolibérale à l'hétérodoxie keynésienne, Marc Bazin peut évidemment à son âge se permettre quelques tours de tango.
Je rédigerai bientôt quelque chose de plus substantiel sur le parcours exceptionnel et controversé de cette belle figure de l'intelligentsia haïtienne. J'entends être part de cette œuvre d'inventaire et de déchiffrement de la boite noire du crash collectif haïtien.
kenbe la !
dalyvalet
Washington, DC
17 Mars, 09
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Cher Dany Valet,
"D'accord sur le débat" est le second d'une série de cinq articles que j'ai entrepris d'écrire à la suite d'un texte de Claude Roumain de Décembre 2008 dans lequel, en quelque sorte, Roumain "interpellait" la classe politique à propos de l'économie. Mon troisième article a été envoyé au Nouvelliste le 17 mars et devrait paraître bientôt. Que vous ayez pris le temps de réagir et d'en recommander la lecture à vos nombreux amis m'a fait plaisir et je vous en remercie très sincèrement.
Journaliste au talent reconnu, apprécié pour sa capacité d'analyse et son indépendance d'esprit, votre bilan du parcours de certains acteurs politiques de renom – auxquels vous m'avez fait la bonne grâce de m'associer – donne à réfléchir. Chacun de ces acteurs, bien entendu, a eu sa motivation propre. Ma motivation à moi, tout simplement, c'était – et c'est – de servir ce peuple et ce pays, en tous lieux et en toutes circonstances, tous les moments sont bons. L'essentiel, quand on a décidé de servir, est de ne jamais voler un seul centime de l'argent public, de ne pas avoir sur les mains la moindre goutte de sang et de donner toujours l'exemple du courage, de la bonne foi et de la détermination.
A ce titre, j'ai dénoncé et combattu la corruption en un temps où d'autres avaient peur. J'ai limité les dégâts des embargos injustes et dévastateurs imposés à notre pays au nom de la Démocratie. J'ai activement contribué à porter la pauvreté et l'inégalité au premier plan de l'agenda national, non seulement comme facteurs de réparation de la fracture sociale mais également – et ceci est nouveau – comme des instruments incontournables de la croissance de l'économie. Je ne pense pas qu'il existe une fatalité de l'échec pour une certaine catégorie d'acteurs. Je crois que les grandes fortunes politiques sont le produit des circonstances: les macoutes pour Aristide, la crise financière pour Obama en sont deux des exemples les plus récents.
Votre projet de "rédiger quelque chose de plus substantiel" sur mon parcours m'intéresse et je me tiens prêt, dans le plus strict respect de vos opinions, à cheminer avec vous à travers les étapes, à l'étranger et en Haïti, sous la forme - interviews, textes, notes inédites – que vous jugerez la plus appropriée.
Avec, cher Dany Valet, mes compliments pour ce travail d'éclairage et de vérité que vous poursuivez depuis si longtemps, avec foi, efficacité et sans souci des risques, je vous prie de croire à l'assurance de mes sentiments les plus distingués et très dévoués.
Marc L. Bazin
Président, MIDH
marclouisbazin@hotmail.com
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| D'accord pour le débat
II) L'effort d'ajustement poursuivi par Haïti entre les années 80 et les débuts du gouvernement de transition s'est globalement soldé par un échec franc et massif. De ce fait, la pauvreté s'est aggravée et les conditions de vie de la population se sont détériorées.
A la base de l'idée et du concept même de l'ajustement, il y a un postulat fondamental : toute bonne politique économique devrait se fixer pour objectifs la croissance, un bas niveau d'inflation, une balance des paiements viable et c'est en fonction de ces objectifs que sont choisis les instruments de politique économique par lesquels atteindre lesdits objectifs. Nous avons, dans notre dernier article, énuméré les instruments en question. Passons maintenant en revue les performances et voyons en ensuite les conséquences sur la pauvreté.
A. Performances
i) Déficits budgétaires
Les déficits budgétaires sont unanimement reconnus comme le premier fait générateur de dislocations macroéconomiques, soit sous forme d'inflation, soit de déséquilibre de la balance des paiements ou de fuite des capitaux. Tout budget en déficit par rapport au revenu national est considéré comme un signe de mauvaise politique.
Pendant toute la période 1980-2004, il n'y a pas eu un seul budget en excédent. Si à cela on ajoute que généralement la plus grande part de ces déficits a été financée soit par tirages - purs et simples - sur la banque centrale, soit par des accumulations d'arriérés, on imagine sans mal l'influence néfaste qu'ils ont exercée sur la hausse des prix puisque toutes émissions de monnaie artificielle ne correspondant pas à une augmentation de la production font monter les prix. Pendant toute la période sous rubrique, jamais le taux d'inflation, sauf en 1987, ne s'est approché sensiblement du taux de 4-4,5 % considéré comme défendable, la moyenne annuelle ayant été de 14,7 %. Quant aux comptes extérieurs, en 1993, la différence entre nos exportations par rapport à nos importations était de 229 millions de dollars ; en 2003, elle était de 940 millions de dollars. Sans les transferts de la diaspora, c'est à 95 % que ces déficits n'auraient pas été couverts. De 610 millions de dollars qu'elle était en 1983, la dette extérieure était, en 2002, passée à 1,2 milliard de dollars.
ii. Réforme fiscale
Si on veut réduire le déficit, il faut soit augmenter les ressources, soit réduire les dépenses, soit faire les deux à la fois. Ce qui est généralement considéré comme souhaitable est de construire un système fiscal qui soit à assiette large et dans lequel les taux marginaux seraient modérés.
Les ressources collectées par le système fiscal haïtien sont trop faibles. Elles ne correspondent qu'à 10 % du PIB. Dans tout antre pays aussi pauvre que le nôtre, les ressources fiscales correspondent à 20 % du PIB. En outre, sur les 10 % collectés chez nous, 9 % vont aux dépenses courantes. Les dépenses d'investissement financées par nous-mêmes ne représentent que 1% du PIB. Pratiquement, toutes les dépenses en capital - 4,4 % du PIB - sont financées de source extérieure. Les dépenses programmées pour les investissements en capital du DRSP sont d'environ 5 à 7 milliards de dollars. Or, il a été calculé que tout investissement dans les secteurs des transports, de l'énergie, de la santé et de l'éducation nécessitera des dépenses d'entretien de l'ordre de 5 à 33% de l'investissement initial. D'où il suit que pour financer toute dépense de fonctionnement supplémentaire et réduire notre dépendance par rapport à l'aide étrangère, il nous faut augmenter substantiellement l'effort de mobilisation des ressources. Idéalement, les ressources fiscales devraient être portées rapidement à un niveau proche de 12 à 15% du PIB, ce qui demanderait aussi bien une réforme en profondeur de l'administration fiscale qu'un relèvement de l'assiette. Beaucoup de projets de réforme sont en cours aussi bien à la DGI qu'à l'AGD. En attendant, c'est toujours la TCA, introduite le 19 septembre 1982 et amendée en juin 1996, impôt régressif payé en majorité par les pauvres, qui assume le 1/3 du revenu fiscal global.
iii. Ouverture sur le commerce international
La globalisation du commerce mondial est un fait. Tout pays qui veut se développer doit s'intégrer au commerce mondial et produire pour le marché mondial, c'est-à-dire non plus seulement des matières premières et des biens alimentaires mais des produits manufacturés et des services. Pour ce faire, de tels pays doivent être compétitifs c'est-à-dire pratiquer une politique de libéralisation des importations par laquelle les importations de bien intermédiaires se font à des prix relativement modérés de manière à favoriser les exportations et doivent faire cesser les pratiques discriminatoires destinées à protéger les industries locales non rentables contre les importations. Dès 1986, Haïti s'est engagée dans une politique de régime commercial ouvert, démantelant les protections, éliminant les barrières non tarifaires, y compris l'obligation des licences d'importation et d'exportation, abaissant les tarifs douaniers. Puis vint la période 1994-1995 où on enregistre une nouvelle vague de libéralisations, comprenant l'élimination du reliquat de contraintes à l'importation de certains produits agricoles, la réduction des tarifs douaniers d'un maximum de 50 % à une moyenne de 8 %. Tel était notre bas niveau de tarif que, en 1999, quand nous avons rejoint le CARICOM, nous avons dû leur demander de nous dispenser de mettre nos tarifs au même niveau que les leurs. Haïti est, avec le Chili et Panama, le pays le plus libéral d'Amérique latine.
Malheureusement, ces libéralisations ont été faites pour le principe, sans lien réel avec la structure de notre économie et sans actions d'accompagnement. Ainsi les tarifs sur produits alimentaires passaient, en février 1995 de 40-50 % à 0,5 %, les droits sur le riz de 50 % à 3 %. Très rapidement, les importations de riz sont passées de zéro en 1988 à 115.000 tonnes en 1998 et la production nationale passait pendant la même période de 180.000 tonnes à 105.000 tonnes. Nous avions libéralisé à outrance mais nous n'avions ni routes de commercialisation, ni électricité à bon marché, ni politique d'incitation au secteur privé, ni souci de protection sociale pour les petits producteurs.
iv. Le taux de change
Un des tests-clés de l'ouverture au commerce international est le taux de change. Il doit être déterminé par le marché, et non par l'État. Dès 1991, nous avons libéré le taux de change, supprimant la parité fixe de 5 gourdes pour 1 dollar et laissant le marché déterminer au jour le jour la valeur de la gourde par rapport au dollar. Ce qui est recherché ici, c'est que le taux de change soit compétitif, c'est-à-dire suffisamment bas pour favoriser l'augmentation des exportations (en théorie plus l'exportateur reçoit de gourdes pour son café ou son assemblage, plus il prospère et crée des emplois) d'où il suit que les investisseurs sont encouragés à prendre des risques et à s'engager vers l'exportation, ce qui suppose, comme pour l'ouverture en général, un climat favorable et des mesures adéquates d'incitation. En partie grâce à la libéralisation du taux de change, Haïti a effectivement, sauf bien entendu pendant les embargos, augmenté ses exportations, de 145 millions de dollars en 1991 à 437 millions de dollars en 2002. Dans le même temps, notamment, suite aux libéralisations intempestives, les importations également ont augmenté, passant de 251 millions de dollars à 881 millions de dollars.
v. Libéralisation financière
Les taux d'intérêts ne doivent pas être fixés par le gouvernement mais par les forces du marché, en fonction de la loi de l'offre et de la demande, l'objectif étant d'éviter que des taux d'intérêt fixés entièrement sur la base de critères administratifs ne détournent l'épargne vers des activités spéculatives plutôt que vers la production. Mais en même temps, les taux d'intérêts doivent être positifs, c'est-à-dire supérieurs au taux d'inflation de manière à décourager la fuite des capitaux. La libéralisation des taux d'intérêts est donc au coeur de la réforme du système bancaire. En décembre 1989, tous les plafonds aux taux d'intérêts que les banques commerciales ne pouvaient payer sur les dépôts ou charger sur les prêts étaient éliminés et, en mai 1995, tous les plafonds statutaires sur les taux d'intérêts des banques commerciales étaient éliminés. L'un des bienfaits attendus de cette libéralisation était que, une fois libérés les taux d'intérêts, les banques se livreraient entre elles à une forte compétition qui les amènerait à rechercher de nouveaux clients, notamment parmi les petites et moyennes entreprises. Mais, comme on le sait, c'est la banque centrale qui a remplacé les PME dans le portefeuille des banques, et c'est la concentration du capital entre un petit nombre de banques qui a remplacé la compétition.
vi. Privatisation
Le credo ici est que les entreprises privées, ne serait-ce que par peur de la faillite, sont mieux gérées que les entreprises publiques, toujours en attente de subventions. De plus, la privatisation, domaine dans lequel nous ne nous sommes pas signalés par un excès de zèle, rapporte des impôts et soulage les finances de l'État.
B. La pauvreté aggravée
Ainsi donc, entre septembre 1983 et août 2002, Haïti aura passé avec le Fonds monétaire international un total d'environ 8 accords de stabilisation pour un montant total d'environ 133 millions de DTS, auxquels il convient d'ajouter trois accords passés entre 1997 et 2002, lesquels n'engageaient pas le Fonds à nous transférer des ressources mais plutôt à nous mettre sous résidence surveillée. Du tableau qui suit, il faut retenir la colonne « Utilisés ». Elle signifie que aucune de ces opérations ne s'est terminée avec succès et que, chaque fois, le FMI a dû arrêter les déboursements. Même chose pour les opérations de résidence surveillée. Aucune n'a abouti. C'est bien ce que, au début de ce texte, nous avions qualifié « d'échec franc et massif ».
Accords avec le FMI entre 1983 et 2002 (DTS millions) Année Alloués Utilisés 1986 30,87 08,82 1989 21,00 15,00 1995 20,00 16,40 1996 91,05 15,18
Pour ce qui est de la Banque mondiale, en 2002, elle dressait le bilan de sa coopération avec Haïti. Le montant total de ses crédits à Haïti était, en 1996, évalué à 293,6 millions de dollars. De 1996 à 2002, plus aucun crédit ne nous avait été alloué. La Banque concluait: « L'impact de l'assistance de la Banque à Haïti n'a pas été significatif et la stratégie a été peu satisfaisante. Dans un pays comme Haïti, à faible capacité institutionnelle et gouvernance économique désastreuse, le financement traditionnel de programmes de développement n'a qu'un effet limité sur la réduction de la pauvreté ». Ce que la Banque aurait pu dire c'est que les programmes d'ajustement tels que nous les avions appliqués, en zigzag, de bric et de broc et pour parler créole, de manière « tchakée » ont aggravé la pauvreté et davantage détérioré les conditions de vie du peuple haïtien.
Nous, Haïtiens, devrions toujours garder à l'esprit que, avec sa faible base en ressources humaines, son infrastructure délabrée, une structure économique non diversifiée, sur un fonds chronique d'instabilité politique, notre pays présente des obstacles structurels à tout programme de réformes, fut-il bien conçu et bien exécuté. A fortiori quand de tels programmes sont exécutés par petits bouts et de mauvaise foi. Les mesures de recours aux mécanismes du marché ne peuvent produire leur plein effet que si sont levés tous les obstacles à l'accumulation du capital, aussi bien les obstacles institutionnels (inefficacité de la bureaucratie, corruption, peu de respect pour l'état de droit et les droits de propriété, instabilité politique, populisme) que l'inadéquation du secteur financier et le manque d'infrastructure. Les programmes d'ajustement forment un tout. Les faire par petits bouts ne rapporte rien. À chaque faux pas, le FMI interrompt le programme et il faut recommencer. Les demi-réformes ne rapportent pas des demi-bénéfices. Mais elles peuvent, au contraire aggraver la situation. Les libéralisations ont ouvert les portes mais nous ne nous sommes pas donné les moyens d'en bénéficier pleinement. Ce qui s'est passé pour le riz est significatif. Libéraliser le commerce du riz en persistant avec les déficits budgétaires, tout en privant l'économie d'électricité, d'énergie et de services portuaires à bon marché, dans une atmosphère générale de « caponnage » du secteur privé, a pénalisé la production agricole, n'a pas mobilisé les investissements ni fait baisser la pression extérieure en faveur de l'ajustement.
Il nous faut donc renoncer au populisme et nous armer du courage politique nécessaire pour en finir, globalement et une fois pour toutes, avec ce «pongongon» des réformes. Autrement, nous renforçons notre malheureuse réputation de «pays paria» et de «pays en décomposition». Mais il y a plus grave. Faute notamment d'un effort d'ajustement complet, réussi et bouclé, les conditions de vie du peuple haïtien se détériorent considérablement. Nous sommes toujours dans la crise. Entre 1980 et 2002, le revenu national n'a pas augmenté pendant que la population augmentait de 2 % par an. Entre 1981 et 1990, notre revenu par tête avait baissé de 2,3 % par an. Entre 1990 et 2000, notre revenu par tête avait à nouveau baissé de 2,3 % par an. En 1960 nous avions à peu près le même revenu par tête que la République Dominicaine. En 2002, le revenu dominicain était de 2.500 dollars, le nôtre de 460 dollars.
Un revenu global qui baisse pendant que la population augmente, et que les prix montent est un signe clair d'augmentation de la pauvreté. Cela déjà devrait suffire à nous faire réfléchir. À ce constat, en soi dévastateur, il faut ajouter que tout programme d'ajustement est un programme de contraction des dépenses. Toute contraction de dépenses affecte négativement la condition des pauvres. Un programme de contraction de dépenses comprend aussi bien des réductions dans les dépenses du gouvernement, des augmentations de l'effort fiscal, des réductions du salaire réel et des restrictions dans l'allocation du crédit. De telles mesures mordent dans le revenu réel puisqu'elles affectent l'offre et l'emploi, réduisent les salaires réels de ceux qui ont un emploi, augmentent les prix des biens de consommation à mesure que les taxes et impôts indirects augmentent et les prix se libéralisent.
Dans l'ajustement, tous les groupes sociaux subissent une perte de pouvoir d'achat par suite des augmentations répétées des tarifs d'électricité, des transports publics, des produits pétroliers et des prix de produits importés. D'autres groupes affectés sont les employés du secteur public dont les salaires sont gelés et le nombre réduit par des renvois massifs. Du coup, la demande d'emplois dans le secteur informel s'accroît et l'informalisation généralisée du marché du travail déprime le marché informel, et le revenu par tête dans le secteur décline par suite de la compétition introduite par les nouveaux venus.
Également, toute mesure qui comprime les salaires pendant que les prix sont libres de monter réduit la capacité de consommation des plus pauvres. Dans le même temps, la réduction dans l'allocation du crédit, les taux d'intérêts élevés consécutifs aux libéralités de la Banque centrale vis-à-vis du niveau des taux sur les bons BRH contrarient les investissements, dépriment l'emploi et aggravent le chômage.
Bien entendu, la pauvreté généralisée en milieu urbain, via la baisse des transferts de l'étranger, la migration et le jeu des marchés, s'étend également au monde rural d'autant que ce dernier, consommateur net de tous produits affectés par les augmentations de prix, n'a pas effectivement bénéficié chez nous des avantages de la dévaluation du taux de change, laquelle était censée rétablir à son profit les termes de l'échange de l'agriculture vis-à-vis de l'industrie et du monde urbain.
Prétendre que l'on ajuste l'économie alors que, en réalité, on joue à cache-cache avec tout l'arsenal de mesures qui contribueraient à parachever l'entreprise et à lui donner un sens est une attitude coupable. Elle a privé d'efficacité les maigres efforts qui ont été tentés, ont aggravé la pauvreté, contribué à la désorganisation de la société et envenimé inutilement nos rapports avec la communauté des donateurs. Plus que jamais, un consensus minimum entre Haïtiens apparaît, dans ce domaine, comme tant d'autres, indispensable.
Marc L. Bazin Président (MIDH) e-mail : marclouisbazin@hotmail.com
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